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Chapitre 4 : Résultats 73

4.2 Analyse taphonomique 87

4.2.4 Stigmates anthropiques 96

Les traces de carbonisation sur les ossements sont très difficiles à repérer sur la Grotte du Bison, puisqu’elles se confondent avec la coloration du ferromanganèse. Ce phénomène est bien connu en contexte archéologique de grotte (Stiner et al., 1995; Shahack-Gross et al., 1997). Aucune trace de foyer n’est clairement définie sur la surface de la grotte étudiée (les foyers situés dans la galerie ne faisant pas partie de la présente analyse). Les ossements carbonisés repérés dans l’assemblage sont donc des esquilles calcinées (<30 mm). La Figure 32 montre la densité de ces esquilles qui pourrait témoigner de zones de rejet des cendres ou de lieux éphémères de combustion. La plus grande densité de ces esquilles calcinées se trouve à l’avant de la grotte. L’absence de données sur les foyers qui ont été mis au jour dans la galerie doit être considérée dans l’interprétation du corpus faunique, puisqu’elle entraîne inévitablement des lacunes sur notre compréhension de la gestion de l’espace au sein de la grotte (et donc de la fonction du site). Les foyers étant en outre des points centraux d’activités humaines, il est possible qu’une quantité considérable de stigmates anthropiques se trouve au sein du corpus faunique de la Galerie.

Les stigmates témoignant de l’action anthropique dans l’assemblage 2014 (boucherie primaire : dépouillement et désarticulation ou boucherie secondaire : décharnement, façonnement d’outils, etc.) totalisent seulement 5 pièces osseuses (Figure 39) dont : (1) une trace de découpe sur un fragment de diaphyse d’ongulé (taille 4) (Figure 33), (2) des traces de raclage sur une côte de renne (Figure 34), (3) des traces de découpe sur l’épine dorsale de la vertèbre d’un ongulé (taille 4) (Figure 35 et Figure 36), (4) des stries de désarticulation sur les carpométacarpes droit et gauche d’un grand corbeau (Figure 37), et (5) des stigmates d’utilisation d’un fragment de fémur de renne comme outil (Figure 38). Cette faible quantité de stigmates pourrait être due à de nombreux facteurs: la nature de l’échantillon au sein du palimpseste sédimentaire et de la répartition spatiale des témoins archéologiques, la fragmentation du corpus, l’altération de la surface des os, etc.

Figure 32 : Densité des restes fauniques carbonisés, rouge = très forte densité, jaune = densité moyenne, bleu = faible densité (Hardy et al., 2014a)

Ces rares traces qui ont survécu à l’action des carnivores sont cruciales pour l’interprétation de l’assemblage faunique de la Grotte du Bison. En outre de ces traces, l’observation qualitative de l’ensemble du corpus faunique a permis de constater certains pans de fractures semblables aux fractures expérimentales observées par l’action anthropique de percussion des os longs à l’aide d’un galet afin d’en récupérer la moelle (Alcántara García et al., 2006). En revanche, des fractures correspondant à une action de pression sur l’os (diagnostique du comportement des carnivores), ainsi que moult pièces rongées et digérées sont aussi observables dans l’assemblage. Les pans de fractures des ossements ne sont donc pas traités dans cette analyse, puisqu’il serait nécessaire d’effectuer une étude taphonomique exhaustive de l’ensemble du corpus osseux, ainsi qu’un effort de remontage des fragments.

Description des traces anthropiques

(1) Deux traces de découpe ont été repérées sur un fragment osseux très abimé, provenant potentiellement d’une diaphyse d’os long d’un ongulé de taille 4 (d’après l’épaisseur de l’os cortical : cheval, bonivé ou grand cervidé) (Figure 33). La fonction précise de ces stigmates est difficile à interpréter, mais il pourrait s’agir de stries de décharnement, puisqu’elles sont localisées sur la diaphyse d’un os long (boucherie secondaire) (Binford, 1981a).

(2) De multiples stries relativement parallèles sont situées sur la face crânio-ventrale d’une côte droite de jeune renne (Figure 34). Cette côte correspond à l’une des premières côtes (C2 ou C3) de la cage thoracique. L’alignement et la densité des stries semblent correspondre à un mouvement de raclage. Le geste du raclage est interprété, sur les os longs, comme une activité de « nettoyage » du périoste afin de préparer la surface osseuse qui sera fracturée pour en récupérer la moelle (Binford, 1981a). Les stries produites sur cette côte sont certainement le résultat d’une activité de décharnement, mais le geste du raclage suggère un comportement plus spécifique (segmentation de la cage thoracique?) (boucherie primaire et secondaire).

(3) Plusieurs stries transversales et légèrement obliques sont situées sur les deux faces de la vertèbre thoracique (T1?) d’un ongulé de taille 4 qui s’apparente au cheval (Figure 35 et Figure 36). Ces stries sont typiques des stries de décharnement et d’enlèvement des tendons produites lors d’une phase de boucherie secondaire (Binford, 1981a). La position dans le squelette et la densité des stries pourraient indiquer la segmentation des vertèbres (boucherie primaire), puisque la colonne vertébrale est généralement sectionnée au niveau des premières et des dernières vertèbres thoraciques (Binford, 1981a).

(4) Les deux épiphyses proximales de carpométacarpes de grand corbeau (Corvux corax) semblent le résultat de la désarticulation de la partie distale des ailes de ce rapace pour en récupérer les plumes (Figure 37). L’extrémité des ailes porte les régimes primaires, c’est-à- dire les plus longues plumes des ailes (Hardy et al., 2014a). Le prélèvement des plumes et l’utilisation de diverses parties des rapaces diurnes comme les phalanges distales sont des activités de plus en plus documentées au sein des débats sur les comportements symboliques

de Néandertal (point 5.1.2) (Peresani et al., 2011; Finlayson et al., 2012; Morin and Laroulandie, 2012).

(5) Ce fragment provient du premier tiers proximal de la face crâniale d’un fémur de renne (Figure 38). Trois types de stigmates anthropiques y sont observés : (a) de longues stries longitudinales et de courtes stries obliques caractéristiques des activités de boucherie secondaire de décharnement (Binford, 1981a), (b) des traces d’arrachement subparallèles sur la surface corticale qui pourraient suggérer l’utilisation de l’os comme retouchoir pour la taille d’outils lithiques et (3) des négatifs d’enlèvement situés sur la surface corticale de l’apex de l’objet (couplés à la présence d’un polie important sur la surface endostéale de l’apex) potentiellement débités intentionnellement pour la mise en forme d’un outil. Cette pièce ajoute une preuve supplémentaire de la capacité de Néandertal à comprendre les propriétés minérales de la structure de l’os et à l’exploiter dans le cadre de ses activités technologiques (d’Errico et al., 1998; Gaudzinski, 1999; Tartar, 2004; Burke and d’Errico, 2008; Jéquier et al., 2012; Mallye et al., 2012; Blasco et al., 2013; Soressi et al., 2013; Tolmie, 2013; Abrams et al., 2014; Daujeard et al., 2014; Hardy et al., 2014b; Romandini et al., 2015).

Figure 33 : Pièce O9.41, Traces de décharnement.

Figure 35 : Pièce S13.19, traces de décharnement, face latérale gauche de l’épine dorsale d’une vertèbre thoracique (T1?) d’ongulé taille 4. (supérieur) : zoom 1X, échelle 10 mm. (inférieur gauche) : zoom 1X, échelle 2 mm. (inférieur) droit : 1.6X, échelle 1 mm.

Figure 36 : Pièce S13.19, traces de décharnement, face latérale droite de l’épine dorsale d’une vertèbre thoracique (T1?) d’ongulé taille 4. (supérieur gauche) : zoom 1X, échelle 10mm. (supérieur droit) : zoom 1.5X, échelle 5mm. (inférieur) : zoom 1.5X, échelle 1mm.

On remarque que l’une des stries de décharnement est partiellement recouverte des stigmates de rongement par un carnivore (potentiellement la hyène des cavernes).

Figure 37 : Pièces provenant du tamisage (carré O3). Deux carpométacarpes (droit et gauche) de grand corbeau portant au moins trois incisions profondes de désarticulation (flèches épaisses). Carpométacarpe droit; 1 : face ventrale, 2 : face dorsale, 3 : face proximale. Carpométacarpe gauche; 4 : vue antéro-ventrale, 5 : face proximale. Photo et analyse de Cécile Mourer-Chauviré dans (Hardy et al., 2014a, pp 93–94).

Figure 38 : Pièce S9.57, outil sur fragment de fémur gauche de renne. (supérieur) schéma diacritique de la pièce, (inférieur) photo : Zoom 1X, échelle 20 mm (Hardy et al., 2014b).

Crocuta crocuta spelaea 22% Panthera sp. 2% Canis lupus 13% Ursus spelaeus 32% Vulpes vulpes 31%

Abondance relative des carnivores (NRD)

Vieil adulte

Adulte Juvénile Crocuta crocuta spelaea

Ursus spelaeus

Diagramme ternaire des profils de mortalité des carnivores

Canis lupus

Vulpes vulpes