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Analyser et comprendre pour pouvoir mieux anticiper et agir

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 101-103)

8. Le diagnostic et les recommandations

8.6. Analyser et comprendre pour pouvoir mieux anticiper et agir

L’État – paradoxalement – a donc vocation à retrouver un rôle décisif car il est le seul à pouvoir assurer la cohérence des actions long terme/

court terme, dans un contexte de raréfaction budgétaire, d’attitude défen- sive par rapport à la mondialisation et de perte de culture industrielle, tant

en France qu’en Europe.

Il peut naturellement infléchir un certain nombre de décisions se prenant au niveau international, et d’abord européen. Il jouera alors le rôle de garde- fou, au coup par coup. Nous en avons eu quelques exemples récents.

Mais plus fondamentalement, la responsabilité publique est d’élaborer

une stratégie d’ensemble pour « réduire les incertitudes ». Il s’agit de pro-

mouvoir une bonne compréhension des phénomènes à l’œuvre : l’informa- tion et l’animation du débat sur les questions de la mondialisation devraient être une priorité en France. Les enquêtes d’opinion réalisées sur la percep- tion de la mondialisation sont édifiantes (Flash Eurobaromètre, nov. 2003) :

la France est le pays européen dans lequel les enquêtés sont le plus hos- tiles à la mondialisation et à l’ouverture(93), mécanismes sur la base des- quels ils se sont pourtant collectivement enrichis depuis trente ans. Cette « exception française » ne favorise pas les adaptations nécessaires et sus- cite des peurs et des réactions défensives, là où seule l’offensive paie. Com- ment en est-on arrivé là ? Comment se résigner à ce que 14 % des Fran-

çais(94) n’aient « jamais entendu parler de mondialisation » ?

La raison en simple : nous n’avons pas su financer en France les instru- ments et les structures d’analyse et de suivi des évolutions industrielles mondiales. Nous n’avons pas financé à hauteur de ce que faisaient nos voisins européens les structures d’animation du débat, de formation des idées, sur les questions d’économie mondiale. Il y a une multitude de centres d’ex- cellence danois, suédois, néerlandais… sans même parler de notre voisin allemand, de grande taille, reconnus au niveau international pour leur capa- cité scientifique, et qui assurent ce travail de diffusion des idées.

La première piste des propositions vise à remédier à cet état de fait. Mais rappelons-le, il s’agit d’un préalable à tout. En effet, toute stratégie suppose, au-delà de l’accompagnement légitime des crises :

• une capacité d’anticipation supposant une analyse prospective ; • une adhésion ou à défaut au moins une compréhension par l’opinion publique.

(92) L’un des co-auteurs ayant des responsabilités au CEPII, il n’a pas souhaité, tout en partageant les conclusions de ce paragraphe, participer à sa rédaction.

(93) 29 % des Français pensent que l’économie française est trop ouverte. C’est le chiffre le plus élevé en Europe.

Car le problème de la désindustrialisation, d’une nature et d’une ampleur inconnues à ce jour, est probablement devant nous si la perte de substance de notre industrie se poursuit. Les missions affectées à de telles structures d’analyse sont nombreuses :

• du côté des entreprises : analyse précise des (dés)investissements « greenfields » en France et de leurs motivations. Observation des straté- gies des grandes sociétés internationales. Examen des stratégies des socié- tés ayant des filiales ou succursales en France et conséquences prévisibles sur l’emploi. Réflexion sur les nouveaux modes de coopération inter et intra- entreprises, sur le contenu du nouveau modèle de croissance et sur sa réac- tivité (capacité d’adaptation…) ;

• du côté des marchés et des concurrents. Suivi et prospective des éco- nomies émergentes ; évolution des taux de change et impact sur les spécia- lisations ; construction et exploitation de bases de données fines de com- merce international permettant d’analyser les dynamiques concurrentielles au niveau le plus fin. Suivi des barrières tarifaires et non tarifaires aux échanges ; • du côté des technologies : veille sur les risques de certaines ruptures technologiques (et sur les transferts technologiques) et sur les modifications des conditions de certains marchés (déplacement géographique des clients d’un métier, glissement d’une filière de l’amont vers l’aval…) ;

• du côté des idées : veille sur les concepts, les avancées scientifiques en termes de connaissance des phénomènes, les systèmes d’information développés, participation aux débats internationaux et formation d’un cor- pus ne signifiant pas nécessairement l’alignement sur le prêt-à-penser inter- national.

Nous sommes donc favorables à la mise en place d’une structure fran-

çaise renforcée, d’une taille suffisante pour affronter la compétition inter- nationale dans le domaine de l’expertise de la globalisation, dotée d’une

forte capacité d’analyse, capable d’identifier les secteurs prioritaires et les stratégies gagnantes, et de remplir les différentes tâches évoquées ci-des- sus. Plutôt que de créer une énième structure, solution privilégiant l’affi- chage à l’efficacité opérationnelle, nous préconisons un renforcement de

l’existant, quitte à en élargir les missions et à en modifier les statuts pour les

mettre en accord avec ces nouvelles missions.

Ne nous y trompons pas, une telle décision irait à contre-courant du recul des financements, de la dilution de l’analyse économique dans des problé- matiques plus larges ; de l’abandon de l’expertise sur les sujets internatio- naux aux Think tanks européens ou américains, et au prêt-à-penser d’ins- titutions internationales ; du départ de certains experts de grande qualité vers les centres d’études étrangers ou vers les organisations internationales. Il y a urgence : la France se prépare en ce domaine à très court terme

un désert intellectuel propice au développement des thèses anti-mondiali- sation. Les bénéfices politiques d’une telle situation sont immédiats : le vent

arbres de notre jardin. Le coût politique à plus long terme est tout aussi évident : recul du niveau de vie, montée des frustrations, creusement des inégalités, divorce entre les Français et le monde de l’entreprise, incompré- hension internationale des positions françaises.

Changer de cap serait une décision à la fois nécessaire à toute action mais également forte sur le plan symbolique. Cette proposition étant déjà présente dans le rapport du Sénat sur l’évaluation des politiques publiques (Bourdin, André et Plancade, 2004), ne sera pas reprise dans nos dix propo- sitions, mais elle constitue selon nous un préalable. La mondialisation n’est

ni bonne ni mauvaise : elle est effective, mais pour la maîtriser, il faut la connaître et la comprendre.

8.7. Impulser une politique de spécialisation

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 101-103)