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CHAPITRE 3 : L’INTERVENTION SYSTEMIQUE APPLIQUEE AU BIEN-ETRE AU TRAVAIL – MODELE ET

3.2 P HASE 1 : DÉLIMITER L ’ INTERVENTION ET ANTICIPER LE CHANGEMENT

3.2.1 Préambule théorique

Toute intervention en entreprise commence généralement par un « travail de la demande » où sa faisabilité est étudiée (Molinier & Flottes, 2012). Dans la tradition psychosociologique, ce travail repose souvent sur la distinction entre commande et demande. La commande est explicite et énoncée par les décideurs de l’entreprise alors que la demande, plus implicite, exprime les besoins réels des salariés. Certains auteurs distinguent aussi une demande explicite d’une seconde, cachée (Amoureux, 2002; Herreros, 2009). Il incombe alors à l’intervenant de l’étudier et d’en dégager les différents termes. Dans le cadre de la thèse qui nous occupe ici, la demande initiale est peu retravaillée en amont de l’intervention, au sens classique du terme ; nous n’avons pas cherché à en dévoiler les visées implicites ni à en connaître un sens latent. En effet, procéder ainsi nécessite un temps considérable d’étude de la demande, dès lors focalisé sur l’explication du problème à résoudre et ses origines. À l’inverse, la logique systémique tient compte de la nécessité de conduire les interventions dans un temps limité. Elle nous amène ainsi à nous centrer directement sur les objectifs de l’organisation cliente. Par conséquent, cette approche recommande de ne pas reformuler davantage la demande. En revanche, si celle-ci constitue un point de départ avec toutes ses imperfections, la méthode prévoit que l’intervenant puisse l’infléchir ou la compléter en cours d’intervention.

Une autre distinction est habituellement établie entre les commanditaires de l’intervention – alors vus comme des prescripteurs – et les partenaires avec qui le consultant collabore. Nous conservons cette distinction. Les premiers sont ceux avec qui l’on a signé un contrat ; ils commandent une prestation, une intervention sur le bien- être au travail. Les seconds, c'est-à-dire les partenaires, sont ceux avec qui l’on négocie les modalités et les finalités de cette intervention. Il est d’usage dans la littérature systémique de les désigner sous le terme de « groupe-client ». La première étape de l’intervention consiste à former ce groupe. Les conditions nécessaires à l’initiation de cette phase et les résultats qui en sont attendus sont résumés ci-dessous.

Conditions initiales :

- Rencontre préalable du ou des commanditaire(s). - Contexte favorable à l’utilisation du modèle d’action.

Résultats attendus :

- Description concrète de la situation problématique. - Objectifs négociés, précis et opérationnels.

L’exposé de cette première phase nous amène à rappeler et à clarifier trois dimensions essentielles de notre modèle : le processus de clientélisation, la posture de l’intervenant et la participation des salariés.

Le processus de clientélisation

Dans ce modèle, l’intervenant amène l’entreprise (commanditaires, salariés…) à se mettre à la place d’un « client ». Ce terme, tel qu’il est utilisé ici, n’assimile en aucun cas l’entreprise à un acheteur. Être « client », au sens où nous l’entendons, requiert d’établir un lien de réciprocité. Ce lien suppose, dans le cas d’une entreprise, la reconnaissance de la nécessité de l’intervention et l’adoption d’une position claire dans ses attentes. Un tel positionnement contribue ainsi à l’implantation ultérieure des changements. Ce processus dit de « clientélisation » sera accentué par la négociation d’un contrat, au terme de la première phase du modèle.

La posture de l’intervenant, expert du processus et non du contenu

L’intervenant souhaitant mobiliser ce modèle adopte alors une posture non-normative (cf. 2.2.2.2). Rappelons-le, cette posture particulière admet que l’expertise des salariés porte sur le contenu des problématiques abordées, alors que celle de l’intervenant concerne les processus menant à leur résolution (Benoit & Perez-Benoit, 2006; Duterme, 2002; Königswieser & Hillebrand, 2005). En ce sens, nous considérons que la définition des objectifs de la démarche relève en grande partie de la responsabilité des clients. Cela revient à agir dans le respect des points de vue qu’ils expriment, en renonçant à commenter le contenu même de leurs attentes par rapport à la démarche. Cette posture n’implique pas pour autant de renoncer à accompagner les membres du groupe. En effet, le dispositif d’intervention doit, quant à lui, relever de l’intervenant. Il accompagne notamment ses interlocuteurs dans la définition des objectifs de la démarche, afin qu’ils soient formulés de manière adéquate.

Si l’intervenant a été sollicité, c’est pour résoudre le problème en s’écartant d’une méthode, d’un schéma précédent qui a échoué. Ne pas maintenir une certaine fermeté dans la mise en œuvre de ce processus d’intervention, c’est prendre le risque de reproduire le mode de fonctionnement problématique de l’entreprise. Cette maîtrise nécessite que le consultant développe lui aussi une attitude réflexive à l’égard du processus de résolution du problème, c’est à dire qu’il interroge constamment les modalités concrètes de l’intervention (Pichault, 2006). Cette posture particulière de l’intervenant est résumée dans la figure 8 ci-dessous.

Figure 8. Les différentes dimensions de la posture d’intervention systémique.

Dans le cadre des cinq terrains investigués lors de la thèse, cette attitude réflexive a été collective, impliquant le directeur de thèse et deux chercheurs du laboratoire d’accueil – dont l’un d’entre eux était l’encadrant en interne des travaux (cf. 4.2.2.3). Un consultant travaillant dans un cabinet ou intégré à un collectif de professionnels de l’intervention aura également tout intérêt à échanger avec ses pairs pour l’aider à une prise de recul.

La participation des salariés

Participer signifie prendre part à une action collective, à un processus de prise de décisions (Lescarbeau, 2010). Dans la sphère socio-politique, cette participation peut prendre des formes variées, allant de la simple consultation à l’ « empowerment » (King, Feltey, & O’Neill, 1998).

Dans l’approche systémique, la participation repose sur le principe selon lequel les changements souhaités et leur mise en œuvre sont à l’initiative des salariés et de l’encadrement. Comprenons donc que notre modèle se situe dans une perspective de changement « concerté » (French & Bell, 1999; Livian, 2006), et qu’il n’est pas destiné à organiser une consultation des salariés.

On peut imaginer que la consultation est au début d’un continuum de participation, car même si les salariés sont sollicités pour réaliser des suggestions ou donner un avis, la décision finale est prise par la direction seule. Elle constitue ainsi une forme assez passive d’implication des salariés. Le risque, si les éléments recueillis auprès des participants ne sont pas pris en considération, c’est évidemment de générer de la frustration et d’altérer leur motivation face à de futurs projets de changement (Graveling et al., 2008). Si l’on progresse sur ce continuum, se trouve la concertation où les changements souhaités et leur mise en place sont à l’initiative des salariés et de l’encadrement.

Pour gagner en précision par rapport à la distinction consultation vs. concertation, nous nous référons aux niveaux de participation définis par Lescarbeau (2010). Ce dernier définit huit degrés possibles d’implication des salariés dans la prise de décisions relatives à l’entreprise (cf. tableau 6). Liés à la culture du milieu, ces niveaux vont du stade où la décision est prise seule par la direction au point où les buts à atteindre sont fixés de manière autonome par les salariés. L’intervention systémique est vraisemblablement compatible avec les degrés 6 à 8 du tableau.

POSTURE Contenu Non-normativité Facilitation Processus Maîtrise Réflexivité Légitimation

Niveaux Participation effective à la prise de décisions

1 La direction décide seule sans informer les acteurs concernés au préalable. Ils sont informés lorsqu’ils sont placés devant les faits accomplis.

2 La direction décide seule mais informe les personnes concernées avant d’appliquer la décision.

3 La direction consulte les acteurs concernés mais prend seule la décision.

4

La direction consulte, demande aux acteurs d’indiquer des pistes d’action en considérant certaines contraintes et prend seule la décision en respectant les pistes suggérées.

5 La direction associe directement les acteurs au choix des priorités d’action.

6

La direction associe les acteurs :

· au choix des priorités d’action et des moyens à mettre en place pour

atteindre les objectifs visés ;

· à l’implantation de ces moyens ;

· à l’évaluation de l’efficacité des actions retenues.

7

La direction fournit de l’information sur les résultats significatifs à atteindre et ceux qui ont été obtenus et laisse aux acteurs le choix des priorités d’actions nécessaires pour atteindre les objectifs ou corriger la situation.

8

Les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en place sont déterminés par les acteurs eux-mêmes ; c’est notamment ce qui se passe dans plusieurs groupes communautaires, de loisirs ou autres.

Tableau 6. Les différents niveaux de participation dans la prise de décisions, issus de Lescarbeau, 2010, p. 30.

3.2.2 Déroulement méthodologique