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Un allié protecteur, les Etats-Unis d’Amérique

Le déménagement est terminé. Les Américains sont aujourd’hui confortablement installés dans la gigantesque base militaire d’Al Oudeïd sur la péninsule du Qatar.

Tout débute avec l’arrivée du roi Abdallah à la tête du pouvoir en Arabie Saoudite, au milieu des années 1990, suite à la maladie qui a frappée son frère Fahad182. L’Arabie Saoudite supporte de moins en moins la présence militaire américaine sur son territoire, sol des deux lieux saints pour tous les musulmans du monde. Le souverain saoudien doit composer avec son opposition et rehausser le prestige du pays au sein du monde arabe. En effet, la présence américaine

182 Le roi Fahad, ancien roi de l’Arabie Saoudite (1920-2005), est le 5ème roi de l’Arabie. Il est resté

officiellement sur la tête du pouvoir 23 ans (1982-2005). Il est tombé gravement malade durant l’année 1995, et depuis, c’est son frère Abdallah, l’actuel roi de l’Arabie qui règne effectivement le pays.

155 entretient une contestation vivace, de nature essentiellement religieuse183. C’est d’ailleurs l’un des thèmes préférés d’Oussama Ben Laden pour fustiger le régime des Al Saoud en Arabie Saoudite184. D’un autre côté, l’Arabie Saoudite n’est plus en odeur de sainteté aux Etats-Unis, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001185. Les militaires américains sont donc priés de quitter le pays et sa base du Prince Sultan, près de Riyad, qui abritait depuis 1991 et jusqu’en 2002, leurs activités militaires dans la région. En effet, la base du Prince Sultan était le point de départ de plusieurs missions, comme la surveillance du sud de l’Irak ou encore le bombardement de l’Afghanistan186.

Il est également avéré que de nombreuses opérations aériennes de la dernière guerre d’Irak en 2003 ont été coordonnées à partir du territoire Saoudien187. Pourtant, l’Arabie Saoudite était officiellement contre cette guerre, tout comme elle était officiellement contre le bombardement de l’Afghanistan à partir de son territoire. L’embarras du souverain saoudien est alors. Quelques semaines après la fin de la dernière guerre d’Irak, le 9 avril 2003, Donald RUMSFELD, alors secrétaire d’Etat à la Défense, annonçait le retrait des troupes américaines du sol saoudien.

Le Qatar n’en demandait pas tant. Le petit émirat aurait ainsi dépensé près d’un milliard de dollars pour aménager la base d’Al Oudeïd, afin d’inciter les forces américaines à s’installer dans le pays188. Avec sa piste d’atterrissage longue de 4500 mètres, la plus grande de la région, la base d’Al Oudeïd fait du Qatar l’un des plus gros porte-avions des forces américaines.

183 Les deux lieux saints pour les musulmans sont en Arabie Saoudite, à la Mecque et à la Médine. Cela

pose un grand problématique pour les dirigeants saoudiens quand il s’agit d’accueillir des troupes militaires américaines.

184 Les attentats menés par Al Quaïda qui ont frappé l’Arabie Saoudite dans les années 90, ont été justifiés

par Al Quaïda par la présence des troupes militaires étrangères (non musulmans) sur le territoire saint de l’Arabie.

185 Une grande partie des participants aux attentats du 11 septembre 2001 sont Saoudiens.

186 Milan Raï, Al Harab Ala Al Iraq (La guerre contre l’Irak), 1ère édition, Al Hiwar Al Thaqafi, Beyrouth,

2005, p. 123.

187 Milan Raï, Al Harab Ala Al Iraq (La guerre contre l’Irak), op. cit.

188 Mikaïl B., Le paradoxe diplomatique du Qatar comme moyen d'accès à la consécration, Revue

156 Le rapprochement avec les Etats-Unis est relativement récent. Il commence en 1991 en pleine Première guerre du Golfe. C’est peut-être à ce moment que Sheikh Hamad, alors prince héritier, s’est rendu compte de la toute puissance américaine. Trop proche de l’Arabie Saoudite, Sheikh Khalifa, l’Emir déchu, comptait sur cette dernière en matière de protection. Pourquoi se contenter de la protection du protecteur proche quand on peut s’offrir celle du protecteur lointain ? Devenu Emir, Sheikh Hamad s’empresse de proposer aux Etats-Unis de faire stationner des soldats sur le sol qatari. Ce furent d’ailleurs eux les premiers à reconnaître le nouvel homme fort du pays. Ne dit-on pas que le coup d’Etat fut avalisé par les américains ?

C’est plus que certain étant donné que l’un des supporters du coup d’Etat n’est autre que son fidèle cousin et surtout (ami), Sheikh Hamad Bin Jassem Bin Jabor Al Thani. Ce dernier est Ministre des Affaires étrangères quand les Etats-Unis signent avec le Qatar un accord de coopération en matière de défense en 1992. Celui-ci sera complété en 1996 par un accord de défense.

Le projet est de faire du Qatar le bon élève de l’économie libérale dominante, le défenseur zélé des accords de la paix d’Oslo, bref de s’attirer les bonnes grâces des Etats-Unis, sans bien sûr sacrifier deux des fondements traditionnels189 de la légitimité des classes dirigeantes dans la région : l’islam et le nationalisme.

Dans la stratégie de redéploiement hégémonique du Qatar, l’aspect essentiel tient donc à l’établissement d’une relation privilégiée avec Washington. Le rôle grandissant de l’émirat dans le dispositif militaire régional américain l’atteste. Aujourd’hui, non seulement le Qatar abrite le Centre de commandement américain (Centcom, principal centre de commandement militaire américain au Moyen- Orient) mais il a été choisi par le Pentagone pour se substituer à la base saoudienne de Prince Sultan, dont la fermeture a été annoncée fin avril 2003. L’étroite collaboration militaire entre le Qatar et son protecteur date de 1996, année de

189 L’historien libanais Albert Hourani expliquait ainsi dans son Histoire des peuples arabes (Seuil, Paris,

1993) que « tout gouvernement arabe qui voulait survivre devait traditionnellement défendre sa légitimité en trois langues politiques : le nationalisme, la justice sociale et l’islam ».

157 l’achèvement de la base aérienne d’Al Odeid, qui a vu sa piste agrandie en 2000 pour devenir l’une des plus longues du monde. Al-Odeid a été utilisée dans la guerre contre l’Afghanistan en 2001.

Mais c’est à Al Sayliyah, base plus récente achevée en 2000, que réside le centre opérationnel d’où a été coordonné la guerre contre l’Irak190.

L’Emir ne rate aucune occasion de montrer sa loyauté à Washington – y compris en matière de normalisation avec l’Etat d’Israël. Sheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani a été le premier dirigeant arabe à visiter les Etats-Unis après le 11 septembre 2001 pour présenter ses condoléances au Président Bush. Le Qatar se veut également pionnier dans la réforme de son système éducatif, demande insistante formulée par les Etats-Unis, à l’égard de tous leurs alliés arabes du Golfe depuis le 11 septembre 2001. A grand renfort d’effets d’annonces, Doha a inauguré en octobre 2003 l’Education City (la ville éducative), qui héberge plusieurs filiales d’universités américaines, avec l’ambition de former les nouvelles élites du Golfe. L’émirat a noué des relations diplomatiques avec le Vatican fin 2002, et a ouvert la première église sur son territoire en mars 2008191.

La relation de subordination aux Etats-Unis n’est évidemment pas un signe distinctif dans la région du Golfe ni en général au Moyen-Orient. Toutefois, le Qatar fait preuve d’originalité par la franchise et la transparence avec lesquelles cette relation est assumée, et par l’espace public ouvert par l’Etat pour la contestation de cette relation192. Ce qui contraste précisément avec le grand frère saoudien193.

190 Selon un document publié par le site Wikileaks sur le site de la chaîne satellitaire Al Arabîya :

http://www.alarabiya.net/articles/2010/11/30/127909.html.

191 Le journal Al Sharaq, n° 7641, du 12 mars 2008.

192 L’Etat du Qatar ne cache pas le profond de cette relation. En juin 2009, le Premier Ministre qatari,

Sheikh Hamad Bin Jassem Bin Jabor Al Thani, a abordé cette question en direct sur le la chaîne satellitaire Al Jazeera, dans une émission très célèbre (Sans frontière).

193 Cf l’article d’Alain Gresh Les grand écarts de l’Arabie saoudite où il est écrit : « Preuve de la

connivence entre les deux pays, l’aide silencieuse mais efficace apportée par Riyad aux Etats-Unis durant la guerre contre l’Irak, en dépit des démentis officiels. Dans les semaines qui ont précédé l’intervention militaire, le nombre de soldats américains sur le territoire du royaume est passé à près de 10 000 [ce chiffre

158 Le Ministre qatari des Affaires étrangères, Sheikh Hamad Bin Jassem Bin Jabor Al Thani, ne cesse d’ailleurs de le marteler que « La politique du Qatar est claire. Nous ne voulons rien cacher à notre peuple »194 – pas même la relation privilégiée avec les Etats-Unis, notamment dans le domaine militaire. Le gouvernement du Qatar a assumé publiquement,195 contrairement à l’Arabie Saoudite, son rôle dans les deux dernières guerres en Afghanistan et en Irak. Il reconnaît offrir à l’armée des Etats-Unis le plus grand centre de stockage d’armes dans la région. Il a même invité Al Jazeera à visiter la base d’Al-Sayliyah à la veille de la guerre contre l’Irak196.

Ce rapprochement stratégique avec les Etats-Unis, pour réel qu’il soit, n’est en fait pas le choix du cœur mais bien plus celui de la raison. Le Qatar se vit comme un pays riche, petit et vulnérable. Enserré dans un triangle extrêmement dangereux pour lui : l’Arabie Saoudite, l’Iran et l’Irak, il est à la merci d’un seul missile tiré contre lui qui pourrait porter un coup fatal à l’économie et aux investissements de l’émirat. Les dirigeants du Qatar estiment donc qu’ils ont besoin des Etats-Unis pour leur sécurité immédiate. Le Qatar était demandeur d’une présence militaire américaine bien avant la guerre d’Irak, car cela constitue pour lui une garantie absolue de sécurité, notamment face à ses puissants voisins saoudien et iranien. L’émirat craint les ambitions de son « grand frère saoudien » et les deux pays se sont durement affrontés, déjà militairement en 1992, et plus récemment au sujet des critiques d’Al Jazeera contre la monarchie saoudienne197.

a donc doublé car le volume habituel des militaires américains présents sur le sol saoudien est de l’ordre de 5 000], la base Prince Sultan servant de centre de commandement de toutes les opérations aériennes. (…) « Jamais nous n’aurions pu mener la guerre contre l’Irak comme nous l’avons fait sans l’aide de l’Arabie », résume un diplomate américain ». Cf. Le Monde diplomatique de Juillet 2003. Cette contradiction entre la position officielle du royaume – condamnation de toute agression contre l’Irak – et son action sur le terrain est donc à l’opposé de la stratégie d’alliance assumée adoptée par les autorités du Qatar.

194Intervention du ministre sur Al Jazeera, le 15 novembre 2000.

195 Les déclarations des dirigeants qataris ne cache pas le rôle que joue dans ce domaine. 196 Reportage diffusé sur la chaîne satellitaire Al Jazeera, le 18 mars 2003.

197 Ces critiques ont été à l’origine de la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays pendant 6

159 Ainsi, lorsque les Etats-Unis ont voulu renforcer leurs positions dans le Golfe, tout en diminuant leur présence en Arabie saoudite, il y a eu un effet d’aubaine et l’émirat a accepté l’installation du Centcom. Enfin, l’Emir, convaincu que les Etats-Unis jouissent d’une situation hégémonique dans la région pour longtemps n’a, dans ses circonstances, pas d’autre choix que de travailler avec eux. Le pragmatisme des dirigeants du Qatar est donc à l’origine de cette relation privilégiée entre les deux pays.

Petite péninsule sur le Golfe, le Qatar est idéalement situé pour surveiller l’Irak et surtout l’Iran. De plus, il constitue un point de départ stratégique pour l’aviation américaine, mise à contribution dans la traque terroriste en Afghanistan. Le transfert a débuté fin 2001 dans un pays qui, contrairement à l’Arabie Saoudite, ne posait aucune restriction aux manœuvres américaines. Mais il ne s’agissait encore que de matériel électronique.

Le Qatar abrite aujourd’hui la plus grande base américaine de la région, capable d’accueillir des milliers de chasseurs et de bombardiers. Plus que cela, la péninsule abrite également le centre de commandement américain pour la région du Golfe, le CentCom, faisant du Qatar un allié de taille des Etats-Unis qui, en retour, offrent au petit émirat une protection contre d’éventuelles agressions. D’ailleurs, ni l’Emir, ni le Premier Ministre et ministre des affaires étrangères, ne s’en cachent.

L’allié français

L’alliance avec les Etats-Unis, n’est cependant pas exclusive. Le Qatar demeure lié à la France par des accords de défense conclus eux aussi dans les années 1990. Le premier, signé en août 1994, est relatif à la coopération dans le domaine de la défense198. Le second, signé en octobre 1998, concerne les modalités d’application

198 Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Etat du Qatar relatif

160 de la coopération en matière de défense199. En janvier 2008, le Président Français Nicolas SARKOZY, en tournée au Moyen-Orient, annonçait l’implantation de la prestigieuse école militaire Saint-Cyr au Qatar pour former les futures élites militaires du pays.

Ces accords de défense peuvent servir à prévenir le pire. En attendant, le Qatar, toujours dans le cadre de sa Politique d’ouverture, s’est lancé dans une stratégie de bon voisinage dans la région du Golfe.