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L’organisation actuelle du ministère français des Affaires étrangères rappelle sur plus d’un point la récente mise en œuvre du ministère des Affaires étrangères qatari, au terme de la résolution numéro 30 du 23 juin 2009. Nombreux sont les principaux départements et services qui se retrouvent plus ou moins dans les deux organigrammes.

Au regard de la prévalence du volet économique dans le champ des relations internationales et diplomatiques, on s’intéressera particulièrement à la direction des affaires financières du Quai d’Orsay. Ce service compte en son sein d’éminents techniciens et experts des questions économiques, financières et commerciales.

137 La majorité d’entre eux vient du ministère de l’économie et des finances. De toutes les façons, les deux départements ministériels travaillent de concert en la matière. Dès lors que les questions économiques et financières relèvent strictement de l’international, les services techniques compétents du ministère des Affaires étrangères sont associés. Mieux encore, lorsque ces questions sont éminemment politiques, le Quai d’Orsay a la préséance. C’est le cas particulier des relations économiques et financières que la France entretient avec les pays dits en voie de développement, relations d’ailleurs placées sous la responsabilité politique directe du ministre auprès du ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération.

En revanche dans le cadre de l’Union Européenne, compte tenu du niveau d’intégration atteint et de la philosophie qui la sous-tend, les ministères techniques (Economie et Commerce par exemple) interviennent plus librement172. D’ailleurs, les Etats membres de l’Union Européenne sont collectivement représentés aux négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) par le Commissaire européen chargé du commerce.

Pour le reste, le ministère français des Affaires étrangères encourage la mobilité173 de ses agents dans les autres institutions, vers les administrations françaises comme de plus en plus vers les administrations européennes. De même associe-t-on au maximum les agents des autres ministères au fonctionnement du Quai d’Orsay, comme d’ailleurs ceux du ministère des Affaires étrangères sont détachés auprès d’autres administrations. Il s’agit en fait d’un principe de fonctionnement de l’administration publique française. Cette circulation des agents favorise un certain décloisonnement des services et des institutions impliqués dans la conduite de l’action internationale.

172 Colloque au sein de la Commission Européenne à Bruxelles, organisé pour les étudiant du Master

« Carrières internationales » de l’université d’Auvergne, le 15 décembre 2005.

173 Entretien effectué avec M. Nicolas de La Grandville, Chef adjoint du Protocole, Ministère des Affaires

138 En conséquence, le personnel des missions diplomatiques quoi qu’essentiellement composé des diplomates du ministère des Affaires étrangères, est assez avisé de la transversalité des problèmes.

Certes, d’un point de vue du droit diplomatique, l’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire, est le chef de l’ensemble des services implantés sur le territoire d’accréditation au nom ou pour le compte de la République Française. Mais l’on sait parfaitement qu’un certain nombre d’organismes fonctionnent indépendamment de la chancellerie. C’est le cas de la Mission économique, qui est un espace de force pré positionnée du ministère de l’économie et des finances à l’étranger. Elle étudie et actualise les opportunités économiques existantes entre les deux pays et son personnel est quasi exclusivement composé d’agents du ministère de l’économie et des finances. C’est aussi le cas du Groupe Agence Français de Développement (AFD). Existant depuis 1941 sous diverses formes et plusieurs appellations, l’AFD est aujourd’hui un établissement publique et une institution financière spécialisés, opérateur pivot du dispositif français d’aide au développement.

Cela dit, pour certains, les tentatives de coordination contribuent à ralentir le processus de décision. Car pour des raisons d’exigence de diligence dans l’exécution des tâches, il n’est pas toujours pertinent de recourir à une structure lourde ou à une série de consultations. Cette approche est celle de la consécration de la technicisation de l’action internationale et, par voie de conséquence, de la pluralisation des acteurs de l’Etat sur la scène internationale.

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Paragraphe II : Aperçu de l’expérience canadienne

Pour essayer de répondre à ce souci de coordination de l’action internationale, le Canada entreprit dans les années 1982-1983 une réforme structurelle profonde et inaugurale, qui demeure unique en son genre dans le concert des nations. Marcel MERLE,174 exposant la difficulté chronique et massive de coordonner l’action internationale d’un Etat, observait que seul le Canada, à la faveur de cette réforme, réussissait le mieux la coordination.

En fait, dans l’aménagement de sa structure gouvernementale, le Canada a mis en place un ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Relèvent de ce ministère les départements de la Coopération internationale, du Tourisme, de l’industrie et de l’environnement. C’est au total, quatre à six membres du cabinet gouvernemental, siégeant tous au Conseil des ministres, mais fonctionnellement intégrés grâce à une organisation administrative conséquente.

En un mot, cette volonté d’intégrer divers départements ministériels vient du souci de faire converger la diplomatie canadienne et l’ensemble des actions internationales du pays. Ce qui n’a pas été chose facile, tant les différentes institutions sont sous-tendues par des exigences philosophiques et matérielles souvent contradictoires. Par exemple, d’un point de vue symbolique, le propre du diplomate est de ne guère parler de soi, d’être mesuré et discret, alors que le commerçant ou l’industriel a pour caractéristique de parler de lui et de s’exposer. Cela dit, la machine a fini par se mettre en marche. La clé du succès, semble-t-il, est la polyvalence et la circulation du personnel, résultat d’un certaine politique de formation et de recrutement.

140 Mais depuis décembre 2003, et l’arrivé de Paul MARTIN,175 qui a succédé à Jean CHRETIEN au poste de Premier Ministre du Canada, le département des Affaires étrangères est de nouveau détaché des autres, retrouvant d’une certaine manière sa singularité, sa spécificité, celle du ministère du politique par excellence. La justification de ce découplage est que selon la subtile distinction formulée par Louis GUAY,176 le ministère des Affaires étrangères ait effectivement une politique étrangère et que le gouvernement ait une politique internationale. Le second prend acte de ce qu’un très grand nombre de problèmes et leurs solutions ont une incidence ou une essence internationales, et le premier s’assigne un rôle de catalyseur des différentes énergies du Canada.

La démarche inspire un pronostic favorable, parce que le ministère des Affaires étrangère offre, par ses compétences avérées, des possibilités de promotion de l’ensemble des valeurs canadiennes. Du reste, malgré le récent découplage, les acquis du mariage seront sans doute durablement préservés : il s’agit notamment de la polyvalence du personnel, de l’accès à l’information et de tous les autres procédés de dialogues.

La pratique canadienne fait une large part aux comités interministériels ad hoc, et les ministères puissamment porteurs des questions de politiques internationales se retrouvent régulièrement : les Affaires étrangères, la Sécurité et l’Immigration, la Défense, le Commerce international, l’Environnement, les Finances, etc. En fait, l’usage spontané et massif de l’informel (réunions restreintes, Internet / intranet, téléphone / télécopie, édition / publications, visites ponctuelles, etc.) atténue la nécessité des structures formelles ou du moins en relativise l’importance.

175 Il a été Premier Ministre du Canada de 2003 à 2006. Stephen HARPER est le Premier Ministre actuel

du Canada depuis février 2006.

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Paragraphe III : Les possibilités d’une redéfinition de la pratique

qatarie

Tâche ardue et audacieuse que celle d’entreprendre la coordination de l’action internationale qatarie dans ce monde tout international. Face à ce qui semble être un défi intellectuel et politique il faut définir une ligne directrice. Celle-ci passe par un choix entre une approche maximaliste et obsessionnelle de la coordination de l’action internationale et une approche minimaliste et fataliste.

En fait, il y a deux lectures ou deux écoles. La première, classique, est celle dite de pouvoir, au sens où l’entend Raymond ARON, c’est-à-dire comme « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités »177. Elle repose pour l’essentiel sur le formalisme contractualisant, fait de traités, de conventions et autres structures de pouvoir et de souveraineté. Elle est le fondement traditionnel de la politique étrangère. La seconde, plutôt débridée et anti-régalienne, est celle dite de réseaux, qui déteint, sinon invalide la chancellerie et l’architecture diplomatique traditionnelle. Elle est une modalité de l’idéologie transnationaliste.

Entre ces deux lectures, qu’il est d’ailleurs possible de rapprocher de la distinction « diplomatie de structures / diplomatie de signe » évoquée par Marc BONNEFOUS,178 il y a lieu de définir une autre approche, une sorte de troisième voie qui tire avantage des deux premières. Cette approche est optimale et rationnelle.

En réalité il s’agit, au regard de la sociologie politique et diplomatique, d’opérer un déplacement épistémique. En effet, au rebours d’une inclination pour la coordination maximaliste qui énonce et systématise la relation dite de pouvoir, l’approche optimale et moderne portera une relation dite d’influence. De façon

177 Cité par Maxime LEFEBVRE, Le jeu du droit et de la puissance. Précis des relations internationales,

Paris ; Puf, 1997, p. 12.

142 schématique, on dira qu’à une approche de politique étrangère, il faut opposer une approche de politique internationale : celle-là définit une relation tutélaire et de pouvoir en essayant de conférer au ministère des Affaires étrangères une sorte d’ubiquité et d’omnipotence. Tandis que celle-ci définit une relation d’influence où le ministère des Affaires étrangères opère plus sélectivement, au regard de la massification du fait international dans l’espace public.

Mais au-delà du formalisme lexical, « politique étrangère / politique internationale », ce qui compte c’est de prendre la mesure de la rupture épistémologique et des postulations qui en procèdent. Dès lors deux questions essentielles se posent: comment gagner en influence plutôt qu’en pouvoir ? Ou en quoi consiste la relation d’influence du ministère des Affaires étrangères ?

Devenir le catalyseur, le moteur d’impulsion, le promoteur des différentes valeurs du Qatar, voilà ce à quoi semblait s’employer lucidement le ministère qatari des Affaires étrangères, et même l’Emir de l’Etat du Qatar. Cela veut dire que le projet de coordination de l’action internationale, émancipé du complexe ou de l’obsession de l’omniscience et du tout contrôle, ne se comprend plus que comme l’exercice savant de l’influence du ministère des Affaires étrangères, dans un rapport de suggestion/adhésion avec les autres acteurs de l’action internationale. Pour opérer et réussir ce rôle de catalyseur auquel est convié le ministère des Affaires étrangères, la maîtrise de l’information est capitale. Cela suppose un maximum de justesse et d’efficacité à chacun de ses trois principaux temps : temps de la recherche, temps du traitement et temps de la diffusion. Le ministère des Affaires étrangères gagnerait donc à s’organiser pour avoir un rapport facile, naturel, presque érotique avec l’information, nerf de la guerre d’influence.

Voilà pourquoi, pour la structure qatarie, il paraît indiqué d’imaginer une « banque de données internationales ou à vocation internationale », grâce aux capacités des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Actualisée sinon en permanence, du moins régulièrement, cette « banque » devra être alimentée selon des modalité à préciser, par l’ensemble des institutions

143 publiques et privées du Qatar oeuvrant dans la politique internationale. Ce qui de fait répondra au problème du cloisonnement des administrations. On peut également imaginer que cette « banque » ait un démembrement, une sorte de « guichet spécial » des acteurs classiques du faire diplomatique, à savoir l’Emir de l’Etat et le ministère des Affaire étrangères, afin d’assurer à leurs différents services une convergence et une complémentarité nécessaire à l’efficacité de l’action.

La difficulté essentielle d’un tel outil de travail réside dans le tri de l’information qui ne manquera pas d’être abondante, voire surabondante. De ce tri dépendront en partie les choix de politique étrangère comprise comme impulsion des valeurs et des énergies du Qatar. Voilà bien un défi. Mais « il n’y a de richesses que d’hommes ».

La réponse à ce défi passe par un corps d’élite du secteur diplomatique. Il faut se mêler de tous les thèmes porteurs par cercles concentriques, grâce au personnel nécessaire. Et l’influence viendra principalement de la capacité du personnel diplomatique à accomplir son mandat qui est celui d’optimiser la présence du Qatar dans la région du golf, du Moyen-Orient, en Asie et dans le monde, et en faisant précisément du réseau diplomatique l’instrument qualitatif de cette influence. L’ambassadeur ne pouvant plus être le dépositaire exclusif de la politique internationale, il doit être le catalyseur des intérêts nationaux.

Dans cette optique, après sa nomination par l’Emir, et avant son accréditation effective, le chef de mission diplomatique ou de poste consulaire devrait, par exemple, recevoir une sorte de cahier de charges ou de lettre de mission des différents départements ministériels particulièrement intéressés par le pays accréditaire. L’élaboration de ce cahier se ferait de préférence au sein d’une commission ad hoc présidée par ministère des Affaires étrangères, où seront au demeurant étudiées les modalités d’évaluation de la mission du diplomate. Ce pourrait être par exemple un retour de celui-ci devant ladite commission après une période raisonnable d’activité. Dans cette démarche, le ministère des Affaires

144 étrangères, qui devrait détenir le maximum d’informations, dégagera une perception globale qui permettra d’optimiser l’action internationale du Qatar auprès de l’Etat ou de l’organisation internationale accréditaire.

Au niveau des services centraux, cela a déjà été dit, le nouvel organigramme issu de la résolution princière numéro 30 du 23 juin 2009 énonce une architecture et des perspectives intéressantes, à condition d’en préciser pertinemment le projet épistémologique et philosophique. Par exemple, la « direction des recherches, des analyses et de technologie de l’information » et la « direction de coopération technique internationale ». Il faut que ces services contribuent précisément à asseoir une culture de transparence nécessaire et des réflexes dialogiques au sein du ministère, mais également en direction d’autres acteurs de l’action diplomatique. Ce qui peut intégrer avantageusement l’idée de « banque de données » précédemment avancée.

Dans le souci de « l’intelligence des situations », selon la formule du stratégiste Eric de la MAISONNEUVE,179 il est regrettable qu’il n’y ait pas au ministère qatari des Affaires étrangères un service chargé des organisations non gouvernementales ou plus généralement de la « société civile », en dépit de l’imprécision qui entoure ce dernier concept. Il semble que ce pan de la communauté qatarie mérite une prise en compte visible et lisible au regard de son action effective ou potentielle sur la scène nationale et internationale.

Pour ce qui est des organisations internationales non gouvernementales (OING), il paraît fort sensé, en tous cas du point de vue de la sociologie des relations internationales, de les inscrire dans une typologie générale qui englobe les organisations internationales définies par le droit international public. C’est-à-dire celles ayant une personnalité juridique internationale. En effet, la composition, l’organisation, les moyens, la représentativité, l’audience et surtout l’autorité morale de certaines (de plus en plus nombreuses) de ces OING autorise cette

179 Fondateur et Président de la « Société de Stratégie », association de recherche et de réflexion

145 rupture épistémologique en faveur de la sociologie dans la lecture des relations internationales contemporaines.

Au-delà ou plutôt complémentairement, le Qatar devrait développer les commissions interministérielles ou interinstitutionnelles sur les grandes questions d’intérêt international. Il serait alors opportun que ministère des Affaires étrangères préside ou copréside ces commissions ou qu’il y prenne tout au moins une grande part. Les commissions ad hoc sont sans doute plus intéressantes, notamment pour des questions conjoncturelles. Cela permet tout d’abord d’évites un accroissement des structures administratives, puis elles ont l’avantage de pouvoir reposer sur un mandat clair et précis. Par ailleurs, des recompositions peuvent être faites afin que des questions connexes soient traitées au sein d’une même commission interministérielle, qu’elle soit ad hoc ou permanente.

Fondamentalement, c’est à une « révolution culturelle » qu’il faut inviter les agents de l’Etat, pour que la culture de communication et de l’échange, dans l’intérêt de l’efficacité de l’action publique, s’enracine. Poussée à un niveau optimum, cette culture aura des effets induits positifs sur l’ensemble de l’activité politique et administrative : développement des rencontres et échanges informelles, degré de transparence accru dans le traitement des dossier, mobilité et polyvalence de personnel, climat de confiance, toutes choses qui participent à la fluidité institutionnelle et de la lisibilité politique.

Mais toutes ces approches ne devront pas dispenser le « Centre », c’est-à-dire l’Emir, éventuellement représenté par ses proches collaborateurs. Car il est, faut-il le rappeler, celui qui définit la politique étrangère de l’Etat. Il en est le référentiel et le responsable ultime.

Conclusion du Titre II

Le ministère des Affaires étrangères peut continuer d’occuper une place importante dans le jeu interactif et complexe de la décision et de la coordination de l’action diplomatique contemporaine. Pour ce faire, il lui faudra conjurer le fâcheux mélange de frustration et du double complexe de monopole de l’extranéité et de toute puissance. La maîtrise de l’information ainsi que la richesse qualitative et quantitative de son personnel sont les atouts nécessaires à l’accomplissement de sa mission d’éclaireur et de galvaniseur de l’influence du Qatar dans le monde.

Le Qatar sera d’autant plus un espace de paix et d’investissements de tous genres que sa diplomatie collera à cette approche dynamique, et non statique. « Au commencement était la diplomatie »180 : cela est sans doute vrai, mais cela doit se soustraire à une lecture messianiste et égocentriste. Car « être au commencement » ne saurait être une finalité ou une satisfaction en soit. Ce qui est essentiel et performant c’est d’être là au bon moment, c’est-à-dire de contribuer, à quelque niveau que ce soit, à la réalisation d’un projet collectif.

Il est vrai par ailleurs, que la condition du diplomate qatari, notamment l’agent du ministère des Affaires étrangères, n’est pas des plus enviable. Comparativement, ses collègues du Diwan Amiri sont logés à une bien meilleure enseigne. Là se trouve une autre responsabilité de gouvernant.

La stratégie de la politique d’ouverture amorcée par les dirigeant du Qatar suite au coup d’Etat de 1995 se présente sous de multiples visages. L’ouverture est le maître mot de cette politique. Il s’agit d’une ouverture vers le monde extérieur, à la mondialisation. Cette politique semble reposer sur trois stratégies bien distinctes : une stratégie d’alliances, une stratégie de bon voisinage, mais surtout une stratégie d’image de marque.

180 Cité par Pierre Aimé MFOULA-NGHANGUY, La politique étrangère du Gabon et les recompositions