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Les lois de composition des significations, l'exemple du groupe de Piaget

Dans le document Les systèmes de connaissances (Page 35-37)

Aspects structurels

2.3.4. Les lois de composition des significations, l'exemple du groupe de Piaget

Pour contourner la combinatoire du sens, pour éviter un recensement mythique et exhaustif des connotations, pour garder un fil conducteur cohérent dans la description des connaissances, bref, pour tenter de maîtriser la complexité des significations possibles, il peut être utile de découvrir des lois "naturelles" qui permettent de construire de nouvelles significations à partir d'autres existantes, ou réciproquement, de décomposer des significations en significations plus fines. Ces lois peuvent expliquer aussi comment émergent et se complexifient les significations dans l'esprit humain. Il est donc naturel, pour obtenir quelques réponses, de se tourner vers la psychologie du développement dont l'objet est de révéler les mécanismes de formation de la connaissance, de l'intelligence, notamment chez l'enfant. C'est bien sûr Jean Piaget qui, dans ce domaine, est la référence obligée. Il est à l'origine des théories les plus originales, les plus formalisées et les plus cohérentes dans ce domaine (cf.. par exemple [Tran-Thong 78]). Il est également un épistémologue de renom qui a marqué le développement de la science contemporaine.

Dans sa théorie du développement psychologique de l'enfant, Jean Piaget a constaté qu'au stade de la préadolescence, l'enfant se révèle apte à manier des concepts, sous la forme de propositions et d'utiliser des opérations propositionnelles inconnues de lui jusqu'alors : négation, implication, disjonction, exclusion etc. Au niveau cognitif, l'enfant est donc apte à construire, à découvrir, par des opérations logiques, de nouveaux concepts, de nouvelles significations. On va voir en fait, qu'à partir de connotations exprimées comme ci-dessus par des carrés sémiotiques, ce sont des opérations logiques élémentaires qui permettent de construire de

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Umberto Eco utilise une représentation (presque) équivalente au carré sémiotique et qui est aussi très courante : celle de matrices d'opposition, qui se présente ainsi :

/passer/ /rester/

/rouge/ - +

nouvelles connotations sous forme de nouveaux carrés sémiotiques. On renvoie à [Ermine 89] pour la formalisation mathématique de ces notions.

Voyons ce qu'il en est selon Piaget. Citons un de ses exemples, assez proche de celui des feux de circulation ([Piaget 66]) :

"Prenons comme exemple l'implication (p implique q) et plaçons-nous dans la situation expérimentale où un enfant

de 12 à 15 ans cherche à comprendre les liaisons entre des phénomènes qu'il ne connaît pas, mais qu'il analyse au moyen des opérations propositionnelles nouvelles dont il dispose, et non pas par tâtonnements au hasard. Supposons qu'il assiste à un certain nombre de mouvements d'un mobile et d'arrêts, ceux-ci semblant s'accompagner de l'allumage d'une lampe.

La première hypothèse qu'il fera est que la lumière est cause (ou indice de la cause) des arrêts : soit (p implique q)

(lumière implique arrêt). Pour contrôler l'hypothèse, il n'est qu'un moyen : vérifier s'il existe ou non des allumages sans arrêts,

soit (p et q ) (négation de (p implique q)). Mais il peut se demander aussi si l'allumage, au lieu de provoquer l'arrêt, est

déclenché par lui, soit (q implique p) (réciproque de (p implique q)). Pour contrôler (q implique p) (arrêt implique lumière), il

cherchera le contre-exemple, c'est-à-dire des arrêts sans allumage ( p et q) (négation de (q implique p) qu'il exclura donc

s'il en existe de tels) où ( p et q) qui est l'inverse (la négation) de (q implique p) est en même temps la corrélative de (p

implique q) car si, toutes les fois qu'il y a allumage il y a arrêt (p implique q), il peut y avoir en ce cas des arrêts sans

allumages. De même (p et q ) qui est l'inverse de (p implique q) est aussi la corrélative de (q implique p), car si toutes les

fois qu'il y a arrêt il y a allumage (q implique p), il peut y avoir en ce cas des allumages sans arrêts. De même si (q implique

p) est la réciproque de (p implique q) alors ( p et q) l'est aussi de (p et q ).

On voit ainsi que, sans connaître aucune formule logique, ni la formule des groupes au sens mathématique [..], le préadolescent de 12-15 ans sera capable de manipuler des transformations selon les quatre possibilités I (transformation

identique), N (inverse ou négation), R (réciproque) et C (corrélative), soit dans le cas de (p implique q) ( p ou q) :

I = ( p ou q) N = (p et q ) R = (p ou q ) C = ( p et q)

Or N=RC R=NC C=NR et I=NRC, ce qui constitue un groupe de quatre transformations ou de quaternalité réunissant en un même système les inversions et les réciprocités et réalisant ainsi la synthèse de structures partielles construites jusque là au niveau des opérations concrètes.

Le stade de développement final de l'enfant en tant que tel est représenté par le groupe INRC dit encore groupe de Piaget. Ce groupe est un ensemble d'opérations qui, à partir de deux éléments p et q (deux traits sémantiques, par exemple ceux opposés dans un axe sémantique, pour ce qui nous concerne), permet de construire quatre nouveaux éléments. Ces opérations sont :

- La composition identique qui à p et q fait correspondre une notion composée qu’on notera p+q - L'inversion qui à p et q fait correspondre p+q

- La réciprocité qui à p et q fait correspondre p + q - La corrélation qui à p et q fait correspondre p+q

Pour simplifier disons qu'à partir de deux significations p et q, les opérations de Piaget permettent de rendre compte de la naissance de nouvelles notions, composées avec p, q et leurs contraires p et q . La quaternalité des opérations permet de réinterpréter ces nouvelles notions dans des carrés sémiotiques, donc dans des nouvelles structures de signification. Nous avons vu l'exemple donné par Piaget lui-même. Nous allons donner un exemple similaire, toujours sur les feux de circulation.

/vitesse/ =( V > 0) /accélération/ = ( G >= 0)

( G =< 0) = /décélération/ = /accélération/ /vitesse/ = /arrêt/ = (V = 0)

/passer/ /rester/

/s'arrêter/ /partir/

/vitesse/ + /accélération/ /vitesse/ + /accélération/

/vitesse/ + /accélération/ /vitesse/ + /accélération/

(V > 0) + (G >= 0) (G =< 0) + (V= 0)

(V = 0) + (G >= 0) (V > 0) + (G =< 0)

Figure 2.7 : Nouvelles connaissances connotées par le système des feux de circulation

Nous avions donné comme première connotation des feux de circulation, un carré qui opposait /passer/ à /rester/ et /partir/ à /s'arrêter/ (Figure 2.5). Une observation assez simple montre qu’on peut aller plus loin dans l'analyse et découvrir d'autres connotations. Il rentre dans les actions citées des connotations d'ordre physique évidentes qui sont les notions d'accélération et de vitesse : /passer/ connote une vitesse positive et une accélération positive ou nulle, /rester/ connote une vitesse et une accélération nulle, /partir/ connote une vitesse nulle et une accélération positive, enfin /s'arrêter/ connote une vitesse positive et une accélération négative. La connotation décrite par la figure 2.5 peut donc s'interpréter en faisant intervenir l'axe sémantique bien connu des physiciens /vitesse/ vs /accélération/ où /vitesse/ se comprend comme la grandeur vitesse V strictement positive, dont le contraire est compris comme la grandeur V nulle (donc la connotation /arrêt/), /accélération/ comme la grandeur accélération G positive ou nulle, dont le contraire est la grandeur G négative ou nulle (donc la connotation /décélération/). Tout ceci est résumé dans le carré de la figure 2.6.

En combinant, par les opérations de Piaget, les traits inscrits dans la figure 2.6, on obtient une interprétation composite plus fine de la signification primitivement attachée aux feux, et qui structure les observations qui viennent d'être faites. Ceci se traduit dans la figure 2.7.

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