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Chapitre III : Synthe se organique

2 Synthèse totale de l’émodine

2.3 Stratégie 2 : Cyclisation de dérivés de l’acide 2-benzylbenzoïque

2.3.1 Synthèse du benzamide

Il s’agit dans un premier temps de synthétiser le benzamide de l’acide 2-méthoxy-4-méthyl benzoïque (233). Le groupement benzamide ainsi obtenu constitue le groupement ortho directeur de la réaction de métallation par les alkyllithiens. Ceci permet de déprotoner sélectivement le cycle aromatique sur la position en ortho de la fonction amide291.

Le benzamide de départ (233) est obtenu en 4 étapes de synthèse à partir de l’acide 2-hydroxy-4-methylbenzoïque commercial (256) (Schéma 11).

Dans un premier temps, une étape de protection de la fonction hydroxyle en position 2 est réalisée par méthylation de l’acide 2-hydroxy-4-méthylbenzoïque (256) par ajout séquentiel d’iodométhane en large excès (9 éq au total). La fonction acide étant plus réactive que la position hydroxyle, cette réaction entraîne rapidement la formation de l’ester méthylé. La méthylation de la fonction hydroxyle est beaucoup plus lente, nécessitant un temps de réaction prolongé.

Afin de régénérer la fonction acide, il est nécessaire de réaliser une étape de saponification qui est effectuée avec de la lithine dans un mélange DME/H2O.

L’acide (258) est ensuite activé en chlorure d’acide (259) à l’aide du chlorure d’oxalyleavant de le faire réagir avec la diéthylamine dans le dichlorométhane afin d’obtenir le N,N-diéthylbenzamide (233).

Schéma 11 : Synthèse du N,N-diéthyl-2-méthoxy-4-méthylbenzamide.

L’ensemble de ces réactions est réalisé avec de très bons rendements et ne nécessite qu’une seule étape de purification suite à la réaction de protection, afin d’éliminer les traces d’ester non méthylé résiduelles.

2.3.2 Synthèse de la lactone

La réaction d’ortholithiation est généralement réalisée en utilisant du sec-BuLi en présence de TMEDA.

Les alkyllithiens sont présents en solution sous la forme d’agrégats polymériques301. L’utilisation de ligands permet de rompre ces agrégats, augmentant ainsi la réactivité des alkyllithiens. Le TMEDA, par sa structure de ligand bidentate, est un ligand de choix pour les réactions d’ortholithation291. Le recours au sec-BuLi est le plus fréquent pour ce type de réactions291,293,302,303, cependant l’utilisation de tert-BuLi a également été décrite par Gonnot et al. pour réaliser cette étape.

Le reste des protocoles employés sont similaires : le benzamide est ajouté avec précaution sur une solution de lithien dans le THF anhydre à -78°C sous atmosphère d’argon. Après quelques minutes, l’aldéhyde est ajouté avec précaution et le milieu réactionnel est progressivement laissé remonter à température ambiante (Schéma 12).

La lactone (232) est ainsi obtenue en deux étapes. Tout d’abord le lithien en position 6 du benzamide est généré avec du sec-BuLi dans le THF en présence de TMEDA, entrainant la coloration rouge-orangée du milieu réactionnel. Puis le carbanion formé attaque le carbonyle du benzaldéhyde (234), entrainant une décoloration du milieu réactionnel et permettant d’obtenir l’intermédiaire (A). Celui-ci n’est pas purifié et subit une étape d’estérification intramoléculaire dans le toluène à reflux en présence d’APTS, permettant ainsi d’obtenir la lactone (232).

Schéma 12 : Synthèse de la lactone.

Des essais ont été réalisés en remplaçant le sec-BuLi par le tert-BuLi employé par Gonnot et al. Cependant, la très forte réactivité de ce dérivé lithien a entraîné la formation de produits de dégradation supplémentaires faisant chuter les rendements par rapport à ceux obtenus avec le

sec-BuLi. Ce dernier présente en outre, moins de contraintes de manipulation et de risques liés à son

utilisation.

Des dérivés pipéridine (260) et diisopropyle (261) du benzamide ont été synthétisés pour étudier l’influence de l’encombrement stérique sur l’étape d’ortholithiation, ceci dans le but d’essayer d’augmenter le rendement de la synthèse de la lactone (232). Les conditions employées sont les mêmes que pour la synthèse du N,N-diéthylbenzamide (233) engagé précédemment dans la réaction d’ortholithiation. Les dérivés N-pipéridyl (260) et N,N-diisopropylbenzamide (261) ont été obtenus avec des rendements de 98 et 94 % respectivement.

Figure 122 : Dérivés N-pipéridyl- et N,N-diisopropyl-2-méthoxy-4-méthylbenzamide.

L’étape d’ortholithiation réalisée avec les dérivés N-pipéridyl (260) et N,N-diisopropylbenzamide (260) a permis d’obtenir la lactone (232) avec respectivement des rendements de 45 et 32 %.

Le recours à des dérivés benzamides encombrés ne permet donc pas de favoriser de façon notable les rendements de la réaction par rapport à l’utilisation du dérivé N,N-diéthyl (233).

2.3.3 Réduction de la lactone en acide 2-benzylbenzoïque

Pour cette réaction, deux conditions réactionnelles de réduction sont principalement décrites dans la littérature en faisant appel soit à une réduction par le zinc métallique, soit à une étape d’hydrogénation catalytique.

2.3.3.1 Réduction par le zinc métallique

La première consiste à réduire la lactone (232) par le zinc métallique dans une solution aqueuse d’hydroxyde de sodium à 10 % à reflux292,302,304(Schéma 13).

Schéma 13 : Tentative de réduction de la lactone au zinc.

Cette première stratégie de réduction a été tentée sans succès. Les réductions au zinc métallique sont assez délicates du fait du recouvrement rapide de ce métal par une couche inerte d’oxyde. Pour éliminer cette couche d’oxyde, un traitement à l’HCl concentré suivi d’étapes de lavage peut être effectué afin d’activer la surface de la poudre de zinc. Ce traitement ne s’est cependant pas montré efficace pour réduire la lactone (232). Aucun signe de conversion du produit de départ après 24 h de chauffage à reflux n’a pu être observé.

Une autre façon d’activer le zinc métallique est de l’amalgamer au cuivre.

Cette forme de zinc activée a été utilisée par Watanabe et al. pour effectuer la réduction de la lactone dans la synthèse de l’émodine293.

Ce couple cuivre-zinc, qui est parfois considéré comme un alliage, est disponible à l’achat. Cependant, il est conseillé de le préparer extemporanément pour éviter une perte de réactivité due à son oxydation. Plusieurs méthodes pour obtenir ce couple zinc-cuivre sont décrites305.

2.3.3.2 Réduction par hydrogénation catalytique

Une méthode de réduction alternative au palladium par hydrogénation catalytique est également décrite par De Silva et al.307 puis reprise dans des publications ultérieures sur différents substrats303,308,309. Elle consiste à dissoudre la lactone (262) dans l’acide acétique avec 10 % m/m de Pd/C et de la faire réagir pendant 6 heures à 80°C en présence de dihydrogène à pression atmosphérique (Schéma 14). Cette méthode permet d’obtenir l’acide attendu (263) avec de très bons rendements.

Schéma 14 : Hydrogénation catalytique de la lactone 262307.

Un premier essai dans ces conditions ne s’est pas montré fructueux avec une absence totale de conversion de la lactone (232) en acide (231) (Entrée 1). D’autres conditions réactionnelles ont été testées afin de déterminer celle qui pouvait s’avérer la plus efficace (Tableau 17).

Tableau 17 : Étude des conditions de réduction de la lactone

Entrée Solvant Catalyseur H2 Température Durée Conversion

1 AcOH Pd/C 10 % m/m 14 atm 90°C 6h 0 %

2 AcOEt Pd(OH)2 20 % m/m 1 atm ta 20 h 0 %

3 AcOEt Pd(OH)2 20 % m/m 5 atm ta 22h 0 %

4 AcOH Pd/C 10 % m/m 1 atm Reflux (118°C) 22h incomplète

5 MeOH Pd(OH)2 20 % m/m 5 atm ta 6h 98 %

Le remplacement du palladium sur charbon par le catalyseur de Pearlman dans l’acétate d’éthyle sous une atmosphère d’hydrogène sur 20 h n’a pas non plus montré le moindre signe de conversion (Entrée 2). Ces mêmes conditions mais sous une pression de 5 atm n’ont pas donné de résultats plus satisfaisants (Entrée 3). Les conditions initialement décrites mais en utilisant du dihydrogène à pression atmosphérique et en chauffant la réaction à une température plus élevée et sur une durée plus importante a permis d’observer un début de conversion (Entrée 4).

Enfin, la réaction de réduction de la lactone (232) s’est montrée quasiment quantitative en présence du catalyseur de Pearlman, dans le méthanol sous 5 atmosphères d’H2 en 6 h. Un tel rendement nécessite néanmoins une charge en catalyseur importante (20 % m/m) (Entrée 5) (Schéma 15).

La lactone de départ (232) n’est pas soluble dans le méthanol contrairement à l’acide formé (231). C’est pourquoi il est nécessaire de ne pas réaliser la réaction en solution trop concentrée (≤ 0,05 M) au risque de voir baisser le rendement.

2.3.4 Synthèse de la triméthoxyémodine (249)

La cyclisation intramoléculaire de l’acide o-benzylbenzoïque obtenu (231) est réalisée par une acylation douce de Friedel et Crafts à l’aide d’anhydride trifluoroacétique. A l’issue de cette réaction, un mélange de produits caractérisés en RMN 1H du brut comme étant l’anthrone attendue (264) ainsi que son adduit trifluoroacétique (265) déjà caractérisé par Falk303 sont obtenus (Schéma 16).

Schéma 16 : Acylation de Friedel et Crafts de l'acide benzylbenzoïque.

Le dérivé trifluoroacétique peut être obtenu majoritairement lorsque l’anhydride est utilisé en excès, néanmoins, il est toujours présent comme coproduit de réaction même lorsqu’un seul équivalent d’anhydride est employé. Ce dernier peut être aisément clivé en milieu acide 303.

La formation de cet adduit peut s’expliquer selon le mécanisme réactionnel suivant (Figure 123) :

Différentes conditions d’oxydation de l’anthrone ont été décrites : Oxydation à l’air libre en solution dans le DMSO en présence d’une base (tBuOK)309, au CrO3 dans l’acide acétique292,307 ou en solution à l’aide de CuBr2 sous atmosphère d’O2310.

Lors de la purification de la réaction, la forme anthraquinone (249) a été formée par oxydation de l’anthrone (264) au contact de la silice.

Une méthode d’oxydation alternative et simple a donc été développée à partir de cette observation. Celle-ci consiste à adsorber le résidu obtenu suite à la réaction d’acylation précédente [et contenant donc un mélange des 2 formes : anthrones (264) et dérivé trifluoroacétique (265)] sur la silice et le laisser sous agitation sous une atmosphère d’O2 pendant 24h. L’acidité de la silice permet en outre de cliver l’adduit trifluoroacétique formé lors de l’étape de cyclisation.

Il suffit ensuite de rincer le milieu réactionnel solide sur une faible épaisseur de silice, à l’aide d’un mélange DCM/MeOH 90:10 v/v. La réaction conduit en effet au seul dérivé triméthoxyémodine et ce dernier a tendance à se dégrader au contact prolongé de la silice humide (249).

La triméthoxyémodine est donc ainsi obtenue avec un rendement de 75 % sur les 2 étapes d’acylation et d’oxydation (Schéma 17).

2.3.5 Déprotection de l’émodine

Les différentes positions méthylées de la triméthoxyémodine présentent des réactivités distinctes qui ont été mises à profit dans des réactions de déprotection sélectives.

Ainsi, la déprotection de la triméthoxyendocrocine (266), un dérivé carboxylique de l’émodine (13) par BBr3 dans le dichlorométhane à basse température (-5°C à 5 °C en 30 min) conduit à la formation du dérivé monodéprotégé (267). En présence d’un large excès de BBr3 dans le dichlorométhane à reflux pendant 10 h, on observe une déprotection de l’ensemble des groupements méthoxy conduisant ainsi à l’endocrocine (269). Enfin, dans un mélange HBr/AcOH à reflux pendant 30 min, on observe la déprotection des deux méthoxy adjacents au carbonyle (268)311 (Schéma 18).

Schéma 18 : Déprotection sélective de la triméthoxyendocrocine (266)311.

Les tentatives de déprotection de la triméthoxyémodine (249) par un large excès de BBr3 dans le DCM à reflux pendant 24 h se sont montrées inefficaces, conduisant à un mélange de produits partiellement déprotégés.

Une alternative consiste à chauffer l’anthraquinone méthoxylée à reflux dans l’acide acétique en présence d’acide bromhydrique concentré302 (Schéma 19).

Cette étape de déprotection a permis d’obtenir l’émodine (13) à partir de la triméthoxyémodine (249) avec un rendement de 88 %.

Des essais de déprotection faisant toujours intervenir l’acide bromhydrique mais par chauffage au micro-onde à 150°C pendant 1 h pour essayer de réduire le temps de réaction ont permis d’obtenir le produit de déprotection souhaité (13) mais avec des rendements plus faibles de l’ordre de 50 à 60 %, en mélange avec le produit monométhylé (29) présent sous forme minoritaire.

Des conditions de réactions plus douces (chauffage à 100°C sous irradiations µW pendant 30 min) ont alors été mises en œuvre de manière à obtenir exclusivement le dérivé 3-O-méthylé (29) afin de pouvoir tester son activité antiparasitaire (Schéma 20).

Schéma 20 : Synthèse du physcion (29).

L’utilisation de l’acide iodhydrique à la place de l’acide bromhydrique conduit à l’obtention de l’anthrone déprotégée (139) (Schéma 21). Le potentiel standard du couple I2/I-, E° (I2/I-) = 0,5 V312 est suffisamment faible pour réduire l’anthraquinone (13) en anthrone (139). Le potentiel standard du couple Br2/Br-, E° (Br2/Br-) = 1,1 V312 étant trop élevé, il n’est pas capable d’effectuer cette réduction. Cette propriété a été décrite par Falk et al. pour réaliser la déprotection de la triméthoxyémodine anthrone (264) en évitant l’oxydation en anthraquinone (13)303.

Schéma 21 : Synthèse de l'émodine anthrone (139).

2.3.6 Conclusion

Cette stratégie de synthèse a permis d’accéder au noyau émodine (13). Huit étapes successives à partir de l’acide 2-hydroxy-4-méthylbenzoïque (256) ont été nécessaires afin d’obtenir l’anthraquinone souhaitée (13) avec un rendement global allant de 15 à 30 %. Ce rendement est inconstant, essentiellement du fait de la variabilité de l’étape d’ortholithiation conduisant à la formation de la lactone. La plupart des étapes de synthèse, bien que décrites dans la littérature pour des structures analogues, ont nécessité une optimisation des conditions réactionnelles, rendant l’accès à cette molécule plus complexe que ce qui avait été envisagé initialement.

L’émodine (13) ainsi disponible à hauteur de plusieurs centaines de milligrammes, les conditions d’obtention des dérivés alkylés d’intérêt ont pu être étudiées et font l’objet du point suivant.