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CHAPITRE 2 : CADRE THEORIQUE

2.2 C ADRE DE RÉFÉRENCE DU PARADIGME SYSTÉMIQUE

2.2.1 Les démarches et concepts issus de la systémique

2.2.1.3 Les concepts issus de la systémique

Depuis les années 1940, quatre principaux courants de pensée ont enrichi le paradigme par des lois et des concepts de portée générale tels que l’homéostasie ou l’auto- organisation (résumés dans le tableau 2). Concernant initialement des phénomènes naturels complexes, ces concepts ont ensuite été appliqués à la cognition humaine (Maturana & Varela, 1980) et à l’apprentissage (Glasersfeld, 2004). Finalement, un grand nombre d’entre eux ont été transposés à la famille puis aux organisations. Cette extension du champ d’application est abordée en seconde partie.

Tableau 2. Développements conceptuels du paradigme systémique.

La première cybernétique

Le premier apport notable provient de la cybernétique, un terme introduit par Wiener en 1948. Comme l’indique le titre de son ouvrage, elle est définie comme « la science du contrôle et de la communication chez les êtres vivants et les machines »13 (Wiener,

1948). Né des célèbres conférences de la fondation Macy, ce champ multidisciplinaire a donné lieu à deux courants : la cybernétique de premier ordre et celle de second ordre, décrite plus bas. La cybernétique de premier ordre étudie les phénomènes de régulation propres aux systèmes (Flood, 2010). Cette cybernétique a établi une théorie explicative

13 Traduction personnelle.

Courants Concepts majeurs

CYBERNÉTIQUE DE PREMIER

ORDRE

Homéostasie (Wiener, 1948)

Feedback négatif (Maruyama, 1963) Feedback positif THÉORIE GÉNÉRALE DES SYSTÈMES Équifinalité (Bertalanffy, 1973/1968) Ouverture Complexité CYBERNÉTIQUE DE SECOND ORDRE Équifinalité (Bertalanffy, 1973/1968)

Auto-organisation (Von Foerster, 1962 ; Prigogine & Stengers, 1984) Autopoïèse (Maturana & Varela, 1980)

des comportements finalisés ; le contrôle d’une action orientée vers un but dépend de l’existence de boucles de feedback négatives donnant l’information nécessaire pour en évaluer les effets, puis en corriger la trajectoire en conséquence (Wiener, 1948). Ce principe a depuis été généralisé à différents domaines tels que la politique, les relations humaines, ou encore les organisations. Pour l’illustrer, on peut prendre l’exemple d’une entreprise qui, en cas de récession, choisit de réduire ses dépenses en marketing pour rééquilibrer ses entrées et sorties de fonds. Comme cet exemple le montre, la communication est centrale dans ce phénomène puisque si l’entreprise se régule, c’est en fonction d’un message sur l’écart pouvant exister entre son état actuel et un état souhaité (Jackson, 2000). En d’autres termes, la régulation d’une entité dépend avant tout d’une lecture particulière de son état à un moment donné, en termes de divergence (Bateson, 1972; Stowell & Welch, 2012).

En outre, ce principe conduit au dépassement d’une approche linéaire de la causalité pour adopter un modèle circulaire de la causalité, tel qu’on l’a précédemment décrit. Il renvoie aussi à la notion d’homéostasie, insistant sur la capacité des systèmes à s’adapter aux perturbations internes et externes pour maintenir un état relativement stable, une certaine continuité, dans un environnement fluctuant (Flood & Jackson, 1991). Dans le cas d’une entreprise, cela implique qu’elle questionne ses automatismes et réagisse de manière à limiter l’impact des perturbations rencontrées, autrement dit à s’autoréguler. On peut par exemple penser à certaines évolutions de l’activité (exemple : innovations technologiques…) nécessitant que l’entreprise adapte ses propres règles en conséquence pour limiter leur contrecoup.

Figure 2. Feedbacks négatifs et positifs (inspiré de Stowell & Welch, 2012, p. 11).

C’est à Maruyama (1963) que l’on doit la distinction entre feedbacks positifs et négatifs, illustrée par la figure 2. Nous l’avons vu, les feedback négatifs régulateurs favorisent le maintien d’une certaine stabilité ou continuité. Cette homéostasie permet à toute entité de se protéger, en dépit des perturbations environnementales. En revanche, les feedbacks positifs conduisent à la perte de la stabilité autrement dit, à l’accentuation d’un phénomène. Un exemple de régulation par feedback positif est celui du fonctionnement économique actuel, régi par le principe de la croissance (Duterme, 2008) ; la production génère des bénéfices qui sont, à leur tour, réinvestis dans la production pour l’augmenter et en accroître ainsi les fruits. Ce principe fut remis en cause par le club de Rome avec l’idée de « croissance zéro », avançant qu’à l’inverse les activités économiques devraient être maintenues à un niveau constant, sur le modèle de la rétroaction négative (Meadows, 1972).

La Théorie Générale des Systèmes (TGS)

Une autre discipline qui a beaucoup contribué à l’émergence de l’approche systémique est la biologie. Dans les années 1950, le biologiste Bertalanffy développa la Théorie

Générale des Systèmes (1973/1968). S’il a insisté sur le concept d’homéostasie, il a

aussi contribué à formaliser les notions de système14 ouvert et d’équifinalité. Dans cette métathéorie, les systèmes – qu’ils soient biologiques, sociaux ou économiques – sont considérés comme nécessairement ouverts et marqués par la complexité (Barton & Haslett, 2007). Pour Flood et Jackson (1991), la complexité d’un système tient à plusieurs caractéristiques soulignant le caractère imprévisible de son comportement (cf. tableau 3).

Tableau 3. Caractéristiques des systèmes simples et complexes (inspiré de Flood & Jackson, 1991, p. 33-34).

Un système est considéré comme ouvert lorsqu’il entretient des relations permanentes avec son environnement. Il échange alors des flux de matière, d’énergie, d’information avec l’extérieur, comme dans le cas d’une famille par exemple. Cette notion a mené Bertalanffy à développer le principe d’équifinalité, crucial dans le domaine de l’activité humaine. Il énonce qu’un « même état final peut être atteint à partir d'états initiaux différents, par des itinéraires différents » (Bertalanffy, 1973, p. 38). C’est donc dans l’ici

et maintenant que le système doit être appréhendé car les phénomènes qui se déroulent

en son sein ne sont pas déterminés par ses conditions initiales, mais plutôt par ses paramètres actuels.

La seconde cybernétique

Dès les années 1970, est apparue une cybernétique de second ordre, s’intéressant à l’observateur des systèmes et insistant sur l’inévitable implication de ce dernier dans ce qu’il décrit (Von Foerster, 2000). Cette cybernétique a été initiée par Von Foerster, considérant que « toute description de l’univers nécessite la présence de quelqu’un pour le décrire (d’un observateur). Dès lors il nous faut à présent une description de celui qui décrit, autrement dit, il nous faut une théorie de l’observateur » (1980, p. 52). En remettant en cause l’idée d’une « vraie réalité » existant en dehors (out there), la

14 Bertalanffy définit un système comme « un ensemble d’éléments en interaction tels qu’une

modification quelconque de l’un d’eux entraîne une modification de tous les autres. » (1973, p. 17).

Systèmes simples Systèmes complexes

· Peu d’interactions entre leurs éléments. · Beaucoup d’interactions entre leurs éléments. · Des lois bien définies gouvernent leur

comportement (prévisible). · Leur comportement est imprévisible.

· Leurs sous-systèmes n’ont pas de buts

propres.

· Leurs sous-systèmes génèrent leurs

propres buts, potentiellement contradictoires.

· Fermés en grande partie à

l’environnement.

· En interaction permanente avec son

cybernétique de second ordre a ainsi opéré un réel tournant, une rupture épistémologique, qui a contribué à l’émergence du constructivisme, central dans la démarche douce mobilisée dans cette thèse (Umpleby, 2010). Mais on retiendra surtout l’apport des théories sur l’auto-organisation (von Foerster, 1962, cité par Heylighen & Joslyn, 2001) qui ont ouvert le champ à une série de travaux novateurs. L’auto- organisation renvoie à des processus au sein desquels, « se créent spontanément des formes d’organisation issues d’un ensemble d’unités en interaction » (Moreno, 2004, p. 136). Cette notion est apparue avec les travaux de Von Neumann, qui démontrèrent la capacité des éléments vivants à se développer, à se reproduire et à se régénérer en permanence (Morin & Le Moigne, 1999). En parallèle, le chimiste Prigogine établissait la théorie des structures dissipatives, montrant que l’apparition d’une perturbation dans un système complexe (e.g. une dissipation de chaleur) – génératrice de désordre et d’instabilité – lui permet ensuite de se réorganiser par l’émergence d’un ordre nouveau. Von Foerster (1962, cité par Heylighen & Joslyn, 2001) affina la notion en élaborant le principe de « l’ordre sort du bruit » (order from noise) selon lequel un système est capable de créer de l’ordre à partir du désordre. Ce principe met en avant l’aptitude de toute entité à récupérer ce qui relève de l’erreur ou du bruit pour se réorganiser, autrement-dit à s’adapter aux perturbations environnementales. Il n’existe donc pas de conception unique de l’auto-organisation, mais plutôt un ensemble de travaux convergents, soulignant deux postulats généraux sur le changement :

- D’abord, ce dernier ne peut être ni programmé ni planifié. Changer un système implique d’introduire des perturbations dans celui-ci, pour qu’il se réorganise de manière indépendante (Umpleby, 2010).

- Ensuite, le changement est un processus continu, nécessaire à la survie des systèmes ouverts (Stowell & Welch, 2012).

Si l’on poursuit sur cette idée d’autonomie des systèmes, vient alors l’autopoïèse, un autre concept incontournable au sein de ce courant. Elle est définie comme « la propriété d’un système à se produire lui-même » (Tordeurs, Zdanowicz, & Reynaert, 2007, p. 42). Introduite par les biologistes Varela et Maturana (1980), cette notion se réfère initialement à la cellule biologique et à ses capacités d’autoconstitution et de régénération. Un système est autopoïétique lorsqu’il s’organise de manière à ce que ses composants participent aux processus qui assurent leur propre continuité (Tordeurs et al., 2007).