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Pratiques linguistiques des familles d’origines burundaise et sénégalaise à Québec

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Academic year: 2021

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Pratiques linguistiques des familles d’origines

burundaise et sénégalaise à Québec

Mémoire

Iris Ntore

Maîtrise en sociologie - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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Pratiques linguistiques des familles d’origines

burundaise et sénégalaise à Québec.

Mémoire

Iris NTORE

Sous la direction de :

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Résumé

Au Québec, l’usage de la langue française est favorisé et encadré par la loi. Cet encadrement est plus spécifiquement circonscrit au milieu du travail. La littérature montre cependant que l’usage du français n’est pas garanti dans les familles immigrantes. Or, le français est garant de l’identité québécoise, de la cohésion sociale et de l’intégration de ceux qui ont fait du Québec leur projet de vie.

C’est dans le but de décrire et de comprendre les pratiques linguistiques des familles d’origines burundaise et sénégalaise vivant à Québec que nous avons mené cette recherche. Cette dernière s’est déclinée en deux volets quantitatif et qualitatif.

Au travers du volet quantitatif, nous avons démontré les spécificités linguistiques des communautés burundaise et sénégalaise au Québec en les comparant à celles des communautés ivoirienne et camerounaise. Cet objectif a mené à des analyses descriptives du recensement de 2016 suivant quatre indicateurs linguistiques (langue maternelle, langue parlée le plus à la maison, langue officielle parlée et langue de travail). Les résultats montrent que bien que les immigrants originaires de ces quatre pays parlent plus souvent français à la maison, ceux originaires du Burundi et du Sénégal vont davantage pratiquer le bilinguisme langue africaine-française.

Le but de notre volet qualitatif a été de proposer une compréhension des pratiques linguistiques au sein des familles d’origines burundaise et sénégalaise en analysant les données sous la lentille de l’interactionnisme symbolique. Pour ce faire, nous avons rencontré

20 parents d’origines burundaise (10) et sénégalaise (10) pour des entrevues semi-dirigées. Nous avons relevé dans les discours des parents que les pratiques familiales résultent de négociation entre leur vécu et celui des enfants. Cette négociation donne à voir les enjeux identitaires auxquels ces familles sont confrontées. Ainsi, les pratiques linguistiques au sein de ces familles représentent l’expression de leurs identités, de leurs cultures et de leurs valeurs.

Mots clés: Langues parlées à la maison, immigrants burundais et sénégalais, transmissions

linguistiques intergénérationnelles, identités culturelles, ville de Québec, entretiens semi-dirigés.

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Abstract

In Quebec, the use of the French language is encouraged and regulated by law. This regulation is specifically limited to the workplace. However, the literature shows that the use of French is not guaranteed in immigrant families. French is the foundation of Quebec's identity, social cohesion and the integration of those chose Quebec for their life project. We conducted this research with the aim of describing and understanding the linguistic practices of families of Burundian and Senegalese origin living in Quebec City. The research was divided into two quantitative and qualitative components.

Through the quantitative component, we demonstrated the linguistic specificities of the Burundian and Senegalese communities in Quebec by comparing them to those of the Ivorian and Cameroonian communities. This objective led to descriptive analyses of the 2016 census according to four linguistic indicators (mother tongue, language most spoken at home, official language spoken and language of work). The results show that although immigrants from these four countries speak French more often at home, those from Burundi and Senegal are more likely to practice African-French bilingualism.

The goal of our qualitative component was to provide an understanding of language practices among families of Burundian and Senegalese origin by analyzing the data through the lens of symbolic interactionism. To do so, we met with 20 parents of Burundian (10) and Senegalese (10) origin for semi-structured interviews. We noted in the parents' speeches that family practices are the result of negotiations between their experiences and those of their children. This negotiation reveals the identity issues facing these families. Thus, linguistic practices within these families represent the expression of their identities, cultures and values.

Keyword: Language spoken at home, Burundian and Senegalese immigrants,

intergenerational language transmission, cultural identities, Quebec city, semi-directed interviews.

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Table des matières

Résumé ... ii

Abstract ... iii

Table des matières ... iv

Liste des tableaux ... vii

Remerciements ... ix

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Problématique et revue de littérature ... 4

1.1 Contexte sociohistorique et linguistique en Afrique subsaharienne ... 4

1.1.1 Les langues en Afrique ... 4

1.1.2 Diversités de pratiques linguistiques au Burundi et au Sénégal ... 7

1.2 La question linguistique et l’intégration des immigrants au Québec ... 10

1.2.1 Le fait français au Québec ... 10

1.2.2 La gestion de l’immigration au Québec ... 11

1.3 La dimension linguistique de l’intégration des immigrants... 14

1.4 La politique linguistique des familles immigrantes ... 18

1.4.1 Caractéristiques linguistiques des familles immigrantes ... 19

1.4.2 Cohabitation des langues dans le foyer migrant ... 20

1.4.3 Facteurs qui favorisent la transmission linguistique ... 21

Chapitre 2 : Objectifs, questions de recherche, approche théorique et méthodologie ... 23

2.1 Objectifs de la recherche ... 23

2.2 Questions de recherche ... 24

2.3 Approche théorique ... 25

2.3.1 Pour une compréhension des phénomènes sociaux ... 25

2.3.2 Origines et fondements de l’interactionnisme symbolique ... 26

2.3.3 Les idées principales de l’interactionnisme symbolique ... 27

2.3.4 Pertinence de l’approche théorique ... 30

2.4 Méthodologie ... 30

2.4.1 Démarche de recherche ... 30

2.4.2 Population à l’étude pour l’enquête qualitative ... 31

2.4.3 L’entretien semi-dirigé ... 31

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2.4.6 La collecte des données qualitatives ... 32

2.4.7 Méthode d’analyse des entretiens ... 33

2.4.8 Portées et limites de l’étude ... 34

Chapitre 3 : Bref portrait statistique de quelques caractéristiques linguistiques de personnes originaires de quatre pays d’Afrique au Québec ... 37

3.1 Dynamiques sociolinguistiques au Cameroun et en Côte d’Ivoire ... 37

3.1.1 Le Cameroun ... 38

3.1.2 La Côte d’Ivoire ... 39

3.2 Les données du recensement ... 40

3.3 Étapes de réalisation ... 41

3.3.1 Exploitation des données ... 41

3.3.2 Population d’intérêt ... 42

3.3.3 Méthodes d’analyses et logiciel utilisé ... 42

3.3.4 Variables ... 42

3.3.5 Analyses descriptives... 44

Chapitre 4 : Les pratiques linguistiques chez les familles d’immigrants d’origines burundaise et sénégalaise à Québec. ... 51

4.1 Parcours migratoire ... 51

4.1.1 Présentation individuelle des répondants ... 52

4.1.2 Bref portrait des parcours migratoires ... 57

4.2 Les répertoires linguistiques ... 61

4.2.1 Les répertoires linguistiques prémigratoires ... 61

4.2.2 Les répertoires linguistiques post-migratoires ... 69

4.3 Pratiques intrafamiliales ... 77

4.3.1 Entre les parents ... 78

4.3.2 Entre les parents et les enfants ... 80

4.3.3 Entre les enfants ... 84

4.4 La transmission linguistique intergénérationnelle ... 85

4.4.1 Facteurs favorisant la transmission linguistique ... 85

4.4.2 Stratégies développées au sein des familles ... 91

4.4.3 La transmission de l’héritage culturel dans les familles d’origines burundaise et sénégalaise ... 95

Conclusion générale ... 100

Bibliographie ... 104

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Annexe 2 – Lettre de sollicitation ... 113 Annexe 3 – Liste des thématiques créées dans Sonal ... 114

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Liste des tableaux

Tableau 2.1 Portrait sociodémographique des participants ... 35 Tableau 3.1 Variables utilisées pour nos analyses descriptives ... 43 Tableau 3.2 Quelques indicateurs des caractéristiques linguistiques des immigrants africains au Québec selon quatre pays de naissance en 2016. ... 44

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Je dédie ce mémoire à mes enfants Karezi, Muhizi et Mahoro

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Remerciements

Un dicton africain dit qu’il faut tout un village pour élever un enfant, et moi je dis qu’il faut tout un village pour aider quelqu’un à aller au bout d’un projet d’études !

Richard, je ne saurais te remercier suffisamment pour ton soutien, ta patience et la compréhension que tu as su me démontrer à plusieurs étapes de la rédaction de ce mémoire. En tant que directeur de recherche, tu as su me guider et m’encourager pour mener à bien ce projet. Je te remercie également pour toutes les opportunités professionnelles que tu m’as données.

J'aimerais remercier toutes les personnes qui ont accepté de participer à ma recherche. C’est grâce à vous que ce qui n'était qu'un projet au départ, a pu se concrétiser en mémoire. Merci de m'avoir ouvert la porte de vos maisons et de m'avoir accordé votre temps pour me partager votre vécu.

Différents milieux scientifiques ont contribué à mon apprentissage tout au long de mon cheminement et je tiens à souligner leurs contributions :

Je remercie le département de sociologie de l’Université Laval qui grâce à sa bourse (FARE) m’a permis de présenter mes travaux de recherche à un colloque.

Je tiens à souligner la contribution du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS) qui m’a permis d’obtenir l’autorisation d’accéder aux données du Centre de données de recherche (CDR). En plus de cette autorisation, nous avons pu obtenir le soutien financier du RCCDR (Réseau canadien des Centres de données de recherche). Cela nous a permis de mener à bien nos recherches quantitatives qui font l’objet du chapitre 3 de notre mémoire.

Je remercie l’Équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la ville de Québec (EDIQ) qui m’a remis un prix de la meilleure présentation (catégorie maîtrise) dans le cadre de sa première édition du colloque étudiant ÉDIQ-CRIDE.

J’aimerais remercier également Thèsez-vous qui est arrivé à point nommé dans ma vie et m’a permis de pouvoir avancer dans la rédaction de mon mémoire grâce à ses retraites de

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Je tiens également à remercier les personnes importantes dans ma vie :

Mes parents qui n’ont jamais lâché et qui sont le modèle même de persévérance et de dur labeur. Merci Maman et Papa pour tous vos sacrifices et votre amour que vous n’avez cessé de nous montrer pendant toutes ses années. Merci pour votre grand soutien dans ce projet. Isaac, l’amour de ma vie. Je suis heureuse que ce soit avec toi que j’ai parcouru ce chemin qui m’a demandé de me surpasser plus que je ne l’ai jamais fait dans ma vie. Je veux te remercier pour ton soutien constant. Merci d’avoir persévéré et de m’avoir soutenu dans les moments où je voulais tout lâcher.

Isabelle, ma grande sœur préférée, merci pour toutes tes relectures et le temps investi dans ce mémoire. Tu as plus cru en moi que moi je ne l’ai fait. Merci pour tous tes encouragements. Marlette, tu as été présente tout au long en m’encourageant avec ta bonne humeur et ta joie de vivre. Merci pour tes encouragements et aussi j’ai beaucoup apprécié nos temps de travail à distance. Merci petite sœur préférée.

Enfin, à Zoey et Samuel merci énormément pour votre patience envers votre maman. Je n’ai pas été présente pendant certaines périodes, mais vous avez toujours été là pour m’accueillir. J’espère que mon expérience vous inculquera la persévérance, surtout quand c’est moins évident et le souci du travail bien fait. Puissiez-vous toujours être persévérants dans la vie, car rien n’est donné. Je vous aime énormément et toi aussi Sacha qu’on attend avec impatience.

Je n’oublie pas tous mes ami(e)s qui m’ont encouragé de plusieurs façons, ceux qui m’ont soutenu dans la prière, ceux qui ont aidé notre famille en apportant un repas, un temps de répit, à vous aussi je dis merci, merci d’exister et d’avoir été là pour moi!

Enfin à la personne la plus importante de ma vie, je dis merci Jésus. Merci pour tout, pour la vie et pour ce rêve qu’on a réalisé ensemble. Tu ne m’as jamais abandonné, je te dois tout!

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Introduction

Le 21e siècle a été marqué de façon particulière par différents enjeux liés à l’immigration. Des questions de nationalisme aux crises identitaires, l’immigration démontre l’importance de cerner les enjeux qui y sont rattachés (Wihtol de Wenden, 2017). Parmi ces enjeux, il y a notamment la question de l’intégration linguistique des immigrants. Les pays d’accueil se sont tous questionnés sur la meilleure manière de favoriser une meilleure utilisation de leurs langues par les nouveaux arrivants. Ceci passe par la mise en place de politiques linguistiques qui permettent une meilleure gestion des langues d’usage dans le milieu de travail et dans la sphère publique. Ces politiques peuvent s’avérer efficaces ou non. Elles démontrent par contre l’inquiétude, qui change selon le contexte, et le besoin de contrôler la langue d’usage publique de ces immigrants afin de favoriser leur intégration à la société d’accueil.

Cette régulation des pratiques linguistiques de la population par l’État passe souvent par la mise en avant d’une langue au détriment d’autres langues (Calvet, 1996). Par ailleurs, cette intervention ne s’étend que sur le plan macro et ne permet pas de rendre compte des dynamiques présentes sur le plan micro, c’est-à-dire à l’échelle des familles. C’est le cas du Québec, où la Charte de la langue française (Loi 101) a permis un encadrement de l’usage du français dans la sphère publique et spécifiquement dans le monde du travail (Pagé, 2011). Or, les chercheurs montrent que l’adoption et l’usage de la langue du pays d’accueil par les immigrants au sein de leurs familles ne sont pas garantis (Condon et Régnard, 2010 ; Ferretti, 2016). En effet, les pratiques linguistiques de ces familles peuvent être différentes de celles de la population non immigrante. Il serait donc pertinent de les étudier, d’autant plus qu’elles représentent l’expression de leurs cultures et de leurs valeurs (Termote, 2008a).

La sociolinguistique nous permet de pouvoir remédier à cette lacune. En effet, les chercheurs en sociolinguistique soulignent l’importance de considérer aussi la politique linguistique d’« en bas », aussi appelée politique linguistique familiale. Celle-ci permet de rendre compte de la gestion des langues sur le plan micro dans les familles immigrantes (Dreyfus, 1996; Deprez, 1996; Haque, 2012).

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Cependant, nous pourrions nous demander : « parler la langue de la société d’accueil marque-t-il une adhésion ou une intégration réussie? ». Cette question a longtemps intéressé les chercheurs.

La question est d’autant plus intéressante lorsque les parents maîtrisent et connaissent de prime abord le français avant leur arrivée au Québec. C’est le cas des personnes originaires du Burundi et du Sénégal, pays bilingues ou multilingues français-langues nationales, mais qui possèdent une langue dominante d’un point de vue démographique et social (Dumont et Maurer, 1995).

Ce questionnement a suscité notre intérêt pour l’étude des pratiques linguistiques des familles originaires d’Afrique francophone (Burundi et Sénégal) au Québec. En effet, dans le contexte québécois, les recherches couvrant cette thématique sont rares.

Tout au long de ce mémoire, nous allons tenter de répondre à la question principale suivante:

en quoi consistent les pratiques linguistiques des familles d’origines burundaise et sénégalaise à Québec ? Ceci dans le but de connaître et de comprendre les pratiques de ces

familles ainsi que les sens qui y sont rattachés.

Pour répondre à notre objectif de recherche, dans un premier temps nous avons traité certaines des microdonnées de Statistique Canada. Dans un deuxième temps, nous avons complété la collecte de données par une recherche de terrain. À cet effet, nous avons mené des entrevues semi-dirigées auprès de vingt répondants d’origine burundaise (10) et sénégalaise (10), en couple avec une personne de même origine, ayant au moins un enfant âgé de 18 mois et vivant à Québec depuis au moins deux ans (automne 2017). L’âge des participants variait entre 30 et 50 ans. L’âge de leurs enfants variait entre 19 mois et 21 ans. Notre mémoire s’organise donc en quatre chapitres qui regroupent les points suivants. Au premier chapitre nous présentons notre problématique et faisons état d’une revue de littérature. Dans le deuxième chapitre, nous faisons le tour des objectifs, des questions de recherche et de l’approche théorique et méthodologique qui ont guidé notre recherche. Au troisième chapitre, nous avons dressé le portrait descriptif des pratiques linguistiques des personnes originaires de quatre pays d’Afrique au Québec, dont le Burundi, le Cameroun, la

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Côte d’Ivoire et le Sénégal et ce, à partir d’une analyse statistique des données du plus récent recensement (2016). Enfin le quatrième chapitre consiste en la présentation des résultats de recherche et des analyses des données de l’enquête qualitative que nous avons menée.

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Chapitre 1 : Problématique et revue de littérature

1.1 Contexte sociohistorique et linguistique en Afrique

subsaharienne

Dans cette partie, nous présentons les fonctions sociales, les valeurs symboliques et l’usage des langues en Afrique et plus précisément au Burundi et au Sénégal. Ce premier axe nous permet de faire un état des lieux des conditions du français et des autres langues dans ces pays. Nous dégageons ensuite les dispositions constitutionnelles et politiques mises en place pour répondre à la cohabitation des langues. Nous allons discuter également de la place occupée par les différentes langues nationales et officielles et des usages qui leur sont réservés.

1.1.1 Les langues en Afrique

Près de 7 000 langues sont parlées au monde dont 1 000 le sont en Afrique (Niang Camara, 2010; Calvet, 2011). Au fil des années, l’Afrique a été marquée par différentes reconfigurations sociales et politiques qui ont influencé ses dynamiques linguistiques. La colonisation en est assurément l’un des éléments les plus importantes.

Au début du XIXe siècle, l’Afrique a été l’épicentre de la « mission civilisatrice » des pays colonisateurs (Ntahonkiriye, 1996). Celle-ci a consisté en une conquête morale à travers l’entreprise coloniale qui a fait reposer sa domination notamment en imposant l’idée d’une supériorité de la langue des colonisateurs sur les autres langues (Calvet, 1979; Labrune-Badiane et al., 2012). La langue du colonisé était ramenée à une langue « arriérée », « rudimentaire », « barbare » face à la langue « pure », « logique » et « évoluée », celle du colonisateur (Ntahonkiriye, 1996 :14).

Pendant la période coloniale, l’école était le principal instrument de cette « mission civilisatrice » et elle a constitué un outil important de la domination politique coloniale (Labrune-Badiane et al., 2012). Mais son contexte d’application était différent selon les pays colonisés et les pays colonisateurs. Labrune-Badiane et al. (2012) décrivent le modèle éducatif de l’« empire français » comme un modèle d’assimilation complète des colonisés.

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Le modèle britannique quant à lui prenait en compte les langues et les savoirs locaux et l’éducation primaire était dispensée en langue vernaculaire. Enfin, le modèle belge était un modèle plutôt confessionnel dispensé dans les langues locales. Tous ces modèles éducatifs avaient pour but ultime de justifier l’idéologie de la colonisation par la « conquête morale » des peuples.

À partir de la fin des années 1950, plusieurs pays d’Afrique ont acquis leurs indépendances. Cette période a été suivie par de nombreuses reconfigurations géographiques et nationales. À partir des indépendances, de nouvelles mesures ont été prises par ces pays pour faciliter l’appropriation et l’usage des langues locales et celles acquises pendant la colonisation. Ces mesures ont consisté à donner la priorité à l’unité linguistique des peuples (Alexandre, 1967; Calvet, 1979).

Au XXIe siècle, les relations linguistiques entretenues entre l’Afrique subsaharienne et les

instances internationales ont cependant changé. Les enjeux et perspectives sont différents des époques précédentes. Les langues héritées de la colonisation sont restées des langues permettant la cohésion entre les peuples en acquérant un statut de « langue officielle » (Mendo Ze, 2009).

En Afrique dite francophone, les statuts et les fonctions du français ont changé au fil des siècles. Introduit à des fins d’assimilation, celui-ci a fini par s’imposer et occuper une place importante dans les interactions (Nzessé, 2012). Actuellement, le français est le lien fondateur de 70 pays dont 13 pays en Afrique l’ont adopté comme l’unique langue officielle (ex. : Sénégal) et 8 pays dans lesquels le français partage le statut de langue officielle avec une ou deux autres langues (ex. : Burundi) (Kilanga Musinde, 2009). Il est omniprésent dans la haute administration de l’État, dans l’éducation, les médias de masse, le commerce, les affaires, l’affichage public et l’étiquetage (Calvet, 2010; OIF, 2014).

La langue française est devenue « l’autre langue des Africains ». Certains s’attachent à elle et la placent en position de « langue d’expression des valeurs culturelles » alors que d’autres considèrent qu’elle n’est pas « totalement apte à prendre en charge l’expression de l’identité et des valeurs culturelles africaines » (Mendo Ze, 2009 : 12). Bien au-delà de sa fonction

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l’appartenance à une communauté universelle : « la communauté francophone » (Ibid., p.7-8). C’est aussi un moyen de s’insérer et de prendre une place sur le plan international (Alava, 2014).

Le français est caractérisé dans l’espace francophone africain comme « langue de scolarisation, langue de travail ou langue véhiculaire courante et bénéficie, à tort ou à raison, d’une solide réputation de langue du savoir, du pouvoir, de l’ascension sociale, du développement économique, de la démocratie » (Ngalasso-Mwatha, 2012 : 17). Cependant, bien au-delà de ces caractéristiques, la proportion de la population parlant le français équivaut à 0,8% pour le plus bas taux (Ghana) et 59 % (Congo) pour le taux le plus élevé (OIF, 2019). En effet, le français cohabite avec des langues maternelles et avec une ou plusieurs langues véhiculaires (Calvet, 2010). Il détient par là le statut de « langue seconde » et devient « une langue qui intègre tout le contexte spatial, social, médiatique, économique et politique » (Ngalasso-Mwatha, 2012: 17).

En Afrique, l’identité francophone est caractérisée par l’usage de la langue française en combinaison avec d’autres langues (Kilanga Musinde, 2009). Cette cohabitation peut se faire sans frictions ou avec conflits. Cependant, avec les effets cumulés de la mondialisation, de la globalisation des informations, de l’urgence de l’action politique, la Francophonie renvoie « à une valeur passée, sorte de patrimoine intemporel de notre humanité » (Alava, 2014 : 323).

Dans un certain nombre de pays dépourvus de langues nationales majoritaires, « le français bénéficie d’une aura particulière et tend à se « vernaculariser » dans les familles bourgeoises vivant en milieu urbain, se substituant ainsi, parfois, aux langues autochtones dans la fonction identitaire » (Ngalasso-Mwatha, 2012 :16). Ainsi, la ville est « le lieu de contact » entre les différentes langues et la langue officielle. (Calvet, 2010: 151). C’est elle qui remplit en quelque sorte le rôle de « planificateur linguistique ». Un exemple précis est celui des marchés africains ou « le marchandage et les discussions associés aux activités commerciales […] impliquent la recherche d’une ou plusieurs formes linguistiques assurant la communication » (Ibid., p.152). Au Sénégal par exemple, 20 langues sont présentes en ville, mais on entend principalement le wolof et accessoirement le français. Au Burundi, c’est avec

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l’Est c’est le kiswahili (Calvet 2010 :155). Sa position charnière situe le Burundi entre la francophonie et l’anglophonie (Ibid.). Selon Calvet, la langue française en Afrique est « une composante du plurilinguisme africain » (Calvet 2010 : 154). En effet, en Afrique francophone, le paysage linguistique est composé par le français comme langue officielle et d’autres langues, soit nationales et commerciales.

1.1.2 Diversités de pratiques linguistiques au Burundi et au Sénégal

Le Burundi et le Sénégal constituent un terreau digne d’intérêt. Ils sont différents sur le plan sociolinguistique, mais ils ont pour point commun le français comme langue officielle. Ce sont des pays bilingues ou multilingues français - langues nationales. Tout d’abord, notons que ces pays sont classés sur le plan sociolinguistique comme des États linguistiquement homogène (Burundi) et hétérogène (Sénégal), mais possédant une langue dominante, soit démographiquement ou sociologiquement (Dumont et Maurer, 1995).

1.1.2.1 Le Burundi

Le Burundi fait partie des rares pays unilingues d’Afrique subsaharienne. Qualifié d’État linguistiquement homogène, le kirundi y est une « langue commune, un élément unificateur » (Leclerc, 2017). Celui-ci a le statut de langue nationale et officielle (Art. 9 constitution 2005). Il est utilisé dans la vie politique, économique et sociale et ceci par 98% de la population, toutes ethnies confondues (Leclerc, 2017).

Le kirundi est l’élément sur lequel reposent tous les éléments de la culture burundaise. La transmission de cette dernière se fait en kirundi et toutes les cérémonies culturelles (mariages, deuils, naissances, autres activités sociales …) se déroulent en kirundi (Gasarabwe, 1992; Ntahonkiriye, 1996).

Depuis la colonisation, la langue française assure le monopole des communications institutionnalisées. Elle est omniprésente dans la haute administration de l’État, dans l’éducation, dans les médias de masse, dans le commerce, dans les affaires, dans l’affichage public et dans l’étiquetage (Ntahonkiriye, 2007). Selon Kadlec cependant, « le français au Burundi jouit d’une mauvaise réputation et est peu intéressant du point de vue économique », car c’est un « mal nécessaire », hérité de la colonisation, utile uniquement pour la communication avec l’extérieur (2010: 188). Elle est également considérée comme un

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« privilège d’une minorité d’élite scolarisée » (Ibid., p.1). Seulement une minorité de Burundais, soit 8 % de la population, parle français et ce sont généralement ceux qui sont allés à l’école (OIF, 2019). En effet, la grande majorité de la population est rurale et monolingue et l’État burundais utilise le kirundi pour s’adresser à elle (Ntahonkiriye, 1996). Sa diffusion et son apprentissage se font principalement à l’école, pourtant, c’est moins de 10% de la population burundaise qui y est exposée et il est absent de la vie populaire (Kadlec, 2010; OIF, 2019).

En plus, le français parlé au Burundi est particulier, car il est issu d’emprunts de plusieurs langues telles que le kirundi, l’anglais, le swahili, etc.) Par ailleurs, il est concurrencé par d’autres langues telles que l’anglais et le swahili à cause de la mondialisation, des changements géopolitiques (le Rwanda ayant adopté l’anglais comme langue officielle après 1994) et l’intégration régionale du Burundi dans l’East African Community (sur les six pays membres, seul le Burundi est officiellement francophone). Ainsi, sa position charnière entre une Afrique orientale anglophone et une Afrique centrale francophone et son adhésion à l’EAC l’inscrit dans un « bi-plurilinguisme national et régional » depuis les années 2000 (Mazunya et al., 2014).

Au Burundi, la langue française n’a pas réellement de fonction identitaire par rapport aux autres langues. En effet, sa prégnance est en partie due à sa fonction véhiculaire et au fait qu’elle permet la communication avec l’extérieur (Ntahonkiriye, 1996).

1.1.2.2 Le Sénégal

Le « Sénégal est un pays multilingue caractérisé par une diversité ethnique et linguistique issue de trois grandes civilisations : la Négro-Africaine, l’Arabo-Islamique et l’Occidentale française » et les langues y servent de « vecteur d’expression des cultures » (Niang Camara, 2010 :1). En tout, une trentaine de langues sont parlées par des populations plus ou moins importantes (Maurer, 2014; Leclerc, 2015). L’objectif principal de la politique linguistique au Sénégal est que le français maintienne sa position de langue officielle et des communications internationales, mais elle se veut en même temps promotrice des principales langues nationales (Niang Camara, 2010).

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Au Sénégal, le français langue coloniale joue le rôle d’unique langue officielle et de scolarisation du système public. (Maurer, 2014, Ouédraogo et Marcoux, 2014). Celui-ci jouit d’une place importante au sein de l’administration sénégalaise, l’enseignement formel de tous les niveaux et dans les relations internationales. Ainsi, tel que le mentionne l’article 1er de la Constitution (7 janvier 2001), le français est « la seule langue écrite de l’administration et des tribunaux et toutes les lois sont aussi adoptées et promulguées en français ». Pourtant, ce caractère officiel n’empêche pas que la majorité des Sénégalais ne puissent ni lire ni écrire en français. En effet, les estimations de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) montrent que le français est une langue parlée par seulement 26 % des Sénégalais (OIF, 2019).

Niang Camara (2010) note que la situation linguistique propre au Sénégal permet la percée de certaines langues locales dans des domaines réservés au français. C’est le cas du wolof qui est devenu une langue nationale et dont l’importance s’est accrue en tant que moyen de communication (Ouédraogo et Marcoux, 2014). Celui-ci détient le statut de langue la plus parlée avec près de 80 % des Sénégalais qui la parlent. Maurer (2014) ajoute que cette croissance du wolof s’est faite au détriment des autres langues nationales et du français. Ainsi le wolof et le français détiennent respectivement le statut de première et de deuxième langue la plus couramment parlée dans ce pays.

L’anglais quant à lui n’a pas de fonction sociale particulière, mais un mouvement d’opinion se serait levé pour demander son accès au rang de langue officielle « afin d’être de plein pied dans la mondialisation » (Maurer, 2014 : 48). Si cela se réalisait, ce serait au détriment du français, langue de l’ancien colonisateur, qui est considéré comme déjà en recul, face à l’expansion mondiale de l’anglais associé à des valeurs positives de progrès (Ibid.)

Au Sénégal, « la connaissance du français est valorisante pour les citadins, preuve de modernisme, celle du wolof est tout aussi valorisante, garantie de l’intégration urbaine » (Calvet 2010 : 160).

À partir des exemples de ces deux pays, nous remarquons que le français, langue du colonisateur, est resté dans les paysages linguistiques du Burundi et du Sénégal. Cependant

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principalement sa survie à « l’institution scolaire qui est devenue, contre toutes les traditions africaines, une des composantes essentielles du paysage socio-économique et politique des États africains » (Dumont et Maurer, 1995: 10).

1.2 La question linguistique et l’intégration des immigrants au

Québec

1.2.1 Le fait français au Québec

L’histoire de la seule province officiellement francophone du Canada est continuellement rattachée à la langue française. Depuis la fondation de la ville de Québec en 1608, jusqu’à son affirmation comme province francophone, le Québec a dû préserver le français contre « l’assimilation britannique, l’annexion américaine et la domination anglo-canadienne » (Georgeault et Plourde, 2008: 28).

Ces quarante dernières années, le Québec a lui aussi été marqué par « diverses expériences historiques, diverses mémoires et les manifestations de la diversité sur son territoire » (Labelle et al., 2007 : 4). Et bien que le Québec ait connu plusieurs vagues migratoires tout au long de son histoire, Rocher et White notent que la Révolution tranquille a mené à une « prise de conscience de la nécessité de veiller à l’intégration des personnes issues de l’immigration » (2014 : 6). À partir de cette période, des travaux sont menés par la Commission Parent (1961-1966) qui constate que la très grande majorité des enfants d’immigrants étaient inscrits dans des écoles anglo-protestantes (Rocher et White, 2014 : 27). Les facteurs explicatifs menant aux choix des parents sont : « [le] statut socioéconomique dominant de la langue anglaise ; [le] caractère confessionnel plus marqué dans le réseau des écoles catholiques; [l’] attitude de méfiance à l'endroit des immigrants; etc. » (Ibid., p.27). Cette situation a très vite changé lorsque le français a été décrété comme langue officielle du Québec en 1974 (Rocher et White, 2014). À ce changement de statut du français s’ajouta un peu plus tard en 1977, l’adoption de la Charte de la langue française (ou Loi 101) (Rocher et al., 2007; Georgeault et Plourde, 2008; Rocher et White, 2014). L’adoption de cette loi voulait répondre à « l’objectif de franciser les enfants issus de l'immigration en les dirigeant vers les écoles primaires et secondaires du système scolaire français » (Roger et White, 2014 : 27). On retirait donc aux enfants issus de familles francophones et dont les parents

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n’ont pas fréquenté l’école anglaise l’option d’être scolarisés en anglais (Bourhis et Landry, 2002).

Selon Bourhis et Landry (2002), alors que la loi 22 admettait la coexistence du français et de l’anglais dans plusieurs domaines, la loi 101 a fait du français la seule langue officielle du Québec (art.1). Piché et Frenette (2001) déclarent quant à eux que l’objectif de la Charte de la langue française n'a jamais été l'utilisation exclusive du français, mais le fait qu'elle soit d’abord et avant tout la langue publique commune, c'est-à-dire la langue officielle et la langue de l'administration. Et ces dispositions prises en rapport avec la loi 101 sur le paysage linguistique sont venues symboliser la relation de pouvoir entre le français et l’anglais (Bourhis et Landry, 2012). En plus de symboliser cette relation de pouvoir, le français est déclaré comme le symbole de l’identité québécoise grâce à la Charte de la langue française (Bariteau, 2000 cité dans Bourhis et Landry, 2012 :28). Cette déclaration identitaire se retrouve notamment dans le préambule de la loi 101 :

Langue distinctive d’un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d’exprimer son identité. L’Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d’assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. Elle est donc résolue à faire du français la langue de l’État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires (Québec, 1977).

Les années soixante-dix marquent donc un tournant dans les politiques publiques du Québec. En effet, le libre choix de la langue d’éducation devient un enjeu politique, car elle n’est pas la voie privilégiée par le gouvernement. Ces lois et ces dispositions linguistiques permettent donc de redéfinir « le nationalisme québécois et les assises culturelles sur lesquelles reposait traditionnellement l’identité de la majorité francophone » (Rocher et al., 2007: 5).

1.2.2 La gestion de l’immigration au Québec

La question de l’immigration représente un enjeu majeur au Québec. Le Québec est confronté au dilemme de « voir diminuer son poids démographique ou […] de remplacer les naissances manquantes par un nombre élevé d’immigrants avec les conséquences sociales et culturelles (problème d’intégration linguistique et économique) et territoriales (déséquilibre croissant entre Montréal et le reste du Québec) que ça implique » (Termote, 2008b :423).

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C’est donc pour pallier la décroissance de sa population que le Québec devient, à partir des années 1990, l’une des provinces du Canada accueillant le plus d’immigrants (MIDI, 2014a). Cette période est notamment marquée par une diversité croissante de la population (Pagé, 2011; Marcoux et Richard, 2017). Deux clivages caractérisent la situation du Québec à ce moment-là : « une affirmation de la différence, qui permet de promouvoir une identité distincte de celles du Canada anglais et des États-Unis; et une ouverture à l’«autre», dans un contexte d’immigration qui fait progresser la diversité ethnique et linguistique » (Oakes et Warren, 2009 : 5).

En 2011, le Québec est la quatrièmee province accueillant le plus d’immigrants au Canada (MIDI, 2014a). Cette position se caractérise notamment par une immigration d’origines multiethniques (CSLF, 2008). En 2011, les immigrants représentaient 12,6% de la population totale du Québec (Statistique Canada, 2011, cité dans Ferretti, 2016 :9). Pour Corbeil et Houle (2014), en ouvrant d’avantage ses portes, le Québec devient en 2011 la principale destination d’immigration d’origine africaine au Canada (19%), ce qui s’explique par le fait que, la plupart de ces pays africains sont francophones.

Cette évolution dans l’ouverture aux immigrants a conduit à de nombreux débats donnant lieu à des polémiques quant au caractère multiethnique de cette récente immigration (Bouchard et Taylor, 2008). Pour Labelle et al., « la société québécoise a été un lieu intense de débats sur le rôle de l’État et des institutions publiques dans la prise en compte de la diversité, sur la redéfinition de la nation, de même que sur les implications afférentes à la notion de citoyenneté québécoise » (2007 :4). Ces débats ont notamment été alimentés par la parution du rapport Bouchard-Taylor, la publication des données du recensement de 2006 et le Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec (Cslf, 2008). Ils posent des questions sur l’avenir et la survie de la langue française (Bouchard et Taylor, 2008 ; Termote, 2008b). Pour le Conseil supérieur de la langue française, ces débats témoignent d’une part de l’ouverture pour assurer le développement de la nation québécoise sur la base d’une langue commune et par ailleurs ils révèlent les inquiétudes et les tensions caractérisées par « une certaine insécurité sur le plan linguistique et la crainte de voir le français perdre du terrain » (2008 : 5).

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Ces débats ont également eu des répercussions sur la mise en place des politiques linguistiques et d’intégration. En effet, pour répondre à un souci d'accommodement de la diversité, il y a eu un changement de paradigme dans la manière d’accueillir et d’intégrer les immigrants au Québec (Bouchard, 2011). Le gouvernement du Québec va notamment déterminer dans le document « Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique en matière d’immigration » en quoi consiste l’intégration :

L'intégration est un processus d'adaptation à long terme, multidimensionnel et distinct de l'assimilation. Ce processus, dans lequel la maîtrise de la langue d'accueil joue un rôle essentiel, n'est achevé que lorsque l'immigrant ou ses descendants participent pleinement à l'ensemble de la vie collective de la société d'accueil et ont développé un sentiment d'appartenance à son égard (MCCI, 1990 : 16).

Le Québec se positionne à ce moment pour statuer que le français joue un rôle essentiel dans l’intégration des immigrants. Selon Piché et Frenette (2001), l’usage et la connaissance du français deviennent les conditions par excellence pour l’intégration des nouveaux Québécois. Dès lors, le Québec prend des dispositions dans la sélection des immigrants, il favorise l’arrivée d’immigrants connaissant le français et développe des stratégies pour attirer d’avantages de francophones (Marcoux et Richard, 2017).

Le Québec a un modèle d’intégration qui diffère de celui du reste du Canada et qui s’inscrit dans sa politique d’immigration (Rocher et White, 2014). Le modèle d’intégration québécois repose donc en grande partie sur la connaissance et la maîtrise de la langue française. Dans le contexte québécois, la gestion de la diversité ethnoculturelle se fait en complémentarité avec la préservation de l’unité nationale. En effet, l’interculturalisme a été introduit afin de répondre aux différents enjeux liés à l’affirmation de l’identité québécoise (Ibid.). Ce modèle préconise que : « tout immigrant qui s’établit au Québec conclut une forme d’entente tacite avec la société d’accueil selon laquelle il s’engage à s’intégrer en respectant les valeurs fondamentales de la culture publique commune. Parmi les obligations qui lui incombent, la connaissance du français est incontournable » (Cslf, 2008: 5).

À l’opposé du modèle multiculturaliste canadien qui repose sur une « égalité de statut des cultures », le modèle interculturaliste québécois repose sur la « culture de tradition française » qui représente un « foyer de convergence pour les diverses communautés qui

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d’État au Développement culturel, 1978 :46 cité dans Rocher et White, 2014 :28). En d’autres termes, l’interculturalisme repose sur : « d'une part, l'utilisation de la langue française pour assurer l'intégration et, d'autre part, le souhait des Québécois francophones de préserver la culture fondatrice, avec les préoccupations que cela entraîne dans le contexte canadien et nord-américain » (Rocher et White, 2014 :30).

Pour assurer une meilleure cohésion sociale, le Québec a ainsi instauré « une politique d’immigration et des pratiques d’intégration linguistique » (Archibald et Galligani, 2009: 9). Ceci afin de préserver « l’identité québécoise » en privilégiant une démarche « d’autodéfinition » face à l’État canadien-anglais et dans le contexte d’une immigration d’origines ethniques multiples. Le Québec va ainsi adopter le français comme la base de l’intégration des étrangers à sa société (Oakes et Warren, 2009). La connaissance du français, « élément déterminant de la cohésion sociale », devient ainsi la condition principale pour immigrer au Québec (Gouvernement du Québec, 2001: 4).

1.3 La dimension linguistique de l’intégration des immigrants

Le Québec des vingt dernières années est caractérisé par un accroissement naturel faible, le vieillissement de la population et des seuils d’immigration élevés. Selon Ferretti (2016), ceci a eu pour conséquence de hausser le poids démographique des allophones parmi la population du Québec. En effet, « les trois quarts des nouveaux arrivants des vingt dernières années étaient de langue maternelle autre que le français, l’anglais ou les langues autochtones » (Ibid., p.7). Ainsi, cette dynamique a modifié l’univers symbolique des identités et des conceptions de l’intégration (Labelle et al., 2007).

Les politiques d’intégration au Québec ont pour cadre de référence le français comme la langue de la cohésion sociale (Pagé, 2011). La maîtrise du français « joue un rôle déterminant dans une intégration linguistique réussie en milieu social, éducatif et professionnel » (Archibald et Galligani, 2009 :9). Au Québec, les immigrants sont appelés à s’intégrer tout en respectant les valeurs fondamentales de la culture québécoise et parmi les obligations qui leur incombent, la connaissance du français y est incontournable (Cslf, 2008). Il a été démontré que la dimension linguistique de l’intégration des immigrants est importante

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2004; Labelle et al., 2007; Pagé et Lamarre, 2010; etc.). Dans le contexte québécois, cet intérêt s’est manifesté en interrogeant l’intégration linguistique des immigrants dans le milieu du travail (McAll, 1992, Chicha et Charest, 2008; etc.).

Selon Pagé, l’intégration linguistique repose sur deux éléments : « l’acquisition d’une compétence en français et la préférence pour le français comme langue d’usage public » (2011 :4). Pour déterminer la compétence en français l’auteur se réfère aux trois niveaux présentés par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles soit : débutant, intermédiaire et avancé. Toutefois, il prévient que l’accent et la maîtrise de la langue ne peuvent pas à eux seuls déterminer la compétence en français.

Quant à la préférence pour le français comme langue d’usage public, deux cas de figure se présentent pour le Québec. En effet, les données linguistiques montrent une disparité entre le Québec hors la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal et la RMR de Montréal. Plus de 87% des immigrants s’installent dans cette dernière où la diversité linguistique est la plus grande au Québec. Dans le Québec hors la RMR de Montréal, le français est prédominant dans la communication publique alors que dans la RMR de Montréal : « le français est encore la langue la plus utilisée, mais où l’anglais est présent dans toutes les sphères de la communication publique » (Pagé, 2011 :5).

Au Québec, l’usage de la langue française est favorisé et encadré par la loi. Grâce à la Charte de la langue française, cet encadrement est plus spécifiquement circonscrit au monde du travail (Pagé, 2011). Ce qui n’en révèle pas l’impact dans la sphère privée. En effet, bien au-delà de la compétence en français, il s’avère que le choix d’adopter la langue du pays d’accueil ne va pas de soi (Ferretti, 2016). Au Québec, des années après la mise en place de la Charte de la langue française, « l’anglais exerce encore un pouvoir d’attraction très largement supérieur au français » (Ibid., p.3).

Il existe plusieurs indicateurs qui permettent de mesurer l’intégration linguistique. Cependant, la question du choix de ces indicateurs est un sujet qui occasionne des débats dans le domaine de la démolinguistique (Piché, 2004; Ferretti, 2016; etc.). Ces débats sont alimentés par la pertinence des différents indicateurs de mesure linguistique (Piché, 2004;

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Termote, 2008a). Ils sont dus au choix des indicateurs à privilégier entre la langue maternelle, la langue d’usage à la maison ou la langue de travail.

Piché (2004) a reconstitué ces débats qui ont évolué avec le temps et ont été influencés par le climat politique du Québec. Il les aborde en trois phases.

Avant les années 1970, les préoccupations linguistiques étaient associées aux caractéristiques ethniques de la population et se confondaient donc avec la question francophone. De ce fait, « les indicateurs basés sur l’origine ethnique remplissaient leur fonction sociale et politique de suivi (monitoring) de l’évolution de l’assimilation » (Ibid., p.7). Un peu plus tard, des voix ont voulu dépasser la question du nationalisme ethnique afin de tenir compte de la diversité croissante de la société québécoise, fruit d’une immigration internationale. À partir des années 1970, on passe à une phase linguistique. Ici l’emphase est mise sur le « monitoring » de l’état du français au Québec (suivi de l’évolution de l’utilisation du français). Deux indicateurs dominent les débats démo-linguistiques dans cette période : celui de la langue maternelle et de la langue la plus souvent parlée à la maison. Leur but étant de mesurer « le processus d’assimilation linguistique à travers la notion de transfert linguistique (passer d’une langue maternelle « X » à une langue d’usage « Y ») » (Ibid., p.8).

À partir des années 1990, en vue de se mettre à niveau avec la nouvelle politique d’immigration et d’intégration qui fait la promotion notamment de la francisation dans la sphère publique, de nouveaux indicateurs vont être introduits : connaissances des langues officielles, première langue officielle parlée et langue d’usage public.

Bien évidemment chacun des indicateurs comporte ses avantages et ses inconvénients et nous renseigne sous des angles différents sur l’évolution démolinguistique (Ferretti, 2016). Le Canada est l’un des rares pays disposant de statistiques linguistiques. En 1901, deux questions qui renvoient à la connaissance des langues officielles et à la langue maternelle ont été introduites dans le recensement (Houle et Cambron-Prémont, 2015). À partir de 1971, trois dimensions linguistiques peuvent être mesurées dans les recensements canadiens et la plupart des grandes enquêtes nationales, soit la langue maternelle, la langue parlée le plus souvent à la maison et la connaissance de chacune des deux langues officielles au Canada

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(Ibid.). L’introduction des questions linguistiques a donc permis de documenter les pratiques de la population canadienne et de faire un suivi du bilinguisme.

Actuellement, les indicateurs linguistiques du recensement sont : la langue maternelle, la langue parlée le plus souvent à la maison, l’autre langue régulièrement utilisée à la maison, la connaissance des langues, la première langue officielle parlée et la langue de travail (Piché, 2004; Termote, 2008a).

Dans l’espace privé, les indicateurs de la langue parlée sont : la langue maternelle et la langue parlée à la maison. Pour les démographes ces deux langues ont une « incidence déterminante sur la langue parlée en milieu de travail » (Bélanger et Sabourin 2013: 175). Ainsi, selon Ferretti :

La langue maternelle est la langue apprise à l’enfance. Elle renvoie à l’identité, à l’héritage culturel des individus. La langue parlée à la maison nous renseigne sur la langue qui sera probablement transmise aux enfants. Ces deux indicateurs permettent de déterminer les tendances linguistiques sur le long terme. Dans le cas des individus de langue maternelle autre que le français, la langue parlée à la maison révèle le degré d’intégration culturelle à la société québécoise. Elle permet aussi de mesurer l’écart entre le pouvoir d’attraction du français et de l’anglais (Ferretti, 2016 :3).

La dimension linguistique de l’intégration est donc importante à analyser, car elle « conditionne l’ensemble du processus d’intégration des immigrants » (Termote, 2008a: 1). Dans ce sens, Termote (2008a) dit que deux options s’offrent à nous lorsque nous voulons étudier les pratiques linguistiques des immigrants. Ces deux options sont liées chacune à un indicateur du comportement linguistique dans l’étude de l’intégration linguistique des immigrants : soit la langue est un « simple moyen de communication entre les membres du groupe social » ou elle peut être « l’expression de la culture et des valeurs des membres de ce groupe » (Ibid., p.1). Ainsi, quand la situation se rattache à un moyen de communication, on étudiera le comportement linguistique des immigrants dans la sphère publique et dans la deuxième option, lorsque la langue est considérée comme l’expression d’une culture et d’une échelle des valeurs, on analysera le comportement des immigrants dans la sphère privée (Ibid.). Cette deuxième option n’a pas encore été largement explorée au Québec et c’est celle que nous allons prendre.

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1.4 La politique linguistique des familles immigrantes

Les politiques linguistiques nationales sont le résultat de l’intervention de l’État dans la gestion des langues. En jouant le rôle de modérateur, l’État met en place des politiques linguistiques adaptées afin de réguler les pratiques linguistiques de la population, souvent en favorisant une langue au détriment d’une autre (Calvet, 1996). Par ailleurs, cette intervention sur le plan macro ne permet pas de rendre compte des dynamiques présentes sur le plan micro comme à l’échelle familiale. Dans ce sens, des chercheurs en sociolinguistique abordent un nouveau thème de recherche : « la politique linguistique familiale ». En effet, ces chercheurs ont souligné l’importance de considérer la politique linguistique « d’en bas », c’est-à-dire la politique linguistique familiale qui permet de rendre compte de la gestion des langues par les familles (Dreyfus, 1996; Deprez, 1996; Haque, 2012). Par définition, la politique linguistique familiale désigne « les pratiques langagières familiales, la construction et l’évolution des répertoires verbaux, et en conséquence la transmission linguistique intergénérationnelle » (Haque, 2012 :13).

La politique linguistique « d’en bas », qui se distingue de la politique linguistique « d’en haut », représente les choix et les décisions pris par les parents (Deprez, 1996). Car, ce sont eux qui « font des choix et prennent des décisions concernant l’apprentissage ou la transmission de telle ou telle langue à leurs enfants » (Haque, 2012 : 13). Dans la même lignée, Spolsky (2004) indique que c’est la politique linguistique au niveau de la famille qui détermine le maintien ou la perte d’une langue. De ces points de vue, s’intéresser à la politique linguistique familiale permet d’observer les attitudes des parents par rapport aux langues et les usages qu’ils en font. Cette observation donne à voir dans certains cas les « conflits potentiels entre la politique linguistique familiale et la politique linguistique nationale » (Haque, 2012 : 13).

En contexte migratoire, nous supposons que la communication familiale est caractérisée par des pratiques linguistiques distinctes de celles de la population non immigrante et se rattache à des significations bien précises. Elle consiste aussi dans la transmission ou non d’une langue.

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1.4.1 Caractéristiques linguistiques des familles immigrantes

Deux catégories de familles sont présentées dans les recherches : les familles homogènes dont les parents sont de même origine et partagent la même langue et les familles mixtes ou « linguistiquement mixtes » dont les parents sont d’origines différentes et ne partagent pas la même langue (Deprez-de Heredia et Varro, 1991; Haque, 2012). Ces catégories décrivent des dynamiques différentes pour chaque famille. Nous nous intéressons aux dynamiques des familles homogènes. En effet, dans ces dernières, l’usage de la langue du pays d’accueil va souvent de pair avec la langue maternelle des parents. De plus, l’homogénéité linguistique des parents joue en faveur de « la construction d’une identité linguistique et culturelle similaire pour les enfants » lorsque les parents partagent la même religion et la même origine sociale (Haque, 2012: 252). De l’autre côté, lorsqu’un des parents est né dans le pays d’accueil, c’est l’usage de la langue majoritaire qui prévaut (Morsly, 2013).

En sociolinguistique, une question pertinente est posée afin de décrire la structure des interactions familiales : « Qui parle, à qui et dans quelle langue ? » (Deprez, 1994 :49). Les résultats permettent notamment de voir le sens des échanges intrafamiliaux qui ressemblent aux schémas suivants : père mère, père enfant, mère enfant, enfant père, enfant mère et enfant enfant (Deprez, 1994; Morsly, 2013; Haque, 2012; etc.).

Selon Haque (2012), les échanges intrafamiliaux mettent en lumière les deux groupes linguistiques qui conditionnent les pratiques et les attitudes linguistiques soit : les parents et les enfants (Haque, 2012). Ainsi, ces pratiques et ces attitudes sont le résultat d’une « négociation entre l’apprentissage de la langue majoritaire […] et la place accordée à l’héritage linguistique du pays d’origine » (Condon et Régnard, 2010: 45). Ce qui présente trois cas de figure : « l’usage exclusif du français, l’usage exclusif de l’autre langue (la première langue familiale) et l’usage conjoint des deux langues » (Deprez, 1994: 51). L’usage exclusif de la langue maternelle des parents est davantage le fait des parents eux-mêmes et celui-ci s’étiole dans les interactions entre les enfants (Ibid.). Morsly remarque qu’il se crée une « asymétrie des comportements langagiers entre parents et enfants » au fil des générations qui renforce ce genre de pratique (2013 :14). Deprez (1994) note par ailleurs

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que la communication familiale est caractérisée dans la grande majorité des cas par l’usage conjoint des deux langues.

En plus de ces caractéristiques que nous avons relevées, Deprez (2005) note qu’il existe des écarts de comportements au sein d’une même famille. En effet, elle soulève le point suivant : « les nombreuses monographies consacrées à la communication familiale constatent des écarts sensibles entre les générations et des différences individuelles, souvent mises en rapport […] avec la place dans la fratrie (les aînés étant généralement plus compétents dans la langue des parents) » (Deprez 2005 : 11). Dans ce cas, tous ces points sont importants à relever pour faire le compte rendu des pratiques linguistiques des familles immigrantes.

1.4.2 Cohabitation des langues dans le foyer migrant

Dans les contextes d’immigration, la cohabitation des langues se fait de manière hiérarchique de sorte que la dévalorisation de certaines langues se fait au détriment des langues qui ont un prestige social (Condon et Régnard, 2010). Cette dévalorisation remonte parfois à la période coloniale pendant laquelle le marché linguistique était caractérisé par la dévalorisation des dialectes ou des langues des pays colonisés par la France en faveur du français qui a acquis la valeur de « langue de la réussite sociale » (Ibid., p.54).

Boutet et Saillard (2003) notent que la langue du pays d’accueil et la langue du pays d’origine forment le capital linguistique des parents et ne sont pas envisagées comme des langues en compétition. En effet, elles forment ensemble : « un capital linguistique, dont les ressources matérielles et symboliques sont en complémentarité » (Ibid., p.12). Aussi, pour les parents immigrants, le plurilinguisme a « une valeur économique et symbolique » et l’apprentissage des langues correspond à « l’acquisition d’un capital linguistique échangeable sur le marché du travail » (Dagenais, 2008 : 368).

De plus, les parents peuvent privilégier l’apprentissage supplémentaire de l’anglais qui est perçu comme « une langue à la fois internationale et un substitut à leur langue première » (Haque, 2012 : 260). Ainsi, l’anglais permet de s’insérer professionnellement dans différents pays (Haque, 2012; Dagenais, 2008; etc.). Par ailleurs, Condon et Régnard remarquent que la langue des parents peut représenter une « ressource mobilisable sur le marché du travail,

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une ouverture du champ des possibles dans le domaine professionnel, social, culturel » pour les enfants nés ou élevés dans le pays qui n’est pas celui des parents (2010 : 45).

Au-delà de l’aspect utilitaire des langues, les choix et les usages linguistiques dans les foyers des migrants reflètent les positionnements identitaires des parents (Deprez, 2005 ; Haque 2012). Enfin, la langue a un rôle prépondérant dans les transmissions culturelles intergénérationnelles et la construction de l’identité (Condon et Régnard, 2010).

1.4.3 Facteurs qui favorisent la transmission linguistique

La famille, lieu de la socialisation primaire, détermine la transmission des langues aux enfants (Deprez, 1994; Leconte, 1998; Haque, 2012; Scetti, 2019). Cette transmission est influencée à son tour par certains facteurs. En plus de l’homogénéité familiale, plusieurs facteurs peuvent jouer en faveur de la transmission familiale : l’âge auquel les parents ont migré, le maintien des liens avec le pays d’origine, l’âge d’arrivée des enfants, l’insertion dans un réseau social dont les membres parlent la même langue, etc. (Deprez, 1996; Condon et Régnard, 2010, Vézina et Houle, 2014). Condon et Régnard (2010) ajoutent que l’usage de la langue maternelle dans le quotidien des familles immigrantes est un autre aspect qui favorise l’acquisition de cette langue par les enfants.

Les auteures ajoutent que la langue maternelle des parents correspond à la langue utilisée exclusivement dans les diverses sphères de la vie quotidienne dans le pays d’origine. Pour cette raison, l’âge des parents est un facteur à prendre en compte dans l’éventualité d’une transmission linguistique. Le français ne déroge pas à cette règle. En effet, la capacité de parler français « dépend de sa maîtrise avant la migration, la rapidité d’acquisition depuis l’arrivée, et l’appropriation de la langue et des modes de pensée qui lui sont associées » (Condon et Régnard, 2010: 49).

Les pratiques des enfants issus de l’immigration se résument donc à « une pratique de la langue officielle leur permettant de s’insérer dans leur génération, et une pratique d’une ou deux langues étrangères qui les ancre dans leur famille élargie » (Condon et Régnard, 2010: 45). Et dans certains cas, ce sont eux qui jouent le rôle de médiateurs lorsque les parents ne maîtrisent pas assez la langue majoritaire pour gérer certaines activités.

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Au-delà de la sphère privée, le maintien ou non de la langue des parents est conditionné par le réseau social des parents. Le fait que les parents soient insérés dans un réseau qui regroupe des personnes qui parlent la même langue maternelle est un facteur qui favorise le maintien de la langue maternelle :

Le réseau devient explicatif, si on le dote d’agentivité, c’est-à-dire du pouvoir effectif de cristalliser des formes ou des usages, observables au cours des interactions. Le modèle des réseaux, avec ses différentes composantes (densité, multiplexité, etc.), repose, en grande part, sur une conception fonctionnelle de la langue et sur une théorie du renforcement par la pratique habituelle, lorsqu’il est repris par la notion de « degré d’exposition » à la langue. Il permet aussi l’intégration d’éléments symboliques et affectifs lorsqu’on regarde les relations entre réseau et parenté ou réseau et amitié (Deprez, 2005 : 13).

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Chapitre 2 : Objectifs, questions de recherche,

approche théorique et méthodologie

La première section de ce chapitre permet de préciser les objectifs qui nous ont guidés pour organiser notre travail. La deuxième section permet de situer l’approche théorique que nous avons privilégiée pour répondre à nos questions de recherche. Enfin, nous allons présenter la méthodologie qui en découle.

2.1 Objectifs de la recherche

Cherchant à connaître et à comprendre les pratiques linguistiques des familles immigrantes et francophones, notre recherche poursuit deux objectifs. Chacun de ces objectifs se rattache à un volet de notre démarche :

Le premier objectif consiste à décrire les pratiques linguistiques des communautés ethnoculturelles burundaises et sénégalaises dans la province de Québec. Cet objectif se décline en deux étapes. Premièrement, nous avons consulté les bases de données du recensement canadien pour connaître les langues déclarées par les membres de ces communautés en les comparant à celles des communautés camerounaises et ivoiriennes. Deuxièmement, nous avons interrogé les parents que nous avons rencontrés pendant notre terrain de recherche sur les pratiques linguistiques familiales. Ces deux étapes nous permettent de brosser le portrait des pratiques et des répertoires linguistiques des populations d’origines burundaise et sénégalaise au Québec.

Le deuxième objectif consiste à analyser la cohabitation des différentes langues dans les foyers d’immigrants. Ceci nous permet de comprendre le sens donné aux pratiques de ces langues ainsi que leur transmission dans le milieu familial immigrant. Ainsi, nous avons pu saisir les perceptions des parents vis-à-vis des différentes langues connues et parlées. Les perceptions linguistiques des parents nous éclairent sur les motivations derrière le choix des langues parlées et transmises dans le cercle familial. Aussi, nous avons pu recueillir les différentes stratégies développées par les parents pour transmettre ces langues à leurs enfants.

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Cette double approche méthodologique permet de rendre compte des mécanismes qui entourent les pratiques linguistiques des immigrants africains francophones au Québec.

2.2 Questions de recherche

Loin d’être exhaustive, la revue de littérature présentée dans le chapitre précédent nous permet de retenir quelques balises qui permettent d’orienter notre recherche.

La plupart des recherches sur les pratiques linguistiques des immigrants se basent sur des catégories non fixes (les langues, les répertoires linguistiques, etc.) et fixes (les courants migratoires et les pays de résidence, les familles et leurs composantes, etc.). Cependant, ces recherches ne rendent pas compte des significations que les parents donnent à leurs pratiques. Il y a aussi une lacune dans la prise en compte du processus migratoire. Dans le contexte québécois, les recherches sur le sujet des pratiques linguistiques des familles immigrantes, dont les parents sont originaires d’un pays francophone d’Afrique, sont quasi inexistantes. Bien que le recensement canadien soit une ressource intéressante que nous mobiliserons, celui-ci ne permet pas de comprendre le processus décisionnel dans les pratiques linguistiques familiales. Pour toutes ces raisons, il nous semble pertinent d’aborder ces nouveaux aspects moins couverts par la recherche québécoise à ce jour.

À partir du contexte géopolitique québécois, nous voyons que la langue française est une composante importante de l’identité québécoise. Ce qui explique qu’il y ait eu des interventions politiques ou étatiques pour en faire une langue favorisant une cohésion nationale. Il s’avère intéressant d’observer l’impact des politiques linguistiques favorisant le français comme langue de la cohésion sociale dans les foyers de familles immigrantes. Dans le cadre de notre recherche, nous nous penchons donc sur les pratiques linguistiques à Québec des familles originaires d’Afrique francophone (Burundi et Sénégal). Nous nous demandons : en quoi consistent les pratiques linguistiques des familles d’origines

burundaise et sénégalaise à Québec ?

(36)

• Comment se déroule la cohabitation des différentes langues connues dans les foyers des migrants?

• Quel sens les parents donnent-ils à l’usage de ces langues?

• Quels sont les motifs menant au choix d’une langue plutôt qu’une autre, lors de la communication intrafamiliale?

• Quelle place et quel rôle occupent le français, la langue maternelle de même que l’anglais pour les parents?

• Les parents transmettent-ils leurs langues maternelles à leurs enfants?

• Et si oui, comment et pourquoi les parents transmettent leurs langues maternelles?

2.3 Approche théorique

La thématique des pratiques linguistiques des familles immigrantes a été abordée sous plusieurs angles. Elle a notamment été abordée dans le domaine de la linguistique, sociolinguistique, démolinguistique, etc. Notre recherche privilégie une approche sociologique à travers « l’étude des relations sociales et des comportements de l’homme en société » (Brichet, 2007 : 3). Ainsi, l’analyse sociologique permet d’interpréter le monde social dans lequel nous vivons (Le Breton, 2016).

En cherchant à comprendre un phénomène social, notre recherche adopte de ce fait une vision compréhensive de la sociologie. Ainsi, nous avons choisi d’analyser les pratiques linguistiques des familles d’origines burundaise et sénégalaise sous le prisme de l’interactionnisme symbolique.

2.3.1 Pour une compréhension des phénomènes sociaux

Tout au long de l’évolution de la sociologie, des chercheurs ont offert différentes interprétations du monde social en se servant de méthodes spécifiques. Lorsque la sociologie était en train de se constituer et de se développer en tant que science, Auguste Comte adopta une méthode hypothético-déductive (Barbusse et Glaymann, 2005; Brichet, 2007). Cette

Figure

Tableau 2.1 Portrait sociodémographique des participants  Pseudo  Origine  Groupe  d’âge  Sexe  Occupation  Statut  à l’arrivée
Tableau 3.1 Variables utilisées pour nos analyses descriptives
Tableau 3.2 Quelques indicateurs des caractéristiques linguistiques des immigrants africains  au Québec selon quatre pays de naissance en 2016

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