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Origine de l’aspiration

La reconstruction traditionnelle de l’indo-européen inclut une série d’occlu- sives sonores aspirées (*Dʰ), à l’origine de la plupart des occlusives aspirées du grec. On reconstruit également trois consonnes dites “laryngales”, convention- nellement désignées par un h numéroté : *h1, *h2, *h3 (collectivement : *H), par-

mi lesquelles figure peut-être une fricative véritablement laryngale.⁴¹Les “coeffi- cients sonantiques” originellement reconstruits par Saussure n’ont laissé derrière eux, mis à part quelques traces de *h2 en hittite, qu’un timbre particulier sur les

voyelles qui leur étaient adjacentes, et un allongement lorsque la “laryngale” était post-vocalique. Parce que, contrairement aux deux autres, la “laryngale ” *h1ne

colore pas la voyelle adjacente, il a été suggéré de la lire comme une fricative

⁴⁰ On arrive à cette terminologie baroque en français à travers une série de traductions mal- heureuses. On passe du terme grec transparent pneũ̯ma “souffle”, au terme français opaque

esprit à travers la traduction latine spīritus “souffle”. Le français rude traduit le latin asper,

“rugueux, âpre” qui rend lui-même le grec dasús “touffu, boisé, chevelu”. Son antonyme,

doux, traduit le grec psīlós via le latin lēnis.

⁴¹ Le terme “laryngales” pour désigner ces consonnes est conventionnel ; il vient d’une tenta- tive de Møller () de lier ces consonnes aux gutturales sémitiques. Nous nous appuyons dans ce paragraphe sur la synthèse proposée par Petit ().

. Origine de l’aspiration 

laryngale h. La “laryngale ” *h2 est un autre candidat possible, puisque les sé-

quences *Th2 donnent naissance à des occlusives aspirées Tʰ en indo-iranien.⁴²

Le grec n’hérite cependant pas de ce h potentiel, qui disparaît très tôt en indo- européen, à part peut-être en combinaison avec une (semi-)voyelle palatale (cf. in- fra section.). Les aspirées du grec ancien proviennent des sources suivantes, que nous examinerons dans leur ordre chronologique d’apparition :

• . : les occlusives aspirées reconstruites en indo-européen, considérées comme toutes voisées, sont les ancêtres directs de la plupart des occlusives aspirées sourdes du grec : *Dʰ > Tʰ.

• .: la sifflante coronale s, qu’elle soit d’origine indo-européenne ou ré- cente, donne naissance à h, aux sonantes aspirées et à quelques occlusives aspirées ;

• .: la séquence *Hi ̯- donne des h initiaux⁴³;

• .: la semi-voyelle vélaire aspirée u̯ʰ, étymologique (donc < *s) ou créée par confusion avec u̯ simple, donne naissance à quelques h initiaux ; u̯r est également une source (indirecte) de r aspirés.

. Tʰ

La reconstruction traditionnelle de l’indo-européen propose trois séries d’oc- clusives, couvrant cinq points d’articulation et différant par leur trait laryngal : voisées, sourdes et voisées aspirées (murmurées). La dernière série est à l’origine de la plupart des occlusives aspirées du grec.

() Sourdes *p *t *kˊ ([c]) *k *ku̯

Voisées (*b) *d ([ɟ]) *g *gu̯

Voisées aspirées *bʰ *dʰ *ǵʰ ([ɟʰ]) *gʰ *gu̯h

Cette reconstruction est contestée depuis les années  par les tenants de la “théorie glottalique”. Ces derniers proposent de reconstruire la série voisée de la tradition comme une série (pré-)glottalisée. Cela permet entre autres de rendre compte de l’absence de consonne labiale dans cette série, et de la restric- tion contre les racines de type *DVD- (donc *T’VT’). Il n’y a en revanche pas de consensus, parmi les défenseurs de *T’, sur la reconstruction de la série *Dʰ classique : elle est généralement reconstruite comme une série voisée, mais dont

⁴² Cf. en particulier le tableau synthétique des valeurs phonétiques proposées pour ces trois consonnes depuis le début du ᵉ s., Petit (: §.).

⁴³ Dans les grammaires classiques comme Schwyzer () et Lejeune (), ce contexte est donné comme un yod initial.

 Chapitre . Cadre historique et géographique

l’aspiration était peut-être allophonique plutôt que distinctive.⁴⁴L’un des argu- ments présentés pour ces hypothèses est la loi de Grassmann ; nous évoquerons brièvement ce point dans le chapitre chap., section... La théorie glottalique résout des problèmes, mais en pose de nouveaux. En particulier, presque aucune langue indo-européenne ne conserve d’éjective (à l’exception de l’ossète, où il pourrait s’agir d’un trait aréal caucasien, et de l’arménien oriental), et le change- ment *T’ > D qu’elle impose de reconstruire est également problématique. Nous nous en tiendrons ici à la théorie classique.⁴⁵

Le grec classique admet ces occlusives aspirées dans des attaques complexes, mais aussi dans des groupes d’obstruantes. Dans l’alphabet grec, toute séquence d’occlusives dans laquelle C2 est aspirée est notée comme deux consonnes aspi-

rées. Si C1 est bien aspirée, alors la concaténation de deux occlusives peut être

une source d’occlusives sourdes en grec classique. () Suffixe d’aoriste passif -tʰε̄-⁴⁶

b + tʰ > pʰtʰ e-trib-tʰε̄n > e-trípʰ-tʰε̄n ἐτρίφθην p + tʰ > pʰtʰ e-tarp-tʰε̄n > épq. e-tárpʰ-tʰε̄n ἐτάρφθην pʰ + tʰ > pʰtʰ e-alēpʰ-tʰε̄n > ε̄lēˊpʰ-tʰε̄n ἠλείφθην

Des groupes d’occlusives aspirés sont également reconstruits dès l’indo-européen, y compris en position initiale.

() *dʰǵʰōm⁴⁷ kʰtʰɔ̄ˊn χθών “terre”

*dʰgu̯her- pʰtʰḗrɔ̄ φθείρω “ruiner, détruire”

*dʰgu̯hei ̯- pʰtʰínɔ̄ φθίνω “se consumer”

*(H)idʰǵʰuH-⁴⁸ ikʰtʰū- ἰχθῦς “poisson”

Dans tous ces exemples, les groupes ont subi une métathèse plaçant la coro- nale en deuxième position (cf. *ti-tk-ɔ̄ > tíktɔ̄). Les restrictions sur les traits de lieu et les traits laryngaux dans les groupes d’obstruantes seront examinés au chap., section..

Enfin, certaines occlusives aspirées tiennent leur aspiration de *s (type *paksnā > pakʰnε̄). Elles sont examinées ci-dessous en...

⁴⁴ Cf. le tableau synthétique poposé par Petit (: §..).

⁴⁵ Cf. par ex. Hayward () pour une revue critique de la theorie proposée par Gamkrelidze et Ivanov.

⁴⁶ Traductions : τρίβω tríbɔ̄ “frotter” ; τέρπω térpɔ̄ “réjouir” ; ἀλείφω alēˊpʰɔ̄ “oindre”.

⁴⁷ La racine conserve ses deux aspirées au “degré e” : Nom. sg. *dʰéǵʰōm (Mayrhofer, : ).

⁴⁸ Bozzone (: ) reconstruit plus précisément *h1idʰǵʰuH- > *hikʰtʰū-, suivi d’une dissi-

. Origine de l’aspiration 

. s > h

La plus grande partie des aspirées du grec ancien proviennent étymologique- ment de s. Il ne s’agit pas d’un changement ponctuel, mais d’une série de lénitions s > h tout le long de l’histoire du grec : la sifflante indo-européenne disparaît de place en place avant l’époque mycénienne, puis entre le mycénien et l’époque classique, et de nouveaux s s’affaiblissent en h pendant l’époque classique.⁴⁹Dans plusieurs de ces contextes, la sifflante finit par disparaître complètement ; mais le passage par h est souvent attesté par des occurrences de “reports” de l’aspiration à l’initiale.

Ces lénitions constituent en elles-mêmes un objet d’étude à part entière, et la définition précise de leurs contextes ne relève pas directement de notre sujet. Nous ne ferons ici que mentionner ces contextes, sans entrer dans la question de leurs mécanismes précis. En revanche, elles posent la question du rapport entre s et h, et de la définition du trait d’aspiration à l’époque classique. Les cas de “re- ports à l’initiale” sont également intéressants, dans la mesure où ils reflètent un comportement de l’aspiration typologiquement fréquent ; ils devront être situés par rapport à la grammaire de l’aspiration en attique classique.

Dans les sections suivantes, nous présentons les contextes de disparition de la sifflante indo-européenne (..). Nous examinons ensuite ce qui permet de penser que l’amuïssement est passé par h ; en particulier, quelques h initiaux du grec classique proviennent de sifflantes intérieures par report d’aspiration (..). Nous détaillons dans un dernier temps les nouveaux s > h attestés dans quelques dialectes à l’époque classique (..).

.. *s > h

a. Tableau synthétique

La source principale de l’aspiration en grec ancien est la sifflante indo- européenne. La lénition *s > h se produit dans un ensemble complexe de contextes, synthétisés dans le tableau .. Dans ce tableau, R désigne l’ensemble des so- nantes m, n, l, r et u̯ ;⁵⁰ N renvoie aux nasales m, n, et L aux liquides r, l (les exemples avec u̯ sont en général trop rares pour pouvoir être classés). T désigne les occlusives. Les “proto-formes” sont des Transponat : il ne s’agit pas de recons- tructions indo-européennes.

⁴⁹ Cf. Morpurgo Davies () et Alonso Déniz ().

⁵⁰ Sur le statut plus “vocalique” de i ̯ en grec, cf. Batisti (:  n. ).

⁵¹ Traductions : heptá “sept ; élabon aor. de lambánɔ̄ “prendre” ; génōs “race, famille” Gén. sg. ; ei ̯mi, “être” (lesb. thess. emmi) ; épʰε̄na, aor. “rendre visible” (lesb. thess. epʰanna) ; hár-

ma “char” ; espártʰai ̯ inf. pft. moy.-passif de σπείρω spḗrɔ̄ “semer” ; ai ̯kʰmε̄ˊ “lance” ; hepʰtʰós

 Chapitre . Cadre historique et géographique

Tab. . : Amuïssement de *s en grec

Proto-forme Grec classique ⁵¹

. #_V *septm̥ heptá

. #_R *slābʰ- *hlābʰ- é-lab-on⁵² (exceptions : sm-) . V_V *gen-es-os *genehos génōs

. V_R *esmi *ehmi *ēmi⁵³

. R_V *e-pʰan-sa *epʰanha épʰε̄na (exceptions : -rs-)

. R_R *arsma *arhma hárma

. L_T *e-spar-stʰai ̯ *esparhtʰai ̯? espártʰai ̯ . T_R *ai ̯ksmā *aikhmā ai ̯kʰmε̄ˊ . T_T *heps-tos hepʰtós ? hepʰtʰós

*s maintenu

. N_T *en-sku̯ete éspete

. V_T *estiesti

. #_T *speu̯d-speú̯dɔ̄

. T_V *pseu̯d-pseú̯domai ̯

. _# *-os -os

Comprendre le mécanisme de cette lénition est un défi fascinant. Elle repré- sente toutefois à elle toute seule un sujet plein, et entreprendre ce problème en détail nous entraînerait trop loin de notre sujet. Nous nous contenterons ici de détailler les contextes de lénition à titre indicatif (en b.), et de proposer quelques remarques liminaires (en c.). Des éléments de chronologie relative seront déve- loppés infra en section, et nous ébaucherons au chap., sectionune hypothèse permettant de comprendre l’asymétrie entre s vs. h initial et final.

⁵² Mais cf. chap.pour l’hypothèse d’un passage par llʰ-.

⁵³ Threatte (: -) remarque que la SG du verbe ”être”, εἰμι ei ̯mi, est notée avec la diphtongue dès les premiers documents ; il en conclut que la graphie <ει> recouvre une authentique diphtongue, là où l’on attendrait une voyelle longue : ei ̯mi. Cette diphongaison isolée présuppose probablement un stade avec une voyelle longue : *ēmi.

. Origine de l’aspiration 

b. Contextes

• . #_V : initiale de mot devant voyelle () *sod- ὁδός hodós “chemin”

*som- ὁμός homós “un, le même” *sm̥- ἁ- ha- préfixe copulatif

*serp- ἕρπω hérpɔ̄ “bouger lentement, marcher”

Les s- initiaux attestés à l’époque classique proviennent des groupes *t⁽ʰ⁾i ̯-, *tu̯-, *k⁽ʰ⁾i ̯- ou d’emprunts.⁵⁴

• . #_R : initiale de mot devant sonante

() *smor- μοῖρα moĩra “part, destin”

*snā- νέω néɔ̄ “nager”

*slāgu̯/slābʰ- λαμβάνω lambánɔ̄ “prendre”

*sreu̯- ῥέω (r)rʰéɔ̄ “couler”

*su̯elk- ἕλκω hélkɔ̄ “tirer”

L’aspiration dans le contexte  est attestée ponctuellement dans les inscrip- tions : <Λhαβετος> Lhábetos (vases). Le cas de *su̯- est détaillé ci-après en sec- tion.; l’évolution générale des groupes *sR- est examinée au chap.. Une partie des groupes *sm- initiaux échappe à la lénition.⁵⁵

() σμάω smáɔ̄ “essuyer”

σμικρο- / μικρο- (s)mīkro- “petit”

• . V_V : intervocalique

() *nesomai ̯ νέομαι néomai ̯ “revenir” *tʰesos θεός tʰeós “dieu” Un cas particulier, entre les deux semi-voyelles : () *akou̯si ̯ɔ̄ ἀκούω akoú̯ɔ̄ “entendre”

En grec classique, un ancien s intervocalique est encore attesté dans certains morphèmes. Ces sifflantes intervocaliques sont considérées comme des réintro- ductions analogiques.⁵⁶

⁵⁴ Cf. infra section...

⁵⁵ Schwyzer (: -), Lejeune (: §). ⁵⁶ Cf. infra section...

 Chapitre . Cadre historique et géographique

() aor. sigmatiques ἔλυ-σα élū-sa “délier” fut. sigmatiques λύ-σω lūˊ-sɔ̄

Dat. pl. athématiques τρι-σί tri-sí “trois”

Suff. -sis θέ-σις tʰé-sis “action de poser” σχέ-σις skʰé-sis “manière d’être”

• . V_R : entre voyelle et sonante : allongement compensatoire (AC) Les contextes d’allongement compensatoire ont fait l’objet d’une abondante littérature.⁵⁷ Le résultat de ce changement, baptisé “premier allongement com- pensatoire”, dépend des dialectes. En lesbien et en thessalien, c’est la sonante qui s’allonge : pour le nom de la “lune” ci-dessous, Sappho par exemple a σελάννα selánnā. Dans les autres dialectes, c’est la voyelle qui s’allonge : *VsR > V̄R.

() *selas-nā σελήνη selε̄ˊnε̄ “lune”

*nau-kras-ro- ναύκρᾱρος naú̯krāros “armateur” (att. naú̯klε̄ros avec dissim.)

*ǵʰesr-ós χειρός kʰērós “main” Gén. sg. *gʰesl- ion. χείλιοι kʰēˊlioi ̯⁵⁸ “mille”

*h2ou̯s-os οὖς ō˜s⁵⁹ “oreille”

D’après Alonso Déniz ( : ), il n’y a pas AC si la sonante est suivie par une consonne.

() *ǵhesr-n- > χέρνιψ kʰérnips “eau pour ablutions”

On a par ailleurs un certain nombre d’exceptions : les suffixe -smos, -smā gardent ainsi souvent leur -s initial.⁶⁰

() *dh1- δεσμός desmós “lien” (hom.)

*dʰreh3- θρωσμός ou θρῳσμός tʰrɔ̄(i ̯)smós “escarpement” (hom.)

(sur θρῴσκω tʰrɔ̄(i ̯)skɔ̄ ?) • . R_V : entre sonante et voyelle : AC

⁵⁷ Cf., parmi beaucoup d’autres, Kiparsky (), Steriade (), Méndez-Dosuna (), Méndez-Dosuna (). Batisti () propose une revue détaillée et récente de la littéra- ture.

⁵⁸ L’attique a fermé la première voyelle en ī : χίλιοι kʰīˊlioi ̯. Cf. Lejeune (: §).

⁵⁹ Pour le nom de l’oreille, on reconstruit : *h2ou̯s-os > *ou̯hos > *ōu̯os > *ōos > ion.-att. ō˜s. Cf.

Lamberterie () et Alonso Déniz (:  n. ) . ⁶⁰ Schwyzer (: ), Lejeune (: §).

. Origine de l’aspiration 

L’évolution de ces groupes est largement parallèle à celle de VsR : on a VRR en lesbien et en thessalien, et V̄R ailleurs.

() *e-nem-sa ἔνειμα énēma aor. “partager” *āngel-sa ἤγγειλα ε̄ŋgēla “annoncer” *e-sper-sa ἔσπειρα éspēra “semer”

Cette lénition est régulière dans les formes d’aoriste de l’époque classique. Mais l’épopée homérique présente de nombreux aoristes et futur sigmatiques préservant le *s, parfois en concurrence avec la forme plus récente à AC.

() ὄρνυμι órnūmi fut. ὄρσω órsɔ̄ “s’élancer” aor. ὦρσα ɔ̄˜rsa

ἀραρίσκω ararískɔ̄ fut. ἄρσω ársɔ̄ “adapter, ajuster” aor. ἦρσα ε̄˜rsa

κείρω kēˊrɔ̄ Doublet ἔκερσα ékersa / ἔκειρα ékēra (*e-ker(s)-sa) “raser”

À l’époque classique, la sifflante apparaît dans les suffixes flexionnels (Dat. pl. θηρ-σί tʰε̄r-sí “bête sauvage”) ou dérivationnels productifs (κάθαρ-σις kátʰar-sis “purification”) (cf. ci-dessus contexte intervocalique, p. ). Mais en dehors de la frontière morphologique, plusieurs séquences -Vrs- sont maintenues jusqu’en grec classique, en concurrence avec la forme à AC.

() κόρση kórsε̄ “tempe” (att. κόρρη kórrʰε̄)

vs. κουρεύς kōreu̯ś “barbier”

κουρά kōrāˊ “coupe de cheveux” < *ker-s-

ὄρσος órsos “sacrum” (att. ὄρρος órrʰos)

vs. οὐρά ōrāˊ “queue”

Batisti (: -) reprend le dossier de ces exceptions, et conclut que la meilleure explication de la conservation de *s dans le contexte VRs est celle de Wackernagel (), revue et corrigée par Miller () : la lénition peut ne pas avoir lieu si la voyelle précédant le groupe est intonée.

() órsos préservé (“sacrum”) vs. orsāˊ > ōrāˊ (“queue”)

En attique, et sporadiquement dans d’autres dialectes, ces séquences -rs- ne sont pas conservées : elles apparaissent sous le forme de r géminés, comme dans κόρρη kórrʰε̄, ὄρρος órrʰos.⁶¹Puisque les r géminés sont aspirés en grec, tout se

 Chapitre . Cadre historique et géographique

passe donc comme si ces s préservés avaient finalement évolué en h en attique : ors- > *orh- > orrʰ-. Ce changement surprend : si les changements s > h du chy- priote, laconien, argien et éléen (cf. section..), situés en position coda et in- tervocalique, semblent naturels, il est étonnant qu’en attique la nouvelle lénition soit limitée à un seul contexte, et post-consonantique.

Nous verrons cependant au chap.qu’à l’époque de ce changement, tous les r longs sont aspirés en attique : la majeure partie d’entre eux, sinon tous, sont des r à l’initiale de radical, issus de *sr- puis u̯r-. Il est donc plausible que l’aspiration de la géminée provienne non d’un nouveau changement s > h, mais tombe sous le coup d’une règle déjà en vigueur dans la langue : tous les r longs sont aspirés. C’est ainsi qu’on explique u̯r- > rrʰ- à l’initiale (cf. infra section.).

• . R_R : entre sonantes

() *ptersnā πτέρνη ptérnε̄ “talon”

*kersnai ̯ κέρναι kérnai ̯ “excroissances transversales des vertèbres” (Poll. ,)

*arsma ἅρμα hárma “char”

*orsmā ὁρμή hormε̄ˊ “élan”

Alonso Déniz (: ) adopte avec Lejeune (: §) l’étymon *kons- mos pour κόσμος kósmos “ordre”. Cela signifierait que le contexte N_R, où la sif- flante serait conservée au détriment de la nasale, ne se comporte pas comme le contexte L_R, où la sifflante tombe et la liquide est maintenue. Ce n’est toutefois pas la seule étymologie possible pour ce mot, qui est le seul contexte de ce type reporté dans la littérature.

• . L_T : entre liquide et occlusive

Dans ce contexte, il n’y a pas de trace d’un passage par h ; s est peut-être tombé directement. Les formes suivantes sont des infinitifs parfaits moy.-pass. attestés chez Xénophon ou Thucydide.

() *e-spar-stʰai ̯ ἐσπάρθαι espártʰai ̯ spēˊrɔ̄ “semer” *ēngel-stʰai ̯ ἠγγέλθαι ε̄ŋgéltʰai ̯ aŋgéllɔ̄ “annoncer” *e-stal-stʰai ̯ ἐστάλθαι estaltʰai ̯ stéllɔ̄ “envoyer” La lénition de *s dans ce contexte semble présenter une exception. () LsT > sT

. Origine de l’aspiration 

De nouveau, la lénition de *s ne se produit pas si la sonante est une nasale. Une liste d’exemples est rassemblée par Alonso Déniz (: ). Si cette res- triction est correcte, alors la forme de parfait πεφάνθαι pepʰántʰai ̯ < *p⁽ʰ⁾e-pʰan-stʰai ̯, avec maintien de la nasale et chute de s, doit être une forme analogique.

• . N_T⁶²

() *-kont-to- > *-konsto- -κοστός tria-kostós “trentième” *dem-s + *pot- δεσπότης despótε̄s “maître” *mogons + *tok- μογοστόκος mogostókos “qui allège les

douleurs de l’enfantement”

• . T_R : entre occlusive et sonante

Toute occlusive labiale ou vélaire devant *-sR- est aspirée.⁶³Dans ce contexte, on attendrait plutôt une neutralisation du trait d’aspiration. En attique, et dans quelques autres alphabets, l’occlusive d’une séquence occl. + s est notée par le signe de l’occlusive aspirée : <φσ, χσ>. Sihler (: §) considère que dans ce contexte, on n’a pas eu s > h, mais une aspiration de l’occlusive devant la sif- flante (T > Tʰ / _s), puis chute de la sifflante. La lecture de <φσ> pose toutefois des problèmes phonétiques, qui seront examinés au chap., section..

() *-DsR- *pag-snā πάχνη pákʰnε̄ “givre”

*u̯rōg-smos ῥωχμός (r)rʰɔ̄kʰmós “fente”

*-TsR- *plok-smo-s πλοχμός plokʰmós “boucle de cheveux” *ai ̯kˊ-smā αἰχμή ai ̯kʰmε̄ˊ “pointe de lance” *luk-snos λύχνος lúkʰnos “lampe”

*arak-snā ἀράχνη arákʰnε̄ “araignée” *iōk-smos ἰωχμός iɔ̄kʰmós “mêlée” (hom.) *-DʰsR- *me-ǵʰsr-i μέχρι(ς) mékʰri(s) “jusque”

*m̥-ǵʰsr-i ἄχρι(ς) ákʰri(s) idem Lorsque C1est une coronale, le groupe T[+cor]s se réduit à s.

⁶² Lejeune (: §), Alonso Déniz (: ).

⁶³ Schwyzer (: ), Lejeune (: §). Aὐχμός au̯kʰmós “saleté poussiéreuse” appar- tient peut-être à cette liste, s’il vient de *h2suskmos > *asuksmos (racine *h2sus- reconstruite

 Chapitre . Cadre historique et géographique

() T[+cor]sC

*dat-smos δασμός dasmós “part”

*knid-smos κνισμός knismós “démangeaison” (ou *knit-, *knis- DELG s.v. κνίζω)

• . T_T

Enfin, le dernier contexte où *s disparaît en laissant à sa place une aspira- tion est exceptionnel : c’est le seul cas attesté de propagation de l’aspiration sur l’occlusive suivante. Steriade (: ) parle de “loi de Bartholomae” en grec. Puisque ts > s(s), cela ne se produit qu’après une occlusive non coronale. Le trait laryngal des occlusives est neutralisé devant s ; C1 peut donc être voisée, sourde

ou sourde aspirée.

() *heps-tos ἑφθός hepʰtʰós adj. verbal de hépsɔ̄ “bouillir” *deps-tar- διφθέρα dipʰtʰérā objet en cuir (*depsto-tar-

par haplologie) *eks-tros ? ἐχθρός ekʰtʰrós “ennemi” (lat. extrā,

“au-dehors”)

*r̥gʰ-skˊ-e/o- ἄρχω árkʰɔ̄ “commencer, commander”

Weiss ( : ) considère que s est également aspiré dans les parfaits médio-passifs en -stʰai ̯, -stʰe, -stʰon. Dans ce cas cependant, l’aspiration du groupe pourrait ne pas venir de *s, mais de la Tʰ du suffixe.⁶⁴

() *te-trib-stʰai ̯ τετρῖφθαι tetrī˜pʰtʰai ̯ trīˊbɔ̄ “frotter” *te-trap-stʰai ̯ τετράφθαι tetrápʰtʰai ̯ trépɔ̄ “tourner”

Dans les séquences ksk, et peut-être psp, c’est en revanche le C1qui tombe.⁶⁵

() ksk > sk

*lak-sk-ɔ̄ láskɔ̄ λάσκω “craquer”

*dikskos dískos δίσκος “disque”

*blaps-pʰām- ? blaspʰε̄m- βλασφημ- “injurier, calomnier”

Enfin, une difficulté du changement *s > h est que la sifflante est parfois main- tenue lorsqu’elle était en indo-européen postérieure à une sonante syllabique

⁶⁴ Les formes en()sont attestées chez Platon.

⁶⁵ Lejeune (: §§ et  n. ), Bernabé et Luján (: ). Sur blaspʰε̄méɔ̄, cf. Sihler (: §.). Pour Chantraine (DELG), le premier membre de blaspʰε̄méɔ̄ est obscur.

. Origine de l’aspiration 

(“sonante voyelle”).⁶⁶

() *dʰr̥sos θάρσος tʰársos “courage, confiance” *dn̥s-us δασύς dasús “touffu, hérissé”

*-n̥si -ασι -asi Dat. pl. thèmes neutres en n ex. ὀνόμασι onómasi

vs. *dn̥s-i δαΐ daí- “qui connaît”

*dn̥su- ? δαυλός dau̯lós même racine que dasús ? Cf.DELG

mais *sm̥- ἁ- ha- préfixe copulatif

Le maintien de *s est inattendu : il devrait tomber aussi bien après voyelle qu’après sonante. Cette irrégularité pose en particulier un problème pour l’ex- plication des composés du type á-hupnos (cf. infra.) : s > h s’est-il produit avant ou après la vocalisation des sonantes voyelles ?

c. Remarques

Les contextes de lénition présentés supra sont ceux qui concernent la sifflante indo-européenne, et sont antérieurs à l’époque classique (pour une partie, anté- rieure à l’époque mycénienne également ; cf. section). Considéré dans son en- semble, le phénomène est déconcertant. La lénition touche en effet des contextes inattendus : l’initiale de mot est concernée, alors que la fin de mot est préser- vée. Chercher à en rendre compte à travers la structure syllabique ne mène pas très loin. Les contextes où s > h ne semblent pas recouvrir la distinction attendue entre attaque = préservation, et coda = lénition : le s est perdu avant et après sonante, alors qu’il est conservé avant et après occlusive (sauf dans le cas parti- culier TsR). Seigneur-Froli (: -) par exemple parvient, en s’appuyant sur la théorie CVCV, à expliquer l’asymétrie entre les contextes #sV, VsV et RsV d’une part (lénition), et VsT, #sT et TsV d’autre part (maintien de *s). Mais elle échoue à rendre compte du contraste *esmi (lénition) / esti (maintien de *s), ainsi que de la lénition de *s devant sonante à l’initiale de mot (*sreu̯ɔ̄ > (r)rʰéɔ̄). Ste- riade () parvient à unifier les contextes principaux, en proposant de syllaber