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Les standards RSE à l’exemple de l’ISO 26000 : constats adéquats, normes cohérentes et réalistes ?

3. Présentation et mise en dialogue des articles

3.5 Les standards RSE à l’exemple de l’ISO 26000 : constats adéquats, normes cohérentes et réalistes ?

Finalement, l’analyse du contenu et des normes des standards RSE représentent une troisième approche pour aborder la question de l’effectivité des standards RSE transnationaux. Elle permet de réfléchir aux deux questions suivantes : (1) Est-ce que les normes de comportement envers l’environnement contenues dans les standards présentent une réponse adéquate à la crise environnementale ? (2) Quelles sont les chances que les entreprises suivent effectivement ces normes ?

Puisque notre thèse analyse le cas de l’ISO 26000, nous prenons cette norme pour voir ce qu’elle propose au sujet de la responsabilité environnementale (ISO/DIS 26000, 2009). La question de l’environnement est l’une des sept thématiques centrales du standard. Déjà la partie introductive de l’ISO 26000 propose une articulation directe entre la RSE et le développement durable : « L’objectif de la responsabilité sociétale est de contribuer au développement durable » (p. vi). Le développement durable est conceptualisé comme un objectif sociétal tandis que la responsabilité sociétale est vue comme un concept organisationnel dont la mise en œuvre est susceptible de contribuer à parvenir à une société durable.20

Toujours dans l’introduction, on trouve la phrase suivante : « Au final, toutes les activités des organisations dépendent à un moment ou à un autre de l’état des écosystèmes de la

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planète » (p. vi). Le standard semble donc accorder la primauté à l’environnement biophysique. Mais cette primauté est relativisée par des définitions subséquentes du développement durable :

Le développement durable vise à combiner les objectifs d’une haute qualité de vie, de santé et de prospérité avec ceux de justice sociale, tout en maintenant la capacité de la Terre à supporter la vie dans toute sa diversité. Ces objectifs sociaux, économiques et environnementaux sont interdépendants et se renforcent mutuellement. (p. 5)

Cette conceptualisation du développement durable continue donc de souffrir de cette prémisse intenable introduite par le rapport Brundtland en 1987 : que les objectifs de la croissance économique et de la protection des écosystèmes ne sont pas conflictuels, mais conciliables, et que les politiques du développement durable peuvent et doivent permettre une nouvelle ère de croissance économique.21 Dans les faits, le concept du développement durable est depuis longtemps devenu un slogan derrière lequel se cache le plus souvent un « business as usual ».

D’autres éléments de la définition relativisent également l’importance de l’environnement biophysique. Le développement durable serait une façon « d’exprimer les attentes plus larges de la société en général » (p. 4) et « les composantes de la responsabilité sociétale reflètent les attentes de la société… » (p. 5). Le standard semble donc indiquer qu’une entreprise n’a pas de responsabilité environnementale s’il n’y a pas d’attentes sociétales importantes à cet égard.

Dans la partie de la norme qui porte sur l’environnement (p. 49-57), les auteurs demandent aux entreprises de respecter un certain nombre de principes (responsabilité environnementale, principe de précaution, gestion de risque pour l’environnement, principe pollueur-payeur). Ils mettent en avant quatre domaines d’action pour les entreprises : (1) prévention de la pollution et utilisation durable des ressources ; (2) atténuation des changements

21 Aujourd’hui, c’est la lutte contre les changements climatiques, qui, selon certaines organisations internationales,

peut amener une nouvelle ère de croissance : « Loin d’être un frein, l’intégration de l’action climatique à la politique en faveur de la croissance peut avoir un effet économique positif » (Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, cité par le journal Le Monde du 24 mai 2017, dans un article intitulé « La lutte contre le changement climatique est bonne pour la croissance, selon l’OCDE »).

climatiques et adaptation ; (3) protection de l’environnement ; (4) biodiversité et réhabilitation des habitats naturels. Dans ce dernier domaine d’action par exemple, les entreprises sont appelées à adopter des pratiques durables en matière d'agriculture, de pêche et d’exploitation forestière.

L’ISO 26000 admet également que les niveaux de production et de consommation actuels ne sont pas soutenables. Il affirme qu’« il est nécessaire d’identifier des options permettant de réduire et d’éliminer les volumes et modes de production et de consommation non viables et de s’assurer que la consommation des ressources par personne devient durable » (59). Si ce constat était pris au sérieux, on devrait exiger une réduction absolue de la production dans certains secteurs économiques. Pour l’ISO 26000, ceci relèverait de la responsabilité des gouvernements.

Cependant, le standard demande aux entreprises de parvenir à des réductions relatives des niveaux d’utilisation de ressources et de pollution. Mais si la croissance de l’activité économique dépasse le niveau des réductions, la conséquence est une augmentation de l’impact environnemental. Un rapport récent publié par le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) montre que ce découplage prôné (même relatif) entre la consommation de ressources et la croissance économique n’a pas lieu à l’échelle du globe : « The material intensity of the world economy has been increasing for the past decade... Globally, more material per unit of GDP is now required » (UNEP, 2016 : 16).

Dans les faits, les acteurs économiques qui mettent en pratique des modes de production et de consommation soutenable sont confinés dans des niches et très peu d’entreprises incitent leurs clients à consommer moins.22 De plus, à notre connaissance, aucun gouvernement n’a volontairement instauré des politiques de rationnement (et de réduction) de l’offre ou de la

22 Yvon Chouinard, fondateur et directeur de l’entreprise de vêtements de plein air Patagonia affirme de le faire :

« In fact we’re trying to tell our customers: think twice before you buy a product from us. Do you really need it or are you just bored and want to buy something? Then we’re taking responsibility for our product forever. If it breaks down, we promise to fix it ». Cependant, il n’est pas conséquent dans son approche puisque qu’il vénère en même temps les activités de plein air dans des contrées lointaines, dont l’accès est loin d’être soutenable et uniquement accessible aux couches aisées de la population (« Don of the Dirtbags: An Interview with Yvon Chouinard » :

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demande des ressources.23 L’exemple de l’ISO 26000 montre d’une part des contradictions et ambiguïtés dans le traitement de la question environnementale par le standard. D’autre part, certaines normes en matière environnementale pourraient être interprétées comme étant assez exigeantes. En présence de forces structurelles contraires, il semble cependant illusoire de croire que les entreprises suivent effectivement ces préceptes.

3.6 Un scénario prospectif pour renouveler la discussion sur la RSE et pour raviver