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Stratégies utilisées en lien avec le choix du mode de procréation

CHAPITRE 4. PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS

4.3 CHOIX DU MODE DE PROCRÉATION

4.3.3 Stratégies utilisées en lien avec le choix du mode de procréation

De façon générale, il existe tout autant de processus d'accès à la parentalité lesbienne par l'entremise de donneurs connus qu'il existe de femmes lesbiennes qui ont recours à un don de sperme d'une personne connue pour concevoir leur enfant. Cela dit, après avoir dressé l'ensemble des facteurs de stress et des facteurs facilitants en lien aux choix des modes de procréation, les participantes ont développé au fil du temps, de nombreuses stratégies visant à atténuer ces difficultés. La section qui suit se concentre à la présentation de ces stratégies.

Ça m'a pris presque un an de réflexion

Tel que vu antérieurement, choisir le mode de procréation en tant que couple de femmes peut être ardu. Bien que pour certaines, ce questionnement a été solutionné depuis longtemps, reste que pour d'autres, il en est tout autrement. Selon plusieurs participantes, le processus de réflexion, enclenché lorsque l'une des deux conjointes a nommé la possibilité d'avoir recours à un donneur connu, a demandé un temps de recul. C'est d'ailleurs une stratégie utilisée par plusieurs des répondantes, entre autres Nathalie, Stéphanie et Ève qui, de prime abord, n'étaient pas du tout emballées par cette idée.

On s'était dit qu'on pourrait peut-être se trouver un donneur, mais tu vois moi à la base c'était non. C'était clairement non [...] je ne voulais même pas entendre parler de personne d'autre. C'est ma famille, c'est nous autres [...] mais tu chemines tellement, tu vis tellement d'émotions qu'à un moment donné ton opinion change et tu te dis que tu veux un enfant! Comment je pourrais faire? (Nathalie)

Nous, c'est le donneur qui nous a approchées, ce n'est pas nous qui l'avons trouvé [...], mais je n'ai pas dit oui tout de suite (rires). Il y a eu un cheminement que j'ai dû faire. (Stéphanie)

Moi, je n'étais même pas d'accord avec le fait que ce soit [nom du donneur frère] au début. Ça m'a pris presque un, en tout cas un bon six mois de réflexion [...] parce que ça ne m'excitait pas du tout au début. (Ève)

On a discuté pour tout clarifier

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l'importance du temps de réflexion pour les participantes, ces dernières ont également indiqué la stratégie du face-à-face afin d'être en mesure de conclure leurs réflexions. Autrement dit, plusieurs d'entre elles ont procédé à des discussions formelles entre les futures mères et leurs donneurs afin de clarifier l'ensemble des facteurs entourant un tel don. Accompagnées de leurs listes des sujets à avancer, les femmes participantes racontent que c'est suite à ce face-à-face qu'elles ont pu prendre leurs décisions et être confiante.

Lorsqu'on l'a rencontré, ça nous a rassurées aussi. Trois heures de questions, on était comme des détectives. (Catherine)

On s'est vraiment parlées, je te jure qu'on a parlé presque une heure et demie au téléphone. (Stéphanie)

On s'était fait un souper avec lui où est-ce qu'on avait discuté de toutes les questions possibles et imaginables. (Dominique)

Lorsqu'il nous a dit qu'il acceptait d'être notre donneur [...] on a eu une bonne conversation. Pour vrai lorsqu'il est revenu ç'a été un vrai face-à-face parce qu'il fallait clarifier beaucoup de choses. (Ève)

Le choix qu'on sentait le plus naturel

Les facteurs de stress liés au choix du mode de procréation sont nombreux. Tel que mentionné tout au long de ce chapitre, les contextes dans lesquels ces couples doivent décider de quelle manière elles auront leurs enfants, s'avèrent souvent imparfaites. En effet, il peut arriver qu'il soit difficile d'arrimer ses désirs et ceux de sa conjointe avec les réelles possibilités. Les mères participantes ont, en grande majorité, exposé leur désir d'avoir recours à un seul et même donneur pour la fratrie. Malgré qu'il n’ait pas été possible pour l'ensemble des mères participantes de concrétiser ce souhait, il demeure qu'elles ont toutes choisi la stratégie de « l'ici et maintenant ». De cette façon, elles ont composé avec des circonstances imparfaites afin de faire le choix qui se rapproche le plus de leur perception de la perfection à un moment précis de leur vie.

On s'était posé tout plein de questions puis on était comme: « oh, mon dieu, quel choix on va faire »? C'est vraiment difficile et on a juste décidé de faire le choix qu'on sentait le plus naturel, le plus correct pour nous à ce moment-là puis on assume. [...] On a juste accepté l'incertitude par rapport au deuxième enfant. (Annie)

On se posait beaucoup de questions et il y avait quelqu'un qui nous avait dit, parce qu'elle avait des enfants et elle nous avait dit: « ce que les autres pensent ce n’est pas important, moi à quatre heures du matin lorsque je berce mon enfant et que ça fait des

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heures que je n'ai pas dormie, je sais qui est important pour lui ». Et lorsque [nom du 1er enfant] est né [nom de la conjointe] était-là et je veux dire, c'est nous qui étions là, c'est nous qui étions ses parents. (Sophie)

Donner le choix d'avoir le choix

Pour d'autres comme Catherine et Valérie, leur stratégie visait de prime abord à donner le choix à leurs enfants de connaître ou non leur géniteur. Autrement dit, dans le cas où le processus avec leur donneur connu n'aurait pas fonctionné, quelques participantes ont mentionné l'option des donneurs à identités ouvertes, comme second choix. Cette stratégie ayant comme prémisse de donner le choix à son enfant d'avoir le choix. Catherine explique d'ailleurs en quoi cette stratégie est importante pour elle et sa conjointe. Elle raconte l'adoption de sa mère ainsi que les répercussions négatives que cette dernière a vécues à l'égard du fait de ne pas avoir accès à son arbre généalogique. Conséquemment, il était impératif pour Catherine et Valérie d'offrir à leur enfant la possibilité de connaître ou non, son géniteur.

Avec l'option des donneurs à identité ouverte, on avait la possibilité de choisir le donneur pour savoir ses traits, son nom, des choses comme ça même si on ne le connaissait pas vraiment. Pour moi, c'était vraiment quelque chose de plus important parce que ma mère a été adoptée. Alors, elle a tout le temps le gros point d'interrogation à savoir c'est qui ses parents biologiques? À quoi ils ressemblent et tout. Moi, si j'ai des questions au niveau de ma génétique, je n'ai pas personne à qui demander, je n'ai pas de référence. Alors, on voulait donner, disons que c'était plus moi là, mais moi je voulais vraiment donner l'opportunité à [nom de l'enfant] d'avoir le choix. Si finalement elle n'a pas le désire de savoir ça va être correct et on va respecter ça, mais si elle le désire, elle va avoir l'option. (Catherine)

On aura tout essayé

Pour d'autres participantes, le choix d'avoir recours à un donneur connu pour concevoir leur enfant s'avère la stratégie de la dernière chance. En effet, pour certaines mères participantes, l'option des donneurs connus n'était pas leur choix de prédilection et c'est suite à plusieurs tentatives d'inséminations médicalement assistées en clinique de fertilité (donneur anonyme) infructueuses, qu'elles se sont finalement tournées vers un tiers donneur.

À un moment donné tu fais tout le procédé [en clinique] et tu te rends compte que ça ne fonctionne pas. [...] Alors, j'ai fini par dire à Nathalie: « on va l'essayer et on va pouvoir dire qu'on a tout fait ». De toute façon, j'étais certaine que ça n'allait pas fonctionner vraiment. (Stéphanie)

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La situation de Stéphanie et de sa conjointe Nathalie témoigne que malgré le fait qu'elles avaient statué sur un mode de procréation (donneur anonyme), il est toujours possible que ce choix ne se transpose pas en une naissance. En effet, les nombreuses tentatives d'inséminations en clinique de fertilité n'ont pas fonctionné pour elles. Ainsi, elles ont choisi de tenter leur chance avec un donneur connu et d’enfin s'assurer d'avoir tout essayé afin de réaliser leur désir d'avoir un deuxième enfant.

On a posé des questions

Pour ce qui est de réaliser une insémination artisanale, les participantes ont vulgarisé différentes craintes quant à son exécution. En effet, la technicité entourant l'acte d'inséminer sa conjointe n'est certes pas connue de tout le monde. Notez qu'une des participantes a effectué elle-même son insémination. Afin de remédier au manque d'information entourant cette procédure, les participantes expliquent avoir posé des questions soit à une autre femme qui l'a fait par le passé, ou encore à un pharmacien, en plus d'avoir usé d’imagination dans l’espoir d’optimiser leur chance de tomber enceinte.

Disons qu'on ne savait pas qu'il y avait beaucoup de moyens pour le faire à la maison, alors on bricolait (rires). Je veux dire que ce n'était pas accessible comme aujourd'hui avec les réseaux sociaux et tout, alors on avait demandé à un couple qu'on connaissait un peu pour savoir comment elles avaient fait. Aussi en écoutant des films qui des fois en parlaient, on s'était comme construit des histoires. (Sophie)

Après coup c'est tellement simple. Ils disent qu'on peut aller chercher du matériel à la pharmacie et qu'ils sont supposés pouvoir te vendre des kits d'inséminations artificielles. J'ai fait deux pharmacies, la première m'a dit: « oh, mon dieu, je n'ai pas ça », elle était un peu déstabilisée, mais elle m'a dit: « j'ai peut-être des seringues qu'on donne pour des médicaments ». Elle voulait m'aider, elle a essayé de me donner des affaires. [...] Aussi, j'ai voulu bien faire et aller voir le kit offert par les pharmacies parce qu'on a aussi un côté conscientisé par l'action d'aller voir une pharmacienne ou un pharmacien et leur demander ça. (Nathalie)

Le dernier élément mentionné par Nathalie souligne l'importance et la pertinence de sensibiliser les autres aux réalités des couples de femmes qui désirent fonder une famille par l'entremise d'un donneur connu. En effet, la participante précise être allée poser des questions à une pharmacienne dans l'optique de la conscientiser aux besoins de ces dernières et que possiblement, la prochaine fois qu'une cliente demandera ces renseignements, cette pharmacie aura en sa possession une trousse pour réaliser une insémination artisanale en toute sécurité.

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On lui a fait passer des tests de dépistage des ITSS

En ce qui concerne le facteur de stress des risques de transmissions des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), on remarque une disparité des stratégies mentionnées par les mères participantes. D'un côté, nous retrouvons celles pour qui faire un test de dépistage du donneur était non négociable. Cette stratégie a été utilisée par la majorité des participantes, soit 5/8 couples participants. Il est à noter qu'un sixième couple a fait tester leur donneur pour leur premier enfant, mais pas pour leur second.

Mon frère oui on l'a fait tester parce qu'on le veut ou non mon frère oui il est gai, mais ce n'est pas pour ça qu'on l'a fait, c'est simplement pour le principe que c'était ma conjointe qui portait, mais c'est sûr qu'il y avait quand même un petit risque pareil. (Maude)

D'un autre côté, nous retrouvons celles pour qui la stratégie visait plutôt à créer une relation de confiance avec leur donneur et donc à lui faire confiance.

Écoute je pense qu’on n’en a même pas parlé. Je me suis dit que ce n'était pas quelqu'un que je ne connaissais pas du tout. Ce n'est pas quelqu'un que je suis allée chercher sur internet que je n'ai jamais vu et le mois prochain on fait le don. C'est comme si j'avais confiance. J'essayais de juste pas y penser, de laisser ça aller dans l'air. (Stéphanie) Toute la question du stress du ITSS, ça, c'est un bloc quand même là, c'est stressant un peu et nous on ne voulait pas aller jusqu'à s'immiscer dans sa vie, il y a une délicatesse à avoir, je veux dire est-ce qu'on va jusqu'à lui demander des preuves médicales? Pour le deuxième contrat, en toute honnêteté, il n'est pas encore signé [...]. On lui a demandé tellement de son temps avec les dons et tout, est-ce qu'on va commencer à le tanner encore? On peut-tu faire confiance? Alors, tout cet espère d'univers administratif de placer les rôles de manière un peu formelle par des contrats et tout ça. C'est une période où on essaie de se placer en se demandant est-ce qu'on va jusqu'à lui redemander ou on se dit qu'on se fait confiance? À un moment donné, il y avait un peu un acte de foi en disant: « allons-y ». (Geneviève)

C'était évident qu'il allait être parrain

La notion de redevabilité envers le donneur est ressortie comme étant un facteur de stress dans le choix du mode de procréation. À cela, quelques participantes ont été rassurées par le donneur qui confirmait l'altruisme de son don de gamètes et de ne rien attendre en retour. Or, certaines participantes ont mentionné avoir eu recours à deux types de stratégies afin de témoigner leur reconnaissance à leur donneur. Souvent, en concordance avec la proximité du couple avec leur

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donneur, les façons de remercier ce dernier varient beaucoup. Tout d'abord, nous retrouvons les couples qui ont décidé de nommer leur donneur comme parrain de leur enfant.

Pour nous, c'était évident qu'ils allaient être les deux parrains [le donneur et son conjoint, le meilleur ami de la participante]. Je trouve que c'est incroyable d'être dans ce type de volonté de leur part. À vie, je serai reconnaissance, c'est énorme. C'est de faire confiance, c'est de vouloir bâtir des relations avec peu de contrôle sur bien des choses de leur côté. Alors, l'idée était d'honorer ça au maximum et déjà que c'était [nom de l'ami] qui disait: « ok, on y va avec mon chum ». C'est certain qu'on voulait aussi sceller cette ouverture de [nom de l'ami] et de dire que pour nous, ça n'allait certainement pas faire de différence qu'il soit le parrain de notre enfant, mais non bio. (Geneviève)

Par la suite, on se demandait qui serait un bon parrain et tout de suite on a pensé à lui. (Cindy)

Ensuite, d'autres participantes ont mentionné s'être questionnées sur une manière de remercier leur donneur, sans avoir ce sentiment d'être redevable envers lui. C'est le cas entre autres de Cathy et Claudia qui ont finalement choisi de lui offrir un cadeau de remerciement.

On se demandait comment le remercier parce qu'on trouvait ça plate un peu. Alors, on lui a acheté une bouteille d'alcool et par la suite on a appris qu'il avait arrêté de boire (rires). Il était content pareil, mais tu vois qu'on ne le connait pas tant que ça, pas au quotidien c'est plus ça. (Cathy)

On amène les choses en amont le plus possible

Tel que nous l'avons indiqué auparavant, plusieurs participantes ressentent du stress à l'idée de devoir éventuellement expliquer à leurs enfants, leur histoire de naissance, entre autres le fait qu’ils sont nés d'un don de sperme d'un donneur connu. Afin de remédier au stress, à savoir, « qu'est-ce qu'on va dire aux enfants », les participantes ont développé diverses stratégies qui seront présentées dans les pages qui suivent. En général, le choix de la stratégie utilisée s’arrime avec le type de donneur utilisé, la relation qui unit la triade ainsi que la personnalité des mères participantes. Cela dit, la première stratégie utilisée par plusieurs mères consiste à offrir l'information avant même que les enfants puissent se poser des questions. Ainsi, les participantes ont expliqué que depuis la naissance de leurs enfants, elles utilisent par exemple, des livres jeunesse qui présentent de manière positive, la famille homoparentale.

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aura préparé, ce qu'on veut dire. [...] On lui en parle souvent par contre. On lui raconte qu'on est allées chercher un peu d'une autre personne pour la concevoir et tout. On a aussi un livre qu'on lui a lu souvent, Ulysse et Alice. (Stéphanie)

On a acheté des livres avec d'autres styles de parents. (Catherine)

Ça toujours été dit, mais quand on leur a dit exactement, ils avaient quatre ou cinq ans il me semble, mais c'est ça l'idée est que je crois qu'on amène les choses en amont le plus possible. (Amélie)

Il va juste toujours le savoir. (Annie)

Là, on a un livre qui s'appelle Families, families, families, c'est comme plein de sortes de familles différentes. On a déjà eu aussi Jean à deux mamans, c'est un petit loup, mais pour vrai c'était très stéréotypé [...], mais si à un moment donné, ils viennent à avoir plus de questionnements, c'est certain qu'on pourrait avoir recours à des choses qui existent déjà pour lui montrer qu'ils ne sont pas les seuls. (Dominique)

Les réalités LGBTQ+ dans la littérature jeunesse semblent être aidante pour plusieurs des mères participantes. En effet, elle permet aux parents de présenter à leurs enfants l’existence de plusieurs types de familles et ainsi ouvrir les canaux de communication lorsqu'ils seront un peu plus vieux et voudront poser des questions sur leurs réalités familiales. De plus, tel que le mentionne Stéphanie, cette stratégie semble rassurer certaines mères qui appréhendent ce moment considérant qu'elles pourront ainsi prendre le temps de bien préparer ce qu'elles veulent dire.

On attend que les questions viennent des enfants

La deuxième stratégie utilisée par les mères participantes qui tentent de pallier le stress à savoir « qu'est-ce qu'on va dire aux enfants » à propos de leurs géniteurs, consiste à attendre que les questions viennent d'eux. Préférer cette stratégie à une autre semble n’être souvent qu'une question de personnalité propre à chaque femme. À quelques différences près, Maude, Cindy et Geneviève expliquent comment elles accueillent les questions de leurs enfants et comment elles y répondent.

Lorsqu'ils vont poser la question parce qu'ils vont la poser éventuellement, même qu'ils ont déjà demandé pourquoi ils n'ont pas de papa? On dit simplement que: « non vous vous avez deux mamans et c'est comme ça » et à l'école elle répond déjà qu'elle a deux mamans et ça se passe super bien. Personnellement on s'est toujours dit que la réponse ou la phrase qu'on va dire lorsqu'ils vont comprendre que ça prend un garçon pour faire un bébé, on va dire: « que votre oncle [nom du donneur] nous a donné la partie nécessaire qui nous a permis de vous avoir dans nos vies et que c'est le plus beau cadeau du monde ». (Maude)

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Nos enfants vont nous poser des questions c'est certain, puis je me suis tout le temps dit qu'on va leur dire les vraies affaires, ils vont savoir d'où ils viennent et qu'ils ont été élevés par nous, qui sommes leurs mamans. Ils vont avoir l'information, ils en feront ce qu'ils veulent avec après. [...] On avait pratiqué des manières de comment on