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Le statut de h à l’époque mycénienne

En grec classique, h est limité à l’initiale de mot et ne “bloque” pas l’hiatus, au sens où VhV se comporte comme VV. Nous avons vu supra en sectionque la restriction à l’initiale n’a pas toujours été vraie : les reports d’aspiration à l’initiale attestent que des aspirées ont existé en grec commun à l’intérieur du mot. Il semble que le caractère non-séquentiel de l’aspiration soit également une innovation : des traces d’un h capable de “faire position” ont été proposées en mycénien (h initial empêcherait l’élision) (.), et dans la poésie homérique (.).

. Mycénien : h empêchant l’élision ?

Nous avons vu ci-dessus (.) que l’on reconstruit en mycénien des h plus nombreux qu’à l’époque classique : on a au ᵉ millénaire un aperçu d’un stade intermédiaire entre le proto-grec et le grec classique. Malgré les difficultés du syl- labaire, les inscriptions laissent entrevoir le comportement de cette aspiration. À l’initiale de radical, contrairement à la situation du grec classique, h semble blo- quer l’élision, comme s’il s’agissait d’une consonne pleine. Elle semble toutefois fragile à l’intervocalique, et ne semble déjà plus occuper une position syllabique au contact d’une sonante.

Les composés en()montrent que, contrairement à ce qui se passe en grec classique, h empêche l’élision de la voyelle finale du préfixe. Dans les mots de

¹⁵⁷ On notera toutefois que cette hypothèse, qui semble fonctionner dans la majorité des cas, n’explique pas pourquoi le pronom relatif utilisé comme particule initiale de phrase s’écrit tantôt <jo>, tantôt <o>, non de manière aléatoire mais selon le cas du pronom. Cf. Probert (: -) pour des hypothèses.

. Le statut de h à l’époque mycénienne 

Ruijgh (: §), “[i]l n’y a pas d’exemple sûr ou probable d’élision devant h initial en mycénien”.

() o-pi-a2-ra opi-hala < *epi-hal- “région de la côte”, PY An 

équivalent à hom. ἔφαλος épʰalos

o-pi-i-ja-pi opi-hia-pʰi “ce qui est attaché aux courroies”, KN Sd  (R. §)

a-pi-a2-ro ampʰi-halos “entouré par la mer” Pylos x (L. p. )

pas élidé non plus dans hom. ἀμφιάλωι ampʰiálɔ̄i ̯

Il faut souligner que dans <a-u-po-no> á-hupnos et a-hértiton (ci-dessus()), l’hiatus est conservé jusqu’en grec classique ; il ne dit rien de particulier sur h en mycénien.

Or, l’élision à la frontière morphologique est régulière en mycénien : “a regu- lar principle of Mycenaean phonology is that the first of two contiguous vowels is regularly elided” (Vine,:  ; aussi Lamberterie,: ). Les exemples suivants montrent des élisions à la frontière morphologique.

() o-po-qo op-ɔ̄k̯on < *opi-ɔ̄k̯on “oeillère” (“sur l’oeil”), ta-ta-ke-u Stāt-arkʰeu̯s < *stāti- + arkʰ- anthr.

(class. stε̄si-)

L’absence d’élision en()serait donc significative. Nous avons déjà vu, dans la section.., que l’hiatus en lieu et place d’un yod intervocalique ne signifie pas forcément que ce yod est devenu h. Le contexte ici est toutefois différent, puisqu’il s’agit de la frontière entre deux éléments de composé, et non d’un hiatus interne. Dans ce contexte, l’absence d’élision devant h initial est le cas régulier, mais pas systématique : un exemple suggère que l’élision a pu avoir lieu ponctuellement devant h initial. On analyse le composé <a-ni-o-ko> (KN V .) comme formé de hε̄ˊnia “rênes”, en mycénien <a-ni-ja> anʰii ̯a,¹⁵⁸et de *hokʰo- “qui a” (“cocher”).

Le a final de anʰii ̯a n’est pas noté, comme s’il était élidé. Si l’élision n’est pas

possible devant h, c’est que l’aspiration initiale de hokʰo- doit être tombée. Mais alors, on attendrait un glide de transition après le i : *anʰi(i ̯)-okʰo-. Il est donc possible que l’élision du a de anʰii ̯a se soit produite en présence du h : anʰi’-hokʰ-

(Lamberterie,  : ). Une autre possibilité serait bien sûr que le glide de transition soit purement et simplement omis, comme dans les exemples en().

La phonotactique du composé en mycénien doit donc être invoquée avec pré- caution : elle nous est largement inconnue. Le maintien de l’hiatus dans les com- posés de type <o-pi-a2-la> semble toutefois significative : souvent, l’hiatus est

 Chapitre . Cadre historique et géographique

résolu, et il l’est moins souvent lorsque les voyelles sont séparées par h.

En revanche, nous avons vu que le signe <a2> est moins souvent employé à

l’intervocalique qu’à l’initiale. Il est vraisemblable que VhV est déjà fragile en mycénien. De plus, nous avons vu que les anciens *VRs sont notés comme si la sonante se trouvait dans l’attaque de la deuxième syllabe : *ansi- est noté <a-ni->. L’aspiration dans ce contexte est soit passée avant la sonante (ahni), soit n’est plus capable de faire position (anʰi). On a donc un contraste entre h initial et h à l’intérieur de mot : le premier semble encore se comporter comme une vraie consonne, tandis que les seconds ont déjà tendance à disparaître.

. Une note sur les sonantes voyelles

Nous avons vu que la forme du préfixe privatif devant les aspirées anciennes a été utilisée comme un argument pour dire que les aspirées récentes, apparues suite au report d’aspiration, ne sont pas encore attestées en mycénien (supra section .) ; et que cet argument n’est pas valable, puisque de toute façon la forme du préfixe est déconnectée de la présence ou non d’une aspiration dans le mot. En revanche, elle est significative pour la période où les sonantes voyelles se sont vocalisées : il est possible que h ait été traité à ce moment-là comme une (vraie) consonne.

() *n̥-supnos > *n̥-hupnos > á-hupnos

Cette hypothèse repose crucialement sur la chronologie relative de *n̥-→ a(n)- vs. *s > h. Si la sonante se vocalise avant la lénition de s, alors c’est la sifflante qui est reponsable de sa forme pré-consonantique.

. Homère

Enfin, il a été suggéré que des traces d’aspiration “faisant position” sont dé- celables jusque dans la poésie homérique. Lamberterie (: ) souligne les parallèles étroits entre certaines formes et formules mycéniennes et homériques, qui suggèrent que la poésie archaïque a puisé dans le grec de l’époque mycé- nienne : on s’attend donc à retrouver des h capables de s’interposer entre deux voyelles. Dans le vers, une consonne pleine se manifeste par le fait qu’elle est capable d’alourdir une syllabe précédente. L’argument repose donc sur certaines syllabes qu’il faut compter lourdes dans la poésie archaïque alors qu’elles sont suivies hV-.¹⁵⁹ Ces perturbations métriques apparaissent, dans la tradition qui

¹⁵⁹ Chantraine (: ch. ), Ruijgh (: -) d’après Lamberterie (: -), De Decker (: -).

. Le statut de h à l’époque mycénienne 

nous est parvenue, sous la forme d’“allongements métriques”, qui sont parfois notés dans l’orthographe. La liste suivante est reprise à De Decker () et com- plétée avec Lamberterie ().¹⁶⁰

• Πότνια Ἥρη Pótnia Hε̄ˊrε̄ < *potnih2 sēreh2 “Héra la souveraine”

Dans cette formule ancienne, le maintien de l’hiatus -a # hε̄- semble dû au blocage par l’ancien h, comme si la formule avait été créée à un stade de la langue où h était une consonne pleine. Il existe une autre explication possible : la formule serait calquée sur l’accusatif Potnian Hε̄rε̄n.

• Πότνια Ἥβη Potnia Hε̄ˊbε̄ < *potnia hegu̯ā < *potnih

2 (H)i ̯ēgu̯eh2 “Hébé la

souveraine”

La formule s’explique de la même manière que la précédente.

• Διὶ μῆνιν ἁτάλαντον Dií mε̄˜nin hatálanton < *diu̯ei ̯ mēnin hatalanton La syllabe -ni- de mε̄nin doit être comptée lourde, comme si la coupe syl- labique tombait après le n : mε̄.nin.ha-. Le préfixe de ha-tálanton vient de *sm̥- “un”.

• κασίγνητον ὁμογάστριον kasígnε̄ton homogástrion

La syllabe -to- de kasígnε̄ton doit être comptée lourde, comme si on syllabait -ton.ho-. Le préfixe homo- vient du degré o de *sm̥ : *som.

• ἐν ἁλί en halí “dans la mer”, adj. εἰνάλιος ēnálios

Le h initial de ἅλς hals “mer” est attesté en mycénien : o-pi-a2-ra opihala, a-

pi-a2-ra ampʰihala (cf..). Il serait responsable de l’allongement métrique

de la préposition en, notée dans le cas de l’adjectif par le digraphe <ει>. • ὑπεὶρ ἅλα hupēr hála “au-dessus de la mer”. La préposition hupér est notée

avec un ē long. Lamberterie (: ) ajoute que la forme allongée ὑπείρ hupḗr ne se rencontre, à une exception près, que devant h.¹⁶¹

• ἀμφιάλος ampʰiálos “entouré par la mer”, adj. et anthr.

Dans ce terme, la voyelle finale de la préposition ampʰi n’est pas élidée, contrairement à l’usage classique, comme si le h de hals séparait les deux voyelles.

À côté de ces formules anciennes, on trouve des séquences plus récentes qui se conforment à l’usage classique : la syllabe -no de λευκώλενος Ἥρη leu̯kɔ̄lenos

¹⁶⁰ Nous conservons pour transcrire le grec homérique les conventions que nous avons utilisées pour le grec classique. Cf. section sur les conventions de transcription p.xxv.

¹⁶¹ L’exception est ὑπειρέβαλον hupērébalon Il. . “dans un passage considéré comme ré- cent” (Lamberterie,: ).

 Chapitre . Cadre historique et géographique

Hε̄rε̄ n’est pas lourde ; la dernière syllabe de ποτε pote s’élide dans οὐ δὲ ποθ’ Ἥρηι ō dè potʰε̄ˊrε̄i ̯(Lamberterie,: ). Le texte homérique ne présenterait donc que des reliquats d’une langue où h faisait position.

Ces formes sont cependant peu nombreuses, et peuvent toutes être expliquées autrement que par le maintien d’un h “plein” : elles peuvent avoir été adaptées à partir d’un autre cas (ex. à partir de l’accusatif pótnia(n) Hε̄ˊrε̄(n)), ou rentrer simplement dans la catégorie des allongements métriques. La reconstruction de h “pleins” en grec homérique est donc sujette à caution.

. Conclusion

Il existe donc bien quelques arguments pour penser que h a pu, au deuxième millénaire, se comporter comme une consonne “pleine”, capable de s’interposer entre deux voyelles.