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En ce qui concerne la stratégie médiatique de l’ADF, il faut distinguer les interventions conjointes de tous les présidents de conseils généraux et les interventions faites par son président Claudy Lebreton.

Dans une motion192 signée par les 102 présidents de conseils généraux et parue deux semaines avant le congrès annuel des conseillers généraux à la fin octobre 2009, l’ADF insiste sur la nécessité d’un consensus sur la réforme des institutions locales et sur leur intention de s’exprimer unanimement, toutes sensibilités politiques confondues. Elle reprend par là un reproche qu’elle avait déjà exprimé lors de l’instauration du comité Balladur où les représentants des grandes associations des élus ont fortement protesté contre l’absence de leurs membres au sein du comité. L’approche d’élaboration du projet de loi adoptée par le gouvernement a été perçue comme non-consensuelle et le calendrier prévu ne laissait pas beaucoup de temps pour intervenir. Or, les présidents de conseils généraux ne sont pas satisfaits de l’ordre des différentes parties de la réforme et souhaiteraient inverser la feuille de route gouvernementale : « Le préalable à toute réforme est une réelle clarification des compétences. Elle concerne des relations modernisées entre l’État et les collectivités locales, et entre les différents niveaux de collectivités locales. » En outre, ils souhaiteraient associer le dossier le plus brûlant, c’est à dire la réforme de la fiscalité locale, aux autres dossiers de la réforme qui ‘resteraient lettre morte’ dans le cas contraire. La motion démontre que les présidents n’ont pu s’unir qu’au plus petit dénominateur commun qui met en avant des sujets procéduraux, ainsi que les problèmes brûlants quant à la situation financière des départements.

192 Assemblée des Départements de France, « Motion des 102 Présidents des Conseils généraux »,

http://www.departement.org/webdav/shared/internet/ACCUEIL/MOTION%20DES%20102%20PRESID ENTS%20DE%20CONSEILS%20GENERAUX.pdf (10.11.09).

Il est révélateur que le congrès annuel de l’ADF193 ait pu conclure uniquement sur les questions financières qui résultent des derniers transferts de compétences et de la suppression de la taxe professionnelle. Même s’il s’agit de toute évidence du sujet d’actualité le plus urgent, on peut s’étonner qu’il n’y ait pas eu de prise de position commune concernant les volets de la réforme qui auront un impact direct sur les départements comme la création du conseiller territorial où l’établissement de la métropole. Ceci dit, il semble pourtant qu’un accord tacite entre les dirigeants des départements existe qui cherche la défense du statu quo. Ainsi, l’ADF dénonce le risque de fusion ou d’absorption des compétences propres au département dans d'autres collectivités194. C’est dans cet esprit ‘conservateur’ que l’influence au Sénat a été utilisée.

Nonobstant le manque de position commune tranchée, les interventions du président de l’ADF sont marquées par une rhétorique polarisante. Il rejoint dans ses propos son homologue de l’ARF, Alain Rousset, qui cherche avec un vocabulaire dramatique l’affrontement partisan passionné sur le dossier de la réforme des collectivités territoriales195. Claudy Lebreton affirme ainsi que le gouvernement veut la mort du département196 et affirme : « C'est notre survie qui se joue. 197»

Outre les interventions publiques à l’issue des sessions des enceintes de concertation et un travail médiatique professionnel comme en témoigne la reprise des déclarations de l’ADF et de son président dans la presse, l’ADF sait dégager des moyens supplémentaires pour renforcer le poids de ses interventions auprès des décideurs politiques.

L’incitation de ses adhérents à faire voter, dans leur conseil général respectif, des motions s’opposant aux éléments de la réforme des collectivités territoriales, en constitue un exemple pertinent. Le contenu reprend un certain nombre de revendications que nous avons déjà eu l’occasion d’aborder : Les départements sont des territoires de proximité et de solidarité par excellence. Par conséquent, il faut préserver une entière capacité d’initiative que seule permet la clause générale de

193 Assemblée des Départements de France, Résolution du 79ème Congrès, Clermont-Ferrand, 2009.

1942009, op. cit.

195 Auffray Alain, Auffray 19.01.10, op. cit., p. 10.

196 Cossardeux Joël, « Nicolas Sarkozy donne le coup d'envoi de la réforme territoriale », Les Echos, 20.10.09, p. 6.

compétence. La théorie, opposée au rapprochement du département et de la région, du couple politiques de proximité d’un côté et politiques stratégiques et de développement de l’autre est réaffirmée. Enfin, il faut préserver le scrutin uninominal à deux tours198. Des motions reprenant, à quelques différences près, ce contenu, ont été votées dans vingt-trois conseils généraux199. Mais il faut tout de même reconnaître que, à l’exception de deux conseils généraux de droite, ces motions n’étaient votées que dans des départements avec une majorité de gauche.

S’ajoute une série d’actions de communication sur place, comme celle du président du conseil général de la Gironde, qui a inauguré au début de l’année 2010 un compteur inséré dans un panneau ‘Département en danger’ qui fait figurer la somme qui, selon son opinion, représente la dette de l'État vis-à-vis du département. Le président suit donc l’exemple de son homologue en Seine-Maritime, qui fut le premier à mettre en place un grand compteur comparable en décembre 2009.

Plus offensive est l’opération du conseil général du Val-de-Marne, qui continue son action "Le Val-de-Marne j'y tiens" basée sur une pétition déjà signée par quelque 30.000 Val-de-Marnais qui demande « le retrait de ces projets [la réforme des collectivités territoriales] qui menacent de très nombreux services publics locaux ; le respect de la liberté d’action des collectivités locales et des valeurs démocratiques et républicaines qu’elles portent [ainsi que] le remboursement par l’État de sa dette [présumée] de 400 millions d’euros à l’égard du Val-de-Marne. 200» Le président du conseil général, Christian Favier, a réussi à mobiliser la société civile en invitant à « manifester pour le retrait de ces projets dangereux » le 26 janvier devant la préfecture du département201.

198 Les revendications citées sont issues de la résolution du conseil général de Seine-Maritime du 6

février 2009.

199 Aisne (PS), Alpes-de-Haute-Provence (PS), Aude (PS), Corse-du-Sud (UMP), Côtes d'Armor (PS),

Dordogne (PS), Drôme (PS), Haute-Garonne (PS), Gironde (PS), Hérault (PS), Isère (PS), Landes (PS), Loire-Atlantique (PS), Lot (PS), Marne (UMP), Nièvre (PS), Oise (PS), Puy-de-Dôme (PS), Haute-Saône (PS), Saône-et-Loire (PS), Seine-Maritime (PS), Deux-Sèvres (PS), Val-de-Marne (PCF). Les textes des motions sont accessibles sur le site de l’ADF

(http://www2.departement.org/content/motions-adoptees-par-les-departements-sur-la-reforme-territoriale)

200 Cité selon le site web de la campagne. Cf. http://www.cg94.fr/petition

201 Mallet Claire, « L'arrivée au Sénat de la réforme des collectivités relance déclarations et initiatives symboliques »,

http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/artVeille/artVeille&cid=1250259335038 (06.03.10).

L’occupation de la préfecture à Albi par une soixantaine de maires du Tarn dont le président du conseil général le 8 janvier 2010, a été l’action la plus spectaculaire des ces derniers mois. Dans une résolution remise au préfet le Congrès des maires exprimait ainsi des « inquiétudes par rapport au projet de réforme des collectivités par ‘un acte symbolique’ 202».

Plus généralement, les conseillers généraux cherchent à mobiliser les acteurs de la société civile en répandant l’idée que les subventions accordées par le département pourraient être supprimées si la clause générale de compétence était abandonnée. La mobilisation vise notamment le monde culturel et sportif et aboutit à des déclarations de soutien de la position des départements, comme le prouve une intervention de Jean-Michel Brun, vice-président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) : « Si, en vertu de la nouvelle répartition des attributions, on supprimait la clause générale de compétence sans accorder aux régions et départements la compétence sport, les conséquences seraient catastrophiques 203». En effet, l’enjeu est de taille : « le CNOSF, représentant auprès de l'État du mouvement sportif national, s'inquiète, selon les estimations de son président Denis Masseglia, pour le milliard d'euros attribué chaque année par les conseils régionaux et généraux, notamment aux équipements sportifs. 204» Face à un tel mouvement le sénateur Éric Doligé s’indigne à juste titre: « On y annonce à tous les clubs sportifs et culturels la fin des subventions dont ils bénéficient actuellement. Pour ma part, en tant que président de conseil général, je ne tiens nullement un tel discours, au contraire. Il s’agit, pour certains, de pratiquer une politique de la peur, visant donc à inciter à la ‘résistance’. C’est à mes yeux une provocation scandaleuse, qui montre, s’il en était besoin, l’incapacité des intéressés à s’adapter ou à accepter les évolutions. 205» Il y a là une donnée qui met en question l’image favorable des départements. Il apparaît que des objectifs bien particularistes, voire partisans, sont portés sous couvert de neutralité. En effet, le projet de loi ne préconise nulle part la réduction des subventions aux activités sportives et culturelles.

202Ibid.

203 AFP, AFP 11.09.09, op. cit.

204Ibid.

L’ADF essaie de surcroît d’occuper l’espace public en publiant et en exploitant des sondages et études. Le cadre limité de ce travail ne nous permet pas de procéder à analyse détaillée des sondages que nous mentionnerons par la suite à titre d’exemple. Le sondage le plus récent, commandé auprès d’Ipsos, portait sur l’attachement des Français à leur département et leur perception de la réforme des collectivités locales en novembre 2009. Selon le chiffre le plus communiqué de ce sondage, 82 % des Français sont attachés à leur département. Ainsi la revue ‘Le Nord’, publiée par le conseil général du Nord et distribuée auprès d’un million de ménages mensuellement, a communiqué ce chiffre sur la couverture206. Ensuite, l'Union des conseillers généraux de France (UCGF) a mené une enquête207 auprès des conseillers généraux, qui a été rendue publique le 28 octobre. 54,2% de conseillers généraux interrogés sont défavorables à une évolution vers des conseillers territoriaux. Dans l'hypothèse de la création des conseillers territoriaux, une large majorité des conseillers généraux (65,7%) témoignent de leur attachement au scrutin uninominal. Enfin, 60,3% s’opposent à la suppression de la clause de compétence générale, considérée comme une grave atteinte à l'autonomie du niveau départemental.

Le gouvernement oppose de son côté des sondages qui indiquent que 83% des Français estiment l’organisation administrative trop compliquée, 75% considèrent la répartition des responsabilités plutôt confuse, 71% approuvent la nécessité d’une réforme du mode d'organisation des différentes collectivités territoriales et encore environ 60% partagent l’avis qu'il y a trop d'échelons de décision208. Ces affrontements de différents sondages n’ont guère d’implication pratique mais les sondages restent des vecteurs importants pour l’occupation de l’espace public et délivrent une légitimité conçue souvent comme neutre, bien qu’elle soit sujette à des interprétations intellectuellement malhonnêtes.

La stratégie du gouvernement se situe sur un autre niveau et profite d’une plus grande cohérence des intérêts. Le gouvernement utilise toutes les possibilités

206 « 82 % disent oui », Le Nord, déc. 2009.

207 AFP, « Une majorité de conseillers généraux opposés à leur transformation en conseillers

territoriaux, selon une enquête de l'UCGF »,

http://www.localtis.info/cs/ContentServer?c=artVeille&pagename=Localtis%2FartVeille%2FartVeille&ci d=1250259041381 (10.11.09).

que lui confère sa maîtrise du processus législatif, à commencer par le choix de s’appuyer sur les propositions d’un comité indépendant comme nous avons vu au chapitre II.A. Avec la création du comité Balladur, le gouvernement a mis en place une enceinte de décision qui lui semblait pertinente en a associant les acteurs les plus proches de son projet de réforme. Cette capacité gouvernementale de manier les arrangements d’élaboration de décision politique209 facilite la maîtrise des résultats. Une maîtrise qui peut dépasser ce qui est admissible du point de vue de la légitimité procédurale. Le témoignage de Pierre Mauroy au Sénat va dans ce sens : « Durant un mois, nous avons pu penser que notre travail pourrait déboucher sur quelques résultats. Ensuite sont venues des instructions, dont vous pouvez certainement, mes chers collègues, deviner la provenance ! 210» L’exclusion des associations des élus locaux a été justifiée par la présence des conservatismes et des intérêts particuliers multiples : « La recherche volontariste de l’intérêt général est avancée comme motif pour écarter explicitement les représentants des associations d’élus locaux.211»

La consultation des associations ne s’est donc faite que sur base de l’avant-projet. Dans un calendrier serré, elle a ainsi permis d’anticiper les sujets de blocage qui ont été adaptés pour assurer leur approbation, notamment auprès de la majorité au Sénat. Suivant cette logique pragmatique, le statut de la métropole a été allégé et la clause générale de compétence indirectement réintroduite par la capacité d’initiative. D’autres sujets hautement controversés ont été ‘évacués’ comme la question du scrutin pour les conseillers territoriaux. Enfin, le gouvernement a repris des suggestions supplémentaires comme la possibilité de fusion entre départements et une région.

Le travail de concertation a continué durant la première lecture du projet au Sénat. Le secrétaire d’État, Alain Marleix, a fait remarquer l’intense travail de concertation qui a permis d’intégrer les souhaits des associations d’élus locaux : « Sur les 122 amendements retenus, 33 émanent de l'opposition. (…) Mais les amendements les plus importants ont émané de la commission des lois du Sénat et

209 Une capacité déjà constatée par Frank Lee Wilson, un des premiers à analyser les phénomènes

de lobbying en France. Cf. Wilson Frank Lee, Interest-group politics in France, Cambridge, New York,

Melbourne, Cambridge university press, 1987, p. 261.

210 Sénat, Sénat 27.01.10, op. cit., p. 506.

plusieurs d'entre eux - notamment ceux qui concernent les métropoles et la composition des conseils communautaires - ont été préparés avec certaines des associations nationales d'élus locaux. 212» Le compromis avec les sénateurs est d’autant plus important pour le gouvernement qu’il ne fallait « pas donner aux élus locaux le sentiment d'une réforme autoritaire qu'ils risqueraient de sanctionner dans les urnes. 213»

Face aux informations diffusées par les conseils généraux, le ministre de l’intérieur a donné l’instruction par une circulaire aux préfets de tenir des conférences de presse dans leur département pour informer sur la réforme des collectivités territoriales. Cette instruction a été contestée au Sénat, mais le secrétaire d’État a rappelé que, lors de l’élaboration de l’acte I de la décentralisation, le gouvernement Mauroy avait eu recours aux mêmes moyens214. En termes de communication au niveau national, certains observateurs ont parlé de ‘calinothérapie’ avec une nouvelle distribution des rôles : « Quand François Fillon s'attaque aux collectivités dépensières et génératrices de toujours plus d'emplois publics, Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, dit comprendre ‘l'inquiétude congénitale des élus locaux face au pouvoir central ‘. ‘Cela tient à notre tradition jacobine’, jauge-t-il.215 »

Retenons donc que l’action de l’ADF souffre d’une absence de prise de position ambitieuse portée par tous ses membres. Par contre, existe un accord tacite sur la défense du statut quo. Confronté à l’influence exercée notamment par le biais du Sénat que nous allons analyser maintenant, le gouvernement, grâce à sa maîtrise de la procédure législative, est habile à faire avancer la réforme dans des délais raisonnables et à éviter un blocage définitif.

212 Cité selon Beurey Thomas, « Le Sénat, rempart de la commune ? »,

http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/artJour/artJour&cid=1250259438951 (06.03.10).

213 Perrault Guillaume, « Le Sénat, clé de la réforme territoriale », Le Figaro, 22.10.09, p. 3.

214 Sénat, Sénat 28.01.10, op. cit., p. 773.

215 Forray Jean-Baptiste et Fagnart Sylvie, « Réformes des collectivités. Le dessous des cartes »,