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Les acteurs suivent les règles pour trois raisons principales. Ils redoutent des conséquences négatives en cas de non-respect, c’est dans leur intérêt ou ils considèrent les règles et la structure de gouvernance dont elles émanent comme étant légitimes. Au niveau international, la coercition est absente pour la plupart des situations.14 Le suivi des normes par les entreprises est donc obtenu par intérêt instrumental, par pression sociétale ou par la légitimité.

La légitimité politique peut être définie comme « l’acceptation de règles partagées par une communauté comme étant appropriées et justes » (Bernstein et Cashore, 2007 : 3). Si un groupe d’acteurs partage une définition de ce qui est légitime, ils forment une communauté (Hurd, 1999 : 338). La légitimité est problématique au niveau transnational : « The main problem of transnational governance concerns the lack of congruence between those who are being governed and those to whom the governing bodies are accountable » (Risse, 2006 : 1). 15 Ce manque de congruence peut également toucher les initiatives de standardisation.

Une gouvernance légitime s’appuie sur un réseau dense d’acteurs. Si l’organisme de standardisation souhaite renforcer sa légitimité auprès des entreprises, elle doit développer une sorte de communauté entre les entreprises qui adhèrent au standard respectif pour qu’elles se perçoivent comme faisant partie d’un collectif ayant les mêmes règles. Des liens plus étroits entre les membres peuvent être construits par la mise à disposition des possibilités d’échanges, l’organisation de rencontres fréquentes, des parrainages entre entreprises, l’établissement et la

14 Pour une discussion de la légitimité dans les relations internationales, voir Hurd (1999) « Legitimacy and

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diffusion de meilleures pratiques, etc. Nous faisons ici deux propositions : (1) La formation d’un réseau dense est plus facile quand le nombre de membres potentiel est plus restreint. (2) La formation d’un réseau dense est plus facile quand les membres sont plus homogènes, partageant une culture et des intérêts similaires.

Penchons-nous maintenant sur les conceptions sociologiques de la légitimité. Nous avons vu que le succès et la survie d’une organisation ne dépendent pas uniquement de son efficacité, mais également de sa légitimité. Nous rappelons qu’institutionnalisation et légitimation sont étroitement liées. La légitimité de l’organisme source de normes et la légitimité de l’arrangement institutionnel qu’il propose sont également interdépendantes : si l’organisme est perçu comme étant légitime, les entreprises acceptent plus facilement les règles qu’il développe. Si les règles sont perçues comme étant légitimes, il y a des chances que cette légitimité est conférée à l’organisme. Suchman définit la légitimité organisationnelle comme suit : « Legitimacy is a generalized perception or assumption that the actions of an entity are desirable, proper, or appropriate within some socially constructed system of norms, values, beliefs, and definitions » (Suchman, 1995 : 574). L’auteur met également en avant la composante collective (ou communautaire) de la légitimité :

When one says that a certain pattern of behaviour possesses legitimacy, one asserts that some group of observers, as a whole, accepts or supports what those observers perceive to be the behavioural pattern, as a whole, despite reservations that any single observer might have about any single behaviour, and despite reservations that any or all observers might have, were they to observe more. (Suchman, 1995 : 574)

La légitimité est donc ici une perception collective qui a ses bases dans les actions passées d’une organisation. Elle est indépendante d’un observateur individuel et elle est assez stable pour tenir lors des actes de « déviance » singulière. Une légitimité plus ou moins élevée peut désigner une audience plus ou moins grande ou un nombre d’activités plus ou moins grand, perçu comme étant légitime (Deephouse et Suchman, 2008 : 62). Conférée par une audience, la légitimité dépend de l’environnement d’une organisation et non de sa propre volonté.

Suchman (1995) distingue trois types de légitimité : la légitimité pragmatique, la légitimité morale et la légitimité cognitive. La légitimité pragmatique se base sur l’intérêt instrumental (self-interest). Elle est conférée si les échanges avec l’organisation en question sont

perçus comme étant profitables et s’il y a la perception que l’organisation est réceptive aux intérêts plus larges de l’audience. Afficher sa réceptivité aux demandes de l’environnement est plus facile que de fournir des résultats tangibles. Nous pourrions questionner si la légitimité pragmatique est effectivement un type de légitimité. Nous avons vu plus haut que le mode de régulation basé sur l’intérêt instrumental était conceptualisé comme distinct de celui qui est basé sur la légitimité.

La légitimité morale reflète une perception normative positive de l’organisation, ou selon Weber, « une croyance rationnelle en valeur ».16 Elle est conférée si les activités de l’organisation sont jugées bonnes et justes. «These judgments, in turn, usually reflect beliefs about whether the activity effectively promotes societal welfare, as defined by the audience's socially constructed value system” (Suchman, 1995 : 579). Les évaluations normatives peuvent porter sur les résultats ou conséquences des activités, sur les structures et procédures de l’organisation, ainsi que sur les personnes actives au sein de l’organisation (Suchman, 1995 : 577-582). La sociologie institutionnelle met l’accent sur la perception des acteurs et moins sur la réalité objective. La mesure de l’impact réel d’une organisation ne permettrait donc pas de répondre à la question de la légitimité. Si une audience estime que les effets des activités organisationnelles sont normativement souhaitables, elle va conférer la légitimité.

La légitimité structurelle et procédurale se base sur l’évaluation positive du fonctionnement d’une organisation. Dans les systèmes politiques libéraux, ce sont les structures et les procédures de la démocratie représentative qui sont perçues comme étant légitimes par une majorité des citoyens. Une audience confère donc la légitimité à une structure de gouvernance, si elle intègre des éléments de la démocratie représentative.

La légitimité morale conférée aux leaders actifs au sein d’une organisation ressemble au concept d’autorité charismatique de Weber. Une organisation est perçue comme étant plus légitime si elle dispose de leaders charismatiques ou d’« entrepreneurs moraux ».

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Le troisième type de légitimité est la légitimité cognitive : est légitime ce qui est tenu pour acquis (taken for granted), perçu comme naturel et non-questionnable. Cette forme de légitimité ressemble à certains égards à la « validité légitime » en vertu de la tradition de Weber. Basée sur la cognition, elle n’est pas soumise à des évaluations discursives comme les deux autres types.

To the extent that it is attainable, this kind of taken-for-grantedness represents both the most subtle and the most powerful source of legitimacy. If alternatives become unthinkable, challenges become impossible, and the legitimated entity becomes unassailable by construction. (Suchman, 1995 : 583)

Enfin, dans une société pluraliste (où tout peut en principe être questionné), une autre forme de légitimité cognitive moins profonde est peut-être plus présente. Il s’agit d’une légitimité basée sur la mise à disposition de modèles culturels à partir desquels les gens peuvent s’orienter pour donner du sens à leurs actions. Ces modèles doivent faire le lien avec un système de croyances et la vie quotidienne de l’audience (Suchman, 1995 : 582).