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Stimuler l’innovation dans des lieux privilégiés

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 106-109)

8. Le diagnostic et les recommandations

8.8. Stimuler l’innovation dans des lieux privilégiés

Les interactions entre la recherche, l’industrie et les services doivent constituer le socle du redéploiement industriel européen. On constate en Europe un déficit important en matière d’investissements en R&D. Sans reprendre les termes du débat sur la faiblesse de la recherche en Europe, tant en moyens qu’en efficacité, largement développé par ailleurs, nous nous bornerons à reprendre les principaux faits. L’Europe investit respective- ment 1,9 % du PIB en R&D et 1,4 % dans l’éducation supérieure (Rapport Sapir, 2003). Si un objectif de 3 % dans les deux catégories doit être atteint au vu des standards internationaux en la matière, cela passe par la mise en place d’une véritable politique de la connaissance et donc par un investisse- ment massif dans l’éducation et dans la R&D.

Si les entreprises doivent accroître leurs efforts dans les activités à forte valeur ajoutée, cette orientation stratégique doit être relayée au niveau fran- çais et européen par une politique de grands projets mais aussi par la créa-

tion de mécanismes permettant l’émergence de territoires propices aux réseaux d’entreprises et à leur articulation avec les universités et les éco- les (clusters). Il s’agit en premier lieu de développer les infrastructures de

transport et de communications performants pour améliorer la « connectivité » à l’intérieur du réseau (DATAR, 2004). La promotion des spécialisations régionales et l’accroissement des coopérations transfrontalières, afin de pro- fiter des dynamiques existantes ou potentielles, constituent le deuxième le- vier pour améliorer l’attractivité du territoire français.

Cette politique est nécessaire, parce que les difficultés face à la mondia- lisation sont d’abord locales, plus que macroéconomiques comme nous l’avons dit. Il faut éviter le cocktail « poste/maison de retraite/collège/com- merces de proximité » déjà évoqué. L’analyse économique a démontré l’ef- ficacité d’un instrument que les pouvoirs publics locaux ne renieront pas : les « clusters », qui au cocktail précédent en substituent un autre, plus éner- gisant : innovation/formation/interactions public-privé et formation/entrepri- ses/spécialisation/incubateurs/start-up/externalités locales.

La contrainte est d’en faire une vraie stratégie d’implantation progres- sive et extrêmement organisée de pôles de compétitivité en s’appuyant im- pérativement sur l’existence d’un terreau industriel ancien, le respect des tailles minimales d’efficacité, et l’existence préalable des trois composantes chacune reconnue au niveau européen et international, dans : la recherche, l’excellence universitaire et la capacité industrielle. Il faut donc s’inspirer de l’existant. Ce qui est surprenant, c’est qu’il existe déjà en France de vérita- bles pôles de compétitivité, en nombre très limité. La contrainte à laquelle il faut s’astreindre est de prendre ces pôles comme exemple afin d’éviter le risque, si naturel et si fréquent, de dilution de l’idée. Le premier pôle de compétitivité c’est d’abord Grenoble et sa formidable compétence en microélectronique construite à partir d’une histoire industrielle vieille de plu- sieurs décennies. Mais ce qui est caractéristique à Grenoble, c’est que l’on

retrouve les trois éléments absolument nécessaires au succès d’un pôle : la taille, (on compte à Grenoble plusieurs dizaines de milliers de salariés très qualifiés), la compétence internationalement reconnue et la présence des trois acteurs : universités, centres de recherche, entreprises de microélectronique. Ce pôle a trouvé sa véritable dimension à travers deux projets en cours de réalisation : Crolles 2 et surtout Minatec. Crolles 2, c’est le rassemblement, au niveau de la recherche appliquée de trois entreprises microélectroniques mondiales dont ST. Minatec est encore plus révolutionnaire puisqu’il s’agit là de faire de la recherche fondamentale entre le LETI (Laboratoire élec- tronique du CEA), les écoles d’ingénieurs de Grenoble (INPG) à destination des entreprises, notamment STmicroelectronique. On retrouve un dispositif équivalent à Toulouse, peut être moins formalisé et puis il y a le potentiel exceptionnel du plateau de Saclay avec l’X, Supelec, le CEA et l’Université d’Orsay. Ces trois exemples permettent de fixer le niveau d’exigence que l’on doit avoir dans cette véritable ambition de créer ces pôles de compéti- tivité en France.

Malheureusement, en matière de promotion des territoires, jusqu’ici il semble que la France souffre de la comparaison tant avec les États-Unis qu’avec, et cela est plus surprenant, un pays comme l’Inde qui possèdent, l’un et l’autre, des structures capables de proposer rapidement en fonction des caractéristiques du projet des plans de localisation « clef en main » dans des délais rapides. Cela requiert de la part de ces agences une compréhen- sion approfondie des besoins en technologies et en savoir dans l’ensemble des secteurs et une parfaite connaissance du tissu économique du territoire afin d’orienter rapidement les projets vers les zones adaptées.

À l’instar des activités de production, on observe une forte tendance à l’internationalisation des activités à haute valeur ajoutée. À l’inverse des critères de localisation des activités de production où les critères de coût de la main d’œuvre et de captation de nouveaux marchés dominaient, pour les activités à haute valeur ajoutée, d’autres critères entrent en ligne de compte. La création de ces centres semble, de fait, relever, d’une volonté d’organi- ser au niveau mondial la fonction de R&D et de leur assigner d’autres fonc- tions que la seule fonction d’adaptation au contexte local de production ou de marché (Lefèvre et al. 2001). À titre d’exemple, établir une entreprise en Californie coûte plus cher que dans les autres États. Or, cet État continue d’attirer des entreprises, notamment parce qu’il mobilise des ressources universitaires et de recherche uniques au monde.

Au total, c’est bien la capacité à offrir dans un espace réduit minimisant les coûts de communication et favorisant les synergies qui est la condition nécessaire du succès : entreprises innovantes, universités ou écoles, labora- toires, main d’œuvre spécialisée, incubateurs, politiques publiques locales ciblées. Mais c’est la tension de cet ensemble vers un domaine limité d’ap- plication des savoirs qui garantit le succès. Cette logique de « cluster » est probablement ce qui a manqué à l’industrie française dans de nombreux domaines, même si quelques exemples sont souvent cités, comme l’Optic- Valley en Île-de-France.

C’est pourquoi, s’agissant de ce domaine d’intervention publique, la prise

de conscience qui a récemment eu lieu(95) est salutaire. La volonté d’ap-

puyer le développement de « pôles de compétitivité »(96) en mobilisant des

soutiens publics jusqu’ici éparpillés entre différents crédits d’actions de dif- férents ministères est à la fois parcimonieuse en termes de fonds publics et garante d’efficacité. Les mesures annoncées portent sur :

• le lancement d’un appel à projets ; • la labellisation des pôles de compétitivité ;

• une simplification des systèmes d’intervention et une mobilisation ci- blée des crédits d’action ;

• l’appui sur les fonds européens ;

• exonération de l’IS dans la limite du plafond européen (dit « de minimis »), soit 100 000 euros sur trois ans ;

• des allégements de charges sociales sur les effectifs de R&D ; • enveloppe spécifique de financements PME de la CDC ; • aides spécifiques de l’ANVAR ;

• le développement d’infrastructures (haut débit et immobilier d’entre- prises) ;

• le financement partiel par l’État d’actions spécifiques de formation ; • la création de groupements d’employeurs mutualisant certaines res- sources humaines ;

• l’implication de l’AFFI.

S’agissant d’une politique aussi convaincante, pourquoi alors a-t-il fallu organiser la communication sur ce CIAT autour de l’idée de la lutte contre les délocalisations ? Il est évident, au regard de l’analyse menée dans ce rapport, que la relation entre l’objectif ainsi affiché et la nature réelle des mesures est assez mince. La réponse à cette interrogation revient à notre préalable : en pleine confusion intellectuelle sur les conséquences réelles de la mondialisation, une telle communication – voulue ou subie – a le mérite d’intéresser à des mesures qui sinon auraient pu apparaître essentiellement techniques. Elle a l’inconvénient de légitimer dans l’opinion publique l’idée qu’il y a un problème de délocalisation de grande ampleur justifiant une action à proportion des pouvoirs publics. Or le problème est ailleurs, comme nous l’avons vu : il s’agit « simplement » d’enrayer la perte de substance de notre industrie.

(95) Cf. les mesures annoncées au CIAT de septembre 2005.

(96) « Un pôle de compétitivité résulte de la combinaison, sur un même territoire, de trois ingrédients (entreprises + centres de formation + unités de recherche) et de trois facteurs décisifs (partenariat + innovation + visibilité internationale) ». Dossier de presse CIAT du 14 septembre 2004.

8.9. Développer les marchés financiers européens

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 106-109)