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A/ Localisation des péages.

D’après Jacques Rossiaud70 il y avait quinze péages sur l’Isère à la fin de l’époque médiévale. Un extrait71 de l’arrêt du conseil d’Etat du 21 avril 1664 nous permet de localiser

les péages depuis l’embouchure de l’Isère jusqu’à Grenoble. L’arrêt stipule bien sur ceux de Charmagnieu et de Pizançon, ainsi que sept autres péages72 qui, en continuant à remonter l’Isère en direction de Grenoble sont ceux de Saint Lattier, Saint Nazaire en Royans, Armieux et Saint-Gervais, Saint Quentin sur Isère, Tullins, Sassenage et Grenoble. Bien que la liste suivante soit incomplète, nous pouvons également situer en amont ceux de Montfleury, La Terrasse, Goncelin, Pontcharra. Ceux de Charmagnieu et Pizançon sont indiqués en rouge, les autres en orange :

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AMG, Cote DD 96, Ports, Pièce n°2. 70

Jacques Rossiaud, Le Rhône au Moyen Âge : Histoires et représentations d’un fleuve européen, Paris, Aubier, 2007.carte p. 616

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ADI, Cote 2C 755 « Arrêt du conseil d’Etat du 21 avril 1664 portant règlement général pour les péages qui se lèverons sur l’Izère. »

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38 Carte : Péages sur l’Isère.

Sur l’ensemble des péages présents sur l’Isère entre la Roche de Glun et Pontcharra, quatre sont situés sur des ponts : celui de Pizançon, celui de Grenoble - deux à partir du début du XVIIème siècle avec la construction d’un nouveau pont73- et celui de Goncelin. Sur les quatre péages, trois d’entre eux réemploient une partie des bénéfices réalisés à l’entretien des ponts ou infrastructures fluviales. Seul celui de Pizançon semble ne pas avoir ce rôle.

B / Les installations fluviales : coût et entretiens.

Les ponts, les bacs et ports sont des édifices ou des lieux qui rythment les activités et les déplacements des populations riveraines comme des marchands. Lorsqu’un pont vient à être emporté par une crue, c’est un dommage important pour la collectivité : le trafic marchand est détourné, la circulation des biens et des marchandises fortement perturbée, les revenus liés aux différentes taxes précédemment perçues, ramenés à rien. Sans compter que la reconstruction du pont représente un coût considérable, que bien souvent les communautés locales sont incapables de prendre en charge.

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39 Les villes, comme Grenoble, consacrent une part importante de leurs finances à l’entretien des ponts. Ces finances sont composées des différentes fermes : du revenu des amendes, ainsi que des droits d’arrérages et souvent complétées par les privilèges accordés. Le droit de péage permet, dans certains cas, de constituer une trésorerie destinée à entretenir les infrastructures fluviales. Un droit de péage sur le pont de la ville de Grenoble a été accordé en 1548. Les sommes perçues doivent être affectées par les consuls à « l’entretien du pont, le parachèvement

des casernes, le paiement des indemnités dues aux propriétaires des maisons nécessaires de reculer la façade pour élargir le pont. »74 En temps normal, c’est la ville qui procède à l’entretien du pont. Elle est cependant incapable d’assumer la reconstruction de celui-ci lorsque les crues l’emportent et doit faire alors appel à l’aide royale. Cette pratique ancienne est largement utilisée lors des différentes crises fluviales des XVIIème et XVIIIème siècles, comme par exemple, lors de la terrible inondation de 1651.

Lors de cette crue, Grenoble enregistre la perte de l’unique pont qui permettait la traversée de l’Isère au sein de la ville. Dès lors, les marchands ou les riverains qui ne peuvent transporter leurs marchandises ou leurs bêtes par bacs, doivent remonter jusqu’au pont de Goncelin, 25 kilomètres en amont, avant de redescendre75. Pour subvenir aux dépenses élevées, le duc de Lesdiguières sollicite le parlement pour demander une aide royale et la levée d’un emprunt de 30 000 Livres.76 Après la crue de 1733, le pouvoir royal adressera une nouvelle aide, de 75 000 Livres cette fois et pour une période de deux ans, pour les réparations des chemins et ponts de la ville.77

Si l’entretien des ponts semble mobiliser les autorités provinciales et royales, l’attention portée aux bacs reste de moindre importance. Il est vrai que le coût de la mise en place d’un bac est sans commune mesure avec celle d’un pont. Mais si la décision d’établir cet édifice revient aux autorités provinciales, celles-ci ne semblent pas assurer son financement. L’adjudication passée entre la ville de Grenoble et César Jarrand pour l’établissement d’un bail lors de l’année 1733 montre l’absence d’engagement des autorités :

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BMG, Cote U.1331, Arrêt du conseil du roi du 11 Octobre 1723 qui reconduit le droit de péage concédé à la communauté de Grenoble, à partir du 2 décembre 1723 et pour une durée de 25 ans.

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Dans le haut de la vallée du Grésivaudan, l’Isère peut être passée à gué, mais seulement en été ou les années de basses-eaux.

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Auguste Prudhomme, Histoire de Grenoble : des guerres de religion au XIXe siècle, Tome 2, Monein, Editions Pyrémonde, 2007, p. 86-87.

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Denis Cœur, La plaine de Grenoble face aux inondations : Genèse d’une politique publique du XVIIe au XVIIIe

40 « art 1° que l’entrepreneur fournira a ses frais un grand bateau neuf delargeur de dix a onze

pied au fond, de deux pieds et demy environ de bande, de neuf toises de longeur garny d’un pont fait avec des solivaux qui traversent d’un pied et demi de chaque cotté dudit batteau, lesdits solivaux couvrants de madriers d’un pouce et demy d’epaisseur avec des parbandes autour dudit pont de trois a quatre pied de hauteur.

art 2° Fournira aussy a ses frais tous les cordages et cordes, pilliers de bois dechaine, les trailles, le traillons et autres attraits necessaire a l’occasion dudit bac. »78

Ce bac ayant été mis en place peu après l’inondation qui a détruit le pont de bois de la ville, il est probable que l’absence d’une aide de la communauté de Grenoble soit due au fait que le bac constituera rapidement une source de bénéfice pour celui qui en détient l’exploitation. Cette infrastructure n’est que temporaire puisque le bac est utilisé jusqu'à la réparation du pont, avant d’être démonté.

Ce procédé semble également se répéter pour les bacs mis en place de façon durable tout au long de la rivière : la confirmation du bac de Beauvoir rappelle à son propriétaire qu’il doit maintenir à ses frais l’état de son bateau et employer un équipage suffisant pour la manœuvre.79 En plus d’assumer le bon fonctionnement de leurs bacs, les propriétaires sont également contraints d’entretenir les berges de la rivière aux abords du passage :

« Les fermiers des ports ou bacs de Fontaine, Seyssins, Sassenage, Veurey-Voroise seront

tenus d'informer les changements des bacs et de rétablir les chaussées ainsi que de replanter les arbres lorsqu'il en abattra. »80

La plupart des bacs présents sur l’Isère appartiennent à la noblesse locale, qui possède des autorités royales le droit de les établir. Par des contrats de fermage, celle-ci délègue à son tour la mise en place et le fonctionnement des bacs à des fermiers qui en prennent charge.

Les ponts et bacs semblent donc répondre de deux logiques différentes, variant selon le coût de l’ouvrage et sa portée. Aux bacs, peu couteux et principalement destinés au transport des populations riveraines, la charge revient à la noblesse locale. Aux ponts, dont le coût est plus élevé, l’intérêt économique plus important et la dimension stratégique toujours sous-jacente, la charge revient à une communauté très soutenue par le pouvoir royal.

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AMG, Cote DD 95, Les bacs. 79

ADI, Cote 7 C 832. 80

41 De l’eau a coulé sous les ponts depuis le XVIIème siècle. Aujourd’hui, l’Isère est plus canal que rivière et l’industrie a pris la place des hommes. A l’époque moderne, le fleuve est certes un obstacle difficile à franchir et couteux à passer à pieds secs. Mais c’est également un espace vécu, un moyen de déplacer des marchandises lourdes et encombrantes difficilement transportables par voies terrestres. L’Isère dessine ainsi des voies commerciales, tant sur l’eau que sur terre. Sur l’eau, c’est l’axe lui-même. En dehors, c’est une frontière qui rejette les marchands et leurs convois vers les rares ponts qui la franchissent et dessine ainsi des passages obligés. En cela, la rivière est aussi une source de richesse potentielle, pour peu que le caractère parfois impétueux de l’Isère n’emporte en un jour ce qui a couté tant d’argent.

Après avoir brièvement observé le rapport entre les hommes et l’eau sur l’Isère et particulièrement les installations présentes dessus -ponts, bacs, ports et péages- nous allons maintenant aborder parmi ces derniers les péages de Charmagnieu et Pizançon.