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4.3 Taphonomie des traces anthropiques

4.3.1 Les stries de découpe

4.3.1.1 Les différentes stries de boucherie

Les stries de découpe sont laissées par l’outil utilisé dans le traitement de la carcasse, celui- ci pourra être de différentes natures (lithique, coquillage, ou métal à partir des périodes protohistoriques). Plusieurs expérimentations ont été faites sur les différents types de stries laissées par ces outils (cités dans Costamagno, 2012).

Figure. 45 : Strie de découpe sur une mandibule d’antilope. La barre sombre faisant 1cm (Fisher, 1995) Les traces de découpes ont généralement des sections en V au bord droit (fig.45) (Fisher, 1995). L’étude et l’observation de ces traces pourront se faire à l’œil nu ou à l’aide d’une loupe à grossissement réduit, bien que dans certains cas l’utilisation d’un appareil à plus fort grossissement puisse être utile (Costamagno, 2012). Ces traces résultent principalement de l’activité de boucherie pour extraire les différentes ressources pouvant être fournies par l’animal (peau, poil, tendon, os, bois, corne, moelle, graisse, sang, dent, viande, …) (Lyman, 1994). Plusieurs étapes dans le traitement de l’animal pourront avoir lieu pour permettre l’obtention de ces ressources :

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- L’éviscération : retrait des viscères. Cette étape ne laisse pas ou très peu de traces (Patou-Mathis, 1997), hormis sur la face interne des côtes et la partie inférieure des vertèbres (Chaix et Méniel, 2001).

- Le dépouillement : consiste à séparer la peau de la chair. Les traces seront présentes principalement là où la peau est en contact direct avec l’os, « elles marquent souvent le point d’entrée » (Patou-Mathis, 1997, p960), généralement au niveau des extrémités (crâne, cou, métapodes, phalanges, extrémité distale du radius et du tibia), elles sont souvent courtes et transversales. Des stries longitudinales, sur les métapodes, résultant d’incisions de la peau peuvent être observées (Costamagno, 2012). « Il existe une grande variabilité de ces traces en fonction des types d’animaux mais aussi des régions et des époques » (Chaix et Méniel, 2001, p.97).

- Le dépeçage et la désarticulation consistent à diviser la carcasse en plusieurs pièces. Des traces pourront être observées au niveau des séparations des parties du squelette. Généralement la tête est séparée du corps au niveau des premières vertèbres ; les membres antérieurs au niveau de la scapula, qui nécessitent d’enlever les attaches musculaires de la scapula, engendrant potentiellement de nombreuses stries (Patou- Mathis, 1997). Les membres postérieurs s’obtiendront en séparant le coxal du fémur, avec des traces sur l’extrémité proximale du fémur et autour de l’acétabulum du pelvis (Costamagno, 2012), parfois cette séparation est obtenue par percussion ce qui peut engendrer des traces d’impacts (Patou-Mathis, 1997). La séparation en plusieurs parties des membres laissera des traces au niveau des articulations du radius/ulna avec l’humérus et du fémur avec le tibia, il en est de même pour les bas de pattes si ceux-ci sont séparés.

Précisons que ces étapes de désarticulations et de dépeçage sont très variables en fonction de l’animal et de sa taille (on ne découpe pas un agneau comme l’on découpe un bœuf), de la façon dont celui-ci sera distribué et consommé (un boucher redistribuant la viande n’agira pas forcément de la même façon que si l’on a une action collective où chaque participant repart avec son morceau). Des différences de cet ordre ont pu être observées en contexte ethnographique (Costamagno et David, 2009), le contexte culturel, le type de ressources et l’utilisation de ces ressources sur l’animal joueront un rôle.

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- Sectionnement des tendons : cela engendre des stries au niveau du radius, du métacarpien, du tibia, du calcanéum et du métatarsien. Le sectionnement du tendon « témoigne généralement du décharnement des jambes, en revanche celles mises en évidence sur les métapodes sont caractéristiques du prélèvement des tendons en tant que tel. » (Costamagno, 2012, p44).

- Le désossage consiste à séparer l’os de la viande. Cela peut provoquer de nombreuses stries, notamment au niveau des insertions musculaires (Patou-Mathis, 1997), mais aussi sur les extrémités articulaires (Costamagno, 2012). Là encore, les traces observées seront très variables en fonction des morceaux de viande recherchés (Chaix et Méniel, 2001).

4.3.1.2 Réflexion sur les traces de boucherie

Lors de l’étude sur les traces de boucherie, il est important de prendre en compte la multiplicité des variables dans la présence et le positionnement des stries de découpe rendant difficile la mise en place d’un référentiel exhaustif. Celles-ci sont certes liées aux différentes activités de boucherie détaillées ci-dessus, mais elles vont également dépendre d’autres facteurs. Les techniques employées en boucherie peuvent faire l’objet de choix culturels, comme l’exploitation du renne chez les Evenks par exemple (Abe, 2005 cité dans Costamagno, 2012), et dépendre du type de produit que l’on souhaite obtenir (exemple : pour un agneau, les techniques seront différentes selon qu’il sera rôti entier et découpé en parts pour être consommé aussitôt ou si l’on cherche à obtenir de la viande fine séchée). Il faut garder à l’esprit que les stries de boucheries ne sont que les stigmates laissés involontairement lors de cette activité.

Le savoir-faire et la technique du « boucher » seront essentiels, et cela pourra jouer sur la présence et le positionnement des stries de découpe. L’observation de bouchers professionnels à l’œuvre permet de voir que pour la même activité, un désossage par exemple, le résultat sera très différent de celui d’un « amateur ». Le professionnel connaissant mieux l’anatomie et maitrisant ses gestes raclera au plus près l’os, dégageant un maximum de viande, là où un amateur aura un geste plus approximatif, laissant possiblement davantage de viande. Cela engendre certainement une variabilité dans les traces laissées et ce pour une même

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activité. Ainsi cela pourrait théoriquement nous renseigner sur la personne ayant réalisé la découpe (très spécialisée, amateur).

Nous pouvons prendre comme comparaison ethnographique le modèle de certaines fermes dans nos régions au début du siècle dernier, où les différents animaux pouvaient avoir des statuts totalement différents, en l’occurrence nous prendrons les exemples du porc et des bovins. Les bovins étaient vendus à un professionnel et très rarement consommés sur les fermes, et quand cela était le cas c’était généralement un rachat au boucher. En revanche, beaucoup de fermes possédaient un porc qui, lui, était dévolu à la consommation personnelle des paysans. Ce porc était tué et préparé par les paysans eux-mêmes, avec parfois l’aide du « spécialiste » des environs notamment pour la mise à mort qui est la partie la plus délicate, une personne qui sans être professionnelle avait appris à tuer et à découper le cochon. Ce n’est là qu’un exemple et d’autres modèles peuvent être observés, mais cela permet de mettre en évidence la notion de richesse, d’économie, de partage attribué à chaque animal (exemple : porc pour la structure familiale paysanne et bœuf pour être partagé et revendu à de nombreuses personnes). Plusieurs aspects culturels et sociétaux que les traces anthropiques pourraient théoriquement nous aider à appréhender.

Dans notre série, l’altération très prononcée des surfaces rend la lecture des stries quasi- impossible. Nous signalerons les stries qui ont été observées, mais ce corpus ne se prête pas à une étude approfondie sur ce type de trace.

4.3.1.3 L’activité de pelleterie

La pelleterie est le nom qui désigne le travail des fourrures. Pour cela la peau de l’animal est prélevée, et différentes étapes de travail sont effectuées, certaines se rapprochant de la tannerie. La peau peut bien évidemment être récupérée après une activité de boucherie visant à consommer l’animal, mais cela ne laissera pas vraiment de traces.

Le travail de J.-H. Yvinec sur le site gaulois de Villeneuve Saint Germain a permis de mettre en évidence une activité de pelleterie importante, ciblée à un endroit précis du site. Permettant alors de documenter le référentiel tracéologique et ostéologique attestant de cette activité. Un des premiers indices attestant de l’utilisation des peaux sera la présence d’animaux à fourrure, et notamment de carnivores, tels que le chien, le renard, l’hermine, le blaireau, le

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putois et plus exceptionnellement le loup (Yvinec, 1987, cité dans Debord, 1993).

La pelleterie va laisser des marques de traces de découpes qui vont différer de celles laissées pour la simple consommation. La peau est généralement retirée en entier par dépeçage ou écorchage. Cela va laisser des traces caractéristiques sur le crâne, les mandibules, les tibias et les radius/ulna, là où la peau adhère directement à l’os (fig.46). Les vertèbres caudales et les bas de patte (avec dans ce cas une fracture au niveau de la partie distale du radius et de l’ulna), mais aussi éventuellement le crâne, peuvent être conservés en place lors du dépeçage, et n’être retirés qu’après, lors de la mise en forme de la peau, du tannage.

Figure. 46 : Traces de découpe sur des os de chien résultant d’une activité de pelleterie (d’après Yvinec,

1987, In. Debord, 1993).