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Impulser une politique de spécialisation

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 103-106)

8. Le diagnostic et les recommandations

8.7. Impulser une politique de spécialisation

Le positionnement vers le haut de la chaîne de valeur technologique oblige les entreprises à innover constamment. Si la maîtrise des nouvelles techno- logies reste la condition première, il s’agit dans cette optique de privilégier les activités à haute valeur ajoutée, d’améliorer sans cesse les processus de production, de défricher les nouvelles applications pour les nouvelles tech- nologies en déposant des brevets ou encore d’améliorer le design des pro- duits. En matière de marketing, il s’agit de se positionner comme un vérita- ble intermédiaire dont l’objectif est de fidéliser la clientèle et d’instaurer une relation de « service » entre l’entreprise et ses clients. Mais pour faire tout cela, les entreprises ont-elles besoin de l’État ? Peut-on se contenter d’un environnement macroéconomique et institutionnel favorable à l’investisse- ment et à l’innovation ?

Examinons les équilibres public-privé qui gagnent, à défaut de souhaiter les transposer naïvement. Les États-Unis nous montrent la voie : celle d’un

marché fluide, dans lequel l’impact des décisions publiques ciblées bé- néficie d’un effet multiplicateur du fait de la grande réactivité de l’économie.

Au milieu des années quatre-vingt-dix, les États-Unis ont démontré qu’une politique volontariste permet à un système productif agressé de réagir. En fait, la notion de politique industrielle – pourquoi ne pas l’appeler par son nom ? – semble aujourd’hui redevenir d’actualité pour les pays industriali- sés, dans une acception bien sûr assez différente des années soixante-dix et quatre-vingt. La confiance aveugle dans une puissance publique mieux éclairée dans ses choix que les acteurs privés et disposant d’instruments puissants n’a plus cours. Ne serait-ce qu’en raison des contraintes financières portant sur les budgets publics. Il n’empêche : lorsque l’horizon est très long ou très risqué, l’État garde un avantage dans la mesure où il peut intégrer le temps long dans ses choix. Le marché pour l’envoi de sondes commerciales sur Mars est assez limité… Il convient pourtant d’y aller si l’on veut garder une position forte en termes d’industries spatiales. De même, lorsque des externalités locales fortes apparaissent, il y a une place pour l’action publi- que locale (au niveau régional dans notre schéma).

Le développement du secteur des nouvelles technologies aux États-Unis fournit un bon exemple d’application de la politique volontariste américaine en faveur à la fois de la concurrence (créer l’environnement garantissant le renouvellement du tissu productif) et de l’innovation (créer les avantages compétitifs). Contrairement au mythe, le développement du secteur des TIC aux États-Unis n’est pas dû au hasard. Certes, certains pionniers, devenus célèbres aujourd’hui ont compris très tôt les possibilités offertes par les TIC ; mais il faut se demander pourquoi ces pionniers ont réussi aux États-Unis, là où ils ont échoué en France et en Europe plus généralement. Le parallèle avec les débuts de l’aviation est édifiant à cet égard : les pionniers avaient réussi également de ce côté-ci de l’Atlantique. Schématiquement, la politi- que américaine se décline selon le triptyque :

• des mécanismes incitatifs en faveur de l’innovation dans l’industrie ; • une protection forte des droits de propriété ;

• un soutien massif à la recherche.

Première étape, dès les années quatre-vingt, les États-Unis ont mis en place une vaste politique visant à introduire de la concurrence dans les do- maines des télécommunications où des situations monopolistiques préexis- taient. Cette concurrence a permis de réduire les coûts de raccordement à un réseau et de favoriser la diffusion des TIC. Dans ce domaine, mais beau- coup plus tardivement qu’aux États-Unis, l’Europe s’est aussi engagée, du- rant la présidence Prodi, dans un vaste chantier concernant les industries de réseau en réintroduisant la concurrence sur les segments où elle était éco- nomiquement justifiée. Le dégroupage de la boucle locale en France est la manifestation du retard pris dans cette logique déréglementaire de ce côté- ci de l’Atlantique, et partant, du retard pris dans la remise en cause des positions dominantes.

Par ailleurs, dès les années quatre-vingt, les États-Unis ont mis en place une politique fiscale incitative permettant de déduire fiscalement les inves- tissements en R&D. Si ce type de mécanisme peut conduire à des comporte- ments stratégiques de la part des entreprises, il s’agit d’un mécanisme particu- lièrement puissant : un crédit d’impôt d’un dollar se traduit par une dépense d’un dollar en R&D de la part des entreprises (Hall et van Reenan, 1999). Parallèlement, les États-Unis ont renforcé leur système de dépôt de bre- vet afin de protéger plus efficacement les entreprises innovantes. Deux réformes méritent d’être citées : le Bayh-Dole Act de 1980 qui favorise le dépôt de brevets et l’octroi de licences pour les universités américaines et le Semiconductor Chip Protection Act qui crée pour les semi-conducteurs une catégorie nouvelle de droits de propriété intellectuelle appelée « Mask

Rights ». Dans le domaine des logiciels par exemple, les États-Unis ont

aussi été aussi les instigateurs au début des années quatre-vingt de l’exten- sion de la brevetabilité des logiciels, en rupture avec la vision antérieure selon laquelle les logiciels comme les programmes informatiques ne peuvent faire l’objet de protection. En comparaison, l’Europe paraît bien démunie, même si certaines évolutions sont perceptibles. Alors que les logiciels n’étaient

pas considérés comme brevetables jusqu’à récemment, les dernières déci- sions de l’OEB (Office européen des brevets) semblent se rapprocher de la position américaine. Le principe d’un brevet européen a de plus été récem- ment adopté : il vise à faciliter le dépôt de brevet en abaissant sensiblement son coût (actuellement supérieur par rapport à la procédure américaine) et simplifier la procédure administrative. Ce brevet européen n’entrera toute- fois en vigueur qu’à partir de 2007.

Enfin – est-il nécessaire d’insister sur cette dimension essentielle du dy- namisme technologique américain ? – le secteur des TIC a aussi largement bénéficié de la politique de soutien à la recherche des États-Unis. Elle se manifeste non seulement par des commandes publiques, des partenariats de recherche avec certaines industries, mais aussi par la création d’un environ- nement favorable à la diffusion des connaissances entre la recherche publi- que et privée par l’intermédiaire notamment de la National Science Foundation. Elle se traduit aussi par la recherche d’une étroite synergie entre le monde universitaire et politique, permettant la diffusion d’idées : la montée en puis- sance, ces dernières années, de think tanks, tels la Brookings Institution, l’American Enterprise Institute ou encore la Rand Corporation, illustre bien ces préoccupations. Nous retrouvons ici le préalable évoqué plus haut : un pays comme la France doit se doter à très court terme de tels outils, et le plus rapide et le plus efficace est de s’appuyer sur les structures existantes et de les renforcer.

Cette redécouverte de la notion de « politique industrielle » est claire- ment le signe d’une prise en conscience de l’impact de l’industrie dans la croissance des pays mais aussi de l’urgence de repenser une politique glo- bale pour l’industrie. Or, que ce soit au niveau français ou européen, cette capacité à se projeter dans le futur manque cruellement. Et la stratégie de Lisbonne n’est qu’un affichage de circonstance dont on connaît l’impact jusqu’ici dérisoire. Aujourd’hui, il est pourtant nécessaire de définir les acti- vités motrices qui doivent être privilégiées au niveau européen. Plus préci- sément, il est primordial de se spécialiser dans les activités à forte valeur ajoutée afin de (re)construire des avantages compétitifs. En revanche, aujourd’hui, il n’est pas nécessaire d’être présent partout, l’essentiel étant de favoriser les activités à fort contenu technologique et certaines niches industrielles.

Il nous faut donc redéfinir nos pôles d’excellence en nous spécialisant dans les secteurs prometteurs ou dans des savoir-faire utiles et rares tels que le nucléaire, l’aéronautique, la pharmacie et les biotechnologies ou en- core les nanotechnologies. En dehors de cet effort, nous devons privilégier les investissements de rupture en identifiant les nouveaux produits et servi- ces capables de soutenir la croissance. Si dans certaines activités comme l’aéronautique ou le luxe, la France possède un savoir faire technologique et managérial reconnu, ces secteurs sont aujourd’hui trop peu nombreux pour assurer une croissance soutenue à long terme. Plus grave, la France souffre d’une spécialisation insuffisante dans les biens fortement demandés par les pays émergents.

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 103-106)