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La structure élémentaire de la signification : le carré sémiotique

Dans le document Les systèmes de connaissances (Page 32-34)

Aspects structurels

2.3.2. La structure élémentaire de la signification : le carré sémiotique

Ce titre reprend celui d'un chapitre de l'ouvrage collectif [Entrevernes 84] qui expose avec beaucoup de clarté la théorie de Greimas sur la sémantique structurale ([Greimas 66], [Greimas 70], [Greimas 83]), et qui a fait l'objet d'une formalisation mathématique dans [Ermine 89]. Greimas, à la suite de bon nombre de sémanticiens, a posé les bases d'une théorie formelle du sens. Cette théorie décrit les éléments fondamentaux et la manière dont ils se structurent de manière interne pour engendrer le sens dans un ensemble de traits sémantiques. Cette théorie se base sur des principes élémentaires qui ont été longuement élucidés et débattus dans de nombreuses disciplines.

Le premier principe est celui de l'axe sémantique : un trait sémantique ne se charge de sens que lorsqu'il est couplé à un autre trait. Un terme isolé n'a pas de sens. Le couple de traits sémantiques, perçu et retenu comme engendrant un effet de sens, est appelé axe sémantique. Ces axes sont déterminés en fonction de la réalité perçue ou des besoins de l'analyse. Par exemple, le trait sémantique /vert/, placé dans l'axe sémantique /vert/ vs /rouge/, prend aussitôt un sens pertinent dans le processus de signification d'un feu de circulation. Dans l'axe sémantique /vert/ vs /cyan/ (cyan est la couleur complémentaire du vert) il prend le sens d'une couleur, telle qu'elle est définie dans un système de référence comme le système de couleur RGB (Rouge, Vert, Bleu).

Le second principe est celui de l'opposition ou de la différence. Un axe sémantique étant donné, le sens n'apparaît que grâce à la différence qui est faite par l'esprit humain entre les deux traits en question. L'axe

19 "Dans un modèle à traits, une représentation conceptuelle peut dès lors être considérée comme un ensemble de

représentations plus élémentaires, c’est-à-dire d'informations durables, stockée en mémoire à long terme, dont la fonction est de constituer des supports de discrimination, susceptibles d'être mis en oeuvre pour faciliter de multiples activités, instantanées ou à court terme, de discrimination, dans la perception, le rappel, la pensée, la compréhension du langage etc." ([Le Ny 89] Chap. 2)

sémantique se traduit non pas comme un ensemble de deux traits, mais comme un couple différentiel, un trait n'ayant un sens que dans la mesure où l'on perçoit la différence avec l'autre. Comme le dit le proverbe, la lumière n'existe que parce qu'il y a de l'ombre. Par exemple /vert/, dans l'axe sémantique /vert/ vs /rouge/ n'a de sens que dans la mesure où il se différencie ou s'oppose à /rouge/, tout automobiliste en conviendra. C'est cette opposition qui est indiquée par le symbole vs (versus). Ce principe d'opposition a été pour la première fois posé par Roman

Jakobson ([Jakobson 63], Chap. 6) en phonologie20, et cette idée extrêmement riche et féconde, malgré une

simplicité apparente, a marqué toutes les sciences humaines et tout le courant structuraliste qui a suivi21.

Le troisième principe est celui de la contradiction. Tout concept présuppose son contraire. Si un sens apparaît pour un trait, l'esprit perçoit également le sens contraire ou contradictoire. Ainsi, en plus du second principe, un trait prend sens non seulement par son opposé, mais aussi par son contraire. Le contraire ou contradictoire peut s'exprimer comme la négation du trait. Ainsi, le contraire du trait /vert/ est /vert/ (qui se lit non-vert), mais dans le contexte des feux de circulation, on voit immédiatement que ce trait peut se réinterpréter en /orange/, si l'on considère que le feu orange est le contraire du feu vert. On se rend compte par ce biais de l'ambiguïté des feux tricolores français, par exemple, où le trait /orange/ est perçu tantôt comme contraire de /vert/, tantôt comme contraire de /rouge/. C'est une ambiguïté qui alimente sans doute nombre de discussions et qu’on utilisera aussi plus tard. On peut noter que cette ambiguïté n'existe pas dans les feux de deuxième catégorie où on peut identifier clairement les contraires de /rouge/ et /vert/. Remarquons d'autre part que l'axe sémantique /vert/ vs /rouge/ peut jouer exactement le même rôle que l'axe /vert/ vs /rouge/, si l'on admet la

règle de double négation : /trait/ = /trait/22.

Ainsi, pour reprendre l'exemple des feux tricolores, l'ensemble des messages transmis (les trois ou quatre configurations de feux) prend un sens parce qu'il s'inscrit dans une structure où se retrouve l'axe sémantique /vert/ vs /rouge/, dont l'effet de sens provient de l'opposition perçue entre ces deux traits, et où se retrouve aussi l'axe des contraires /vert/ vs /rouge/ . On a l'habitude de représenter graphiquement la présence de ces trois principes dans un processus de signification par un carré, dit carré sémiotique, comme le montrent les figures 2.3 et 2.4. Le carré sémiotique est donc une structure élémentaire qui modélise les effets de sens dans un système.

Figure 2.3. Le système des feux de circulation

organisé dans un carré sémiotique

20 "Ce qui caractérise un phonème, ce sont les différences par lesquelles il s'oppose aux autres phonèmes du

système de la langue. Ainsi, les phonèmes /b/ et /p/ s'opposent par le fait que le premier est sonore, ou voisé (c’est-à-dire accompagné d'une vibration des cordes vocales), le second sourd, ou non voisé (les cordes vocales ne vibrent pas); cette même opposition se retrouve entre /d/ et /t/, /g/ et /k/, /v/ et /f/, etc. On peut dresser une liste de ces traits distinctifs, qui représenteraient ainsi les unités élémentaires sur lesquelles sont constituées les langues." ([Caron 89], Chap.2, §1)

21 "Toute communication (et dès lors toute signification) opérerait sur la base d'oppositions organisées en

système." ([Eco 88], Chap. 3, §3.3)

22 Cette règle, si elle est parait triviale au niveau de la logique, peut facilement être battue en brèche dans d'autres

points de vue, puisque le fait de nier deux fois une assertion ne ramène bien évidemment pas tout à fait la même assertion !

/vert/ /rouge/ /vert/ /rouge/ Opposition ou différence Contradiction Axe sémantique

Figure 2.4. Reformulation du carré sémiotique

des feux de circulation

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