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La sous-traitance d'activités militaires par l'État au secteur privé : une entorse aux règles du droit international humanitaire?

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Academic year: 2021

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(1)

ANNE-MARIE BURNS

LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR

L’ÉTAT AU SECTEUR PRIVÉ : UNE ENTORSE AUX

RÈGLES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE?

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en droit pour l’obtention du grade de Maître en droit (L.L.M.)

FACULTÉ DE DROIT UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2011 © Anne-Marie Burns, 2011

(2)

Résumé

Depuis la fin des années 1990, les États confient à des entreprises privées des activités militaires autrefois exercées par l’armée, amenant ces dernières à intervenir dans des conflits armés. Les règles du droit international humanitaire régissant les conflits armés internationaux n’ayant pas été conçues pour ce type d’intervenants, leur application n’est pas sans poser certains problèmes, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer quel est le statut des employés d’entreprises militaires privées au regard des Conventions de Genève. Eu égard à la confusion que l’implication d’acteurs au statut incertain ou difficilement déterminable engendre sur l’application du droit international humanitaire, ce travail de recherche vise à déterminer si les États respectent l’ensemble de leurs obligations lorsqu’ils sous-traitent des activités militaires à des entreprises privées. En d’autres termes, il s’agit de déterminer si le respect du principe de distinction entre combattants et personnes civiles ne poserait pas certaines limites à une telle pratique.

(3)

Abstract

Since the 1990’s, States outsource military activities once performed by their army to private companies, leading the latter to intervene in armed conflicts. The rules of Humanitarian Law applicable in international armed conflicts were not conceived for these non-state actors, making them difficult to apply in this context, notably when it comes to determining the status of the employees of private military companies under the Geneva Conventions. Considering that the involvement of these actors whose status is uncertain or hard to determine causes confusion on the application of Humanitarian Law, this research project aims at determining whether States fulfil all their obligations when they outsource military activities to private companies. In other words, it inquires whether the obligation to respect the principle of distinction between combatants and civilians entails limitation to this practice.

(4)

Merci à Olivier Delas, qui m’a guidée et encadrée dans la réalisation de ce projet. Merci à Pierre Rainville pour son support et ses encouragements, ainsi qu’à Marjolaine Caron pour sa constante collaboration. Merci aussi à André, Jérémy, Jacqueline et Robert pour leur soutien inébranlable et leur patience de tous les jours.

« Travailler c’est œuvrer à réaliser une parcelle du rêve qui vous fût attribué quand naquit ce rêve, le plus ancien de la terre. »

Khalil Gibran, Le prophète

Grâce à ces études de maîtrise, mon rêve de travailler pour la justice pénale internationale est devenu réalité.

Ce travail de recherche a bénéficié du soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et du Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC).

(5)

Table des matières

LISTE DES ABRÉVIATIONS ... vii

LISTE DES IMAGES ... x

INTRODUCTION ... 1

Partie 1 : La confusion entourant le régime juridique applicable aux employés d’entreprises militaires privées en droit international humanitaire ... 15

Chapitre I. L’entente entre les Hautes Parties contractantes aux Conventions : le principe de distinction entre combattants et personnes civiles ... 15

1. La nécessité de distinguer les combattants des civils ... 15

2. Les statuts de combattants et de personnes civiles et les privilèges y associés ... 18

2.1 Les combattants ... 18

2.2 Les personnes civiles ... 22

Chapitre II. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des combattants privilégiés ... 25

1. Le statut de combattant de jure : l’intégration aux forces armées régulières d’une Partie au conflit ... 26

1.1L’hypothèse de l’adhésion individuelle des employés d’entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit ... 27

1.2L’hypothèse de l’incorporation des entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit ... 29

2. Le statut de combattant de facto : l’appartenance à un groupe armé satisfaisant aux conditions énoncées aux Conventions ... 31

2.1 Les conditions d’obtention du statut de combattant de facto ... 31

2.2 La faculté pour les États d’avoir recours à des combattants de facto ... 32

2.2 L’examen du respect des conditions d’obtention du statut de combattant de facto par les employés d’entreprises militaires privées ... 35

2.2.1 Les conditions applicables au groupe ... 35

i) Un mandat pouvant impliquer une participation directe aux hostilités ... 35

ii) Agir au nom d’une Partie au conflit ... 37

iii)Être soumis à un commandement responsable mis en force par un régime de discipline ... 40

iv) Respecter les lois et coutumes de la guerre ... 55

2.2.2 Les conditions applicables aux individus ... 56

i) Porter un uniforme ou un signe distinctif ... 56

ii) Porter ouvertement les armes... 60

2.3Conclusion sur la possibilité d’obtenir le statut de combattant de facto ... 62

2.4La perte du statut de combattant : le cas du mercenaire ... 63

2.4.1 Les facteurs d’inclusion ... 65

(6)

Chapitre III. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme

des civils protégés ... 69

1. Les personnes civiles ... 69

2. Le cas particulier du civil qui accompagne les forces armées ... 70

2.1Les critères d’obtention du statut de civil qui accompagne les forces armées ... 71

2.1.1 Dispenser des services aux troupes militaires ... 71

2.1.2 L’autorisation d’accompagner les forces armées ... 73

Conclusion de la partie 1 : Une distinction fondée essentiellement sur la participation aux hostilités ... 75

Partie2 :L’impact de la sous-traitance d’activités militaires à des entreprises militaires privées sur le respect des Conventions ... 77

Chapitre I. Le civil qui participe aux hostilités ... 83

1. L’ambiguïté entourant la notion de participation directe aux hostilités ... 83

1.1La difficulté à identifier les activités visées ... 85

1.1.1 Un acte hostile ... 86

1.1.2 Un lien de causalité ... 87

1.1.3 Un acte commis au bénéfice d’une Partie au conflit et au détriment d’une autre ... 90

1.2L’incertitude quant à la durée de la participation aux hostilités ... 92

1.3L’absence d’un consensus quant à la perte et au recouvrement de l’immunité ... 92

1.3.1 La théorie du combattant illégal ... 94

1.3.2 La théorie du civil non protégé ... 94

1.3.3 La théorie du membre des forces armées ... 95

2. La difficulté à faire la distinction en pratique ... 98

3. La participation aux hostilités : un critère de distinction inapproprié ... 104

Chapitre II.Le respect du principe de distinction comme condition de la mise en œuvre des Conventions ... 108

1. L’intention des Parties : la lutte armée par l’intermédiaire des forces armées ... 108

2. L’absence de participation de civils aux hostilités comme condition du respect des obligations découlant des Conventions ... 110

2.1L’obligation de protéger la population civile ... 110

2.1.1 L’obligation de protection envers les employés d’entreprises militaires privées . 111 2.1.2 L’obligation de protection envers la population civile en général ... 114

2.2L’obligation de respecter la population civile ... 115

2.3Le contrôle de l’État sur les forces armées et la mise en œuvre de sa responsabilité .... 117

2.3.1 Les exigences posées par les Conventions ... 117

i) Le contrôle ... 118

ii) La responsabilité ... 120

2.3.2 Le respect de ces exigences lorsque des entreprises militaires privées sont impliquées ... 121

i) Le manque de contrôle sur les entreprises militaires privées ... 121

ii) La mise en œuvre de la responsabilité de l’État pour les violations du DIH commises par des entreprises militaires privées ... 128

(7)

3. L’obligation de prévenir les violations du DIH et l’application de bonne foi des Conventions 131

Conclusion de la partie 2 : Les mesures à prendre lors de l’embauche des entreprises

militaires privées pour assurer une application de bonne foi des Conventions ... 134

1. L’intégration aux forces armées lorsque les activités confiées peuvent conduire à la participation directe aux hostilités ... 134

2. L’identification des employés d’entreprises militaires privées ... 141

3. Les restrictions quant au port d’armement ... 142

4. La définition des règles d’engagement ... 143

5. L’information des employés d’entreprises militaires privées quant à leurs droits et obligations ... 143

CONCLUSION... 145

(8)

Abréviations

Adel. L.R. Adelaide Law Review

AG Assemblée générale

A.F.L. Rev. Air Force Law Review

B.C. Int’l & Comp. L. Rev. Boston College International & Comparative Law Review

B.C.L. Rev. British Columbia Law Review

Cal. W. Int’l L.J. California Western International Law Journal CICR Comité international de la Croix-Rouge Chic. J. Int’l L. Chicago Journal of International Law

CIA Central Intelligence Agency

C.I.J. Cour internationale de Justice

C.I.J. Rec. Cour internationale de Justice: Recueil des arrêts, avis consultatifs et ordonnances

Cir. Circuit Court of Appeals (federal)

C.P. Conseil Privé

Colum. J. Transnat’l L. Columbia Journal of Transnational Law

Comm. Interam. D.H. Commission interaméricaine des Droits de l’Homme Convention III Convention de Genève relative au traitement des

prisonniers de guerre du 12 août 1949

Convention IV Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949

CRS Congressional Research Service

D.C. District of Columbia

(9)

EMP Entreprise militaire privée

EMSP Entreprise militaire et de sécurité privée F.3d Federal Reporter, Third Series

F.Supp.2d Federal Supplement, Second Series

GAO Government Accountability Office

Hasting Int’l &

Comp. L. Rev. Hasting International and Comparative Law Review

HCJ High Court of Justice

IPOA International Peace Operations Association

Isr. L.R. Israel Law Review

Int’l & Comp. L.Q. International and Comparative Law Review J.L. Soc’y Journal of Law and Society

J.I.C.J. Journal of International Criminal Justice

KBR Kellog, Brown and Root

LOGCAP Logistics Civil Augmentation Program Melb. J. Int’l L. Melbourne Journal of International Law Mil. L. R. Military Law Review

Non-State Act. & Int’l Law Non-State Actors and International Law

OEA Organisation des États américains

ONG Organisation non gouvernementale

ONU Organisation des Nations Unies

OUA Organisation de l’unité africaine

PMC Private Military Company

(10)

PSC Private Security Company

Protocole I Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à protection des victimes des conflits armés internationaux

Protocole II Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux

Pub. Cont. L.J. Public Contract Law Journal

Règlement de La Haye Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, Annexe à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907

R.I.C.R. Revue internationale de la Croix-Rouge R.T.N.U. Recueil de traités des Nations Unies Stan J. Int’l L. Stanford Journal of International Law

TPIY Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

TPIR Tribunal pénal pour le Rwanda

NU Nations Unies

UCMJ Uniform Code of Military Justice Yale Hum. Rts &

(11)

LISTE DES IMAGES

Image 1 Un employé du secteur privé tel que vu par un irakien……….. 59 Image 2 Des membres de Blackwater patrouillent le ciel de Bagdad, début

2007………. 59

Image 3 Des employés de Blackwater à Bagdad………... 60 Image 4 Des membres de la société américaine Blackwater échangent des

tirs avec des partisans de Moqtada al-Sadr qui s'approchent d'un bâtiment défendu par des soldats américains et espagnols, à Najaf, en 2004………

(12)

INTRODUCTION

Le conflit actuel iraquien a permis de mettre au jour que les conflits armés ne sont plus l’unique apanage des États mais que des acteurs privés – sous la forme d’entreprises militaires privées (ci après, « EMP ») – y sont désormais massivement impliqués. Quoi que les EMP opéraient bien avant l’éclatement de ce conflit, c’est en Irak qu’elles ont attiré l’attention de la presse sur leurs activités et, par voie de conséquence, celle du public en général. L’Irak accueille depuis l’invasion américaine le plus grand marché militaire privé de l’histoire moderne, lequel fait également office de laboratoire où sont testées les limites de la sous-traitance d’activités militaires par les États.

Au 31 décembre 2009, plus de 100 035 employés du secteur privé étaient déployés sur le sol iraquien par le Département de la défense américain, dont 11 095 assuraient des services dits « de sécurité »1. Représentant le deuxième

contingent en importance après l’armée américaine, les employés du secteur privé se sont vus confier une grande variété de tâches par les forces de la Coalition : support logistique, entretien et opération de systèmes d’armement, services de renseignements, interrogatoires de prisonniers de guerre, protection de personnes et d’installations et, dans certains cas, assistance au combat2. Évidemment, le rôle majeur qu’ont joué les EMP dans le conflit iraquien n’est pas étranger à l’attention

1 É.-U., Department of Defence, Contractors Support of U.S. Operations in USCENTROM AOR, Iraq, and

Afghanistan, février 2010, aux pp. 1 et 2, en ligne:

<http://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=http://www.acq.osd.mil/log/PS/p_vault/5A_Februa ry2010.doc&ie=UTF-8&oe=UTF-8> [Contractors Support of U.S. Operations]. Pour des statisques de 2006, voir É.-U., Government Accountability Office, Rebuilding Iraq: Actions Still Needed to Improve Use of Private Security Providers, Témoignage devant le Subcommittee on National Security, Emerging Threats, and International Relations, Committee on Government Reform, 13 juin 2006, GAO-06-865T, à la p. 2, en ligne : <http://www.gao.gov/new.items/d06865t.pdf>. Selon Scott Horton, professeur à l‟Université Columbia, 100 000 employés du secteur privé étaient déployés en Irak à l‟automne 2007: Alissa J. Rubin et Paul Von Zielbauer, « Blackwater Case Highlights Legal Uncertainties » The New York Times (11 octobre 2007) A1, en ligne :

<http://www.nytimes.com/2007/10/11/world/middleeast/11legal.html> [Rubin et Von Zielbauer].

2 Michael N. Schmitt « Humanitarian Law and Direct Participation in Hostilities by Private Contractors or

Civilian Employees » (2005) 5 Chic. J. Int‟l L. 511 aux pp. 512-514 [Schmitt, « Direct Participation in Hostilities »].

(13)

qui leur a été portée depuis quelques années, mais ce sont surtout les incidents auxquels elles ont été mêlées qui leur ont valu de faire les manchettes.

En avril 2003, des employés de Blackwater se sont livrés à une intense bataille contre des insurgés qui avaient pris d’assaut le quartier général de l’Autorité provisoire de la coalition à Najaf3. En avril 2004, quatre employés américains de Blackwater ont été brutalement mutilés et exécutés à Falloujah4. Des employés de la compagnie CACI Internationale ont été impliqués dans le scandale du mauvais traitement des prisonniers iraquiens à la prison d’Abou Grahib5. Le 30 mai 2007, quatre employés britanniques de la compagnie montréalaise GardaWorld ont été enlevés dans les bureaux du ministère de l’Intérieur à Bagdad6.

En septembre 2007, des employés de Blackwater qui protégeaient un convoi de diplomates à Bagdad ont ouvert le feu sur la population civile, enlevant la vie à 17 civils iraquiens non armés et faisant 24 blessés. Selon l’enquête réalisée par le FBI, les tirs contre 14 de ces civils étaient injustifiés7. Cette tragédie est à l’origine

de certains changements concrets que plusieurs réclamaient depuis longtemps. À la suite de ces événements, le gouvernement iraquien a révoqué la licence permettant à Blackwater d’exercer ses activités en Irak8, la secrétaire d’État américaine a commandé une étude revoyant la pratique du Département d’État

3 Robert Y. Pelton, Licensed to Kill, New York, Crown Publishers, 2006 aux pp. 149-150 [Pelton].

4 Sami Makki, « Sociétés militaires privées dans le chaos irakien » Le Monde diplomatique (novembre 2004)

22 [Makki].

5 Lindsay Cameron, « Private military companies : their status under international humanitarian law and its

impact on their regulation » (2006) 88 R.I.C.R. 573 à la p. 574 [Cameron].

6 Audrey Gillan et Jilian Borger, « Elaborate operation inside ministry stirs fears of new tactics »

The Guardian (30 mai 2007).

7 James Glanz et Alissa J. Rubin, « From Errand to Fatal Shot to Hail of Fire to 17 Deaths »

The New York Times (3 octobre 2007), en ligne: <http://www.nytimes.com/2007/10/03/world/middleeast/03fi refight.html> ; Sabrina Tavernise, « U.S. Contractors banned by Iraq after shooting » The New York Times (18 septembre 2007), en ligne : <http://www.nytimes.com/2007/09/18/world/middleeast/18iraq.html?fta=y> [Glanz et Rubin]; David Johnston et John M. Broder, « F.B.I. Says Guards Killed 14 Iraqis Without Cause » The New York Times (14 novembre 2007), en ligne : <http://www.nytimes.com/2007/11/14/world/middleeast/ 14blackwater.html?ex=1352696400&en=4d3e7a7a4fbc5721&ei=5088&partner=rssnyt&emc=rss>

[Johnston].

8 Joshua Partlow et Walter Pincus, « Iraq Bans Security Contractors » The Washington Post

(14)

américain en matière de sécurité en Irak et un amendement à la législation américaine a été adopté pour soumettre les employés du secteur privé au Uniform

Code of Military Justice (ci-après, le « Code de justice militaire américain »). Cet

incident semble aussi être à l’origine de la demande du gouvernement iraquien à l’effet que son entente avec le gouvernement américain sur le retrait des troupes américaines d’Irak prévoit que les entrepreneurs privés mandatés par les États-Unis seront désormais soumis aux lois iraquiennes9.

Bien qu’il ne semble pas y avoir de données officielles sur le nombre de morts et de blessés parmi les employés du secteur privé opérant en Irak, certaines sources indiquent que le Département du travail américain aurait reçu 1 292 réclamations pour des décès d’entrepreneurs privés en Irak et en Afghanistan et 9 610 pour des blessures, incluant des entrepreneurs locaux10. Suivant d’autres sources, plus de 900 employés du secteur de la sécurité privée avaient, à la fin 2007, trouvé la mort en Irak11.

Ces événements laissent perplexes considérant que, suivant une conception moderne du droit international public, l’on s’attend, à tort ou à raison, à ce que les États livrent bataille au moyen de leurs forces armées. Le conflit iraquien a ainsi amené le juriste à s’intéresser aux EMP qui, jusqu’alors, avaient davantage retenu l’attention des politologues dont certains considèrent que l’implication des EMP a un effet positif sur le respect des droits humains dans les conflits armés alors que d’autres, s’appuyant sur les bévues qui ont été commises, souhaiteraient voir leurs activités davantage encadrées. Cet intérêt du juriste s’explique non seulement par l’ampleur qu’a pris le phénomène de la privatisation des conflits en Irak, mais aussi par le fait qu’il s’agit du premier conflit armé international dans lequel des EMP, telles que nous les connaissons aujourd’hui, sont impliquées. Dans la mesure où

9 Steven L. Mayer et Sam Dagher, « Agreement With Iraq Over Troops Is at Risk » The New York Times

(19 septembre 2008) A6, en ligne: <http://www.nytimes.com/2008/09/19/world/middleeast/19diplo.html?ref= world>.

10 Michael N. Schmitt, « The Interpretative Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities: A

Critical Analysis » 1 Harvard National Security Journal 5 à la p. 9 [Schmitt, « The Interpretative Guidance »].

11 David Pallister, « A multibillion dollar industry built on the most dangerous jobs in the world »

(15)

les EMP interviennent dans des conflits qui sont régis par des règles juridiques – le droit international humanitaire (ci-après, le « DIH ») – il revient au juriste de se questionner sur la façon dont ce système normatif réagit à l’arrivée de ce nouvel acteur dans les conflits armés.

L’industrie militaire privée

Les EMP, telles que nous les connaissons aujourd’hui, ont fait leur entrée sur le marché de la guerre au début des années 1990, en s’impliquant d’abord dans les conflits internes africains, notamment en Angola, au Sierra Leone et en République démocratique du Congo. Connaissant un certain succès, elles ont par la suite été mandatées pour intervenir dans différents types de conflits, notamment pour entraîner la police et les militaires dans les Balkans et fournir un soutien logistique aux forces de l’OTAN, pour prêter main forte aux États-Unis dans leur lutte contre le trafic de la drogue en Colombie et pour appuyer les forces de la coalition dans leurs activités en Afghanistan.

Contrairement au mythe longtemps véhiculé par la presse, les autorités publiques et les EMP elles-mêmes, ces sociétés ne sont pas que des entreprises de sécurité dont les services se limiteraient à la protection des personnes ou des lieux à caractère civil; certaines d’entre elles offrent des services relevant du domaine militaire, soit des services traditionnellement assurés par des armées nationales, encore que les services varient énormément d’une société à l’autre12. Les activités des EMP étaient autrefois concentrées autour du soutien logistique comme les services de transport, les télécommunications, les services alimentaires et de buanderie et d’autres services administratifs, ainsi que l’installation de bases militaires temporaires13, des tâches qui traditionnellement avait été confiées au secteur privé par les États. Ces entreprises participent cependant de plus en plus à

12 Peter W. Singer, Corporate Warriors : The Rise of the Privatized Military Industry, Ithaca, Cornell

University Press, 2003 aux pp. 73 et 88 [Singer, « Corporate Warriors »].

13 Deborah D. Avant, The Market for Force – The Consequences of Privatizing Security, Cambridge,

(16)

« des activités qui les placent au centre même des opérations militaires »14. Selon le Comité international de la Croix-Rouge (ci-après, le « CICR »), « ces activités comprennent notamment la protection du personnel et des ressources militaires, la formation des forces armées et les services-conseil, la maintenance des systèmes d'armement, l'interrogatoire des détenus et, parfois même, par la participation aux combats ».15 À cela, s’ajoutent également des services de renseignements, des services de conseils militaires stratégiques et tactiques, de même que des services relatifs aux choix, à l’approvisionnement, à l’entretien, au transport, à l’entraînement et à l’opération de systèmes d’armement16.

Aussi, certaines EMP offrent-elles des services opérationnels pour répondre à différentes situations de crises comme des insurrections et des actes terroristes. Ces entreprises promettent ainsi de répondre à ce type de situations par des actes offensifs, lesquels sont perpétrés par du personnel armé17. Les services « de sécurité » en zone de conflit, que certaines compagnies se targuent d’offrir, se situent souvent aux confins du maintien de l’ordre, normalement assuré par les forces de police, et du rôle de combat des forces armées. Ainsi, les entreprises soi-disant embauchées pour fournir un support opérationnel ou assurer la sécurité intérieure sur le territoire iraquien ont joué un rôle majeur dans la lutte contre les insurgés iraquiens, celles-ci intervenant parfois avec de lourds armements18. Certaines de ces activités, bien qu’elles n’impliquent pas nécessairement une participation au combat, sont néanmoins susceptibles d’être considérées comme une participation directe aux hostilités ou de constituer le premier pas qui y conduit. Le gardiennage de prisons militaires en est un bon exemple.

14 CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, XXXe

Conférence de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève, octobre 2007, 30IC/07/8.4 à la p. 28 [CICR, « XXXe Conférence »]; Emanuela-Chiara Gillard, « Business goes to war : private military/security

companies and international humanitarian law » (2006) 88 R.I.C.R. 525 à la p. 526 [Gillard].

15CICR, « XXXe Conférence », supra note 14 à la p. 28. 16 Avant, supra note 13 aux pp. 16-19.

17 Ibid. à la p. 21. 18 Ibid. aux pp. 21-22.

(17)

De par la grande variété de services qu’elles offrent, les EMP s’attirent une clientèle variée. Différents opérateurs privés, tels des multinationales, des ONG, voire le CICR, les mandatent pour leur fournir des services essentiellement reliés à la protection de personnes, de biens ou de lieux. Évidemment, les principaux donneurs d’ouvrage des EMP demeurent les États, notamment les grandes puissances occidentales, qui leur sous-traitent des fonctions de plus en plus près du cœur des activités militaires. Il convient également de noter que l’Organisation des Nations Unies (ci-après, « ONU ») leur confie des opérations de déminage qui, traditionnellement, étaient effectuées par des armées régulières19.

Il n’existe, à ce jour, aucune définition légale de ce qu’est une entreprise militaire privée, non plus que de consensus parmi les auteurs sur le sens exact que revêt cette expression. De fait, l’industrie des services liés à la guerre est si vaste et diversifiée qu’elle pose un véritable défi à ceux qui tentent de la définir ou de la catégoriser. Les sociétés offrant des services militaires se distinguent les unes des autres à plusieurs égards, notamment par le type de services qu’elles offrent, leur degré de spécialisation, le marché qu’elles visent, leur structure corporative, leur capitalisation boursière, leurs liens d’affaires, leurs lieux d’opérations et d’incorporation ainsi que le nombre, la qualification et l’expérience de leurs employés20.

Afin de mieux comprendre l’industrie et d’élaborer des théories à son endroit, certains auteurs proposent de classer les EMP suivant les catégories de services qu’elles offrent. L’analyse la plus souvent citée est celle du professeur Peter Warren Singer qui propose de classer les EMP en trois catégories, lesquelles se distinguent en fonction de la proximité des activités exercées par rapport à la ligne de front : Military Provider Firms, Military Consultant Firms et Military Support

19 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 82.

20 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 88; Fred Schreier et Marina Caparini, Privatizing

Security : Law, Practice and Governance of Private Military and Security Companies, Genève, Geneva Centre for the Democratic Control of the Armed Forces (DCAF), Occasional paper no.6, mars 2005, à la p. 33 [Schreier et Caparini].

(18)

Firms21. Les Military Provider Firms agissent dans le cadre de l’environnement tactique et prennent part aux combats, en intégrant une unité de combat ou en en assurant la commande et le contrôle22. Les Military Consulting Firms dispensent pour leur part des services-conseil et d’entraînement constituant une partie intégrante des opérations militaires et ayant notamment pour objectif la restructuration des forces armées de leurs clients23. Enfin, les Military Support

Firms se concentrent sur les services accessoires tels l’assistance à caractère non

offensif, les services de renseignements, le support technique ainsi que les services d’approvisionnement et de transport24.

Il existe également une tendance selon laquelle les sociétés militaires privées sont distinguées des sociétés de sécurité privées, mais, encore là, la nature de la distinction varie suivant les auteurs. Alors que certains définissent les sociétés de sécurité privées comme des organisations offrant des services liés à la sécurité intérieure et à la protection25, d’autres estiment qu’elles se caractérisent par le fait

qu’elles offrent des services dits de « sécurité passive » dans un environnement à haut risque26. Quoi qu’il en soit, plusieurs s’accordent à dire que la ligne de démarcation entre société militaire privée et société de sécurité privée est loin d’être étanche et que la distinction perd son sens en contexte de conflit armé27. En effet, non seulement plusieurs sociétés privées offrent-elles à la fois des services de nature militaire et des services de protection privée, mais il importe également de mentionner que le rôle d’assurer la sécurité dans une zone de conflit armé est

21 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 14-15. Deborah D. Avant reprend l‟analyse de Singer

mais propose de s‟attarder au contrat réalisé plutôt qu‟à l‟entreprise elle-même : Avant, supra note 13 aux pp. 16-17. Voir également les autres études recensées par Schreier et Caparini : Schreier et Caparini, supra note 20.

22 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 92. 23 Ibid., à la p. 95.

24 Ibid., à la p. 97.

25 Schreier et Caparini, supra note 20 à la p. 26.

26 Doug Brooks, « Messiahs or Mercenaries? The Future of International Private Military Services » (2000) 7

International Peacekeeping 129.

27 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 89-90; Schreier et Caparini, supra note 20 à la p. 30;

Alexandre Faite, « Involvement of Private Contractors in Armed Conflict : Implications under International Humanitarian Law » (2004) 4 Defence Studies 166 aux pp.168-169 [Faite].

(19)

bien différent de celui de garder un centre commercial local qui relève, traditionnellement, du domaine public.

Lorsqu’il s’agit d’appliquer le DIH, ce sont les activités exercées sur le terrain par les individus qui importent et non le qualificatif que l’on peut donner à la société qui les emploie. Dans ce contexte, il nous serait peu utile de tenter de classifier les EMP en catégories ou même de s’attarder à la distinction entre compagnie militaire privée et compagnie de sécurité privée. Pour les fins de la présente étude, nous emploierons la définition donnée dans le « Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées opérant pendant les conflits armés » (ci-après, le « Document de Montreux ») qui mentionne que « [q]uelle que soit la façon dont elles se décrivent, les « EMSP [entreprises militaires et de sécurité privées] » sont des entités commerciales privées qui fournissent des services militaires et/ou de sécurité »28.

Le guerrier privé dans l’histoire

Alors que l’implication des EMP dans les conflits armés semble bouleverser l’ordre actuel des choses et suscite de multiples réactions, il convient de rappeler que l’intervention d’acteurs privés dans les conflits a, à l’origine, été la norme plutôt que l’exception. Les puissances publiques ont, pendant des millénaires, mené leur lutte au moyen de guerriers privés. Ainsi, certains diront que le fait d’engager des étrangers pour livrer bataille en son nom est aussi vieux que la guerre elle-même29. Que l’on pense à la Compagnie catalane, aux condottieri ou à la Compagnie des Indes orientales, l’histoire regorge d’exemples où des entités privées ont pris part à des conflits auxquels elles étaient étrangères pour servir

28 Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en

ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées opérant pendant les conflits armés, Doc off. AG NU, 63e sess., Annexe, point 76, Doc. NU A/63/467 (2008) à la p. 7

[Document de Montreux].

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leurs propres intérêts financiers. Le mercenariat n’a d’ailleurs pas toujours eu la mauvaise presse qu’on lui attribue aujourd’hui.

Avec les Traités de Westphalie au milieu du 17e siècle, le droit international public contemporain a opéré un renversement en concentrant la puissance entre les mains des États. Au moment où les États se sont tranquillement emparés du monopole de l’emploi de la force30, ont été constituées, en Europe, les premières armées officielles, loyales à la nation31. Ainsi, à la fin du 18e siècle, le modèle de l’armée étatique formée de citoyens a remplacé celui des armées composées d’étrangers louées par les plus offrants32.

Le droit international a donc été conçu avec cette idée que la guerre est l’apanage de l’État, qui la livre au moyen de son armée – qu’elle soit royale, impériale ou nationale – formée de citoyens, volontairement enrôlés ou conscrits. Toutefois, bien que les États se constituent des armées professionnelles, auxquelles ils adjoignent, lorsque nécessaire, des citoyens conscrits, ils continuent d’utiliser des acteurs privés pour accomplir des missions considérées comme étant moins nobles, auxquelles ils ne souhaitent pas mêler leur propre armée. Dès lors, les opérateurs privés ne sont utilisés que discrètement, en marge de l’armée régulière, ce qui les rend d’autant plus utiles. Il est également pratique courante que des États recourent à des acteurs privés pour accomplir des tâches secondaires visant à assurer un support aux troupes, comme le support logistique, afin de permettre aux troupes de se concentrer sur leur mission : combattre.

Pendant la période de décolonisation, les puissances coloniales ont eu massivement recours à des mercenaires pour lutter contre les mouvements de libération nationale. Le manque de professionnalisme de ces mercenaires, le peu de respect qu’ils ont démontré envers les droits humains, de même que les dérapages auxquels leurs activités ont donné lieu, allaient sonner le glas des

30 Ibid.

31 Ibid. à la p. 29. 32 Ibid. aux pp. 29-30.

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mercenaires33. Surnommés « Les Affreux », les mercenaires seront, à partir de ce moment, considérés comme une menace pour le droit à l’autodétermination des peuples et s’attireront la réprobation de la communauté internationale, laquelle condamnera progressivement leurs activités à compter des années 1970.

Lorsqu’à la fin de la Guerre froide, des soldats démobilisés souhaiteront offrir leurs services sur le marché privé à des États aux prises avec des conflits internes et dépourvus face au désengagement des grandes puissances militaires, ils auront tout naturellement le souci de se distinguer des mercenaires. Ainsi, la structure corporative des EMP, le fait qu’elles soient détenues par de grandes entreprises multinationales, leur professionnalisme ainsi que les liens étroits que la plupart d’entre elles entretiennent ouvertement avec des gouvernements légitimes leur permettront de se distinguer des « Affreux » et de gagner en respectabilité. L’avènement de technologies de plus en plus sophistiquées pour mener la guerre a notamment contribué à rendre les EMP indispensables à plusieurs États qui aspirent à privatiser leurs opérations.

La prise en compte des acteurs privés par le DIH

Au cours des deux siècles derniers, les États ont fait l’effort d’encadrer la conduite des hostilités pour tenter de réduire les maux causés par la guerre. Ils ont, de concert, élaboré les règles du jeu applicables aux conflits armés dans l’objectif d’éviter que la population civile ne paie le prix de leurs différends. Les États ont convenu d’un principe fondamental : pour protéger la population civile, il fallait à tout prix distinguer les civils des combattants. Le DIH établit donc un régime juridique basé sur une distinction entre ces deux groupes, qui régit la conduite des hostilités lors de conflits armés internationaux. D’un côté, les combattants se voient conférer le droit de participer légalement aux hostilités, dans le respect de certaines règles propres à assurer notamment la protection de la population civile ainsi qu’une lutte loyale entre les forces opposées et, en contrepartie, ils peuvent

33 Philippe Chapleau, Sociétés militaires privées – Enquête sur les soldats sans armées, Monaco, Éditions du

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être légalement pris pour cibles. De l’autre côté, les civils, qui bénéficient d’une protection contre les attaques, ne peuvent légalement prendre part aux hostilités. S’ils le font, puisqu’ils ne bénéficient pas du statut de prisonnier de guerre, les actes qu’ils commettent sont passibles de poursuites pénales.

Sur la base d’une conception westphalienne, l’on considérait au moment d’élaborer les règles du DIH que les États mèneraient normalement la guerre au moyen de leur armée, de telle sorte que le statut de combattant a d’abord été réservé aux membres réguliers des forces armées des Parties au conflit, incluant les entités civiles qui y sont rattachées comme les milices et les corps de volontaires. Avec le temps, cette notion a évolué pour prendre en compte de nouvelles réalités et permettre à des groupes qui aspiraient à devenir un État, en prendre le contrôle ou à lutter contre l’occupation étrangère de prendre légalement part aux conflits. Ainsi, le statut de combattant a été élargi pour inclure, dans un premier temps, les résistants et, ensuite, les guérilleros.

Il n’a pas été envisagé, du moins officiellement, lors de la rédaction des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels (ci-après, les « Conventions ») que des individus mandatés par des personnes morales étrangères au conflit accomplissent, à la demande d’États, des tâches traditionnellement dévolues aux militaires nationaux à qui le statut de combattant a été accordé. Dès lors, il relève d’un véritable tour de force d’appliquer aux employés d’EMP le régime juridique actuel du DIH régissant les conflits internationaux. Il semble en effet que, dans une majorité de cas, les employés d’EMP ne s’insèrent convenablement dans aucune des deux catégories prévues, ce qui est susceptible de causer une grande confusion sur le champ de bataille et de remettre en cause le principe fondamental de discrimination entre civils et combattants.

Or, les États qui ont ratifié les Conventions se sont non seulement engagés à les appliquer de bonne foi, mais également à les faire respecter par leurs propres citoyens, voire par d’autres États. Lorsqu’ils font intervenir dans les conflits armés internationaux un acteur qu’il est difficile de classer dans l’une ou l’autre des deux

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catégories prévues par les Conventions, il y a lieu de se demander si les États ne remettent pas en cause le principe cardinal de la distinction entre civils et combattants et, ce faisant, si une telle pratique constitue une application de bonne foi des Conventions. La question faisant l’objet de la présente étude est donc la suivante : En mandatant des EMP pour intervenir dans des conflits armés internationaux, les États, à titre de Hautes Parties contractantes des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels, se conforment-ils à l’ensemble de leurs obligations?

La question qui nous préoccupe met en cause l’application de la Convention de

Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949 (ci-après,

la « Convention III »)34, de la Convention de Genève relative à la protection des

personnes civiles en temps de guerre du 12 août 194935 (ci-après, la « Convention IV ») et du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du

12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux

(ci-après, le « Protocole I »)36. Nous avons choisi de limiter notre étude aux conflits armés internationaux puisque la problématique de l’implication d’EMP dans les conflits armés non internationaux requiert une toute autre analyse. Ces conflits opposant, par essence, une force étatique à des groupes armés ou des groupes armés entre eux, les règles les régissant, telles que codifiées par le Protocole

additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (ci-après, le « Protocole II »)37, n’établissent pas formellement de distinction entre les personnes civils et les combattants38. Ces règles, beaucoup moins développées que celles applicables

34 Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 135.

[Convention III].

35 Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949,

75 R.T.N.U. 287 [Convention IV].

36 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des

conflits armés internationaux (Protocole I), 1125 R.T.N.U. 3 [Protocole I].

37 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des

conflits armés non internationaux (Protocole II), 1125 R.T.N.U. 609 [Protocole II].

38 Notons cependant qu‟en vertu du droit coutumier, plusieurs règles énoncées dans la Convention III et le

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dans le cadre des conflits armés internationaux, ont pour objectif d’offrir une protection minimale aux personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. Le statut de prisonnier de guerre n’existe pas de sorte que les individus qui commettent, dans le cadre du conflit, des actes jugés criminels en regard du droit interne ne jouissent d’aucune immunité.

Plan du mémoire

Dans la première partie, nous analyserons le statut juridique des employés d’EMP qui prennent part à des conflits armés internationaux au regard de la Convention III et du Protocole I, afin de déterminer le régime juridique qui leur est applicable. Nous verrons d’abord comment les États se sont entendus pour établir un régime juridique suivant lequel les combattants et les civils sont assujettis à des droits et obligations particuliers (Chapitre I). Nous passerons ensuite en revue les différentes possibilités qu’ils obtiennent, soit de jure ou de facto, le statut de combattant privilégié (Chapitre II). Ceci nous amènera à étudier chacune des conditions d’obtention du statut de combattant et à vérifier si, à la lumière de la littérature, les employés d’EMP sont actuellement susceptibles de remplir ces conditions. Nous nous demanderons, en outre, si les employés d’EMP peuvent être considérés comme des mercenaires, ce qui aurait eu pour effet de leur faire perdre le droit de revendiquer le statut de combattant privilégié, à supposer qu’ils l’aient préalablement obtenu. Puisqu’il n’y a pas de vide en DIH, nous verrons que les employés d’EMP qui ne satisfont pas aux conditions nécessaires à l’obtention du statut de combattant seront considérés comme des civils ou des civils accompagnant les forces armées (Chapitre III). Or, il semble que plusieurs d’entre eux ne correspondent pas au type de civils que les Hautes Parties contractantes entendaient protéger par l’adoption des Conventions. Certains pourraient être considérés comme des civils participant directement aux hostilités, ce qui fait en

application dans le cadre de conflits armés non internationaux. Puisque le statut de combattant n‟existe pas et qu‟il est, dans le contexte de conflits armés non internationaux, impossible d‟appliquer les définitions applicables en cas de conflits armés internationaux, la distinction est alors fondée sur la participation aux hostilités. Voir Jean-Marie Henckaerts et al, Customary International Humanitarian Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, vol. 1 aux pp. 5-8, 12 et 13 [Henckaerts].

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sorte que leurs protections ne varieraient plus uniquement en fonction de leur statut mais serait aussi influencé par les activités qu’ils exercent.

Dans la seconde partie, nous étudierons les effets concrets qu’entraîne la détermination des droits et obligations des employés d’EMP en fonction de leur participation aux hostilités plutôt qu’en fonction de leur statut sur l’application du DIH. Nous verrons d’abord que la notion de participation directe aux hostilités n’a pas vocation à servir de critère de distinction et que son utilisation à cette fin entraîne une grande confusion et une perte de protection des personnes civiles (Chapitre I). Ceci nous amènera à nous demander si une application de bonne foi des Conventions n’exigerait pas, implicitement, que les États s’abstiennent de faire intervenir des personnes civiles dans le cœur des opérations militaires (Chapitre II). Cette démarche nous amènera à identifier des limites au droit des États d’embaucher des EMP pour intervenir dans des conflits armés internationaux et à proposer des mesures à prendre par ceux-ci pour assurer le respect de leur obligation d’appliquer les Conventions de bonne foi.

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Partie 1 : La confusion entourant le régime juridique

applicable aux employés d’entreprises militaires privées

en droit international humanitaire

Chapitre I. L’entente entre les Hautes Parties contractantes aux

Conventions : le principe de distinction entre combattants et

personnes civiles

1. La nécessité de distinguer les combattants des civils

Le DIH qui a pour principal objectif d’épargner la population civile des maux de la guerre prescrit un ensemble de règles visant à s’assurer que, dans la mesure du possible, les conflits armés internationaux se déroulent exclusivement entre les combattants appartenant aux Parties au conflit39. Comme le rappelait récemment la Cour suprême d’Israël, le DIH constitue un délicat compromis entre les nécessités militaires et les exigences d’humanité40. Il impose des limites suivant lesquelles les nécessités militaires cèdent le pas aux exigences d’humanité41. En d’autres mots, le but du DIH est de limiter les effets de la guerre sur la population civile à ce qui est nécessaire au niveau militaire, en protégeant la population civile autant que faire se peut pour laisser aux États le droit de faire la guerre42. Le principe de distinction entre civils et combattants, qui vise à déterminer qui peut légalement participer aux hostilités et qui doit en être épargné, constitue la pierre angulaire de ce régime juridique. Il sert à établir la ligne de démarcation nécessaire à la protection de la population civile en temps de conflit armé.

39 Yoran Dinstein, The Conduct of Hostilities under the Law of International Armed Conflict, Cambridge,

Cambridge University Press, 2004 à la p. 37 [Dinstein].

40 HCJ 769/02, Public Committee against Torture in Israel c. Government of Israel, (2007) 40 Isr. L.R. 213

(Israel, H.C.J.) au para. 22 [Targeted Killings].

41 Emily Camins, « The past as prologue : the development of the „direct participation‟ exception to civilian

immunity » (2008) 90 R.I.C.R. 853 à la p. 854 [Camins].

42 Knut Ipsen, « Combatants and Non-Combatants » dans Dieter Fleck, The Handbook of Humanitarian Law

in Armed Conflicts, Oxford, Oxford University Press, 1999, 65 à la p. 118 [Ipsen]; Dinstein, supra note 39 à la p. 82.

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Le principe de distinction trouve ses origines dans les écrits de Grotius qui disait déjà, en 1625, qu’il n’était pas « correct » ou « honorable » lors de conflits armés de causer la mort, même par accident, de personnes « innocentes », bien qu’à cette époque cela n’était pas formellement interdit puisque les sujets d’un État étaient perçus par l’adversaire comme des ennemis43. L’idée de distinguer formellement les États de leurs sujets et d’éviter que les citoyens non combattants deviennent les objets de la guerre s’est développée avec Rousseau qui écrivait que « la guerre n'est donc point une relation d'homme à homme, mais une relation d'État à État [...]. » À cette époque du XVIIIe siècle où la guerre était l’affaire d’armées professionnelles, l’idée d’une immunité pour le non-combattant a été lancée44. Elle allait cependant souffrir un recul avec la transformation des guerres

dynastiques en conflits où la population est mobilisée pour supporter l’effort de guerre et aux cours desquelles la réponse envers ceux qui participent au conflit sans porter l’uniforme a été féroce. S’en sont suivis un besoin et une volonté des États d’encadrer leurs rapports lors de conflits armés, notamment de clarifier les effets qu’entraînait la participation aux hostilités par ceux qui ne font pas partie des forces armées45.

C’est dans ce contexte que Lieber a été mis à l’effort pour discuter du sort des membres de la guérilla et qu’il a produit un code de conduite militaire basé essentiellement sur l’idée de la lutte armée ouverte. Ce code de conduite prévoit, en son article 22, l’immunité des civils, sujette aux exigences de la guerre46. Ses travaux allaient ensuite servir de base à l’élaboration des Conventions de La Haye de 1907 où allait être adoptée la définition du combattant, qui comporte des conditions visant à assurer une lutte ouverte et à éviter les méthodes de guerre perfides47.

43 Camins, supra note 41 aux pp. 855-856. 44 Ibid. à la p. 858.

45 Ibid. aux pp. 860-861. 46 Ibid. aux pp. 862-863.

47Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la Convention concernant les lois

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Cependant, l’absence dans les Conventions d’une immunité claire en faveur des non-combattants a, dans le contexte des conflits du XXe siècle où la population a

été appelée à participer à l’effort de guerre, rendu une partie de cette population civile vulnérable en tant que cible légitime, dont l’attaque était justifiée par des motifs de nécessités militaires. La population civile travaillant dans les usines de fabrication d’armement a été particulièrement touchée pendant les deux guerres mondiales, plaçant la question de la protection de ceux qui participent à l’effort de guerre au centre des préoccupations du CICR dans son projet d’améliorer la protection des civils après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Celui-ci adopta, en 1965, une résolution à l’effet « [q]u'il faut en tout temps faire la distinction entre les personnes qui prennent part aux hostilités et les membres de la population civile, afin que ces derniers soient épargnés dans toute la mesure possible »48, laquelle a été endossée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 196849. Les efforts du CICR aboutissent finalement à l’adoption des articles 48 et 51 du Protocole I en 1977 où le principe de distinction – déjà à l’époque considéré comme partie du droit coutumier50 – est enfin codifié, de concert avec l’adoption d’une définition du civil et l’enchâssement du principe de son immunité. Ainsi, l’article 48 du Protocole I prévoit désormais :

Article 48 – Règle fondamentale

En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre les objectifs militaires.

Documents on the Law of War, 2e éd., Oxford, Clarendon Press, 1989 à la p. 48, art. 1

[Règlement de La Haye].

48 Résolution XXVIII de la XXe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, Vienne,

1965.

49 Respect des droits de l’homme en période de conflit armé, Rés. AG 244, Doc. Off. AG NU, 23e sess.,

supp. 18, Doc. NU A/7518 (1969) au para. 1(c); Principes fondamentaux touchant la protection des populations civiles en période de conflit armé, Rés. AG 2675, 25e sess. au para. 2.

50 Yves Sandoz et al., Commentaires des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève

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La Cour internationale de Justice a rappelé le caractère fondamental du principe de distinction dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l'emploi

d'armes nucléaires :

Les principes cardinaux contenus dans les textes formant le tissu du droit humanitaire sont les suivants. Le premier principe est destiné à protéger la population civile et les biens de caractère civil, et établit la distinction entre combattants et non-combattants; les États ne doivent jamais prendre pour cibles des civils, ni en conséquence utiliser des armes qui sont dans l'incapacité de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires51.

Comme l’a affirmé la Cour internationale de Justice, « ces règles fondamentales s’imposent d’ailleurs à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier »52.

2. Les statuts de combattants et de personnes civiles et les privilèges y associés

En application du principe de distinction, les Conventions distinguent explicitement deux catégories d’intervenants dans les conflits armés internationaux les combattants et les civils , auxquels sont rattachés, en principe, des privilèges particuliers.

2.1 Les combattants

Les combattants qui répondent aux critères d’obtention de ce statut, tels que définis par les Conventions, bénéficient du droit de participer aux hostilités tout en étant à l’abri de poursuites pénales pour les actes qu’ils commettent dans le respect du droit des conflits armés (ci après, les « combattants privilégiés »). Depuis 1907, le Règlement de La Haye concernant les lois et coutumes de la

guerre sur terre (ci-après, le « Règlement de La Haye ») reconnaît à l’armée, aux

51 Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Avis consultatif, [1996] C.I.J. Rec. 226 à la p. 257

[Avis sur les armes nucléaires].

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milices et aux corps de volontaires la capacité d’exercer « les droits et devoirs de la guerre »53. Le deuxième paragraphe de l’article 43(2) du Protocole I reprend ce

principe en édictant explicitement que « [l]es membres des forces armées d’une Partie à un conflit (…) sont des combattants, c’est-à-dire ont le droit de participer directement aux hostilités ». L’article 44 mentionne également que « [t]out combattant, au sens de l’article 43, qui tombe au pouvoir d’une partie adverse est prisonnier de guerre ». Il bénéficie par conséquent des protections offertes par la Convention III, incluant la protection contre les poursuites pénales pour les actes commis dans le respect du droit des conflits armés. Il est cependant passible d’être détenu jusqu’à la fin des hostilités54. Ainsi, la notion de combattant est-elle

intimement liée, dans le texte des Conventions, au statut de prisonnier de guerre, quoi que ces deux notions ne soient pas parfaitement équivalentes puisque les prisonniers de guerre, tels que définis à l’article 4 de la Convention III, ne sont pas tous des combattants, comme c’est le cas notamment du civil qui accompagne les forces armées55.

La notion de combattant s’est développée sur la base de cette idée qu’elle doit permettre la mise en oeuvre du principe de distinction, en s’assurant que les combattants sont clairement identifiés et qu’ils seront tenus responsables des violations du DIH qu’ils commettent, dont les règles visent essentiellement le respect des personnes protégées. Le texte du Règlement de La Haye et de la Convention III établissaient initialement, pour les fins de l’octroi du statut de prisonnier de guerre et, par conséquent, de combattant, une distinction entre les forces armées régulières et les « autres milices et corps de volontaires », prévoyant que ces derniers devaient respecter certaines conditions pour se voir octroyer le droit de combattre. Ainsi, ces textes distinguaient les combattants

de facto, par opposition aux membres des forces armées régulières, considérés

53 Règlement de La Haye, supra note 47, art. 1. 54 Convention IV, supra note 35, art. 42 et 43.

55 Le premier paragraphe de l‟article 50 du Protocole I mentionne que les catégories de personnes énumérées

aux paragraphes 1, 2, 3 et 6 de l‟article 4(A) de la Convention III sont des civils, ce qui signifie, a contrario, que les autres sont des combattants.

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comme combattants de jure. Les paragraphes 1 et 2 de l’article 4(A)(2) de la Convention III, qui reprennent les termes de l’article 1 du Règlement de la Haye prévoient :

A. Sont prisonniers de guerre, au sens de la présente Convention, les personnes qui, appartenant à l'une des catégories suivantes, sont tombées au pouvoir de l'ennemi :

1) les membres des forces armées d’une Partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées;

2) les membres des autres milices et les membres des autres corps de volontaires, y compris ceux des mouvements de résistance organisés, appartenant à une Partie au conflit et agissant en dehors ou à l’intérieur de leur propre territoire, même si ce territoire est occupé, pourvu que ces milices ou corps de volontaires, y compris ces mouvements de résistance organisés, remplissent les conditions suivantes :

a) d’avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés;

b) d’avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance; c) de porter ouvertement les armes;

d) de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre.

Les conditions définissant le statut de combattant de facto, énoncées à l’article 4(A)(2), sont l’expression des règles qui, traditionnellement, ont gouverné les armées étatiques56. Il y a tout lieu de croire qu’elles s’appliquent également aux armées régulières sans qu’il n’ait été nécessaire de le mentionner dans le texte des Conventions57. C’est d’ailleurs la position qu’ont adoptée le Conseil privé

56 Ibid. à la p. 526; Henckaerts, supra note 38 à la p. 15; Dinstein, supra note 39 à la p. 36; Ingrid Detter, The

Law of War, 2e éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2000 à la p. 136 [Detter].

57 Michael Bothe et al, New Rules for Victims of Armed Conflicts, Boston, Martinus Mijhoff, 1982 à la p. 234

[Bothe]. Voir l‟opinion à l‟effet contraire exprimée par le CICR : Nils Melzer, Interpretative Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities under International Humanitarian Law, Genève, CICR, 2009 à la p. 22, en ligne: CICR<http://www.icrc.org/Web/eng/siteeng0.nsf/htmlall/p0990/$File/ICRC_002_0990.PD F>. [Nils Melzer, « Guide interprétatif »]. La traduction française du Guide interprétatif, bien qu‟annoncée, n‟était pas disponible au moment d‟écrire les présentes.

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britannique et la Cour suprême des États-Unis58. Plusieurs dispositions du Protocole I laissent penser que les Hautes Parties contractantes présumaient que les armées régulières satisfont d’office aux conditions énoncées à l’article 4(A)(2) de la Convention III59. Celles-ci ont d’ailleurs été substantiellement reprises, quoique sous une forme légèrement assouplie, par les articles 43 et 44 du Protocole I qui définissent la notion de forces armées d’une Partie au conflit de façon à inclure à la fois l’armée régulière et les groupes armés.

La notion de combattant a évolué au fil des guerres, non pas tant par une remise en question des critères ayant pour fonction d’assurer le respect du principe de distinction, mais en raison du fait que la notion de « forces armées d’une Partie au conflit » à laquelle réfère l’article 43(2) du Protocole I a dû être adaptée pour tenir compte de la transformation des forces en présence dans les conflits modernes, dont l’avènement des guérilleros. Pour répondre aux exigences des nouveaux conflits et aux problèmes que pouvaient poser le respect des conditions formulées à l’article 4(A)(2) pour le guérilleros, le Protocole I a supprimé cette distinction entre combattants de jure et de facto en édictant, à son article 43 :

Les forces armées d’une Partie au conflit se composent de toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant cette Partie (…). Ces forces armées doivent être soumises à un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du droit international applicable dans les conflits armés.

Ainsi, les forces armées d’une Partie au conflit englobent-elles, suivant le Protocole I, non seulement les forces armées régulières mais également les groupes armés qui, de facto, appartiennent à une Partie au conflit. L’obtention du statut de combattant demeure quant à elle soumise à l’exigence du respect de certaines conditions énoncées aux articles 43 et 44 du Protocole I qui, bien que formulées de façon différente, expriment essentiellement la même idée que la

58 Ali c. Prosecutor, [1969] A.C. 430 (R.-U., C.P.) et Ex parte Quirin, 317 U.S. 1 (1942), cités dans Dinstein,

supra note 39 à la p. 36.

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Convention III 60, tout en assouplissant légèrement les règles notamment quant à

l’obligation de se distinguer de la population civile et de porter ouvertement les armes.

2.2 Les personnes civiles

Les personnes civiles sont pour leur part définies par la négative, le paragraphe premier de l’article 50 du Protocole I mentionnant qu’« [e]st considérée comme civile toute personne n’appartenant pas à l’une des catégories visées aux paragraphes 1, 2, 3 et 6 de l’article 4(A) de la Convention III et à l’article 43 du présent Protocole », donc tous ceux qui ne sont pas des combattants. Suivant le texte des Conventions, il n’y aurait pas de vide : par défaut, un individu qui n’est pas un combattant serait considéré comme un civil. L’article 51, qui codifie une règle de droit coutumier61, protège la population civile et les personnes civiles contre « les dangers résultant d’opérations militaires », sauf « si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée que dure cette participation ». L’idée est fort simple, et pour cause : les individus qui ne sont pas des combattants sont en principe protégés des attaques ennemies; ils ne perdront leur protection que s’ils participent aux hostilités, pendant la durée de cette participation.

Le texte des Conventions laisse ainsi penser qu’un individu est soit un combattant privilégié, c’est-à-dire qu’il a le droit de prendre part aux hostilités, soit une personne civile protégée contre les effets de la guerre tant et aussi longtemps qu’elle ne participe pas directement aux hostilités. Les Conventions semblent envisager uniquement une participation sporadique, voire spontanée ou accidentelle aux hostilités par le civil, laquelle aurait pour effet de lui faire perdre momentanément le bénéfice de la protection normalement accordée aux personnes civiles. Ceci s’inscrit dans une logique suivant laquelle les États ont, à notre avis, implicitement convenu de livrer bataille au moyen de leurs forces armées, comme nous le verrons en deuxième partie du mémoire. S’il a sans doute

60 Henckaerts, supra note 38 à la p. 15; Detter, supra note 56 à la p. 137. 61 Targeted Killings, supra note 40 au para. 26.

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