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Stratégies développées au sein des familles

Chapitre 4 : Les pratiques linguistiques chez les familles d’immigrants d’origines burundaise et sénégalaise à

4.4 La transmission linguistique intergénérationnelle

4.4.2 Stratégies développées au sein des familles

Les parents jouent évidemment un rôle déterminant dans la transmission de la langue d’origine à leurs enfants. Scetti (2019) parle de la notion « d’efforts » à fournir par les parents pour que celle-ci soit possible. Cette notion a été soulevée par les parents au cours de nos entretiens et nous montre que les répondants ont conscience que transmettre leur langue nécessite de développer des stratégies pour y arriver.

Trois activités précises ont été mentionnées à plusieurs reprises dans nos interviews : les cours de kirundi, l’écoute des chaînes de télévision sénégalaise et les séjours dans le pays d’origine. Ces activités sont celles qui semblent avoir les plus concluantes.

La réalité à laquelle font face la plupart des répondants fait en sorte que la transmission de la langue maternelle demeure difficile. Nous les avons interrogés à ce sujet :

Outre le fait de parler kirundi à un parent, on a aussi essayé de euh de commencer un samedi ou bien un dimanche, on leur donne des listes de mots. On leur dit « ça ça veut dire ça ». Des fois ils disent « ah, mais c'est compliqué! » ou ils rient parce que ça sonne bizarrement dans leurs oreilles ou que ce sont des mots qu'ils n'arrivent pas à articuler puis ils sont découragés. (Carine, Burundaise)

Cédric trouve difficile de parler kirundi à sa fille qui est née à Québec. Malgré leurs efforts, lui et sa conjointe se sont résignés à l’idée que celle-ci puisse maîtriser le kirundi. L’une des raisons soulevées est que les enfants passent la majeure partie de leur temps à la garderie ou à l’école où on parle français. Il considère que c’est irréaliste de vouloir que leur fille, qui n’est pas née au Burundi, puisse connaître et maîtriser la langue de ce pays. Même chose pour Charles. Parfois, même si l’enfant est né dans le pays d’accueil, les parents font l’effort de parler dans la langue d’origine, surtout à l’aîné. Charles pour sa part trouve qu’il est difficile maintenant de parler seulement en kirundi aux enfants. Ses filles parlent peu le kirundi. Pour faciliter leur communication, ils préfèrent parler principalement en français même s’il mélange les deux langues.

Ces difficultés dans la transmission de la langue d’origine chez les parents burundais a été la base de la mise en place des cours de kirundi offerts par l’association Ak’Iwacu dont ils sont membres. Nous remarquons que ces cours sont venus répondre à un besoin réel, Carine renchérit à ce sujet :

Parce qu'on s'est rendu compte que oui il y a quand même une génération d'enfants qui sont nés au Québec. Puis ils [ne] parlent pas vraiment le kirundi. Donc là, ils ont commencé à aller dans ces cours-là. Puis nous, on trouve que ça va faire un point de départ pour commencer à leur apprendre la langue (Carine, Burundaise).

Les enfants montrent beaucoup d’intérêt pour ces cours, comme le fils de Cédric qui est très appliqué et pratique ce qu’il y apprend. Ils apprennent des mots de base à partir des jeux. Pour les enfants qui ne montraient aucun intérêt pour le kirundi à la maison, comme la fille

de Cédric, les parents espèrent y remédier avec les cours offerts en kirundi de façon à éveiller en eux cet intérêt.

Ces cours ont été mis en place grâce au réseau social que certains Burundais ont su mobiliser afin de faire de la transmission linguistique une mission communautaire. Le désir d’offrir des cours a toujours été un sujet débattu par les membres de l’association Ak’iwacu. Ces cours sont notamment possibles parce que le kirundi est une langue qui est pratiquée à l’écrit contrairement au wolof et l’association dispose de matériels de didactique écrits pour les dispenser. La mise en place de ce projet a abouti en 2017 :

D'où ça vient en fait... En observant comment les autres communautés de la diaspora essaient de garder le lien avec le pays. La communauté burundaise à Bruxelles par exemple, ou Ottawa, ils ont mis en oeuvre ce genre d'activités depuis longtemps. Alors, on a rapatrié cette expérience ici aussi à Québec, on s'est dit : "pourquoi pas chez nous?" On va essayer de garder le lien fort avec notre culture, le pays. Et puis, si par exemple les enfants vont en vacances au Burundi, il ne faudrait pas qu'ils ne sachent pas parler à leurs tantes, à leurs grand-mères, grands-parents, etc. [...] Et puis tu sais que la langue en fait transmet la culture et l'histoire. Plus tard, ils pourront lire les livres d'histoire du Burundi, se renseigner eux-mêmes sur la culture du pays d'origine (Cédric, Burundais).

Parmi les stratégies développées et déclarées efficaces par les parents, celle des séjours dans le pays d’origine fait l’unanimité des répondants. Celle-ci est considérée comme la plus efficace de toutes, car elle permet une immersion totale des enfants. Elle comporte quand même quelques risques : au Burundi et au Sénégal, le français n’est pas la langue des échanges quotidiens ce qui implique que la plupart des enfants qui ne parlent pas kirundi ou wolof pourraient se sentir incompris ou même désorientés. Les longs séjours seraient donc à privilégier dans ce cas.

Dans les deux cas, les allers-retours ou longs séjours au Burundi ou au Sénégal sont ressentis par les parents comme le moyen ultime pour que leurs enfants puissent connaître et maîtriser la langue d’origine. Par exemple, Fatima et d’Astou ont eu à « envoyer » leurs enfants au Sénégal pour des séjours d’un mois ou plus. Chez les Burundais cette stratégie, même si elle est mentionnée, ne semble pas être autant utilisée que chez les Sénégalais. Il semblerait que les Sénégalais vont plus souvent dans leur pays d’origine avec leurs enfants. Ceci est en grande partie dû aux conflits politiques qui empêchent les Burundais de se rendrent le plus

Pourtant, bien que la stratégie des séjours sur place ait été citée par une grande majorité des personnes rencontrées, ceux-ci n’avaient pas tous eu l’occasion de réaliser un tel voyage avec leurs enfants et ceux qui y parviennent ne le font pas sur une base régulière. Au total, seulement quatre familles sur les vingt ont déjà séjourné avec leurs enfants dans leur pays d’origine.

Le cas le plus particulier est celui d’Astou. Ses quatre enfants sont nés au Sénégal et trois d’entre eux parlent et maîtrisent le wolof sauf la dernière qui était un bambin quand la famille s’est installée à Québec. Celle-ci a donc grandi sans pouvoir s’exprimer en wolof. Pour y remédier, ses parents ont décidé de l’envoyer pour un séjour d’un an chez sa tante au Sénégal. Pour Astou, c’était impératif. Elle explique :

C'est important pour moi parce que ça démontre…que j'appartiens à une autre culture. Bien vrai qu'on ait immigré, on a choisi d'être ici [...]. Mais la culture, vraiment j'y tiens beaucoup pour mes enfants. Donc elle, quand je lui parle le wolof elle répond en français. Parce qu'elle va à la garderie, elle va à la maternelle, elle va à l'école, mais chaque fois qu'on lui parle en wolof elle répond en français. Elle répond automatiquement, elle réfléchit en français, mais, après une fois elle est allée aussi au Sénégal, depuis lors elle a vraiment compris. Parce qu'il y avait comme des questions qu'elle ne comprenait pas du tout, peut-être la culture de chez nous qu'elle ne comprenait pas. Par exemple, nous, ma petite soeur c'est sa maman, elle ne comprenait pas pourquoi elle a deux mamans. Elle a beaucoup de cousines, il y a tellement de choses qu'elle demandait. Donc, son papa quand il allait je lui ai dit « donne-lui aussi la chance d'y aller pour connaître qui elle est parce qu'elle n'a pas la même peau ». Et puis, toujours ici la minorité visible on l'indexe. Donc il faut qu'elle aille se ressourcer pour savoir qui elle est. Pour mieux être ici. Parce que c'est ce qu'on a choisi aussi.

Ainsi, sa fille a séjourné au Sénégal pendant une année scolaire à l’âge de 6 ans. Astou a vraiment apprécié, car ça a beaucoup changé sa fille. Cet échange nous révèle l’importance accordée non seulement à la langue du pays d’origine, mais également à la culture d’origine. Nos répondants utilisent également l’audiovisuel comme stratégie. Chez les Sénégalais de notre échantillon, l’usage des chaînes télévisées pour la transmission linguistique est très utilisé. Certains comme Astou ont même mis en place une routine autour de ces chaînes :

Nous tous quand on regarde…comme les fins de semaine, vraiment c'est comme les retrouvailles de la famille. Donc, on reste… On regarde ensemble avec des amis, on mange vraiment sénégalais, on se sent vraiment chez nous, on se sent vraiment Sénégalais. On [ne] mange pas à table en fin de semaine. On mange vraiment comme si on est chez nous. Donc on regarde la télé. Les sketches c'est pareil [...].

Ces chaînes jouent notamment le rôle de tremplin pour que les enfants sachent d’où ils viennent. Fatima insiste sur cet aspect :

On met des émissions à la télé…des émissions sénégalaises...Je veux...Pas plus sur leur langue que sur leurs valeurs, leurs cultures, là c'est important...C'est lié, je veux vraiment qu'elles comprennent qu'elles viennent du Sénégal, même si elles sont nées en Europe là, elles sont d'origine sénégalaise et c'est important qu'elles se reconnaissent dans ça, qu'elles soient fières de ça.

Au travers des différentes stratégies mentionnées ci-haut, nous pouvons affirmer au même titre que Scetti que c’est au sein de la famille que les membres « décident » et « choisissent » comment « modérer la transmission » (2019 :214).

4.4.3 La transmission de l’héritage culturel dans les familles d’origines