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Des délocalisations spectaculaires

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 40-42)

3. Les faits

3.6. Des délocalisations spectaculaires

Le mouvement de fond de la désindustrialisation, de nature complexe, est essentiellement envisagé à travers le prisme réducteur des délocalisations dans le débat public. Cette approche est légitimée par les exemples emblé- matiques de fermeture d’unités de production et leur déplacement vers de nouveaux sites offrant des coûts de main d’œuvre plus bas. La fermeture de l’usine Electrolux de Västerik, en Suède, et le transfert de sa production en Hongrie sur le site de Jaszbereny employant déjà 3 000 personnes, en- traîneront ainsi la suppression de 500 emplois en Suède en 2005 (Le Monde, 18 mai 2004).

La délocalisation ne touche pas que les productions banalisées comme les aspirateurs. Ayant manqué le virage de la demande, Nokia se voit con- traint de délocaliser une partie de sa recherche et développement en Chine, afin de pouvoir élargir la variété de ses produits à moindre coût.

Enfin, le débat ne concerne pas que les activités industrielles : certaines activités de services relativement « industrialisées » sont-elles aussi délocalisables. Le débat relatif aux pertes d’emplois de cols blancs par les délocalisations est très actif aux États-Unis. Pour peu qu’aucun obstacle linguistique ne s’y oppose, un pays émergent peut en effet accueillir des délocalisations dans les services, et non plus seulement dans l’industrie. L’im- pact est limité en Europe (centres d’appel au Maghreb mais aussi en Inde), mais le débat a pris une tournure politique aux États-Unis renouvelant la thèse de Ross Perot. Au total, 70 000 programmeurs ont perdu leur emploi depuis 1999 aux États-Unis.

Aux États-Unis les travaux de Forrester Research estiment que 40 % des 1 000 entreprises du classement de Fortune ont délocalisé une partie de leur activité ; que 3,3 millions d’emplois pourraient être délocalisés dans les quinze prochaines années, entraînant la perte de 136 milliards de dollars de masse salariale et que le secteur des technologies de l’information s’apprê- terait à délocaliser 500 000 emplois dans les prochaines années.

3.7. … aux effets ambigus

La difficulté posée par l’analyse des délocalisations tient à l’absence d’une situation contrefactuelle : « que se serait-il passé si l’on n’avait pas délocalisé ? ». Revenons sur Electrolux pour commencer. En première ana- lyse on peut penser qu’Electrolux délocalise 500 emplois pour augmenter ses profits (l’usine de Västerig n’était pas déficitaire). Toutefois, Electrolux perd des parts de marché. Réorganiser sa production sur une base globale et dans les unités les plus récentes, en concentrant les produits banalisés dans les pays à bas coût de main d’œuvre, en rapprochant l’unité de produc- tion du centre de gravité des marchés européens progressifs, peut consti- tuer une réponse appropriée à la survie de l’entreprise à terme. Enfin, si l’usine de Västerig ferme et que les parts de marché correspondantes sont récupérées par un constructeur allemand installé en Roumanie, la fermeture du site suédois n’est pas une délocalisation mais simplement le résultat de la concurrence. Si maintenant un constructeur Chinois indépendant fait sortir du marché des aspirateurs à la fois Electrolux et son concurrent allemand, on parlera de spécialisation des pays conduisant les pays à haut revenu à abandonner une production banalisée.

Côté services, tandis que 70 000 programmeurs perdaient leur emploi depuis 1999 aux États-Unis, 115 000 emplois d’ingénieurs-logiciel mieux rémunérés étaient créés. Ces délocalisations dans les services informati- ques ne sont pas d’ailleurs entièrement négatives : elles constituent poten- tiellement une nouvelle source de gains de productivité. Le prix du hard-

ware est aujourd’hui 10 à 30 % inférieur à ce qu’il serait en l’absence de

délocalisations et l’impact positif sur le PNB américain de cette réduction du coût des intrants a été de 0,3 % du PNB par an sur 1995-2002 (Mann, 2003). Des gains bien plus importants sont à attendre des délocalisations dans le software et les services informatiques (plus des deux tiers des dé- penses professionnelles dans l’informatique aujourd’hui) dans la mesure où la baisse des prix devrait être beaucoup plus forte que pour le hardware et où la demande est probablement plus élastique aux prix. La forte progres- sion de l’Inde dans les services informatiques (dont elle est désormais le

premier exportateur mondial en Mode I devant l’Irlande et les États-Unis(15))

(Chauvin et Lemoine, 2003), qui a fait passer ses exportations de services du quart à la moitié de ses exportations de marchandises en dix ans, serait donc une chance, et non un risque, pour l’emploi américain. Au total, et indépendamment même des effets positifs mentionnés ici, l’ordre de gran- deur du phénomène est donc encore limité : « The US economy every quarter

generates many more jobs than are projected to be lost to offshore outsourcing over the next decades »(16).

Remarquons enfin que la délocalisation dans les services peut freiner la désindustrialisation. Tel fabricant de pneumatiques, confronté à une intensi- fication de la concurrence et souhaitant éviter de s’engager dans une rui- neuse guerre des prix choisira plutôt d’offrir un service gratuit à ses clients : en cas de crevaison, l’appel d’un « numéro vert » permet de se faire dépan- ner dans l’heure. Fournir un tel service à des conditions viables économi- quement imposera probablement de localiser le centre d’appel au Maghreb : avec les salaires français, un tel service ne pourrait pas être offert. Le centre d’appel n’a donc pas été à proprement parler délocalisé, car aucune offre de service compétitive n’aurait pu être faite par un opérateur localisé en France. Si cette « délocalisation » de services apporte une réelle utilité aux consommateurs, elle permettra de sauvegarder de très nombreux em- plois industriels.

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 40-42)