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A/ Les distinctions juridiques.

A l’époque moderne, le péage recouvre plusieurs formes juridiques. Patrimonial, il appartient pleinement au seigneur et possède un caractère héréditaire. Domanial, il est la propriété du roi et peut être cédé pour une durée limitée à un seigneur engagiste qui en assure le fonctionnement. Enfin le statut d’un péage peut être mixte, partagé entre ces deux modes de propriété. Les droits de péage pouvaient être détenus par des personnes physiques mais aussi par des communautés laïques ou religieuses. Ils appartenaient majoritairement à la noblesse seigneuriale ou au roi. Ils étaient également parfois entre les mains des élites ecclésiastiques, comme par exemple le droit de pontonnage relevant de l’autorité de l’évêque et prince de Grenoble, perçus sur le pont de pierre de cette ville. Enfin les communautés pouvaient également jouir d’un péage. Ainsi les échevins et consuls de la ville de Grenoble étaient détenteurs d’un péage sur le pont de la ville.187

Les péages détenus par la famille de la Croix de Chevrières connaissent des types de propriété distincts. Le premier péage, qui à l’origine se prélevait à Charmagnieu, est patrimonial, comme l’affirme le mémoire des titres adressés lors de la vérification des péages : « Comme lesdits

péages sont distinct, en ceque celuy de Charmagnieu est patrimonial… »188 . Ce péage

appartient donc pleinement à la famille de la Croix de Chevrières, à qui revient l’intégralité des bénéfices.

Le péage de Pizançon est mixte, étant pour une part domanial (relevant du roi) et d’une autre part patrimonial, dépendant de la seigneurie de Pizançon et revient donc à la famille de la Croix de Chevrières : « celuy de Pizançon est domanial et patrimonial par indivise. »189

La division d’un droit de péage entre le roi est un autre propriétaire n’est pas un cas unique : dans son étude sur les péages en France au XVIIIème siècle, Anne Conchon donne l’exemple de l’évêque de Béziers qui possède en partage avec le roi un tiers du droit de péage perçu dans

187

BMG, Cote U.1331, Arrêt du conseil du roi du 11 octobre 1723 : cet arrêt reconduit la communauté de Grenoble dans le droit de percevoir le péage. Nous n’avons pas réussi à déterminer, d’après les sources, si ces deux droits de péages étaient situés sur le même pont et si dans ce cas ils étaient prélevés par le même receveur ou s’il y a un péage sur chacun des deux ponts de Grenoble.

188

ADI, Cote 29 J 137. 189

76 la ville.190 Les sources consultées ne permettent cependant pas de connaître les pourcentages respectifs accordés à chacune des parties. Par contre, un document nous donne la preuve que le roi percevait réellement la part qui lui revenait sur ce modeste péage. Dans une lettre,191 Anne Bailly, épouse de Jean II de la Croix de Chevrières, qui gère les affaires du péage après la mort de son mari conteste un prélèvement s’effectuant sur l’ensemble des droits de péage. Elle expose le fait que les droits concernés dépendent du domaine, et qu’en aucun cas la taxe doit s’appliquer au péage de Charmagnieu.

Les péages de Charmagnieu et Pizançon avaient tout d’abord une fonction économique pour ces propriétaires. La perception du droit de péage sur les marchandises traversant le mandement de Pizançon permet d’accroitre les revenus de la famille de la Croix de Chevrières et à la révolution Jean François réclame des indemnités, suite à la perte des droits seigneuriaux :

« M. de la Croix présente encore ici un autres objet majeur d’indemnité que l’on croit trop

bien fondé pour etre constaté, ses auteurs estaient proprietaire d’un droit de péage par eau et par terre appellé le péage de Charmagnieu dont le produit estoit considerable »192.

Le fait que le péage de Charmagnieu constitue une des principales demandes d’indemnité, montre son importance, au moins à l’échelle de la seigneurie de Pizançon. Pour appuyer cette demande auprès des administrateurs de Romans, il fournit un acte des anciens propriétaires, la famille de Poitiers, qui évalue le produit du péage à 500 livres annuelles.

B/ Entre enrichissement personnel et intérêts publics.

Cependant, les privilèges que constituent les différents droits seigneuriaux ne sont pas totalement exempts de contrepartie. Le droit de Vingtain, qui pouvait s’exiger sur le fruit de la terre ou sur les personnes, permettait, au moins théoriquement, au seigneur d’assurer la protection et la défense des habitants de la seigneurie.193

190

Anne Conchon, op. cit. p.70. 191

ADI, Cote 29 J 137 :Papiers Anne Bailly. 192

ADI, Cote 29 J 125. 193

Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural : les mots du passé, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1997, p. 1318.

77 Le droit de péage renvoie également à certains devoirs du propriétaire. Par les bénéfices que lui assure le péage, ce dernier doit investir dans l’entretien des voies de communication et sécuriser l’activité commerciale.194 Les rôles précis des péages détenus par la famille De la Croix de Chevrières sont difficiles à cerner. Pour le péage de Charmagnieu aucun bail à prix faits ou quittances annexées aux différents titres produits lors des vérifications des droits ne nous renseignent sur son utilité publique. Les bénéfices dégagés étaient-ils destinés à l’entretien des biens collectifs de la seigneurie, contribuaient-ils à l’entretien du pont reliant les communautés du Bourg du péage de Pizançon et de Romans ? Ou servaient-ils à prendre en charge une partie des aménagements des berges ou les travaux de défense contre l’Isère ? Toutes ces interrogations restent entières. La seule chose que nous pouvons affirmer grâce aux quelques mandats adressés aux fermiers des péages, c’est d’une utilisation personnelle et immédiate d’une part des bénéfices que constituent les rentes issues des fermages. Ces dépenses se constituent d’achats de bois ou d’ardoise, effectués par Louis de la Croix de Chevrières sur la perception des péages :

«Mestre Allier vous donneray a Mestre Perrochet la somme de quinze livres pour voiture

d’ardoise qu’il ma fait dont et vous tienderay compte sur votre exaction en me rapportant le présent mandat acquitte a Pizançon le dix sept Janvier mil sept cents trente et un. Signé de Pizançon. »195.

Ou encore servir à rembourser des dettes :

«Mr Giroud vous payerai à monsieur de la cour de poste la somme de sept livres un sols que je

luy doit pour port de lettres fins à ce jour laquelle somme je vous imputeré en me rapportant le present acquité a Pisançon ce douze decembre mil sept cent trente trois », « Mr Giraud mon fermier par terre vous payerai au bourrelier du péage porteur du present mandat la somme de cinq livres et dix pour la fourniture de son metier fait ce jour de laquelle somme je vous tiendray compte en me rapportant le present mandat acquité a Pisançon » 196

Le roi procède d’une manière similaire quand il réclame une avance sur les revenus de la part domanial du péage de Pizançon en 1642 afin de répondre à une dépense urgente :

194

Anne Conchon, op. cit. pp. 71-78. 195

ADI, Cote 29 J 142, Péages pièces comptables (1727). 196

78 « extrait de l’étstat de recouvrement par estimation d’un quartier et demy des droits de péages

et passages de ce royaume de l’année mil six cents quarante deux ; le dit quartier et demy ordonné par arret du conseil d’estat du douziesme mars 1642 [ …] porté à l’espargne pour etre employé aux défenses de la guerre et urgente necessitez de l’estat ; [ …] la somme de quatre mil cinq cents deux livres […] seroit forny audit Moyel ou aux porteur de la quittance par lesdits propriétaires, fermiers ou commis au preposer chacun endroit soy dans les trois jours après la signification qui leurs en sera faite […] sous peine du quadruple et faute de se faire dans le dit temps. »197

C’est à cette occasion qu’Anne Bailly, l’épouse de Jean II de la Croix de Chevrières, rappelle que les bénéfices perçus sont le fruit des deux péages -Pizançon et Charmagnieu- et que donc seul le fruit de la part domaniale du péage de Pizançon peut être réclamé par le roi, en aucun cas celui du péage de Charmagnieu.198