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Un scénario prospectif pour renouveler la discussion sur la RSE et pour raviver l’imagination

3. Présentation et mise en dialogue des articles

3.6 Un scénario prospectif pour renouveler la discussion sur la RSE et pour raviver l’imagination

Toutes ces considérations nous amènent à la visée du troisième article. Il adopte une approche prospective, critique et macrosociologique, afin de réfléchir au rôle et à la responsabilité des entreprises quant à la crise environnementale et d’exposer les limites de la discussion dominante sur la responsabilité environnementale des entreprises.

Ce faisant, nous répondons également aux deux appels suivants. Premièrement, à l’instar de Banerjee, nous estimons qu’il est important de changer d’unité d’analyse, passant du niveau de l’entreprise et du champ organisationnel à celui de l’économie politique :

It is unlikely that any radical revision of CSR will emerge from organizations given how this discourse is constructed at higher levels of the economy. … For any radical revision to occur, a more critical approach to organization theory is required and new questions need to be raised not only about the ecological and social sustainability of business corporations but of the political economy itself. (2008 : 73)24

Deuxièmement, nous tentons de dépasser deux blocages qui, selon Lever-Tracy (2008), empêchent les sociologues de tenir compte de l’ampleur des conséquences de la crise climatique - et plus généralement de la crise écologique globale - sur les sociétés : la méfiance envers les

23 On pourrait considérer les systèmes de plafonnement et d’échange des émissions CO2 comme une forme de

limitation de l’utilisation des énergies fossiles, mais les systèmes mis en place n’ont pas encore prouvé leur effectivité (Union européenne, Québec, Californie).

24 Voir également l’introduction au numéro spécial de la revue ephemera « Organizing for the post-growth

recherches qui concernent l’avenir et la suspicion envers la prise en compte des éléments écologiques (non sociaux) comme facteurs explicatifs.

Pour ce faire, nous abandonnons le concept du développement durable qui est contradictoire et trop ambigu pour pouvoir fonder notre réflexion. Nous définissons et mobilisons plutôt le concept de la transition écologique. Ce dernier tient mieux compte des contraintes biophysiques qui pèsent sur les sociétés. Nous sommes ainsi en mesure d’évaluer l’apport actuel et potentiel des trois principales catégories d’acteurs censés apporter une réponse à la crise environnementale : les gouvernements, le mouvement vert et les entreprises. Nous montrons que le discours omniprésent sur le développement durable et – depuis plus récemment – sur la transition écologique a tendance à cacher le fait que ces acteurs n’ont actuellement ni la volonté ni la capacité de surmonter la crise environnementale.2526

L’analyse révèle que la formule « gagnant-gagnant », généralement mise en avant par les entreprises, relève d’un mythe fallacieux qui sert à camoufler l’irrationalité de la raison instrumentale. En ce qui concerne les standards RSE dont nous avons analysé la création et la diffusion dans les deux premiers articles, leur impact sera toujours très limité, même dans un environnement institutionnel plus favorable. Ceci est notamment dû à l’effet rebond et à la spirale de la croissance économique (Binswanger 2012). En effet, nous avançons avec Hartmut Rosa (2010) que les forces d’accélération des sociétés dans la modernité tardive sont largement supérieures aux forces de décélération. Pendant que Rosa esquisse comme conséquence la plus vraisemblable « une course effrénée à l’abîme » (p. 373), nous faisons intervenir une variable de l’environnement biophysique en la forme d’une atteinte des limites des ressources pétrolières.

25 Voir notamment l’analyse sur les discours de la transition écologique de René Audet (2016). L’auteur note que

le discours des instances gouvernementales est avant tout un discours technocentriste. Des bonds technologiques sont ainsi censés permettre aux sociétés de régler les problèmes environnementaux.

26 La mise en place d’un « ministère de la transition écologique et solidaire » par le président français Emmanuel

Macron en mai 2017 est le dernier exemple qui témoigne de la montée en popularité du terme de la transition écologique au détriment du terme du développement durable. Il ne faut cependant pas s’attendre à une politique fondamentalement différente sous un président qui n’a pas montré son intérêt pour la question environnementale et sous le Premier ministre Édouard Philippe, un ancien cadre et lobbyiste de l’entreprise d’énergie nucléaire Areva. Julien Mattern (2015) souligne à juste titre l’attractivité du terme transition qui soutient la perception (pas

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Une telle crise du pétrole poserait un frein à l’accélération et présenterait, dans le meilleur des cas, une fenêtre d’opportunité pour surmonter la crise environnementale. Le saut prospectif dans un monde en décélération et dans une société post-croissance permet de reconceptualiser la responsabilité des entreprises. Nous montrons notamment que la diminution du temps de travail serait une mesure essentielle pour réduire l’impact environnemental, mais que cet enjeu n’est jamais abordé dans la discussion sur la RSE et ne se trouve nulle part dans un standard.

Le recours à la méthodologie prospective s’avère donc fructueux à plusieurs égards. Après l'exposition du discours creux sur les « belles performances environnementales » des entreprises et le « beau succès des politiques de développement durable » des gouvernements, notre prospective qualitative alimente la discussion sur le rôle et la responsabilité des entreprises, tout en contribuant à imaginer un autre futur possible. Et pour approfondir cette réflexion sur la fragilité des sociétés modernes qui se rapprochent du bord de l’effondrement systémique, l’article appelle à une sociologie de la post-croissance.

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