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Processus de construction, de légitimation et de diffusion des standards transnationaux en matière de RSE

3. Présentation et mise en dialogue des articles

3.1 Processus de construction, de légitimation et de diffusion des standards transnationaux en matière de RSE

Nous venons de décrire le contexte général de l’émergence des initiatives de standardisation transnationaux multi-acteurs dans le domaine de la responsabilité des entreprises. Si maintes initiatives de standardisation ont été amorcées, toutes n’ont pas abouti et toutes n’ont pas eu le succès souhaité par leurs créateurs; c’est-à-dire une large reconnaissance par les acteurs du champ de la RSE et une adoption massive par les entreprises destinataires.

Puisqu’il s’agit des standards dont l’adoption est volontaire, les organisations à l’origine des standards n’ont pas de moyens coercitifs pour faire adopter leurs standards. En plus, les initiateurs des standards ont souvent très peu de moyens propres pour faire connaître leur projet de standardisation et pour convaincre les entreprises d’adopter les standards. Afin de mieux comprendre les processus d’émergence des standards transnationaux en matière de responsabilité des entreprises, nous avons conçu deux études de cas qui posent les questions suivantes :

• Premier article : Comment les initiateurs d’un standard s’y prennent-ils pour construire une norme qui sera non seulement approuvée, mais aussi perçue comme légitime par les entreprises et les acteurs de la société civile présents dans le champ de la RSE ?

• Deuxième article : Qu’est-ce qui se passe une fois qu’un nouveau standard RSE est publié et ‘libéré’ dans le paysage organisationnel ? Quels sont les acteurs qui essayent de diffuser et d’institutionnaliser le standard ? Que font les acteurs pour diffuser un standard ? Et est-ce qu’il y a des acteurs qui essayent d’entraver sa diffusion ?

Chaque initiative de standardisation qui aboutit traverse différentes phases. Ces phases peuvent notamment être analysées suivant une approche de stades de politiques publiques (policy stages), comme le font Abbott et Snidal (2009). Ces auteurs distinguent cinq stades subséquents comprenant la mise à l’agenda, la négociation, la mise en œuvre, le monitoring et la mise en application (enforcement) des standards. Selon leur analyse, les principaux acteurs (gouvernements, entreprises, ONG) auraient chacun des compétences spécifiques dont le degré varie selon les stades.

Dans la perspective institutionnelle, telle qu’approfondie au premier chapitre, les processus de standardisation peuvent être décrits comme des processus d’institutionnalisation où les standards RSE constituent un élément institutionnel faisant éventuellement partie d’un arrangement institutionnel transnational en matière de RSE. Les processus d’institutionnalisation ou le changement institutionnel peuvent également être séparés en différentes phases. Le découpage et la description des phases varient selon les auteurs. On peut

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institutionnalisation, pré-institutionnalisation, théorisation, diffusion et de ré- institutionnalisation (Tolbert et Zucker, 1996 ; Greenwood et al., 2002). Dans le cas des standards RSE, ces processus d’institutionnalisation peuvent éventuellement mener à un standard qui est largement reconnu, adopté et suivi par les entreprises d’un champ organisationnel.

Des acteurs individuels et collectifs divers constituent le moteur derrière ces processus. Ils se constituent en réseaux plus ou moins formels afin de faire aboutir un projet de standardisation et de promouvoir le nouveau standard. Dans une théorisation très volontariste, ces acteurs sont conceptualisés comme des entrepreneurs institutionnels. De façon plus modeste, nous proposons que ces acteurs font du « travail institutionnel » (Lawrence et al., 2009) qui a comme objectif de créer, de maintenir ou de défaire des institutions, en l’occurrence les standards RSE.

C’est dans cette contingence entre travail institutionnel, stades et processus d’institutionnalisation que se situent nos deux premiers articles. En étudiant les acteurs en œuvre dans la construction et la diffusion des standards RSE, les deux articles s’articulent de façon chronologique. Le premier article s’intéresse aux conditions de la construction du standard, tandis que le deuxième analyse sa diffusion. Comme nous le montrons dans le deuxième article, il peut y avoir un certain chevauchement chronologique entre les activités de construction d’un standard RSE et les activités de sa diffusion. Si les deux phases sont couvertes par le concept du travail institutionnel qui vise la création d’un élément institutionnel, les activités de la construction et les activités de diffusion sont de nature différente.

Les deux articles présentent des études de cas dont l’analyse s’appuie notamment sur des données d’entretiens avec les acteurs-clés, impliqués dans la construction et la diffusion des standards. Pour plus de détail sur la conception des études de cas, nous référons au chapitre méthodologique.

Dans le premier article, nous comparons la construction du Global Compact de l’ONU avec celle de l’ISO 26000 de l’Organisation internationale de normalisation (ISO). Le Global Compact de l’ONU a été amorcé au début des années 2000 par des collaborateurs du bureau du secrétaire général de l’ONU et porté par le secrétaire général de l’époque, Kofi Annan. Le

Global Compact se base sur 10 principes dans les domaines des droits humains, du travail, de l’environnement et de la lutte contre la corruption. Il appelle les entreprises transnationales à respecter ces principes et de s’engager dans différentes initiatives RSE onusiennes.9 L’ISO est la plus importante organisation de normalisation. Établie à Genève et ayant un statut privé, l’organisation est une fédération qui compte 163 organismes nationaux de normalisation comme membre. Elle coordonne des processus de normalisation internationaux et est à l’origine de milliers de normes techniques et de normes de systèmes de gestion. ISO 26000 a été amorcée en 2001 et développée entre 2005 et 2010 dans un processus multipartite. Le standard présente des lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale (RS) des organisations. Il définit la RS, ses principes, les principaux champs d’action et les façons de l’intégrer dans les organisations.10 La comparaison entre ces deux processus de standardisation montre que si différentes voies peuvent mener à la création d’un standard, les acteurs ne peuvent se passer de certaines formes de travail institutionnel pour faire aboutir leur projet. L’intérêt de l’article est de montrer comment les initiateurs créent « une raison d’être » pour le standard, construisent un réseau de soutien et essayent de légitimer le processus de standardisation. L’objectif de ces activités est de créer un standard crédible et d’augmenter le potentiel d’adoption par les entreprises visées.

Une étape importante dans la création de standards s’achève au moment de sa publication. Le deuxième article de la thèse reprend le cas de l’ISO 26000 et se penche précisément sur la phase qui suit sa publication et son lancement international. Afin que le nouveau standard ne soit pas « oublié dans un tiroir de bureau », l’organisme de standardisation entame des activités de promotion et de diffusion. Les processus de diffusion s’insèrent entre le stade de création d’un standard RSE et le stade de son adoption par les entreprises. Cette phase cruciale se voit souvent négligée dans l’approche d’analyse des politiques publiques, dans la mesure où les chercheurs supposent qu’une loi contraignante sera adoptée de façon plus ou moins¸ « automatique » par les entreprises. Cette phase est également négligée par les chercheurs qui mesurent un état de diffusion (et non pas le processus) en comptant le nombre

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d’entreprises ayant adopté un standard donné. Or, la diffusion d’un standard ne va pas de soi et il n’est pas adopté de façon mécanique par les entreprises visées.

En mettant l’accent sur les processus de diffusion, ce deuxième article conceptualise les activités qui font suite à la publication d’un standard de « travail (institutionnel) de diffusion » entrepris par des acteurs individuels et collectifs afin de disséminer le nouveau standard. Dans notre perspective, le travail de diffusion a principalement lieu au niveau du champ organisationnel (niveau inter-organisationnel), tandis que l’adoption et la mise en œuvre a lieu au sein des entreprises individuelles (niveau intra-organisationnel).11 L’article, à l’appui d’un terrain de recherche en Allemagne et au Canada, montre qu’une grande partie du travail de diffusion est entrepris par des acteurs qui ont participé à l’élaboration du standard, mais qui ne font pas formellement partie de l’ISO ou d’un bureau national de normalisation.

3.2 Institutionnalisation limitée et impact négligeable ? Au-delà du « développement