• Aucun résultat trouvé

Le statut de combattant de jure : l’intégration aux forces armées régulières d’une Partie au

Chapitre II. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des

1. Le statut de combattant de jure : l’intégration aux forces armées régulières d’une Partie au

L’article 4(A)(1) de la Convention III confère le statut de combattant aux membres réguliers des forces armées des Parties au conflit, soit tous les militaires69 faisant organiquement partie des forces armées70, incluant les milices et les corps de volontaires qui, dans certains pays, se distinguent de l’armée proprement dite, bien qu’ils fassent partie des forces armées71. Sont visés non seulement les membres des forces armées qui ont des fonctions combattantes, mais également ceux qui accomplissent des tâches administratives72. L’article 43(3) du Protocole I offre par ailleurs aux Parties au conflit la possibilité d’intégrer dans leurs forces armées « une organisation paramilitaire ou un service armé chargé de faire respecter l’ordre », pour autant qu’elles le notifient aux autres Parties au conflit. Afin que les employés d’une EMP acquièrent de jure le statut de combattant, il faudrait donc, soit qu’ils deviennent individuellement membres des forces armées d’une Partie au conflit, soit que l’EMP qui les emploie y soit elle-même intégrée.

67 Ipsen, supra note 42 à la p. 79.

68 Éric David, Principes de droit des conflits armés, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 2002 à la p. 422. (Si la

population veut continuer sa lutte une fois l‟occupation établie, elle doit respecter les conditions applicables aux mouvements de résistance ou être incorporée dans les forces armées de l‟autorité dont elle dépend ou se réclame) [David].

69 De Preux, supra note 66 à la p. 58. 70 David, supra note 68 à la p. 419. 71 De Preux, supra note 66 à la p. 58. 72 David, supra note 68 à la p. 421.

1.1 L’hypothèse de l’adhésion individuelle des employés d’entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit

Les Conventions laissent une grande marge de manœuvre aux États qui, souverains en regard de leurs affaires internes, décident de l’organisation de leurs forces armées et des conditions à satisfaire pour en devenir membres73. Elles ne donnent pas d’indications claires permettant de déterminer qui peut être considéré comme membres des forces armées régulières d’un État. Il faut donc se référer en la matière au droit interne et au système politique de chaque Partie au conflit74. La

plupart des États ont élaboré des procédures d’enrôlement et de conscription qui permettent ou imposent à des individus de joindre les rangs de leur armée et de les soumettre à son commandement. Certains États sont cependant beaucoup moins formels, quelques-uns acceptant même qu’un individu soit membre de ses forces armées dès qu’il prend part au combat75. En l’absence de dispositions dans le droit national sur le sujet, il n’y a pas de critères fixes qui permettent d’établir, à coup sûr, qu’un individu fait partie des forces armées d’une Partie au conflit au sens de l’article 4(A)(1) de la Convention III. Toutefois, quelques indices peuvent, sans être probants en soi, être révélateurs d’une telle appartenance comme le port de l’uniforme, la soumission à la chaîne de commandement militaire, l’assujettissement au code de discipline et au code pénal militaire et la possession d’une carte d’identité prévue par la Convention III76.

La démarche consiste donc à vérifier si l’État qui sous-traite des tâches militaires à une EMP a accompli les formalités nécessaires, en vertu de son droit interne, pour intégrer les employés de cette compagnie au sein de ses forces armées. Rappelons à cet égard qu’il n’existe, à la base, aucun lien direct entre la Partie au conflit et les employés du secteur privé, qui sont plutôt liés par contrat à une

73 Nicki Boldt, « Outsourcing War – Private Military Companies and International Humanitarian Law »

(2004) 47 German Yearbook of International Law 502 à la p. 515 [Boldt].

74 Ibid. à la p. 515; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 524. 75 Schmitt, ibid (Schmitt cite l‟exemple de l‟armée des Talibans en Afghanistan).

corporation77. Le simple fait que des employés d’EMP exercent des tâches militaires au profit d’une Partie au conflit ne suffisant généralement pas en vertu du droit national à en faire des membres de ses forces armées78, les employés d’EMP ne pourront être considérés comme des membres des forces armées d’un État sans que celui-ci ne pose un geste positif en ce sens. Si cette intégration apparaît techniquement possible79, il en va de la volonté des États de la mettre en œuvre. À ce jour, cette solution n’a été retenue que de façon exceptionnelle; il n’est toutefois pas exclu qu’elle soit davantage utilisée dans l’avenir. Notons à cet égard, que les États occidentaux semblent envisager les choses différemment de ceux dont la puissance militaire est moins développée.

L’un des principaux objectifs poursuivis par les États occidentaux qui sous-traitent des tâches militaires à des EMP est de réduire la taille de leurs forces armées en privatisant une partie de leurs opérations, ce qui s’oppose, à première vue, à ce qu’ils intègrent des employés du secteur privé au sein de leurs forces armées régulières. Ainsi, la tendance actuelle parmi les États occidentaux est de ne faire aucune démarche pour intégrer les employés d’EMP dans leurs forces armées et de les considérer comme des civils80, à l’exception du Royaume-Uni qui, avant- gardiste en la matière, a élaboré une solution novatrice en permettant à l’armée de sous-traiter certaines activités à des EMP pourvu qu’une proportion de leurs employés servent dans la « Sponsored Reserve »81 et puissent donc être déployés

77 Avril McDonald, « The Legal Status of Military and Security Subcontractors » dans Roberta Arnold et

Pierre-Antoine Hildbrand, dir., International Humanitarian Law and the 21st Century’s Conflicts, Genève,

Édis, 2005, 215 aux pp. 226-227 [McDonald].

78 Voir en ce sens Gillard, supra note 14 à la p. 533; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note

2 à la p. 525.

79 Voir notamment Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 524; Boldt, supra note

73 aux pp. 515-516; Michael E. Guillory, « Civilianizing the Force : Is the United States Crossing the Rubicon? » (2001) 51 A.F.L. Rev. 111 à la p. 141 [Guillory]; Rebecca R.Vernon, « Battlefield Contractors : Facing the Tough Issues » 33 Pub. Cont. L.J. 369 à la p. 421 [Vernon]; Cameron, supra note 5 à la p. 583. Voir cependant McDonald, supra note 77 aux pp. 226-227.

80 Cameron, supra note 5 à la p. 584; Boldt, supra note 73 à la p. 513. 81 Reserve Forces Act 1996 (R.-U.), 1996, c. 14.

comme des membres des forces armées au besoin82. Ainsi, ces employés d’EMP membres de la « Sponsored Reserve » travaillent comme civils pour l’EMP et, lorsque nécessaire, servent pour les forces armées à titre de réservistes.

À l’inverse des grandes puissances militaires, certains États qui disposent de capacités militaires plus limitées et qui cherchaient ainsi à combler un manque de ressources et d’expertise faisant défaut au sein de leurs propres forces armées ont vu un avantage particulier à intégrer les employés du secteur privé au sein de leurs forces armées83. Ce fut notamment le cas d’un certain nombre de pays africains aux prises avec des conflits internes depuis les années 1990. Ainsi, le gouvernement de la Papouasie Nouvelle-Guinée a-t-il intégré les employés de Sandline à ses forces armées en leur accordant le statut de « Special Constables »84. Certains auteurs affirment également que des employés d’Executive Outcomes auraient été intégrés aux forces armées de la Sierra Leone85.

1.2 L’hypothèse de l’incorporation des entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit

Puisque ce n’est qu’exceptionnellement que des employés d’EMP soient individuellement intégrés aux forces armées d’une Partie au conflit, il y a lieu de se demander si l’EMP ne pourrait pas, en tant qu’entité, être considérée comme une milice, un corps de volontaires86, un groupe ou une unité87 qui fait de jure partie des forces armées. Là encore, les Conventions cèdent le pas au droit national

82 The British Army, The Reserve Forces Act 1996 – Mobilisation and call out issues, en ligne :

<http://www.armedforces.co.uk/army/listings/l0135.html>.

83 Boldt, supra note 73 à la p. 516.

84 Voir le contrat entre Sandline et le gouvernement de la Papouasie Nouvelle-Guinée daté du 31 janvier

1997, reproduit par Peter W. Singer : Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 249; Foreign and Commonwealth Office, Private Military Companies : Options for Regulation, London, Stationery Office, 2002 à la p. 7, en ligne : <www.fco.gov.uk/Files/kfile/mercenaries,0.pdf>.

85 Juan Carlos Zarate, « The Emergence of a New Dog of War : Private International Security Companies,

International Law, and the New World Disorder » [1998] Stan. J. Int‟l L. 75 à la p. 124 [Zarate].

86 Convention III, art. 4(A)(1). 87 Protocole I, art. 43(1).

puisqu’elles ne donnent aucun détail sur les conditions que doivent satisfaire ces groupes pour faire partie des forces armées d’une Partie au conflit. Il semble toutefois qu’une affiliation formelle aux forces armées soit nécessaire88. En effet, il ressort des commentaires relatifs à l’article 4(A)(1) de la Convention III que les milices et corps de volontaires, bien que distincts de l’armée proprement dite, font partie des « forces armées »89 et sont donc intégrés à sa structure organique90. Par ailleurs, l’article 43(3) du Protocole I prévoit que les États qui souhaitent intégrer au sein de leurs forces armées des organisations paramilitaires ou services armés chargés de faire respecter l’ordre doivent le notifier aux autres Parties au conflit, ce qui suppose l’existence d’un acte formel d’incorporation91.

Comme le disait le professeur Michael N. Schmitt, il serait pour le moins incongru qu’un État soit tenu d’incorporer formellement à son armée ces groupes, qui sont des entités gouvernementales par essence, et qu’il n’ait pas à le faire pour des compagnies privées92.

Le simple fait qu’une EMP se voit confier, par contrat, des tâches de nature militaire ou qu’elle assiste les forces armées dans leur travail apparaît donc insuffisant pour qu’elle fasse partie de celles-ci et que ses employés se voient octroyer, de jure, le statut de combattant93. Cette incorporation pourrait, suivant les exigences du droit national, devoir se faire au moyen d’une loi nationale qui soumettrait l’EMP à la chaîne de commandement militaire94. Aussi, une notification

88 Henckaerts, supra note 38 à la p. 17.

89 De Preux, supra note 66 à la p. 58; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525;

Gillard, supra note 14 à la p. 532; Boldt, supra note 73 aux pp. 523-524.

90 David, supra note 68 à la p. 419.

91 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525; Cameron, supra note 5 à la p. 583;

Centre universitaire de droit international humanitaire, Expert meeting on private military contractors : Status and state responsibility for their actions, Genève, 29-30 août 2005 à la p. 12, en ligne : <http://www.ucihl.org/communication/private_military_contractors_report.pdf> [Centre universitaire de droit international humanitaire].

92Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525. Voir au même effet Centre

universitaire de droit international humanitaire, ibid.

93 Schmitt, ibid; Cameron, supra note 5 à la p. 584.

94 Voir également Henckaerts, supra note 38 à la p. 17 (l‟intégration aux forces armées se fait normalement

au sens de l’article 43(3) du Protocole I serait requise afin que l’ennemi puisse savoir qui fait partie des forces armées, qui lui sont opposés95.

Nous n’avons recensé aucun cas précis où des EMP, en tant qu’entités, auraient été formellement intégrées aux forces armées d’une Partie à un conflit96. Évidemment, une telle incorporation apparaît, au même titre que l’intégration individuelle des employés, contraire aux objectifs qui sous-tendent la privatisation par les États occidentaux, à moins qu’elle ne puisse se faire sur une base très temporaire, ce qui est loin d’être certain. Il est en outre assez difficile d’imaginer comment une entreprise privée pourrait être intégrée à la structure militaire d’un État à moins qu’elle ne soit nationalisée.

2. Le statut de combattant de facto : l’appartenance à un groupe armé