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Revivifier la culture scientifique et technologique

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 112-114)

8. Le diagnostic et les recommandations

8.10. Revivifier la culture scientifique et technologique

Quand bien même les objectifs de Lisbonne seraient atteints en 2010, soit un seuil de 3 % du PIB en matière de R&D (ce qui apparaît bien peu probable puisque la dépense moyenne se situe environ à 1,9 % du PIB en Europe), de nombreux pays européens devront alors faire face à une pénu- rie de main d’œuvre très qualifiée. L’absence de moyens, aussi criante soit- elle, n’explique pas tout. On observe depuis le milieu des années quatre- vingt-dix un désintérêt des jeunes pour la culture scientifique. Ceci est par- ticulièrement préoccupant dans les pays européens. La France mais aussi l’Europe ne peuvent faire l’économie d’une refonte de leur politique de forma- tion sous peine de se retrouver dans une situation de pénurie intellectuelle.

Le désintérêt pour la culture scientifique a des racines multiples mais l’université concentre les problèmes. Nul besoin de revenir sur le manque de moyens des universités françaises, penchons-nous plutôt sur d’autres problèmes. En premier lieu, l’université souffre d’une mauvaise image due

en partie à l’échec de la politique de massification(99) en matière d’éducation

supérieure. Nous savons aujourd’hui que les orientations prises il y a dix ans n’ont pas eu l’effet escompté. L’accès à tous à l’université, censé protéger les jeunes du chômage, n’a pas permis d’enrayer ce fléau. Pire, dans certai- nes matières scientifiques, on a vu se développer du chômage chez les doc- teurs faute de débouchés suffisants. Il n’est donc pas étonnant que l’univer- sité ait perdu ces dernières années son pouvoir d’attraction.

La désaffection vis-à-vis de l’université s’inscrit cependant dans un mouvement plus large de désintérêt pour la culture technologique. Trans-

posé au problème de la désindustrialisation, ce désintérêt pour la démarche scientifique est particulièrement alarmant. Pour l’industrie, il est d’ores et déjà perceptible puisque ce secteur doit faire face à une fuite des talents vers des cieux plus rémunérateurs comme la finance dont le poids est cha- que jour plus important. L’entreprise moderne a surtout valorisé des compé- tences managériales, l’ingénierie financière ou le savoir-faire en termes marketing ou commercial.

Le système éducatif français souffre de plusieurs handicaps. En premier lieu, au moment où l’éducation et surtout la recherche s’internationalisent,

le système éducatif français est peu ouvert sur l’étranger. En dehors

des programmes d’échanges internationaux du type Erasmus, peu de for- mations offrent une véritable formation multiculturelle tournée vers l’inter- national ou des diplômes conjoints. Si la France attire des étudiants étran- gers en nombre dans les premiers cycles universitaires, la proportion de ceux-ci diminue fortement par la suite. En forçant le trait, on pourrait penser que les étudiants étrangers privilégient la France au début de leurs études

(99) Aghion et Cohen (2004) et Lorenzi et Payan (2003) dressent un constat particulièrement saisissant sur le système éducatif français. Sur la question, voir aussi le cahier n° 5 du Cercle des économistes.

mais quittent par la suite le système éducatif français pour des pôles univer- sitaires plus attractifs. Selon nous, la désaffection des étudiants étrangers est particulièrement révélatrice du manque de compétitivité des pôles de connaissances français. Autrement dit, la France (et à un degré moindre l’Europe) serait incapable de retenir ses meilleurs éléments.

Nos recommandations n’ont ici rien de révolutionnaire, la gravité de la situation excluant toute forme d’expérimentation. En matière d’éducation,

nous pensons que la solution se situe au niveau européen. Il n’existe pas

aujourd’hui une politique européenne de l’enseignement supérieur en de- hors des échanges ponctuels entre les universités. Alarmé du « retard pris en matière de formation universitaire ou du malthusianisme des formations nationales d’excellence », un groupe d’économistes a récemment appelé de ses vœux l’Europe à se doter d’un système européen d’université « un pacte pour une nouvelle université ». Ce projet rejoint les inquiétudes d’Aghion et Cohen (2004). Ces auteurs précisent que « l’émergence rapide de quelques pôles d’excellence nationaux opérera mécaniquement une différenciation avec les petites universités locales qui pourront avoir intérêt soit à se trans- former en collèges universitaires soit à coupler collèges et écoles profes- sionnelles. Entre les deux, des universités régionales pourront maintenir la

situation actuelle avec une offre plus complète »(100).

Ce type de solution permettrait de constituer un contrepoids intéressant face aux pôles d’excellence américains situés des deux côtés des États- Unis mais surtout une réponse à la montée en puissance de l’Inde, voire de la Chine, en matière de qualité de l’enseignement. Par ailleurs, la mise en place de tels mécanismes doit être l’occasion d’intégrer le rôle de l’entre- prise dans ces pôles de recherche. Aux États-Unis, les échanges sont per- manents entre les grandes universités, les business schools et les entrepri- ses. Pour l’enseignement supérieur, et en matière de recherche, il s’agit de nouer des partenariats avec les entreprises. Du côté de l’entreprise, cela passe par une reconnaissance du scientifique dans l’entreprise avec les con- ventions tripartites du type CIFRE en France ou Eureka au niveau euro- péen. Nous retrouvons, là encore, le rôle fondamental de la circulation de la connaissance entre sphères publique et privée.

Par ailleurs, nous avons que la France s’est longtemps targuée de possé- der une forte culture d’ingénieur. En matière de conception ou de construc- tion de réseau, les ingénieurs français ont souvent suscité l’admiration des autres pays. Aujourd’hui, si la culture de l’ingénieur en France reste vivace, ce sont les ingénieurs indiens qui font d’admiration de tous, pas seulement en raison du coût salarial mais surtout en raison de leurs compétences. L’Inde compte près de 700 000 ingénieurs, et l’on estime qu’elle « produit » envi- ron 80 000 ingénieurs par an. Or, aujourd’hui, se profile la Chine qui cher- che, elle aussi, à créer des centres d’excellence. Elle forme à tour de bras des cohortes d’ingénieurs, les envoie dans les meilleures universités occi-

dentales, développe des technologies, c’est dire s’il devient urgent d’agir pour les écoles d’ingénieurs de se regrouper, de coopérer, de s’internationa- liser, bref de se restructurer. Le récent échec de fusion entre l’École des Mines et celle des Ponts indique que la refonte du système n’est pas encore à l’ordre du jour.

Dans le document Désindustrialisation, délocalisations (Page 112-114)