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CHAPITRE 4 : CADRE EPISTEMOLOGIQUE ET METHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

4.2 S TRATÉGIE DE RECHERCHE

4.2.2 Canevas général de la recherche

4.2.2.1 Stratégie de recherche : l’étude de cas multiples

Dans la partie précédente, nous avons brièvement exposé les insuffisances du paradigme expérimental lorsqu’il est appliqué à la santé au travail. Nous avons en outre insisté sur l’importance de documenter le processus et le contexte de toute intervention dans les recherches ciblant son amélioration. Pour aller dans ce sens et répondre à nos interrogations, nous avons eu recours à l’étude de cas multiples (Leplat, 2002; Yin, 2009).

Dans cette thèse, nous défendons l’idée qu’une centration sur le processus de l’intervention est indispensable dans l’action en santé et bien-être au travail afin

d’atteindre un changement effectif des situations de travail. C’est ainsi que nous avons développé une méthode d’intervention à partir d’une approche dont on sait qu’elle a la particularité de se centrer sur ce processus ainsi que sur les modalités d’émergence du changement (cf. 2.2.2.2). En effet, l’approche systémique propose d’adopter une attitude réflexive vis-à-vis de ce processus.

Il faut cependant distinguer cette méthode d’action de la démarche de recherche empruntée dans la thèse. Si notre méthode d’intervention est centrée sur le processus de changement, notre stratégie de recherche doit permettre de soumettre ce dernier à une investigation scientifique. Il s’agit de s’intéresser à ce processus, son efficience et sa capacité à produire les changements désirés par les clients de l’intervention (Schein, 1987). Rappelons-le, ce positionnement nous a amenés à formuler les questions de recherche suivantes :

Nous souhaitons ainsi étudier l’émergence du processus de changement dans les organisations ainsi que la compréhension des effets induits par nos modalités d’intervention. Pour plusieurs raisons, la stratégie de l’étude de cas est apparue comme la plus adaptée pour répondre à cette question principale :

- Elle prend en compte la temporalité. C’est pourquoi elle est beaucoup utilisée dans les études qui ciblent les processus de changement organisationnel (Giroux, 2003). Elle est donc particulièrement recommandée pour répondre à des questions de recherche de l’ordre du « comment » (Yin, 2009), similaires à celles que l’on vient d’évoquer.

- Elle convient ainsi à l’étude d’un phénomène contemporain « dans un contexte réel, lorsque les frontières entre le phénomène et le contexte n’apparaissent pas clairement »27 (Yin, 2009, p. 25). En l’occurrence, nous souhaitons investiguer en

contexte réel, c’est-à-dire à partir du terrain, l’intervention en santé et bien-être au travail. Nous pensons qu’il s’agit d’un phénomène complexe nécessitant d’être abordé dans sa globalité et non de façon réductionniste.

- Elle présente l’intérêt d’aborder les phénomènes étudiés avec une approche compréhensive. Une telle approche cherche à prendre en compte de multiples facteurs en les contextualisant (Giroux, 2003).

Une telle stratégie semble donc être adaptée à nos intentions de recherche. En définitive, elle nous donnera accès à une compréhension profonde des effets de nos modalités d’action, de l’émergence du processus de changement mais aussi du contexte dans lequel les interventions se situent. Il s’agit désormais d’apporter certaines précisions sur les modalités de mise en œuvre de cette stratégie.

27 Traduction personnelle.

Comment construire une démarche d’intervention systémique dédiée aux PME ? Comment appliquer cette démarche en situation réelle ? Quels en sont les effets ?

Étude de cas simple ou multiples

Il faut préciser que l’on distingue généralement les études de cas simples des multiples (Leplat, 2002; Yin, 2009). Nous avons choisi de réaliser une étude de cas multiples. Encore peu utilisée, elle consiste à étudier le phénomène qui nous intéresse sur le terrain, à partir d’un nombre limité de cas (Giroux, 2003). Elle consiste à identifier des phénomènes récurrents parmi une pluralité de situations. Elle se substitue ainsi aux méthodes statistiques en proposant de réaliser des « comparaisons méthodiques et rigoureuses tout en conservant une bonne dose de flexibilité dans sa démarche » (D’Amboise, 1996, p.98).

Il va de soi que les interventions sur le bien-être au travail prennent place dans des contextes et des situations variés. Dès lors, l’étude de plusieurs cas nous paraît indispensable puisqu’elle permet de rendre compte de cette diversité dans la thèse. Cette stratégie a été mobilisée afin d’identifier les déterminants de la réussite ou de l’échec des interventions, en mettant en œuvre des modalités d’action similaires dans cinq entreprises différentes.

Généralisation

Comme le signale Leplat (2002), l’étude de cas concilie deux finalités ; l’une vise à répondre au problème posé par le cas (pragmatique) alors que la seconde concerne la production d’enseignements utiles à l’étude d’autres cas (scientifique). Dès lors, se pose la question de la généralisation des connaissances à des contextes différents de ceux dans lesquels elles ont été produites. Il serait faux de croire que l’étude de cas se limite à l’exploration d’un phénomène (David, 2004; Yin, 2009).

Elle permet au contraire une généralisation des résultats, bien que celle-ci ne soit pas automatique. Elle requiert de considérer les enseignements issus d’un cas comme provisoires et nécessitant une confrontation à d’autres situations dans une logique itérative, tel que nous le présenterons dans la partie suivante. C’est pourquoi nous avons choisi l’étude de cas multiples : elle propose une montée en généralité.Elle vise, comme l’indique Leplat, à élaborer « une théorie de la pratique qui prend en compte la complexité des cas avec leurs différentes dimensions » (2002, p. 17).

Démarche scientifique

Il est parfois reproché un manque de rigueur scientifique à la stratégie de l’étude de cas, notamment car elle laisserait davantage place à la subjectivité du chercheur (Yin, 2009). On peut avancer deux arguments face à cette critique. Soulignons d’abord que les études expérimentales basées sur la déduction ne sont pas non plus exemptes de faiblesses, voire de biais (cf. partie 4.2.1). Elles nécessitent en outre des traitements statistiques conséquents qui débouchent parfois sur des conclusions ténues (David, 2004). En second lieu, on peut arguer que la démarche étude de cas s’appuie simplement sur une autre conception de la science. Il en résulte qu’elle a des exigences et des critères de scientificité qui diffèrent de ceux du paradigme expérimental dominant. L’objectivité recherchée par ce dernier paradigme est une exigence louable. On ne peut cependant nier la spécificité de notre objet de recherche ; le processus d’intervention implique la rencontre de la subjectivité de l’intervenant avec celle des

différents acteurs de l’entreprise. Il serait donc inapproprié de chercher à appréhender cet objet par des critères décontextualisés et objectivables. Le chercheur affecte son objet de recherche, et c’est d’ailleurs précisément son but (Hubert, 2009).

En outre, il nous apparaît difficile dans cette thèse d’aborder un sujet tel que l’intervention sur le bien-être au travail à partir d’une logique « classique », c’est-à dire confirmatoire et déductive. La stratégie de l’étude de cas s’inscrit souvent dans une autre logique de recherche, dite « inductive ». Cette dernière répond à des règles précises qui lui confèrent tout autant de rigueur (Yin, 2009).

Nous avons privilégié la démarche inductive qui vient d’être décrite dans l’encadré ci- dessus. Elle part d’observations particulières pour aboutir à des énoncés généraux (Leplat, 2002; Smith, Harré, & Van Langenhove, 1995). Cette démarche itérative fonctionne à partir de propositions théoriques initiales dont la pertinence est évaluée au fil de la confrontation à des cas successifs. Dès lors qu’un cas ne les confirme pas, elles doivent être retravaillées (contrairement à la logique déductive où les hypothèses sont figées à l’avance). Cette démarche permet ainsi de dépasser le simple cas pour enrichir les connaissances issues de la recherche à plusieurs reprises et ainsi étendre leur pouvoir explicatif (Leplat, 2002).

Connaissances produites

Selon Eisenhardt (1989), les connaissances issues de l’étude de cas ont une forte utilité pratique du fait de leur plus grande adéquation avec le terrain. Comme le souligne David (2004), cette stratégie se révèle adéquate pour produire des « connaissances

La démarche hypothético-déductive est la plus utilisée par les chercheurs. Elle part d’hypothèses formulées à partir de la littérature et cherche à les vérifier via un dispositif empirique, par exemple une enquête par questionnaire. En sciences humaines et sociales, la démarche inductive n’est pas pour autant mise de côté, notamment lorsqu’il s’agit d’explorer des phénomènes encore peu étudiés. Cette démarche s’inscrit plutôt dans une finalité de compréhension et consiste à « laisser parler le terrain » (D’Amboise, 1996, p. 75).

La différence majeure entre les deux approches tient à l’existence préalable d’hypothèses de recherche. En effet, dans l’approche inductive, le chercheur formule des propositions pouvant être vues comme des hypothèses, mais celles-ci sont établies a posteriori, à partir des données qu’il aura recueillies (Babbie, 2012). Il cherche ainsi à appréhender un phénomène dans sa globalité sans déterminer un petit nombre de variables d’intérêt au préalable, comme la démarche hypothético- déductive le préconise.

Pour résumer cette distinction, on peut dire que le raisonnement inductif procède du particulier au général, autrement-dit de l’observation de situations particulières pour parvenir à une théorisation plus générale de ces dernières. La logique déductive fonctionne dans le sens opposé, en partant de théories qui sont ensuite mises à l’épreuve de situations plus particulières (Babbie, 2012).

intermédiaires » entre contextualisation et abstraction. Elles font donc preuve d’actionnabilité ; c’est-à-dire qu’elles concilient une certaine légitimé scientifique et la possibilité d’être mises en action dans le cadre d’une pratique professionnelle. Elles sont aussi intelligibles et facilement communicables à des communautés de praticiens (Avenier & Schmitt, 2007).

Choisir l’étude de cas c’est donc donner une orientation pragmatique à cette thèse. Dans cet esprit, son intégration dans des réalités concrètes s’est imposée comme une nécessité. Cet aspect est d’autant plus important que l’on souhaite s’assurer de la « transférabilité » des connaissances qui en seront issues (Avenier & Schmitt, 2007). C’est ainsi que nous avons initié un partenariat avec une psychologue du travail exerçant en service de santé inter-entreprises, puis un consultant indépendant en ressources humaines. Trois des cinq cas prévus dans la thèse ont ainsi été réalisés en collaboration « chercheur – praticien ». Pour résumer cette partie, la figure 10 ci- dessous propose un aperçu simplifié du canevas général de la thèse.

Figure 10. Canevas général de la thèse.

Même si la stratégie de l’étude de cas a ses propres critères de scientificité, elle n’impose pas une posture de recherche précise. Elle a été mobilisée par des tenants de postures diverses (Giroux, 2003). De même, elle ne repose pas forcément sur l’emploi de méthodes qualitatives. Ce qui explique que nous présentons nos choix en termes de posture et d’instrumentation dans la partie suivante.