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Les modèles à traits ou propriétés : les représentations objet

Dans le document Les systèmes de connaissances (Page 43-46)

Aspects structurels

2.4.3. Les modèles à traits ou propriétés : les représentations objet

Les modèles en réseau sont basés sur l'hypothèse que la mémoire sémantique est de type associatif. Depuis quelques années, et particulièrement dans certains milieux (informatique, intelligence artificielle...), un autre mode de représentation tend à se développer, qui est beaucoup plus "granulaire" : les modèles à traits (ou propriétés), qu'on nomme dans les milieux cités ci-dessus, modèles objet.

Si les modèles en réseau supposent que le monde nous apparaît comme un réseau de concepts liés entre eux par des liens typés sémantiquement, les modèles objet supposent que "le monde nous apparaît sous la forme d'un agencement d'objets" ([Ganascia 90] Chap.4 § 4.3). Ces objets sont définis par des traits qui sont des représentations composantes, qui elles-mêmes peuvent être des composantes d'autres représentations, et qui soit

31 Les trois processus de base de tout système de mémoire, naturel ou artificiel sont : encodage, stockage et

récupération. On pourra consulter pour un survol pertinent de ces questions, l'excellent numéro spécial de "La Recherche" sur la mémoire : [La Recherche 94]

sont terminales (elles ne se décomposent pas), soit peuvent se décomposer en d'autres traits32. Ces traits sont "les capacités discriminatives les plus pertinentes qu'un individu est capable de mettre en œuvre, compte tenu du monde physique et de la société dans lesquels il vit" ([Le Ny 89] Chap. 2), ce sont donc des éléments psychologiques traduisant notre perception des objets qui nous entourent. C'est sans doute dans un article célèbre de Marvin Minsky, pour l'étude psychologique de la vision ([Minsky 75]), qu'ont débuté les tentatives de formalisation de ce type de modèle. Repris depuis sous bien des aspects, ces modèles sont devenus de véritables langages, extrêmement formels, notamment en informatique (on pourra en voir une brève introduction dans [Ermine 89], Chap. 1.4, § 6 et un développement plus complet dans, par exemple, [Masini 90]).

L'idée d'objet en psychologie cognitive s'est fondée sur une analyse fine des notions de traits sémantiques, à laquelle on a substitué l'idée de couple attribut-valeur ([Le Ny 89] Chap. 3). En effet, si l'on considère, par exemple, les lampes d'un feu de circulation on peut associer à chacune d'elle le trait /rouge/, /vert/ ou /orange/. (ou la propriété a-une-couleur-rouge etc., d'où l'intitulé pas très approprié de "modèles à propriétés"). Cette connaissance se décompose elle-même en deux autres connaissances : les lampes ont une couleur (couleur est alors appelée un attribut de la lampe), cette couleur est rouge, vert, ou orange (ce qu'on appelle des valeurs de l'attribut couleur). L'idée de considérer un trait sémantique sous ce double aspect, celui des attributs et des valeurs d'attributs s'est révélée extrêmement productive pour une théorie compositionnelle. Elle a permis de rendre compte d'un grand nombre de phénomènes psychologiques : relief (ou poids) différents des traits d'une représentation (en situation provisoire ou non), traits figuratifs ou non figuratifs (un attribut figuratif - comme "couleur" par exemple - est un produit direct de la perception, contrairement à un attribut non figuratif - comme "danger" - produit d'une abstraction, confusion conceptuelle courante entre attribut et sa valeur (quand on dit par exemple "Il surveille constamment la vitesse de sa voiture", c'est effectivement l'attribut vitesse qui est en cause, quand on dit "la vitesse de la voiture l'a empêchée de s'arrêter", il s'agit de la valeur trop élevée de l'attribut vitesse) etc. Des liens avec les récentes connaissances en neurobiologie sur la nature de l'élément récepteur et cérébral renforcent encore la richesse de ce concept ([Le Ny 89] Chap. 3). Ainsi, la notion d'attribut devient un élément de base pour la représentation de connaissances sous des modèles qu'on appellera désormais des

modèles objet33.

Objet : Feu de circulation :

Lieu géographique = {Chaîne de caractères} Numéro = {1..40}

Type de lampe = {Type de lampe}

Positionnement = {angle du carrefour, suspendu au milieu de la chaussée,...}

Objet : Type de lampe :

Couleur : {rouge, vert, orange} Diamètre : {Entier cm] Luminosité : {...} Exemple d'instance de Feu de circulation :

Lieu géographique = {Place de l'étoile, Paris} Numéro = 16

Type de lampe =

{Couleur = rouge Diamètre = 30 cm Luminosité = forte} {Couleur = orange Diamètre = 25 cm Luminosité = moyenne} {Couleur = vert Diamètre = 25 cm Luminosité = moyenne}

Positionnement = angle du carrefour

32 "Dans un modèle à traits, une représentation conceptuelle peut dès lors être considérée comme un ensemble

organisé de représentations plus élémentaires, c’est-à-dire d'informations durables, stockées en mémoire à long terme, dont la fonction est de constituer des supports de discrimination, susceptibles d'être mis en oeuvre pour faciliter de multiples activités, instantanées ou à court terme, de discrimination, dans la perception, le rappel, la pensée, la compréhension du langage etc. " ([Le Ny 89] Chap. 2)

33 " Un attribut est un mode d'organisation particulier et fondamental des représentations élémentaires; il reflète

une relation d'opposition/similitude entre ses valeurs, grâce à laquelle il peut servir, en effet, de support cognitif aux qualifications des objets " ([Le Ny 89] Chap. 3)

e tc.

Figure 2.12 : Exemple de représentation objet d'un feu de circulation

Qu'est-ce qu'un modèle objet ? Un objet est une entité perçue dans l'environnement du modélisateur. Sans rentrer dans des détails techniques, disons qu'un objet (ou plutôt une classe d'objets) est vu comme une collection d'attributs (les "traits" ou plus improprement, les "propriétés") qui en sont sa définition. Ces attributs ont une plage de valeurs, et peuvent être valués pour créer une instance particulière de cet objet. Ainsi, un feu de circulation est défini par exemple par le lieu géographique où il se trouve, un numéro (il y a plusieurs feux en général sur un lieu), le type des lampes qui le composent (cet attribut est multivalué puisqu'il y en a trois en général), son positionnement (sur l'angle, suspendu au milieu de la chaussée) etc. Le type de lampe est un autre objet composé, puisqu'il est défini par sa couleur (rouge, vert, orange), son diamètre (parfois plus grand pour la lampe rouge), sa luminosité etc. On pourrait encore dire que l'attribut couleur est encore un objet composé, puisqu'il peut être défini par trois attributs (ses niveaux de rouge, vert, bleu dans un système de codage des couleurs par exemple, cf.. chapitre 1), ceci relève de la responsabilité du modélisateur. On obtient ainsi une description "raisonnable" et structurée des différents aspects de l'objet feu de circulation (figure 2.12).

On le voit donc, les modèles objet privilégient les listes d'attributs ou propriétés ("traits") enregistrés avec le concept en question, alors que les modèles en réseau privilégient l'ensemble des relations que le concept entretient avec les autres concepts. Cependant, comme on l'a déjà souligné, ces deux approches ne sont pas incompatibles. Ainsi, les modèles objet sont généralement intégrés dans un modèle en réseau qui rend compte d'un lien fondamental qu'on appelle l'héritage. L'héritage, de manière pratique, est un lien qui permet d'affecter à des sous-catégories d'un catégorie donnée, des attributs (ou des valeurs d'attributs) de la catégorie supérieure. C'est une procédure, reposant sur une propriété structurale (de type taxinomique) du domaine, qui, si une telle structure existe, se révèle extrêmement féconde. Elle permet notamment de structurer en réseau un domaine découpé en objets. Par exemple, on doit sûrement pouvoir déterminer un réseau structurant l'ensemble des feux de circulation en fonction de leur différentes caractéristiques (leurs attributs). L'objet le plus général de ce réseau serait un objet (conceptuel, n'ayant pas nécessairement d'existence physique) qui regrouperait toutes les caractéristiques communes à tous les feux de circulation (on en imagine aisément), et les sous-catégories affineraient successivement cet objet en rajoutant des caractéristiques particulières pour permettre d'inclure dans cette structure toutes les variétés de feux existant sur le marché. Notre connaissance précise sur ce domaine étant très limitée, nous nous garderons bien de fournir un tel réseau !

2.5. La signification : mythes et limites

Tout au long de ce chapitre, la dimension sémantique d'un système de connaissances a été ramenée à au processus de signification dans un système sémiotique. On a pu voir la richesse considérable d'une telle approche. Elle est incontournable pour toute méthodologie de gestion des connaissances, et ce serait une grave erreur, à notre sens, de reléguer les approches sémiotiques à des techniques surannées qui n'auraient plus rien à apporter. Dans des domaines comme l'informatique, l'intelligence artificielle, le génie cognitif, il n'est jamais trop tard pour introduire des techniques fournies par les sciences humaines, même si celles-ci sont contestées au cœur même de leur propre discipline (l'exemple révélateur est celui de la linguistique de Chomsky des années 50 qui est toujours fondamentale dans la théorie moderne des langages informatiques et qui se porte beaucoup moins bien dans les théories linguistiques actuelles).

Cependant, les débuts euphoriques, les avancées rapides, dus aux premiers résultats de la sémiotique, ou même plus généralement aux approches structuralistes se sont estompés. Comme de bien entendu, des limites ont été atteintes, des excès ont été commis. L'approche est remise en cause dans ses fondements, d'autres hypothèses sont mises en avant, qui subiront, sans aucun doute, le même cycle d'évolution. Ce n'est pas tant que les hypothèses posées soient fausses, elles sont seulement recadrées et les bornes posées pour délimiter les contours de la théorie présupposent d'autres extensions qui restent à explorer. Ceci permet en tout cas de travailler sereinement, sans impérialisme idéologique, dans un cadre méthodologique dont on connaît les contraintes et les limites. Nous en esquissons ici quelques unes. On pourra consulter à ce propos l'excellente introduction, intitulée "L'empire des signes (la sémiotique)", à la limite du pamphlet humoristique, qu'a rédigée Daniel Bougnoux au chapitre II de son ouvrage ([Bougnoux 93]).

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