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Chapitre I. Le civil qui participe aux hostilités

1. L’ambiguïté entourant la notion de participation directe aux hostilités

1.1 La difficulté à identifier les activités visées

1.1.2 Un lien de causalité

Les Commentaires relatifs aux Conventions énoncent que « la participation directe aux hostilités implique un lien direct de cause à effet entre l'activité exercée et les coups qui sont portés à l'ennemi, au moment où cette activité s'exerce et là où elle s'exerce. »305 Entre la simple participation à l’effort de guerre, insuffisante pour constituer une participation directe aux hostilités, et l’implication directe dans les combats, s’étale tout un spectre d’activités souvent difficiles à qualifier. Il y a, en fait, place à une certaine marge d’appréciation306, ce qui est à la fois nécessaire pour permettre de s’adapter aux situations particulières et éviter une application trop rigide du DIH, mais également source d’ambiguïté et d’incertitude. Le problème est d’autant plus complexe que l’utilisation de technologies de plus en plus sophistiquées a pour effet de déplacer le terrain de bataille dans des centres de commandements placés à des kilomètres du conflit. Par exemple, la personne qui analyse, à partir de Washington, la position de troupes ennemies en Irak au moyen de l’analyse d’images satellites, participe-t-elle directement aux hostilités? La nature exacte du lien causal, qui est au centre de la notion de participation aux hostilités et qui sert en large partie à définir sa portée, ne fait pas consensus307. Certains auteurs estiment que l’acte doit être indispensable à la création du dommage308, une approche jugée trop étroite par le CICR. Le CICR propose

304 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 48. 305 Sandoz, supra note 50 au para. 1679.

306 Ibid.

307 Targeted Killings, supra note 40 au para. 33; Henckaerts, supra note 38 aux pp. 22-23.

308 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 533; Voyame, supra note 288 à la

l’approche suivante : « there must be a direct causation link between a specific act and the harm likely to result either from that act, or from a coordinated military operation of which that act constitutes an integral part. »309 Toujours suivant le CICR, « [t]he harm in question must be brought about in one causal step. »310 Un acte spécifique qui ne crée pas à lui seul le niveau de dommage requis, mais s’inscrit dans le cadre d’une opération tactique particulière, laquelle cause ce dommage, satisferait à l’exigence de causalité311. Ce serait notamment le cas d’attaques perpétrées par des véhicules aériens téléguidés, auxquelles prennent part plusieurs intervenants dont les spécialistes en informatique qui contrôlent le véhicule à distance, ceux qui identifient la cible, collectent les renseignements nécessaires et contrôlent le lancement de missiles, les opérateurs radio qui transmettent les ordres et le commandant de l’opération. La Cour suprême d’Israël, sans donner de définition du lien de causalité qui doit exister, suggère pour sa part une interprétation plus large, en ne requérant pas que certaines activités soient reliées à des opérations militaires spécifiques. Elle inclut notamment dans la notion de participation aux hostilités toute collecte de renseignements relatifs à l’armée, qu’ils soient ou non liés à la conduite des hostilités312, de même que l’entretien et la supervision de l’utilisation de systèmes d’armement de façon générale313. Le débat sur cette question demeure donc à être tranché.

Peu importe l’interprétation retenue, il semble faire peu de doute que certains services de renseignements assurés par des EMP sont susceptibles de constituer une participation directe aux hostilités lorsqu’ils permettent l’identification de cibles ou l’analyse et la transmission d’informations tactiques menant à des attaques contre les forces ennemies. L’interrogatoire de prisonniers de guerre, une activité à laquelle des employés d’EMP ont notamment pris part en Irak, tomberait

309 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 51. 310 Ibid. à la p. 53.

311 Ibid. aux pp. 54-55.

312 Targeted Killings,supra note 40 au para. 35. Voir également Henckaerts, supra note 38 à la p. 22 (qui cite

les manuels militaires des États-Unis, de l‟Équateur et des Philippines en ce sens); Faite, supra note 27 à la p. 173.

également sous le coup de la participation directe aux hostilités lorsqu’il vise à obtenir des renseignements permettant de planifier des opérations militaires314. Il en va de même pour les instructions et l’assistance données aux troupes pour l’exécution d’opérations militaires spécifiques315. Ainsi, de façon générale, il apparaît raisonnable de conclure que les activités suivantes exercées par les EMP constitueront vraisemblablement une participation directe aux hostilités si elles sont exécutées dans le cadre d’une opération militaire spécifique : (i) la production, l’entretien, le transport et l’assistance à l’utilisation de systèmes d’armement ; (ii) le recrutement et l’entraînement de personnel militaire ; iii) les services de renseignements et (iii) la planification et les services-conseil316. Certaines de ces activités pourraient éventuellement être considérées comme une participation directe aux hostilités même si elles ne sont pas reliées à une opération militaire particulière.

La difficulté demeure de déterminer dans quelle mesure une action donnée contribue à une opération militaire particulière. Les activités militaires sont généralement divisées en trois niveaux d’opérations : (i) le niveau stratégique, qui implique l’établissement de politiques de sécurité et militaires et l’allocation de ressources; (ii) le niveau opérationnel, qui implique la prise de décision quant à la conduite de campagnes et opérations militaires ; et (iii) le niveau tactique, qui réfère à la planification et l’exécution de batailles particulières317. Les activités mentionnées ci-haut constitueront généralement, au niveau tactique, une participation aux hostilités, alors qu’elles n’en constitueront pas au niveau stratégique. La zone grise se situe surtout au niveau opérationnel puisque c’est à

314 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 544.

315 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 54-55; Strugar, supra note 292 au para. 177;

Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 534; Voyame, supra note 288 à la p. 376.

316 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 53-54; Schmitt, « Direct Participation in

Hostilities», supra note 2 aux pp. 542-545. Suivant la Cour suprême d‟Israël, le transport de troupes et de munition sur les champs de bataille constitue une participation aux hostilités : Targeted Killings, supra note 40 au para. 35.

317 É.-U., Department of Defence, Dictionary of Military and Associated Terms, Joint Pub. 1-02, adopté le

ce niveau que se fait le lien entre la planification stratégique et sa mise en œuvre sur le terrain318.

Une panoplie d’activités exercées par les EMP à titre de soutien logistique, qui se limitent à la fourniture de biens et services à une Partie au conflit (électricité, essence, matériaux de construction, services financiers319, construction et entretien de bases militaires) ne sont pas suffisamment liées aux dommages causés à l’ennemi pour constituer une participation directe aux hostilités. À cet effet, il était d’ailleurs envisagé par la Convention III que les « fournisseurs, membres d'unités de travail ou de services chargés du bien-être des forces armées » accompagneraient les forces armées sans pour autant être des combattants320.

1.1.3 Un acte commis au bénéfice d’une Partie au conflit et au