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Structuration de la recherche et « restitution » rédactionnelle

Sans verser dans quelque culte d’ icônes, on peut reconnaître que les publications des auteurs O. DIOP et O. WANE représentent encore malgré leur âge, les références en matière d’études et de contributions fiables sur les matières résiduaires solides dakaroises. D’ailleurs bien que non préméditée, la démarche méthodologique et rédactionnelle hybride qui s’est de facto imposée à nous pour le traitement de certains aspects de la question abordés dans cette thèse, doit beaucoup à ces deux précurseurs du déchet sénégalais. On s’est en effet naturellement orienté vers une synthèse de leurs deux angles d’analyse, avec une approche oscillant entre les préoccupations du chercheur socio-anthropologue orienté sur les perceptions et postures sociales des sociétés étudiées, et celle de l’ingénieur social plus porté sur l’évaluation et/ou l’amélioration des techniques spécifiques au secteur.

Honneur donc à O WANE, au moment de l’élaboration, puis de la rédaction de la Première partie de la thèse, qui dresse à travers un état des lieux, une présentation de la situation des matières résiduaires domestiques et de leur dynamique dans une métropole dakaroise en constante évolution sociodémographique et spatiale. Comme l’auteur près d’un quart de siècle plus tôt, on s’est s’intéressé aux difficultés et inégalités dans leur prise en charge officielle, et qui continuent de handicaper un secteur crucial de la gestion urbaine. Toutefois, l’une des nouvelles pistes d’étude empruntées, a été d’analyser les impacts des incohérences de la gestion sur le domaine public, parallèlement à la posture hygiénique domestique des populations. Ces incohérences vont largement déterminer les réponses parallèles, souvent jugées « non convenables » des populations, pour pallier les lacunes du système officiel de prise en charge des rejets solides ; l’analyse en profondeur de ces réponses alternatives révèlera d’ailleurs des subtilités inattendues (dépôts d’ordures contestataires ou d’aménagement sub-local). Toujours est-il que cette situation on le verra, induit de nombreux dommages sur l’environnement de la presqu’île, mais aussi sur le cadre de vie des résidents.

Mais, de manière plus élargie, cette partie met en évidence un faisceau d’interrelations entre ce qu’on a précédemment nommé Acteurs, représentations et pratiques socio-spatiales

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Dés lors, si une bonne connaissance sociale de la question des facteurs socio-anthropologiques (représentations, usages et pratiques) influant et même parfois s’articulant sur la question des déchets s’impose, des paramètres plus techniques restent essentiels pour une bonne prise en charge. En amont, et de façon plus spécifique, on a posé la question de l’analyse des modalités de production et de conditionnement des matières, le suivi de l’évolution des taux de collecte, de la production des déchets (quantités et composition).

Dans la Seconde partie de l’étude, on y aborde les causes récentes qui ont concouru à cette situation, en exposant les antagonismes de la gestion officielle du secteur avec certains aspects singuliers de la croissance urbaine, dont le boom démographique, le développement de l’habitat (régulier et celui spontané), ainsi que celui des activités économiques diverses. On y met aussi en lumière nombre de facteurs sociaux diffus qui interfèrent dans la prise en charge actuelle de ces résidus.

Y est aussi analysée la question de la matérialisation spatiale des équipements de prise en charge, sous l’angle plus global de l’aménagement de la ville depuis l’indépendance en 1960. Ce survol incluant un passage en revue des différentes structures de gestion qui se sont succédé, révèlera en dépit de quelques « éclairs de cohérence », des orientations pas toujours pertinentes, et dont on verra les conséquences sur le fonctionnement puis le devenir sanitaire et écologique de la ville.

On sait que l’occurrence actuelle de certains points noirs dans la question de la gestion des matières résiduaires solides à Dakar, n’échappe pas au traitement de ladite question le long de l’évolution historique de la ville. Engageant aussi les mutations qui ont transformé l’espace géographique dakarois et lui ont attribué sa configuration présente, difficile d’occulter la dimension historique de la gestion des déchets, abordée dans la Troisième partie. Celle-ci tente, sinon d’établir le soubassement historique de la question, tout au moins d’identifier quelques unes des décisions antérieures ayant conduit à la situation. Rappelons qu’en réalité, notre démarche est partie d’une volonté de comprendre cette dichotomie actuelle entre la propreté intérieure quasi-irréprochable que revendique et entretien la société sénégalaise, et ce relâchement sur l’espace public.

Les impacts des choix coloniaux en la matière, essentiels dans la compréhension du processus, poussent en effet à remonter le fil diachronique jusqu’à la période pré urbaine afin de mieux cerner le rôle de cette colonisation. L’objectif on le voit, est double :

- voir quelle a été en la matière, la nature des processus officiels mis en œuvre depuis la constitution de l’entité urbaine jusqu’au seuil de l’accession à l’indépendance,

- mais aussi s’interroger sur les éventuelles implications socioculturelles qui à travers des comportements désastreux en la matière, et déjà implantés dans les mœurs des populations (tel que l’ont insinué certains auteurs), auraient plus qu’ailleurs défavorablement influé sur la question.

Cette partie se veut une contribution à une meilleure connaissance de la pratique de l’hygiène et de la salubrité, dans les sociétés négro africaines parfois arbitrairement stigmatisées en la matière. Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’essai qui va progressivement « zoomer » sur les entités urbaines sénégalaises de l’époque (Gorée, Saint-Louis, Rufisque), avant de conclure sur Daccar, se veut impartial1. Au-delà d’inscrire quelques lignes sur la page longtemps considérée comme vierge du passé rudologique du continent, l’approche historique se veut de contribuer avec humilité, à comprendre les mécanismes authentiques ayant présidé ou concouru à l’avènement de la situation actuelle.

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D’ailleurs, tout apport ultérieur à cette première approche, qu’il intervienne à titre de rectification ou de confirmation sera considéré comme une pierre de plus dans la mise en lumière de cet aspect historique.

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Elle présente l’intérêt de décrypter cette vision bien ancrée dans l’imaginaire des étrangers de villes en permanence sales. Mais elle interpelle aussi forcément sur les entités en question : de quelle ville s’agissait-il exactement ? C’est tout le sens de l’évocation de la période repère de l’émergence des villes précoloniales (ou entités qui en faisaient office), et toujours en rapport avec la problématique posée, leur évolution, leurs contacts tourmentés avec le reste du monde et particulièrement le contour méditerranéen, et plus tard avec l’Occident par ailleurs futur artisan de leur sujétion ou mise en dépendance progressive par le fait colonial. Indépendamment de la différenciation dans la pratique déchet intervenue à l’échelle mondiale à l’aube de la période moderne, il faut dire que les postures en la matière des peuples d’Afrique ont notablement varié selon qu’on se place sous le prisme des sociétés précoloniales, des objectifs des administrations impérialistes durant la période coloniale ou alors des politiques postindépendance des nations africaines une fois libres.

Sera alors passée en revue, la question des déchets dans des entités sénégalaises devenues urbaines et ce, durant près d’un siècle de gestion, dont pour une bonne partie on le verra sera menée sous le sceau de l’assainissement (dans son acception coloniale), de l’hygiène, et plus singulièrement de la …ségrégation. Sans changer de perspective, une légère réorientation de l’angle d’analyse, permettra d’aborder la question sous l’angle des politiques d’aménagement de santé, la démarche géographique restant primordiale dans cette partie aussi. On évoque ainsi, des politiques spatialisées, que ce soit à titre de la gestion urbaine, des politiques de population, d’aménagement, de santé, d’hygiène, ou plus spécifiquement de prise en charge des résidus déchets : mise en place du service déchet, évolution de la collecte et/ ou du traitement, etc..

Au sortir de ce « tour d’horizon ciblé », on s’aperçoit amplement que ce secteur des déchets solides urbains de la ville de Dakar, souffre d’une sorte de relégation tacite, manifestation condescendante d’une marginalisation ancrée et aujourd’hui encore avalisée depuis les hautes sphères décisionnelles. L’imbroglio qui caractérise son fonctionnement actuel va alors motiver une Quatrième partie consacrée à l’évaluation des principaux mécanismes réglementaires et institutionnels officiels qui régissent ce secteur. Le même constat nous a aussi conduit à y intégrer une partie consacrée à l’élaboration de quelques outils de gestion, mais aussi à l’élaboration d’une feuille de « lisibilité » concernant les l’ensemble des déchets solides produits à Dakar. La série de recommandations endogènes (techniques...) qui y est proposée inclue un essai de caractérisation pondérale et physique du

gisement des déchets ménagers de l’agglomération, en vue d’orienter d’éventuelles stratégies

de valorisation matière en amont (tri sélectif domestique) ou en aval (méthodes de traitement avec récupération énergétique). Menée en 2004, elle constitue une sorte de clin d’œil à DIOP O dont on a réactualisé une partie des travaux réalisés en 1988 (Voir Méthodologie-Résultats). Cette partie s’orientera aussi sur une série de propositions relatives à la prise en compte de quelques variables exogènes majeures, après avoir mis en exergue une nécessaire connexion de la question déchets solides avec les politiques d’équipement urbain de la ville. Les impacts du déficit infrastructurel sur la question peuvent être incarnés par les mécanismes de gestion des matières résiduaires liquides encore très lacunaires.

Enfin le dernier point qu’aborde cette partie amarre le déchet dakarois à la scène internationale ; ou comment le cas local de Dakar, est susceptible de s’articuler à certains enjeux géopolitiques de dimension internationale. Enjeux écologiques et politique : réglementations internationales en matière de déchets et leurs modalités d’application, limitation des pollutions et prélèvements de ressources. Mais aussi, enjeux économiques, autour d’un produit devenu intéressant pour le milieu des affaires, qui lui-même est largement assujetti à l’évolution économique actuelle à travers la mondialisation.

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Même en ne prenant pas en compte les intéressantes perspectives que présente ce secteur, la nécessité de parvenir à une meilleure gestion des rejets en vue d’améliorer la qualité de vie des populations et mieux protéger l’environnement, milite en faveur d’une véritable politique

déchet pour la capitale sénégalaise. C’est d’ailleurs ce constat d’un traitement parfois très

superficiel de la question, combiné à une quasi marginalisation technico-administrative, notamment dans la dimension spatiale, qui a notablement influé sur le choix de ce thème encore orphelin pour une ville comme Dakar. Situation plus que paradoxale pour la capitale du Sénégal qui doit indiscutablement s’appuyer sur la qualité son cadre de vie pour espérer atteindre ses ambitions de modernité et de rayonnement international, dans sa route vers le développement.

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