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L’aspiration consonantique

. Reconstruction

Le caractère occlusif et post-aspiré des sons notés par les graphèmes <φ θ χ> ne fait pas de doute : en grec classique, ces graphèmes se lisent [pʰ, tʰ, kʰ].¹ On peut rappeler rapidement les différents indices qui confirment cette lecture. Beaucoup ont déjà été mentionnés ailleurs ; on trouvera par ailleurs un dossier complet chez Allen (: -)

Nous avons vu au chap. , section .., que tous les alphabets grecs n’ont pas les symboles <φ> et <χ>. Dans les alphabets “verts” de Théra et Mélos, qui n’ont pas φ = [pʰ] et χ = [kʰ], la labiale et la vélaire sont, tout d’abord, notées de manière compositionnelle par le symbole de la sourde puis de h.

() ἀδελπhεόν adelpheón Théra IG XII, ,a Khίρων Khírɔ̄n Théra IG XII, 

. L’aspiration consonantique 

Le digraphe est parfois étendu par hypercorrection à <θ>, bien que ce symbole note tʰ dans tous les alphabets épichoriques.²

() καθhάπερ katʰháper I³  (/) et  (-)

Le caractère occlusif de <φ θ χ> est montré par les emprunts latins, qui les transcrivent <P, T, C>.³ Les digrammes <PH, TH, CH> apparaissent au milieu du ᵉ s. av. J.-C., et s’imposent au ᵉʳ s. av. J.-C. Ils ne remplacent pas l’ancienne graphie : <P, T, C> reste la transcription courante jusqu’aux premiers signes de fricativisation de la labiale, aux ᵉʳ/ᵉ s. ap. J.-C.

() <Achaia> c. - <Corinthiorum>  av. J.-C.

<Delphius>  av. J.-C., Delphes

Cette aspiration est également commentée par les Romains, sous le terme aspiratio. Quintilien parle d’un témoin qui ne reconnaît le nom grec “Amphion” que prononcé à la romaine, sans son aspiration et sans sa voyelle longue (Inst. Or. ..) ; Cicéron rapporte qu’il a fini par adopter la prononciation contempo- raine des mots pulcros, Cetegos, triumpos, Cartaginem comme pulchros, Cethegos, triumphos, Carthaginem (Cic. Or. ), et on connaît bien l’épigramme de Catulle se moquant des pédants qui multiplient les aspirées en latin par affectation.

Chez les grammairiens grecs, <φ> <θ> et <χ> sont classés avec <β, δ, γ> et <π, τ, κ> parmi les ἄφωνα ápʰɔ̄na, les “sons sans voix”, c’est-à-dire les occlusives ; par exemple pour Denys le Thrace, au ᵉ/ᵉʳ s. av. J.-C.⁴Les aspirées sont opposées aux sourdes simples dans les mêmes termes que h est opposé à zéro : l’aspirée est δασύ dasú (“touffu, dense” / “rauque” pour Lallot,), la non-aspirée est ψιλόν psilón (“nu, dégarni”). Denys d’Halicarnasse, au ᵉʳ av. J.-C., décrit expli- citement l’aspiration comme un trait supplémentaire ajouté à la consonne.⁵Les quelques descriptions phonétiques qui nous sont parvenues correspondent à celles d’occlusives aspirées. Dans un passage du De Audibilibus, le Pseudo-Aristote dé- crit les aspirées comme “expulsant l’air immédiatement après le son” (b)⁶

Enfin, Le caractère occlusif et aspiré des sons notés par <φ>, <θ> et <χ> est hérité des occlusives murmurées de l’indo-européen : *Dʰ.⁷

² Aussi exceptionnellement ἀφhε̄˜καν apʰhε̄˜kan I³  (/) (aor. ἀφίημι apʰíε̄mi). ³ Biville (: ), Purnelle (: -).

⁴ .. Lallot (). ⁵ De Comp. ..

⁶ Cf. Allen (: ). ⁷ Cf. chap., section..

 Chapitre . L’aspiration en attique classique

À l’intérieur du grec même, plusieurs phénomènes montrent que <φ θ χ> notent des occlusives aspirées. Ces points seront ici simplement résumés, avant d’être développés plus en détail au cours du chapitre. Elles ont d’abord la même distribution que les autres occlusives : elles sont admises devant sonante, en at- taque complexe, mais pas en fin de mot (.). Les occlusives aspirées fonctionnent ensuite comme le terme marqué des occlusives sourdes simples, dans une oppo- sition privative : Tʰ = T + h (). Lorsqu’une occlusive entre en contact avec une voyelle aspirée, cette occlusive est notée <φ, θ, χ>. La dissimilation historique de la loi de Grassmann laisse en synchronie des alternances notées par <τ> vs. <θ>, <π> vs. <φ>, <κ> vs. <χ> (ex. τρέχω trékʰɔ̄ / fut. θρέξω tʰréksɔ̄ “courir”. Enfin, les assimilations observées dans les inscriptions transforment de même <π τ κ> en <φ θ χ>.

. Phonétique

L’aspiration des occlusives aspirées se définit dans les langues contempo- raines par une combinaison de quatre paramètres :

• un délai entre le relâchement de l’occlusive et la mise en place du voisement de la voyelle suivante, appelé voice onset time ou VOT,

• un écartement prononcé des plis vocaux,

• un bruit de friction produit au niveau de la glotte,

• et un bruit d’explosion plus fort que pour les autres types d’occlusives.

Lisker et Abramson () et Abramson et Lisker () montrent que les traits laryngaux de voisement, non voisement et aspiration peuvent être considé- rés comme trois points sur une échelle unique, celle du voice onset time. Le VOT est défini comme “the time of onset of glottal periodicity relative to the burst which marks the release of stop closure” (Abramson et Lisker,: ). L’idée est que ce qui varie entre b, p et pʰ est le délai entre l’explosion de la consonne et la reprise du voisement pour la voyelle suivante : le délai est négatif pour les voisées, positif mais bref pour les sourdes, et positif et long (à partir de  ms en moyenne) pour les aspirées.

. L’aspiration consonantique  () constriction orale voisement a abduction gloale p voisement a () voisement a abduction gloale p voisement a h

constriction orale VOT

Le VOT est notamment connu pour les élégants effets de catégorisation per- ceptuelle qu’il permet de mettre en évidence. Abramson et Lisker () montrent que, lorsqu’on demande à des auditeurs d’identifier des occlusives dont le VOT varie aléatoirement au sein d’une certaine fourchette, ils perçoivent distincte- ment ba, ou pa, ou pʰa, même pour des VOT très proches. La relation entre le VOT et la perception n’est pas linéaire : on ne peut pas dire que plus le VOT est long, plus la consonne sera perçue comme aspirée. Il y a des effets de seuil, en- deçà duquel les locuteurs perçoivent une sourde non aspirée, et au-delà duquel ils perçoivent une sourde aspirée. L’effet se maintient langue après langue.

Le VOT varie selon le lieu d’articulation : globalement, plus la consonne est postérieure, plus le VOT est long.⁸ Dans les  langues étudiées par Lisker et Abramson (: ), il est généralement plus long pour les vélaires. En thai, Gandour et al. () mesurent un VOT moyen de  ms pour pʰ,  ms pour tʰ et  ms pour kʰ. Les labiales, dont la constriction est la plus éloignée de la glotte, sont les occlusives dans lesquelles il est le plus difficile de maintenir un VOT. Cette échelle correspond à la chronologie de la lénition des oclusives aspirées : plus la consonne est postérieure, plus le VOT est long ; plus le VOT est long, plus tard elle devient fricative en grec post-classique.⁹Cette échelle correspond également aux erreurs dans les transcriptions latines de mots grecs : kʰ est mieux

⁸ Cho et Ladefoged (: ). ⁹ Cf. chap., section...

 Chapitre . L’aspiration en attique classique

noté que pʰ et tʰ.¹⁰

La glottal timing theory ne suffit cependant pas à définir les aspirées. Elle est d’abord trop large, puisque les éjectives ou les affriquées présentent aussi un VOT long. Gallagher () propose ainsi un trait [long VOT] pour capturer les restrictions de co-occurrence pesant à la fois sur les éjectives et les aspirées dans les langues comme le quechua. Mais elle est aussi trop restrictive, puisqu’elle ne permet pas de définir par exemple les aspirées en fin de mot, où il n’y a au- cune voyelle par rapport à laquelle mesurer le délai de reprise du voisement. Plus important dans le cas qui nous occupee, le VOT ne permet pas de définir conjoin- tement la fricative laryngale et les occlusives aspirées : il n’y pas d’explosion à partir de laquelle mesurer l’effet de h sur la voyelle suivante.

Kim () propose de caractériser les aspirées plutôt sur le plan articula- toire : l’ouverture large de la glotte. Dans Tʰ, la glotte est largement ouverte au moment de l’explosion ; le VOT correspond au temps nécessaire aux plis vocaux pour se refermer dans une position permettant le voisement.¹¹Dans cette pers- pective, l’aspiration est fonction de l’alignement entre le pic d’ouverture glottale et le moment du relâchement de l’occlusive. C’est à cette caractéristique que fait référence le trait le plus fréquemment employé pour opposer les aspirées aux autres occlusives : [spread glottis] ou [glotte ouverte]. Ce paramètre est partagé par h (cf. section.). Hurch () signale que cet écartement des plis vocaux ne correspond à aucun geste naturel : contrairement à la fermeture de la glotte, que l’on produit spontanément lorsque l’on retient son souffle, l’ouverture large cor- respondant aux aspirées requiert un geste spécifique. Dans le schéma ci-dessous, la courbe correspondant au geste glottal symbolise l’ouverture de la glotte. Le pic d’ouverture de la glotte est aligné temporellement sur le relâchement de la consonne. Le voisement, pour reprendre, doit attendre que la glotte soit refermée.

() Constriction orale Abduction gloale ph VOT a

La définition phonétique de Ladefoged et Maddieson (: ) inclut ces deux paramètres, VOT et ouverture de la glotte : “aspiration is period after the release

¹⁰ Purnelle (: ).

¹¹ Le rapport entre pic d’ouverture glottale et VOT n’est pas complètement déterminé : “[i]n Hindi, for example, aspiration duration is not proportional to the degree of glottal opening amplitude” Ridouane, Clements et Khatiwada (: ).

. L’aspiration consonantique 

of a stricture and before the start of regular voicing (or the start of another seg- ment, or the completion of an utterance) in which the vocal folds are markedly further apart than they are in modally voiced sounds”.

Ridouane, Clements et Khatiwada () critiquent aussi bien cette Glot- tal Width Theory que la Glottal Timing Theory : la glotte est également largement ouverte dans des sons qu’on ne classe pas comme des aspirées, comme les gé- minées, les affriquées ou les fricatives.¹²Dans ces sons, l’ouverture de la glotte ne produit pas d’effet perceptible : dans les affriquées par exemple, “the frication noise generated at the oral constriction becomes dominant over aspiration noise at the glottis” (Ridouane, Clements et Khatiwada,: ). Le troisième pa- ramètre phonétique des occlusives aspirées est donc un paramètre acoustique : le bruit de friction glottale produit pendant le VOT. Ce bruit est de l’énergie apé- riodique (bruit de turbulence) située plutôt dans les fréquences hautes. C’est ce paramètre qui identifie les aspirées par exemple pour Chitoran () (voir ci- dessous..) ou encore pour Hejná et Scanlon ().

Ces dernières signalent en outre que le bruit induit par l’aspiration peut prendre deux formes : sourd et voisé. Phonétiquement, l’aspiration est plus large que la période de friction sourde du VOT : elle affecte également tout ou partie de la voyelle, dont la phonation est en partie “soufflée” (cf. le schéma ci-dessous). Enfin, il faut distinguer ce bruit de friction glottal du bruit produit par l’ex- plosion même de la consonne aspirée. Steriade ( : ) mentionne que les aspirées se distinguent des sourdes simples et des voisées par la durée et l’am- plitude de cette explosion, et que c’est ce quatrième paramètre qui permet de percevoir les aspirées en fin de mot.¹³Maddieson () signale que l’explosion de pʰ est plus brève que celle de tʰ et de kʰ, et donc plus facile à confondre avec le bruit d’aspiration. La labiale aspirée a donc plus de chances d’être réanaly- sée comme une fricative.¹⁴Les spécificités phonétiques de pʰ – VOT plus court et explosion plus facilement identifiable avec une fricative – permettent donc d’expliquer pourquoi c’est la première aspirée à subir la fricativisation.

¹² Vaux () défend l’idée que les fricatives ont le trait [glotte ouverte]. Les questions sou- levées par cette analyse seront examinées au chap., section.

¹³ Cf. la définition des consonnes fortis et lenis chez Grammont (: -), et la note sur les “douces” de Lejeune p..

¹⁴ “Because when a stop closure is released the lips separate more quickly than happens with the other articulators, the noise generated by the release itself is shorter and less easy to distinguish from the noise of the following aspiration in /ph/ than is the case with /th/ or /kh/. Hence only the sound of /h/, or a sound reminiscent of a labial fricative such as /f/, might be identified by a listener (compare Ancient Greek /ph/ as the source of /f/ in modern words such as ‘phonetics’)” Maddieson ().

 Chapitre . L’aspiration en attique classique

Harris et Lindsey () choisissent d’identifier à la fois l’aspiration, les fri- catives et l’explosion des occlusives par le point commun à ces deux derniers paramètres : le bruit (pas nécessairement glottal). Il est désigné par l’élément h.

L’aspiration des occlusives consiste donc, dans les langues contemporaines, en une large ouverture glottale dont le pic est aligné sur le relâchement de l’oc- clusive. Elle produit une explosion plus forte puis un bruit de friction, d’abord sourd puis voisé, qui se superpose à la structure formantique de la voyelle : si l’as- piration est “ancrée” dans l’occlusive, elle est produite non pendant l’occlusive mais plutôt dans la transition attaque-noyau. On peut schématiser sa réalisation à grands traits sous la forme suivante, inspirée de la phonologie articulatoire de Browman et Goldstein (). () h o- t ouverture gloale bruit

VOT voix soufflée

Nous ferons l’hypothèse dans cette étude que les aspirées du grec corres- pondent mutatis mutandis à ce schéma général. Leur distribution et leur com- portement phonologique de manière générale conforte cette reconstruction.

. Distribution : vue d’ensemble

Les graphèmes Φ Θ et Χ pour les occlusives aspirées sont notés très réguliè- rement dans les inscriptions attiques. Le type d’erreur le plus attesté est l’emploi de la simple pour l’aspirée ; l’inverse ne se produit que très rarement.¹⁵

Les occlusives aspirées ont la même distribution que les occlusives simples. Elles sont admises devant voyelle et devant sonante, avec lesquelles elles forment des attaques complexes (cf..).

() #_V φακός pʰakós “lentille” #_R θρασύς tʰrasús “hardi” V_V ταχύς takʰús “rapide” V_R μέχρι mékʰri “jusque”

. L’aspiration consonantique 

L’opposition T - Tʰ - D dépend uniquement du contexte droit ; elle est conser- vée quelle que soit la consonne qui précède.

() C_ ἄνθος ántʰos “fleur”

ἀδολέσχης adoléskʰε̄s “bavard”

Il faut toutefois signaler que dans les dialectes du nord-ouest (Lycie, locrien, phocéen, éléen, parfois béotien et dorien), l’aspiration est fréquemment omise après s¹⁶La neutralisation de l’aspiration après s se fait également plus fréquente dans les papyrus égyptiens de la période romaine, en particulier pour stʰ.¹⁷ Ce n’est cependant pas le cas en attique : le contraste entre t et tʰ est bien maintenu après sifflante, et tau n’est pas plus souvent employé pour théta dans ce contexte qu’ailleurs.¹⁸

L’opposition D-T-Tʰ peut en revanche être neutralisée par le contexte droit : l’aspiration et le voisement sont bien des right-anchored contrasts (Steriade,

: ). Les consonnes capables de neutraliser le trait laryngal dièrent selon le contexte morphologique. À l’intérieur de radical, l’opposition est neutralisée seulement devant obstruante (s et les occlusives) ; devant occlusive aspirée et s, elle est notée avec le signe de l’aspirée : <φθ>, et dans quelques dialectes <φσ> (cf. ci-dessous.et.).¹⁹

À la frontière radical-suffixe flexionnel, cette neutralisation est maintenue ; mais s’y ajoutent divers processus devant m, à travers lesquels les occlusives perdent leur trait laryngal distinctif (m est la seule sonante apparaissant à l’ini- tiale de suffixe). Nous les avons vu au chap., section; ils sont ici simplement rappelés.

() [lab.] + m > mm ;

[cor] + m > sm ([zm] ?) ; [vél.] + m > gm ([gm] / [ŋm] ?)

Enfin, il n’y a pas d’occlusive aspirée en fin de préfixe ou de mot ; mais l’occlu- sive finale du préverbe ek- subit une assimilation de voisement devant les occlu- sives voisées et les sonantes, et une assimilation d’aspiration irrégulière devant occlusive aspirée.²⁰

¹⁶ Buck (: §).

¹⁷ Gignac (), Gignac ( : -). Ce phénomène est notamment attesté en anglais (Iverson et Salmons,; cf. chap., section).

¹⁸ Threatte (: ).

¹⁹ Les occlusives coronales ne sont pas (seulement) neutralisées mais s’assibilent devant oc- clusive coronale.

 Chapitre . L’aspiration en attique classique

() Neutralisation D - T - Tʰ²¹

Radical _T, s χθών kʰtʰɔ̄ˊn

+ Suff. flex. _T, s, R ὄνυξ / ὄνυ<χσ>, ónuK-s,

ὄνυχ-ος ónukʰ-os εὔχ-ομαι, pft. ηὔγ-μαι eú̯kʰ-omai ̯, pft. ε̄ú̯g-mai ̯ Préf. + MP _T, s, R ἐχ-φέρεν ekʰ-pʰérēn ἐγ-λέχσοντες eg-lékʰsontes

Enfin, les occlusives sont exclues de la fin du mot, où l’on ne trouve que n, r et s.

. Attaques complexes

En dehors du contexte C + m à la frontière suffixale, les occlusives aspirées apparaissent devant les quatre sonantes : l, r, m, n. Dans la métrique, ces groupes sont comptés comme tautosyllabiques. Ce point oppose les sourdes et les sourdes aspirées aux voisées : gl, bl et les groupes DN sont comptés comme hétérosylla- biques.

La voyelle ou la sonante qui suit une consonne à VOT long est plus ou moins dévoisée et/ou soufflée. Nos sources enregistrent cet effet sur les sonantes, en montrant une corrélation intéressante avec l’échelle des sonorités : le dévoise- ment de r est suffisamment net pour être répercuté dans la graphie, celui de l l’est moins, et les nasales au contraire semblent masquer le bruit d’aspiration.

Le dévoisement des liquides est d’abord visible dans certaines transcriptions latines de mots grecs, où le h est noté après la sonante, et non entre l’occlusive et la sonante.²²

() Mitrhid[ati]s  av. J.-C.

Trhaso fin de la République Clhorides ᵉʳ s. ap. J.-C.

Plhegon ᵉʳ-ᵉ ap. J.-C.

Ces graphies apparaissent dès le ᵉʳ s. av. J.-C. Elles sont attestées surtout à

²¹ Traductions : kʰtʰɔ̄ˊn “terre” ; ónuks “ongle”, Nom. sg., ónukʰ-os Gén. sg. ; eú̯kʰ-omai ̯ “prier” ;

ekʰ-pʰérēn “emporter” ; eg-lékʰsontes “sélectionner, élire” part. fut. Nom.-Acc. pl.

²² Biville (: ), Purnelle (: -). Elles apparaissent aussi dans les mots latins :

. L’aspiration consonantique 

l’initiale de mot, et restent beaucoup plus rares que les graphies attendues <Thr>, <Thl>. Elles signalent, pour Purnelle (: -), une graphie phonétique- ment précise devenue “le suprême raffinement en fait de règles de transcription”. Le dévoisement de la sonante est d’autant plus saillant que celle-ci est sonore. On a ainsi plus souvent <Trh> que <Tlh>, et presque jamais <Tnh>. Purnelle ( : ) ne trouve qu’une seule fois un h post-nasale, dans le mot Dapnhe (ᵉʳ s.).²³

Ce “suprême raffinement” de la transcription est sans doute en partie lié à l’idée, courante chez les grammairiens grecs, que r est aspiré après une occlusive aspirée. Ce contexte est intégré dans la liste des cas où rho peut porter l’esprit rude, avec le rho initial et le rho intérieur géminé. Nous reportons l’examen du discours des grammairiens sur ce point au chap., section.. L’intérêt particu- lier pour l’aspiration de la rhotique explique sans doute que les grammairiens ne relèvent pas l’aspiration des autres sonantes dans le même contexte ; la possibili- té de trouver <Tlh> dans les graphies latines confirme toutefois que l’effet n’est pas spécifique à rho.

En grec même, on trouve parfois la sourde simple devant sonante dans le corpus épigraphique, notamment dans la graphie moins soignée des dipinti.²⁴ L’erreur apparaît surtout devant nasale. Dans les autres dialectes, Schwyzer ( : ) relève également surtout des déaspirations de tʰ au contact d’une nasale : crét. τνατός tnātós, τέκνα téknā.

() Κνίπον Knípon au lieu de Kʰnípon, list. cas., fin ᵉ s.

Ces neutralisations ponctuelles de l’aspiration devant sonante montrent que cette dernière est bien réalisée après l’occlusion, dans la transition entre l’occlu- sive et la sonante. Plus précisément, nous les interprétons comme la confirmation que, dans les groupes TʰR, le trait d’aspiration est coordonné avec l’explosion de l’occlusive.²⁵Si l’on reprend le schéma proposé en section., les graphies <Trh> suggèrent une réalisation de l’ordre du schéma suivant.

()

h a-

t r

²³ La graphie est peut-être une hypercorrection ; cf. Dafnhe (ᵉʳ-ᵉ s.) (Purnelle,: ). ²⁴ Threatte (: ).

²⁵ Ce point aura son importance pour l’interprétation des contractions du type pro-hodos >

 Chapitre . L’aspiration en attique classique

Dans ce schéma, le bruit glottal dévoise ou “souffle” r entièrement, et affecte également la voyelle. La corrélation entre la fréquence des neutralisations et le degré de “sonorité” de la sonante est nette : r est un très bon support du trait d’aspiration – le meilleur après les voyelles –, alors que les nasales au contraire