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Dans la structure prosodique proposée par Kiparsky (), les clitiques sont intégrés à la phonologie lexicale : ils s’attachent au mot pour former un mot plus grand. Bien que Kiparsky ne développe pas ce point, l’intégration des clitiques, c’est-à-dire de mots indépendants pour la syntaxe, à l’intérieur du mot proso- dique est vraisemblablement motivée par les phénomènes accentuels : le groupe mot + enclitique peut sous certaines conditions recevoir un deuxième accent. Ce- pendant, l’examen des clitiques montre qu’il faut de nouveau distinguer la fron- tière gauche et la frontière droite du mot : les proclitiques sont plus indépendants que les enclitiques. Le point qui le montre est encore une fois l’accent : les pro- clitiques ne reçoivent jamais ni l’accent de mot (contrairement aux préfixes), ni un accent secondaire (contrairement aux enclitiques).⁸⁶De même que l’asymétrie préfixe/suffixe, l’asymétrie proclitique/enclitique est bien attestée dans d’autres langues (en anglais, néerlandais, espagnol et italien, d’après Peperkamp, : chap.  ; en portugais européen, d’après Bermúdez-Otero et Luis, ). Nous n’avons pas connaissance d’une langue dans laquelle les proclitiques seraient plus proches de leur mot hôte que les enclitiques.

L’asymétrie entre les préfixes et les suffixes nous a conduite à considérer que ces deux catégories n’étaient pas traitées sur le même plan par la phonologie : les suffixes s’ajoutent au radical, tandis que les préfixes s’ajoutent au mot pro- sodique. Nous proposons ici de résoudre l’asymétrie entre proclitiques et encli- tiques de la même manière : les enclitiques peuvent être intégrés dans le mot prosodique au niveau lexical, tandis que les proclitiques ressortissent de la pho- nologie post-lexicale. Nous ne ferons cependant qu’esquisser l’argument sans entrer dans le détail, qui nous entraînerait trop loin de notre objet.

. Les clitiques et l’accent

Enclitiques

Plusieurs indices suggèrent que les enclitiques relèvent bien de la phonologie lexicale. Leur caractère atone, tout d’abord, ne fait pas débat, et est explicitement discuté par les grammairiens. Dans les termes de Garde (), ils ne sont pas “accentogènes”. Le groupe formé par un mot suivi d’un enclitique peut toute- fois recevoir un deuxième accent, que Garde () appelle “écho d’accent”. Les

⁸⁶ Ils sont accentués devant un enclitique, comme les enclitiques eux-mêmes ; la question de savoir si cet accent est lexical ou non n’est pas claire. Cf. la discussion ci-dessous sur la nature atone ou non des proclitiques.

. Les clitiques 

conditions d’application de cet accent sont complexes ; dans tous les cas, l’accent de mot n’est jamais modifié.

() •Un accent (oxyton) est ajouté sur la dernière syllabe du mot si le mot lexical est proparoxyton, ou si le mot est propérispomène avec une syllabe finale légère ;

•il est ajouté sur la syllabe finale de l’enclitique si le mot lexical est paroxyton, et l’enclitique est dissyllabique ;

•aucun accent n’est ajouté si le mot est paroxyton et l’enclitique mo- nosyllabique, ou bien si le mot est accentué sur la dernière syllabe. On peut donner ici quelques exemples d’application de ces règles. L’accent d’enclise est souligné.

() Mot simple Mot + clitique

ántʰrɔ̄pos ántʰrɔ̄pós tis “un homme”

áŋgelos áŋgelós tinos “messager de quelqu’un” pʰílos pʰílos tinós “ami de quelqu’un” daı ̯́mɔ̄n daı ̯́mɔ̄n tinós “divinité de quelqu’un” hodós hodós tinos “route de quelqu’un”

Puisqu’il peut recevoir un accent supplémentaire, le groupe doit relever de la phonologie lexicale. Les deux théories de l’accent grec que nous avons exposées ci-dessus traitent le problème de manière différente. Elles ont cependant un point commun : l’écho d’accent est traité par une règle qui s’applique au d’abord mot, puis à l’ensemble mot + clitique. Pour cette raison, il nous semble que l’une et l’autre sont globalement compatibles avec une analyse des enclitiques comme relevant de la phonologie lexicale.

Proclitiques

La nature et la liste des proclitiques en grec est moins claire que celle des en- clitiques (cf. discussion infra). Les mots les plus clairement rattachés à cette caté- gorie appartiennent toutefois manifestement à un domaine distinct des préfixes et des enclitiques. Le point qui distingue crucialement proclitiques et préfixes est l’accent : les proclitiques, contrairement aux préfixes, ne reçoivent jamais l’ac- cent de mot. Dans la plupart des cas, ce fait peut être attribué au fait qu’ils se placent avant le mot : l’accent ne peut pas remonter jusqu’à eux. Ils n’ont donc pas plus d’influence sur la place de l’accent que n’en ont les syllabes du mot pla- cées au-delà de la fenêtre de la loi de limitation. La différence entre préfixes et

 Chapitre . La structure prosodique du mot grec

proclitiques apparaît cependant lorsque le radical est léger (CVC) : alors que le préfixe peut recevoir l’accent de mot, le proclitique ne le reçoit jamais.⁸⁷

() pará + dos

̸= mε̄ˋ dós “ne donne pas !” **mε̄ˊ dos

Ce point montre qu’on ne peut pas, comme le fait Golston (), joindre proclitiques et enclitiques dans le même domaine prosodique : pour l’accent, le proclitique est indépendant. Les proclitiques, par opposition aux préfixes, ne relèvent pas de la phonologie lexicale : ils appartiennent à la phonologie de la phrase et non à celle du mot.

Or, le caractère atone des proclitiques est beaucoup moins clair que celui des enclitiques. Ils sont d’abord ignorés des grammairiens grecs.⁸⁸ La tradition or- thographique, ensuite, les représente pour la plupart avec un accent. Ceux qui n’en ont pas font l’objet d’une convention manifestement artificielle : les formes à voyelle simple de leur paradigme est atone, tandis que les formes CV reçoivent un accent. C’est le cas notamment de l’article, alors que le pronom relatif porte toujours l’accent.

() ⁸⁹ Article ὁ, ἡ, οἱ, αἱ vs. τό, τά, τούς, τῶν, etc. Pr. rel. ὅς, ἥ, ὅ, οὗ, ἧς, etc.

La présence ou non du signe accentuel est manifestement liée à celle de l’es- prit : les deux ne cohabitent pas sur la même voyelle. L’interprétation est donc possible dans les deux sens : l’article est toujours atone, et l’accent est artificiel dans tó, tá, etc. ; ou bien l’article est toujours tonique, et l’absence d’accent dans ho, hai ̯ est artificielle (Devine et Stephens,  : ). Nous suivrons ici De- vine et Stephens ( : -), pour qui il n’existe pas en grec de “proclise accentuelle”, c’est-à-dire de pré-positifs véritablement atones. Ces derniers se- raient en réalité des mots lexicalement accentués, mais qui tendent à être réduits et à perdre leur contour tonal dans le discours : “proclitics are (…) one rather strong manifestation of the phenomenon of accentual reduction in nonlexical words” (Devine et Stephens,: ). Une telle définition permet d’expliquer pourquoi les contours de la catégorie des proclitiques sont flous⁹⁰: s’il est parfois

⁸⁷ Sur l’accent de mε̄ˊ, cf. ci-dessous.

⁸⁸ Devine et Stephens (: ), Probert (: ), Hoenigswald (: ).

⁸⁹ Article : ho = Nom. m. sg. ; hε̄ = Nom. f. sg. ; hoi ̯= Nom. m. pl. ; hai ̯= Nom. f. pl. ; tó = Nom.- Acc. n. sg. ; tá = Nom.-Acc. n. pl. ; tōˊs = Acc. m. pl. ; tɔ̄˜n = Gén. pl. Pronom relatif : hós = Nom. m. sg. ; hε̄ˊ = Nom. f. sg. ; hó = Nom.-Acc. n. sg. ; hō˜ = Gén. m.-n. sg. ; hε̄˜s Gén. f. sg. ⁹⁰ Cf. Probert (: -). Devine et Stephens () la scindent en plusieurs types, par

. Les clitiques 

difficile de déterminer si un mot est un proclitique ou non, c’est parce qu’il est réduit de manière variable selon la prosodie de la phrase. Plus un mot fonction- nel est bref et “léger”, plus il tend à perdre son intonation propre ; plus le rythme du discours est rapide, plus les non lexicaux et semi-lexicaux sont “compressés” dans des domaines phonologiques plus larges. Les arguments en faveur de cette hypothèse viennent de leur traitement dans les partitions musicales, et du fait que, contrairement aux enclitiques, certains proclitiques comme οὐ ō, μή mε̄ˊ (né- gations), ἰδού idōˊ (adverbe exclamati) ou les prépositions peuvent apparaître à droite de leur hôte et en fin de phrase.⁹¹ On peut ajouter que les mots-outils ont également plus facilement tendance à perdre leur aspiration initiale dans les inscriptions.⁹²La réduction tonale fait donc partie d’un ensemble plus vaste de processus de lénition affectant les mots-outils brefs dans la phrase.⁹³

Enfin, un dernier argument pour considérer les proclitiques comme des mots prosodiques au niveau lexical, éventuellement réduits au niveau post-lexical seule- ment, est que cela permet de formuler de manière uniforme le contexte d’appa- rition de h- devant u- : une aspiration est insérée, au niveau lexical, devant tout u- à l’initiale de mot prosodique. Cela inclut bien sûr les mots lexicaux (ὑφαίνω hupʰaı ̯́nɔ̄ “tisser”), mais aussi les prépositions ὑπό hupó et ὑπέρ hupér.

On arrive donc à la structure suivante : l’asymétrie entre les préfixes et les suffixes, et entre les proclitiques et les enclitiques, est traitée de la même façon : le pré- appartient à un niveau supérieur au post-.

() Niveau  Radical + Suffixes 

Niveau  [M P Préfixes [M P Rad. Suffixes ] Enclitiques ]

Niveau  [M P Proclitiques ] + MP

Les proclitiques ne sont toutefois pas des mots prosodiques comme les autres. Une propriété qui les distingue clairement des mots lexicaux est qu’ils peuvent subir la crase avec le mot suivant, alors que les mots lexicaux ne peuvent résoudre l’hiatus que par l’élision.

“appositifs” et des clitiques p. . ⁹¹ Cf. Probert (: -). ⁹² Cf. chap., section..

⁹³ Stephens () et Devine et Stephens () distinguent en outre deux grandes catégories de proclitiques : l’article et les prépositions sont les plus “légers”, tandis que le pronom αὔτος

aú̯tos ou les premiers numéraux comme δύο dúo “deux”, qui sont traditionnellement consi-

dérés comme des mots toniques, sont classés comme des proclitiques sont plus “lourds”. Cf. chap., section..

 Chapitre . La structure prosodique du mot grec

. Les domaines de l’élision et de la contraction

Nous avons vu ci-dessus en.que le grec tolérait l’hiatus à tous les niveaux : mot simple, mot composé, phrase. Lorsqu’il le résout cependant, ses stratégies sont différentes selon les niveaux : crase au niveau lexical, élision au niveau post- lexical. Nous avons vu également que l’hiatus pouvait être résolu dans le composé par l’élision, tandis que la crase n’était faite que dans des contextes limités ; et nous avons utilisé ce fait comme argument pour considérer que le premier élé- ment de composé était indépendant du radical, puis comme argument pour dire que cette “indépendance” pouvait être formalisée comme une frontière de mot prosodique (section).

() Mot simple Crase = à l’intérieur du MP Mot composé Élision = à la frontière de MP Phrase Élision = à la frontière de MP

Cette répartition se heurte cependant à un paradoxe : la crase est possible entre un proclitique et un mot lexical.⁹⁴C’est le cas notamment de l’article suivi du nom.

() tɔ̄pʰtʰalmɔ̄ˊ < tɔ̄ opʰtʰalmɔ̄ˊ “les deux yeux” (duel) Ar. Nuées  tʰɔ̄ˊpla < tà hópla “les armes” Ois.  hārkʰaı ̯́ < hai ̯ arkʰaı ̯́ “les magistrats” Nuées  prōˊrgō < prò érgο̄ “à propos, avantageux” (figé) La contraction peut écraser jusqu’à deux clitiques.

() χὀλέφας kʰɔ̄lépʰas < kaı ̯̀ho elépʰas IG IV , non daté

Les deux processus anti-hiatiques peuvent être combinés dans la même ex- pression : contraction entre le proclitique et le préfixe, élision entre le préfixe et le mot.

() τοὐπέκεινα tōpékēna < tò epì + ékēna “l’au-delà”, Eur. Hipp.  Si les proclitiques sont des mots indépendants concaténés aux mots proso- diques dans la phrase, ils ne devraient pas subir un processus par ailleurs iden- tifié comme lexical. Nous avons donc un paradoxe : alors que, pour la morpho- syntaxe et pour l’accent, le préfixe est plus proche du radical que l’article, pour la résolution de l’hiatus, c’est l’inverse.

. Les clitiques 

() Lexical Mot simple Contraction Mot composé Élision Post-lexical Procl. + Mot Contraction

Mot + Mot Élision

Hedin (:  et ), qui se heurte directement à ce paradoxe dans le cadre de son étude sur l’élision en grec, propose une explication morpho-syntaxique. Il observe que la contraction entre un proclitique et le mot qui suit se produisent surtout avec des proclitiques très fréquents comme l’article. À l’inverse, les cas d’élision dans le composé sont limités à des premiers éléments qui peuvent ap- paraître par ailleurs comme des mots indépendants : c’est le cas notamment des prépositions dans le rôle de préverbes, qui pouvaient dans un passé proche de la langue apparaître à distance du verbe qu’ils modifient (cf. p.), mais aussi de quelques autres exemples.

() ὅταν hótan < hóte + án οὐδένα ōdéna < ōdé + éna

ἑπτέτης heptetε̄s < heptá + étε̄s (Ar. Gren. )

Il est toutefois possible de sortir de ce paradoxe, en montrant que préfixes et proclitiques subissent en réalité les mêmes règles de résolution de l’hiatus : crase et élision ne dépendent pas du caractère “indépendant” du préfixe ou “dépendant” du proclitique, mais de leur nombre de syllabes.

Tout d’abord, il n’est pas exact de dire que les proclitiques subissent la crase, tandis que les préfixes prépositionnels subissent l’élision. Nous avons vu en sec- tion.que le préfixe prépositionnel προ- pro-, de même que la préposition ho- monyme, ne s’élide jamais, mais peut se contracter lorsque la voyelle qui suit est également o.

De l’autre côté, certains proclitiques ne subissent jamais la crase, mais pré- èrent l’élision.

() ἀλλ’ἀνδρός all’andrós < alla andrós

Hedin ( : ) et Devine et Stephens ( : -) font la liste des proclitiques qui subissent la contraction, vs. ceux qui subissent l’élision. En re- coupant leurs listes, on se rend compte que la répartition dépend de la taille du proclitique : les proclitiques monosyllabiques subissent la contraction, tandis que les proclitiques dissyllabiques subissent l’élision.⁹⁵

 Chapitre . La structure prosodique du mot grec

() Procl. + V- Contraction préposition : pró

conj. de coordination kaı ̯̀ “et” part. temporelle dε̄ˊ

ɔ̄ de vocatif (“ô Périclès”) article

pronom relatif

Élision prépositions : epí, antí, aná, etc. conj. de coordination : allá “mais” Nous voyons deux exceptions systématiques à ce motif : les expressions fi- gées ἐγὼ οἶμαι egɔ̄ˋ oı ̯̃mai ̯ “je pense” et ἐγω οἶδα egɔ̄ˋ oı ̯̃da “je sais” se contractent régulièrement en ἐγᾦμαι egɔ̄ı ̯̃mai ̯, ἐγᾦδα egɔ̄ı ̯̃da.

Par ailleurs, Lejeune (: §) montre qu’à l’intérieur du composé, cer- tains hiatus anciens ont été résolus par la contraction, et non par l’élision. () τιμωρός timɔ̄rós < timā + or-

κακούργος kakōˊrgos < kako-erg- λειτουργία lētōrgía < lēto-erg- δημοῦχος dε̄mō˜kʰos < dε̄mo + okʰ- κληροῦχος klε̄r=o˜ kʰos < klε̄ro + okʰ- ῥαψῳδός rapsɔ̄i ̯dós < rápsai ̯ aoi ̯dε̄ˊn

En grec classique, ces composés sont figés. Ils nous semble que ces formes n’infirment pas la tendance générale : le choix entre crase et élision dépend de la taille du premier élément.

Tout se passe donc comme si la réparation préférée de l’hiatus à la frontière morphologique était l’élision, mais que cette dernière était impossible dans le cas d’un monosyllabe.⁹⁶Lorsque l’élision n’est pas applicable, c’est la contraction qui se produit. Intuitivement, cette corrélation renvoie à l’idée que les morphèmes doivent avoir une réalisation syllabique.⁹⁷ Si la voyelle de pró est élidée, la pré- position n’est plus reconnaissable. Dans pará au contraire, par’ reste identifiable

ex. hoì̯ ándres→ hāˊndres ἅνδρες Ar. Eccl. .

⁹⁶ Quelques enclitiques monosyllabiques font exception, en s’élidant régulièrement : par exemple τε te, γε te, le pronom σε te. Il s’agit à chaque fois de l’élision d’un schwa.

⁹⁷ L’idée que les morphèmes doivent être représentés au moins par un noyau pourrait éga- lement permettre de comprendre la réfection du préfixe privatif n- en an- devant voyelle. L’évolution attendue du préfixe *n̥- est a- devant consonne, n- devant voyelle. L’alternant

n- est effectivement attesté dans la poésie (ex. νώνυμος nɔ̄ˊnumos “sans nom”), mais il est

refait en grec classique en an-, sur le modèle de a-C- (ἀνώνυμος anɔ̄ˊnumos). Cette idée ne s’applique peut-être pas aux suffixes ; en tout cas elle ne s’étend pas aux suffixes composés d’une seule consonne comme le s de futur.

. Les clitiques 

même en cas d’élision. Dans cette perspective, la crase des monosyllabes est un moyen terme : une partie du contenu mélodique de V1 est préservé.

La généralisation qui émerge est la suivante :

() Résolution de l’hiatus pour les proclitiqes : les proclitiques mo- nosyllabiques subissent la crase ; les proclitiques dissyllabiques subissent l’élision.

On aboutit donc au tableau suivant : préfixes et proclitiques se comportent de la même manière pour la résolution de l’hiatus ; ce qui compte, c’est le poids du morphème.

() Contraction Élision

Rad.-Suff.

Préf. σ + Mot Préf. σσ + Mot Procl. σ + Mot Procl. σσ + Mot

Mot + Mot

La règle en()peut encore être élargie. Au niveau de la phrase, en dehors du contexte où l’un des deux mots est un clitique, la contraction est exclue (très rare, d’après Devine et Stephens, : ). Or, d’après Devine et Stephens ( : ), “[e]lision of monosyllabic words is restricted”. Il ressort donc que, sauf cas particuliers (cf. n.), le grec évite d’élider les morphèmes monosylla- biques. L’hiatus est alors conservé, sauf lorsque l’un des deux morphèmes est un non lexical ; l’hiatus peut être résolu par la contraction. La règle est donc la suivante.

() Résolution de l’hiatus à la frontière de mot prosodiqe : l’hia- tus à la frontière de mot prosodique est résolu par l’élision, sauf quand le morphème de gauche est monosyllabique ; dans ce cas, il peut être résolu par la crase.

Cette généralisation sera formalisée sous la forme d’une contrainte au chap., section.

Crase et élision sont donc bien en distribution complémentaire. Le problème est que leur répartition chevauche la distinction traditionnelle entre phonologie lexicale et phonologie post-lexicale.

Enfin, pour comprendre que la crase soit possible entre un proclitique et un mot lexical, il faut admettre que ces deux éléments forment un ensemble pro- sodique spécial. Nespor et Vogel () proposaient pour cet ensemble le ni- veau du “groupe clitique”. Ce niveau prosodique a été critiqué (Anderson,).

 Chapitre . La structure prosodique du mot grec

Plusieurs autres solutions sont disponibles pour incorporer les clitiques dans la structure prosodique.⁹⁸Pour rendre compte du fait que la crase est possible entre un proclitique et un mot lexical, nous considérerons que le proclitique est intégré dans un niveau de mot prosodique supérieur dans la phonologie post-lexicale. () [M P Proclitique [M P Mot prosodique large ] ]

La confirmation de cette analyse appelle cependant une analyse plus poussée, que nous laissons ici de côté.

 Conclusion

Nous avons identifié dans ce chapitre une distinction entre deux types de suf- fixes, et une distinction entre les suffixes et les préfixes : l’architecture générale proposée par Kiparsky () ne rend pas compte de ces asymétries. Les deux types de suffixes se distinguent par le maintien ou non d’une occlusive vélaire ou coronale devant m : ak-mε̄ˊ vs. dé-dēg-magli, statʰ-mós vs. pé-pus-mai ̯. En nous ap- puyant sur la théorie de l’optimalité stratale, nous avons analysé cette distinction comme une différence de strate.

() Stem radical + suffixes de niveau  Word radical + suffixes de niveaux  et 

Nous avons ensuite relevé une série de processus qui montrent l’importance de la frontière gauche du radical en grec.

• pas de restriction sur les séquences de consonnes • “assimilation” de trait laryngal irrégulière (cf..)

• syllabation : pas d’attaque branchante hétéromorphémique • élision, et crase limitée

• accent limité à la dernière syllabe du premier membre de composé.

Nous avons proposé de résoudre l’asymétrie entre les préfixes/premiers élé- ments de composés et les suffixes par la structure enchâssée suivante :

() Word [M P Préfixes [M P Word] ]

. Conclusion 

Le recours à un mot prosodique récursif permet de comprendre comment le composé forme d’un côté, pour l’accent, un seul domaine, et de l’autre, pour la phonotactique, deux domaines.

Enfin, nous avons examiné le désaccord entre les domaines requis pour l’ac- cent et ceux requis pour la résolution de l’hiatus. Nous avons proposé que la