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CHAPITRE 2 : CADRE THEORIQUE

2.3 A PPLICATION À L ’ INTERVENTION SUR LE BIEN ÊTRE AU TRAVAIL

ÊTRE AU TRAVAIL

2.3.1 Une approche systémique du changement

Le changement dans les organisations a longtemps été envisagé comme un processus séquentiel et planifié (Burke, 2004) assurant le passage d’une situation initiale stable à une seconde, souhaitée. Cette conception basique sera remise en cause dès les années 1960, pour laisser place à une vision systémique du phénomène. Des auteurs ont d’abord assimilé la conduite du changement à un processus continu alimenté par des boucles de feedback (French, 1969; Lippitt, Watson, & Westley, 1958). Cette approche a ensuite été enrichie à partir des théories des sciences naturelles pour établir une conception émergente du changement. En se basant principalement sur le concept des structures dissipatives20 (Prigogine & Stengers, 1984), cette conception envisage le changement

comme imprévisible car constitué d’une série d’adaptations à l’environnement (Macintosh & Maclean, 1999; Todnem, 2005). Dans cette lignée, une distinction a été introduite entre un changement basé sur des routines (en simple boucle) permettant une adaptation très limitée, et un second (en double boucle) remettant en cause les règles et les paradigmes de l’organisation (Argyris & Schön, 1978). Dans un environnement fluctuant, seul l’apprentissage en double boucle permet à cette dernière de s’adapter et de se maintenir (Macintosh & Maclean, 1999). L’intervention systémique vise cette seconde forme de changement.

Dans cette conception, le changement ne peut donc être totalement programmé, en ce qu’il résulte d’une série d’adaptations continues. Il se peut néanmoins que, face à un problème spécifique, les organisations soient incapables de faire évoluer leurs propres règles pour s’adapter et qu’elles aient recours à un consultant (Macintosh & Maclean, 1999). Les raisons de ces blocages à l’autorégulation sont développées dans la partie suivante, en rapport avec le bien-être au travail. Si l’intervenant s’inscrit dans cette conception émergente, il s’efforce alors d’augmenter la réceptivité de l’organisation au changement, de l’accompagner, et non de le planifier. Il est ainsi amené à considérer trois phases dans le processus de changement :

- D’abord, il s’agit d’introduire des « perturbations » dans l’organisation (à l’aide, notamment, d’outils décrits dans le chapitre 3) pour créer les conditions de l’émergence de nouvelles règles de fonctionnement.

- Si ces perturbations sont prises en compte par les acteurs de l’entreprise, il s’en suit une période d’instabilité caractérisée par l’expérimentation de nouvelles manières de faire – que l’intervenant aura facilitée voire précipitée (Macintosh & Maclean, 1999). Cette période peut s’avérer inconfortable, bien qu’elle permette, aux individus et aux groupes dans l’entreprise, de se réorganiser sous une forme qu’ils

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Ce concept montre que l’apparition d’une perturbation dans un système complexe (e.g. une dissipation de chaleur…) – génératrice de désordre et d’instabilité – lui permet ensuite de se réorganiser par l’émergence d’un ordre nouveau.

estiment plus satisfaisante. Pour autant, il ne faut pas croire que cette phase soit nécessairement suivie d’une évolution (Macintosh & Maclean, 1999) ; l’inconfort qu’elle génère peut susciter une certaine résistance individuelle et collective incitant à ne pas poursuivre dans cette voie. C’est donc à l’intervenant qu’il incombe, à cet instant précis, d’appliquer des feedbacks positifs, c’est-à-dire de renforcer et d’accentuer les fluctuations expérimentées (Leifer, 1989). Ce renforcement peut se faire en apportant la preuve des impacts positifs du changement ou en initiant la mise en place d’actions similaires (Chiles, Meyer, & Hench, 2004 ; Leifer, 1989). - Une dernière phase consiste à atteindre un nouvel équilibre ; l’utilisation appropriée

de feedbacks négatifs permet un retour progressif à des mécanismes de régulation naturels mais néanmoins différents des précédents. On vise ici à ajuster le changement, en organisant des retours réguliers sur ses retombées à plus long terme.

En résumé, dans cette perspective émergente, toute perturbation (interne ou externe) effectivement prise en compte par l’entreprise constitue l’amorce d’un changement vers un autre équilibre, régi par de nouvelles logiques. Comme la figure 3 l’indique, cet équilibre est relatif puisque l’entreprise, et les groupes sociaux qui la composent, réalisent sans cesse des adaptations afin de maintenir une certaine homéostasie.

Figure 3. Représentation schématique du changement selon une conception émergente, inspirée de Malarewicz, 2012, p.103.

2.3.2 Une approche systémique du bien-être au travail

Quelle serait une conception systémique du bien-être au travail ? Nous proposons d’exposer les prémices d’une telle conception, partagées par l’approche du changement exposée ci-dessus.

2.3.2.1 Une approche dynamique basée sur l’autorégulation

D’abord, l’épistémologie choisie ici implique de renoncer à appréhender le bien-être sous un modèle de causalité linéaire, ce qui lui donnerait nécessairement un caractère statique. Elle s’éloigne ainsi d’une vision épidémiologique traditionnelle – recensant la présence ou l’absence des déterminants du bien-être – pour privilégier une compréhension en termes de processus continus et complexes. Cette perspective reconnaît aussi l’impossibilité d’aborder la santé en cherchant à la décomposer en

Perturbations Feedback négatif

différentes dimensions (mentale, somatique…) et sans tenir compte des liens multiples associant les personnes à leur environnement (Canguilhem, 2013/1966; Kirsten, Van der Walt, & Viljoen, 2009). En ce sens, notre position peut être reliée à celle des ergonomes (Doppler, 2004) ou de la clinique du travail (Dejours, 1995), qui aborde la santé de manière holistique, comme un processus de construction tout au long de la vie. En revanche, la conception systémique se distingue en introduisant l’idée d’homéostasie (individuelle ou collective), autrement dit d’un équilibre interne pouvant être soumis à des perturbations aléatoires et non prévisibles, mais néanmoins capable de maintenir une stabilité relative. En lien avec l’approche émergente du changement, cette conception du bien-êtrese nourrit des théories du vivant apparues dès les années 1970 (Maturana & Varela, 1980; Prigogine & Stengers, 1984) où l’on insiste non seulement sur les capacités d’autorégulation du vivant, mais aussi sur ses possibilités de régénération (cf. seconde cybernétique, figure 1). Par extension, nous envisageons le bien-être au travail comme un processus opérant au niveau individuel (Kirsten et al., 2009), mais aussi groupal et organisationnel(Marc, Grosjean, & Marsella, 2011). Dans cette perspective, le bien-être renvoie à un processus d’adaptations continues, exprimé en termes d’autorégulation (Marc et al., 2011). Dès lors, son maintien réside dans la capacité de l’organisation et de ses salariés à réagir aux perturbations internes ou externes qu’ils rencontrent (e.g. réduction des coûts…), en adaptant en conséquence leurs règles et leurs modes d’organisation. C’est donc être en mesure d’aboutir à un « point d’équilibre » provisoire, qui i) limite l’impact de ces perturbations ii) assure la conservation de ses ressources sur le long terme (Duterme, 2002). Cependant, nous l’avons souligné, certaines circonstances amoindrissent la capacité des organisations comme celle des individus, à réunir ces deux conditions, autrement dit à réagir « sainement ».

Les blocages dans des routines

Dans certains cas, l’entreprise et ses salariés sont bloqués dans des routines limitant leur adaptation à des évolutions nécessitant pourtant un changement de second ordre (cf. 2.1.1). Plusieurs raisons peuvent expliquer cette incapacité à faire évoluer des situations pourtant ressenties comme insatisfaisantes par les membres d’une organisation : - Il se peut que ces situations génèrent par ailleurs des bénéfices secondaires n’incitant

pas à les changer (Bareil, Savoie, & Meunier, 2007).

- Changer implique de remettre en cause certaines règles éventuellement non adaptées mais que personne ne se sent pourtant légitime de contourner ou de faire évoluer (Macintosh & Maclean, 1999).

- Dépasser la situation actuelle pour un état souhaité revient à accepter de passer par une phase transitoire, elle-même inconfortable et génératrice d’anxiété (Bareil et al., 2007).

Les réactions « aggravantes »

En dehors des divers blocages organisationnels, il se peut aussi que la réaction première à des perturbations tende à en aggraver les conséquences, plutôt qu’à les limiter. C’est

par exemple le cas du masquage des erreurs survenant dans le travail ; à terme, ce mode de régulation peut nuire à l’activité des salariés, en les privant de renseignements nécessaires à la maîtrise de la situation (Marc et al., 2011).

Les états émotionnels

Une dernière entrave à une régulation appropriée réside dans la perte de la capacité à décoder les perturbations. On peut supposer qu’un salarié « sensible » à l’impact émotionnel d’un inFiGent (e.g. malentendu avec un client…) sera plus enclin à prendre une décision compatible avec le maintien de ses ressources et de son bien-être. En décodant l’épisode perturbant, ce salarié ressentira peut-être le besoin de partager ses émotions avec l’équipe et anticipera ainsi des stratégies utiles à la gestion de situations similaires (Marc et al., 2011). Dans d’autre cas, le niveau de mal-être des acteurs est tel qu’ils sont dans l’incapacité de percevoir que d’autres modalités de fonctionnement sont possibles (Fredrickson, 1998). L’autorégulation n’est alors plus possible. A

contrario, de nombreuses études ont mis en avant un lien entre les émotions positives

et l’adoption de perspectives variées (Ashby, Isen, & Turken, 1999), la créativité (Schwarz & Clore, 2003) ou la recherche de solutions optimales (Isen, Daubman, & Nowicki, 1987).

Si l’on va au bout de cette conception, le but premier en termes d’intervention sera alors d’amener les acteurs de l’entreprise à être en capacité de débattre de leurs modes habituels de résolution des problèmes exprimés, afin qu’ils puissent « dessiner des issues possibles vers un rééquilibrage provisoire » (Moisdon, 2010, p. 218). La nature des perturbations initialement rencontrées n’est pas centrale ; leurs conséquences en termes de bien-être au travail dépendent principalement des modes de régulation internes à l’organisation (principe d’équifinalité). En ce sens, une même évolution de l’activité (e.g. innovation technologique…) peut, selon les entreprises, avoir des impacts salutaires comme délétères sur la santé et la production. Cette conception pose le postulat de la complexité et de l’imprévisibilité des réactions humaines à certaines perturbations. S’il adopte ce principe, l’intervenant donne alors une place relative au diagnostic de l’origine des problèmes évoqués par les salariés. En outre, de par sa centration sur les modalités de l’adaptation des groupes sociaux à l’environnement, cette conception exclut tout critère préétabli à remplir en termes de bien-être au travail. Elle suggère ainsi que la prévention ne peut être réduite à l’application d’une « norme de santé », sans prise avec la complexité des situations de travail (Grosjean, 2009).

2.3.2.2

Une approche circulaire

Changer de paradigme suppose aussi de considérer, dans une perspective circulaire, que chacun prend une part active à la construction de son environnement. C’est notamment ce qu’ont montré Briner, Harris et Daniels (2004) concernant le bien-être au travail. En opposition à la logique linéaire classique, ces chercheurs en psychologie relativisent la position d'extériorité des salariés par rapport aux sources de stress ; le travail est considéré comme un processus continu résultant de multiples interactions entre le salarié et son milieu (Briner et al., 2004).

D'abord, les salariés ont un passé par rapport à ce milieu de travail, de même que des idées et des souhaits pour leur avenir. Naturellement, leur histoire et leurs aspirations

déterminent leur manière de percevoir et de réagir à ce milieu à un moment donné (Briner et al., 2004). Donc, non seulement le travail impacte les salariés, mais en retour, les perceptions et les comportements de ces derniers participent à sa construction. Le bien-être est ainsi fait de processus circulaires et itératifs, qui peuvent lui être aussi bien salutaires que délétères. Ensuite, chaque salarié réalise des arbitrages entre les différentes sphères et exigences de son activité, et notamment la préservation de sa santé et de son bien-être. Briner et al. (2004) ont montré que, même pour les emplois les plus procédurisés, les salariés modèlent les contours de leurs activités. Un même travail aura donc, selon les salariés, des tâches de nature et de portée différentes. En ce sens, les sources de stress ne sont pas « extérieures » aux salariés mais plutôt dépendantes, dans une certaine mesure, de l'activité qu'ils contribuent à façonner. Dans la figure 4, nous proposons de représenter ce modèle circulaire du bien-être au travail, à partir du cadre conceptuel fourni par Althaus, Kop et Grosjean (2013).

Figure 4. Le modèle du bien-être au travail de Briner et al. (2004), représenté schématiquement selon le cadre conceptuel d’Althaus et al. (2013c).

Perception - Évaluation Bien- être Environnement de travail Réactions à court- terme : ComportementDOHs Physiques Psychologiques Cognitives

CHAPITRE 3 : L’INTERVENTION