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Répondre aux demandes sociétales : changement en profondeur, découplage ou écoblanchiment ?

3. Présentation et mise en dialogue des articles

3.4 Répondre aux demandes sociétales : changement en profondeur, découplage ou écoblanchiment ?

La deuxième question autour de l’effectivité des standards RSE et de la responsabilité environnementale des entreprises concerne le contexte structurel ou institutionnel plus large. Ce dernier peut être plus ou moins propice à un comportement responsable (Campbell 2007). Les entreprises doivent répondre à des demandes diverses et souvent contradictoires, provenant de leur environnement institutionnel. D’une part, une entreprise doit être techniquement efficace pour survivre dans un environnement compétitif. D’autre part, elle doit se conformer aux lois et être perçue comme étant légitime auprès de divers acteurs sociétaux (Meyer et Rowan, 1977).

Un type de demande adressée aux entreprises a trait aux préoccupations environnementales. Dans ce cas, certains acteurs font pression sur les entreprises pour qu’elles réduisent l’impact environnemental négatif de leurs activités. Afin de répondre aux attentes sociétales, les entreprises peuvent adopter des règles et des pratiques, légitimées par leur environnement institutionnel.15 S’ils sont reconnus et perçus comme étant légitimes, les standards RSE font partie de ces normes et règles institutionnelles, considérées par Meyer et Rowan comme des mythes rationalisés (1977). Cependant, quand ces règles entrent en contradiction avec les exigences d’efficacité notamment, les entreprises ont tendance à les suivre

15 Scherer et Palazzo (2013) distinguent trois stratégies que peuvent adopter les entreprises pour répondre aux

attentes sociétales : (1) l’adaptation aux attentes, (2) la manipulation des attentes, (3) l’engagement d’une « conversation » avec les acteurs sociaux pour essayer de trouver un compromis (moral reasoning). Selon les auteurs, la troisième stratégie est la plus prometteuse dans un environnement hétérogène avec des demandes sociétales contradictoires.

uniquement de façon symbolique, « cérémonielle » ou superficielle. Cette pratique est appelée découplage par Meyer et Rowan (1977).16

Travaillant avec un cadre théorique différent, Pascal Van Griethuysen (2010) arrive à une conclusion similaire de celle de Meyer et Rowan. Selon lui, les entreprises sont tout d’abord soumises à trois contraintes structurelles qui trouvent leurs bases dans l’institution du capitalisme : la solvabilité, la rentabilité et la pression temporelle. Au sein des activités économiques, la raison éco-sociale se trouve ainsi structurellement subordonnée à la rationalité économique capitaliste. Les demandes sociétales seraient donc nécessairement appréhendées de façon purement instrumentale et managériale par les entreprises, ce qui limite fortement la portée potentielle de la RSE (Van Griethuysen, 2010). La popularité du slogan des « solutions gagnantes-gagnantes » - c’est-à-dire à la fois bien pour l’environnement biophysique et profitable pour l’entreprise - témoigne d’ailleurs de cette interprétation purement managériale de la RSE.

À l’exemple de l’adoption de la norme de gestion environnementale ISO 14001, Boiral (2007) montre que la marge de manœuvre des entreprises pour obtenir une certification environnementale est assez grande, ce qui encouragerait un comportement cérémoniel et une conformité superficielle : « The ISO 14001 system can be viewed as a formal structure only loosely connected with real activities and implemented to provide a rational and legitimate image of an organization's environmental management » (Boiral, 2007 : 128). L’effectivité d’un standard environnemental comme l’ISO 14001 serait donc plutôt faible : « There were only relative improvements in environmental practices and performance, despite the often idealized statements about the standard's supposed rigour, rationality, and other advantages (Boiral, 2007 : 141).

Dans la même veine, Banerjee constate que le discours entreprenarial sur la soutenabilité est souvent détourné : « Corporate discourse on sustainability produce an elision that displaces the focus from global planetary sustainability to sustaining the corporation through « growth opportunities » (2008 : 66). Un exemple de ces incohérences manifestes a été livré par le PDG

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d’Hydro-Québec, une entreprise publique avec un chiffre d’affaires annuel supérieur à 13 milliards de dollars canadiens. La publication des rapports annuels sur le développement durable où Hydro-Québec affirme que l’entreprise est « [t]otalement acquise aux principes du développement durable »17, mais cela n’empêche pas son PDG de se réjouir d’une hausse des précipitations causées par le réchauffement climatique, puisque cela permettra à l’entreprise de produire et d’exporter plus d’électricité.18

On doit également se demander si la « gestion verte » (green management) est vraiment aussi indispensable que l’affirment Alfred et Adam dans un article de 2009 ?19 Le peu d’importance que semblent accorder les consommateurs aux performances environnementales des entreprises peut conforter ces dernières dans leur traitement symbolique et découplé de la question environnementale. L’exemple récent de la fraude environnementale du producteur automobile Volkswagen et le peu de réactions de la part des acheteurs montre que les consommateurs ne « sanctionnent » pas nécessairement une entreprise en cas de scandale. Certes, les ventes de voitures de la marque ont baissé aux États-Unis à la suite de la découverte de la fraude, mais les ventes globales ont progressé en 2016 pour faire de VW le constructeur automobile le plus important au monde.

Ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres qui indique que la question environnementale n’est pas un facteur qui influence fortement la perception de légitimité des consommateurs et d’autres acteurs sociétaux. Divers chercheurs sont arrivés au même constat désillusionné : « Whiles many people profess to care about CSR and claim that informs their marketplace decisions, relatively few act on these beliefs » (Vogel, 2006 : 46). Si tel est le cas, la faible « demande » pour la responsabilité environnementale des entreprises témoigne également de l’échec du mouvement environnemental. Plus généralement, l’environnement

17 Hydro-Québec, Rapport sur le développement durable : http://www.hydroquebec.com/developpement- durable/centre-documentation/rapport-developpement-durable.html, consulté le 11 mai 2016.

18 La Presse, 28 août 2016: « Les changements climatiques profitables à Hydro, selon son PDG ».

19 « Green management matters for many reasons, but fundamentally it matters because people expect managers

to use resources wisely and responsibly; protect the environment; minimize the amounts of air, water, energy, minerals, and other materials found in the final goods people consume; recycle and reuse these goods to the extent possible rather than drawing on nature to replenish them; respect nature's calm, tranquility, and beauty; and eliminate toxins that harm people in the workplace and communities. » (Alfred et Adam 2009).

institutionnel actuel des entreprises semble fortement limiter l’ampleur possible de responsabilité environnementale des entreprises. Ces réflexions nous amènent dans le troisième article à aborder la question des enjeux structurels ainsi que le rôle des gouvernements et du mouvement environnemental qui façonnent à leur manière le rôle et le comportement des entreprises.

3.5 Les standards RSE à l’exemple de l’ISO 26000 : constats adéquats, normes