• Aucun résultat trouvé

◗ Les stages des élèves infirmiers et la violence qu’ils y perçoivent

Dans le document Psychologie clinique en soins infirmiers (Page 125-128)

Je voudrais terminer sur une question importante qui est celle des stages des infirmiers, eux aussi terrain d’une certaine forme de violence et de souffrance : d’abord parce que ces élèves se trouvent pour les premières fois de leur vie confrontés à des spectacles et à des situations très difficiles, et puis parce qu’ils sont parfois découragés par le fonctionnement d’infirmiers de métier, ce qui les entraîne à se poser beaucoup de questions (ce qui est très précieux) sur la raison du choix de cette profession. Enfin, les fonctionnements institutionnels souvent lourds, du fait des résonances des pathologies des personnes reçues sur l’institution (le cadre, les soignants, les dispositifs mis en place, l’organisa-tion…) ajoutent à la complexité de la tâche.

Il n’est pas aisé non plus pour une institution de recevoir des infirmiers stagiai-res à former car cela ajoute un surplus de travail aux soignants sur le terrain. Les problèmes concernant l’encadrement d’un élève infirmier sont nombreux : il y a le risque de lui faire prendre une place d’infirmier comme s’il était déjà formé et apte à en assumer les responsabilités alors qu’il n’est, en tant que stagiaire, pas légalement responsable, ce qui ne l’empêche pas de se sentir responsable humainement. Il se trouve mis dans une situation trop lourde pour lui parce qu’elle ne correspond pas encore à son niveau. Le risque est qu’il se décourage tandis qu’il est normal qu’en début de formation, en première année par exem-ple, il n’ait pas encore développé pour le premier stage toutes les capacités requises par le travail qu’on lui demande sur le terrain.

Il n’est pas rare que les infirmiers en stage se voient comme un « danger » pour certains de leurs collègues en poste qui n’ont plus leur vivacité, leur attitude passionnée et se trouvent épuisés par le terrain.

Il peut advenir que l’on empêche certains stagiaires de mettre en place des ini-tiatives visant le bien-être des soignés parce que « lorsqu’ils partiront, per-sonne n’aura le temps de continuer ce qu’ils ont mis en place ». En outre, ces initiatives constituent parfois, aux yeux des infirmiers de métier, un confort inu-tile pour les malades alors qu’il s’agit souvent de mettre en place des choses correspondant au respect normalement dû à un individu pour les stagiaires débutants.

Par exemple, dans les maisons de retraite souvent, l’équipe soignante reproche aux élèves infirmiers de « trop s’investir ». Les élèves font fréquemment preu-ves d’inventivité. Le désir qu’ils nourrissent envers leurs patients constitue un moteur que la réalité difficile et longue de la pratique a pu ôter à certains pour-tant tout aussi motivés au départ : il n’est pas rare que les stagiaires prennent du temps pour stimuler les personnes âgées, jouant avec les malades atteints d’Alzheimer, préférant l’usage du déambulateur, même si les déplacements prennent plus de temps, à celui du fauteuil roulant lorsque la personne peut

Souffrance et violence dans la situation de soins et d’accompagnement

encore marcher. Une élève infirmière témoigne parfaitement de ses difficultés d’intégration en tant que stagiaire jugée « trop » volontaire par ses pairs :

«

J

e me suis faite tout de suite critiquer par l’équipe soignante. Ils m’ont dit : « tu t’investis trop ; tu vas trop au fond des choses ; tu veux trop ; tu t’attaches trop aux patients. » Alors que je n’avais pas cette impression. J’avais l’impression de seule-ment faire ce qu’il fallait, sans plus. Mais, tout de suite, dès le premier jour, dès la première prise de contact, ils m’ont mise en garde et ça m’a marquée ; ils m’ont dit : « Il faudra pas trop en faire sinon, ça ira pas. » C’était un infirmier qui m’a dit ça. Il a ajouté : « Il faut pas se laisser faire par les patients, sinon, ils te

« bouffent » ». La personne que j’avais à charge, elle était Alzheimer. C’était pas facile de rentrer en communication avec elle. Donc, je favorisais beaucoup les jeux, j’essayais de communiquer avec elle par d’autres moyens. Il fallait essayer de la mobiliser, donc, j’ai décidé avec une collègue qu’elle ne se déplacerait plus en fau-teuil roulant mais en déambulateur. Tout le monde s’est foutu de moi : « mais ça va pas, tu vas perdre ton temps. » Je n’étais pas contente, j’étais triste aussi de décou-vrir que ça pouvait être cela une ambiance de soins. Pour moi, favoriser le déam-bulateur c’était pas « trop s’investir ». J’ai été choquée de ce que j’ai découvert. »

Ces confrontations n’enlèvent rien à l’intérêt du stage, bien au contraire, c’est très formateur du fonctionnement en équipe : l’élève infirmier peut dire qu’il a fait un bon stage, voire un excellent stage, s’il est parvenu à faire valoir son point de vue, en prenant auprès de la personne dont il s’occupe toutes les pré-cautions nécessaires pour la prévenir que sa présence au sein de l’institution est limitée et que, ce qu’il met en place avec elle ne se poursuivra peut-être pas au-delà de son temps de présence. C’est un risque à prendre. Peut-être l’élève infirmier donnera-t-il envie à certains collègues de continuer ses actions, parce qu’ils en verront le bien fondé pour les personnes à soigner et parce qu’ils y trouveront une plus grande satisfaction personnelle au sein de leur profession.

La qualité du référent de stage, sur le terrain, sa capacité d’écoute et d’analyse du stagiaire infirmier, jouent beaucoup dans l’intérêt du stage et l’apprentis-sage de l’aspect humain du métier, et pas seulement du savoir-faire technique.

Les mécanismes de défense de l’infirmier qui la « conseille » n’ont pas échappé à cette élève : la crainte de se laisser « bouffer » par les patients vient peut-être d’une difficulté, jadis, de ce professionnel à mettre les limites convenables à sa position, c’est-à-dire à adopter une position qui soit un juste milieu entre un investissement envahissant et angoissant auprès des patients et un désinvestis-sement, voire une méfiance à l’égard des personnes dont il doit s’occuper et qu’il perçoit désormais comme un danger pour lui. Travailler en restant dispo-nible humainement, à l’écoute de la personne en souffrance, tenter toujours de soulager son mal être, son angoisse, sans se laisser happer, détruire par ces sentiments, demande de pouvoir être écouté et entendu à son tour en tant que professionnel, et de se remettre en question pour pouvoir améliorer ses capa-cités au fur et à mesure des années.

Une violence insidieuse dans des contextes de souffrance et d’angoisse

Pour ce qui est de la relation soignant/soigné durant un stage, certaines situa-tions douloureuses relatives à des angoisses d’abandon peuvent se produire, de part et d’autre, d’où la nécessité d’un bon encadrement du stagiaire du point de vue de l’écoute de ses ressentis, de ses émotions et de ce qu’ils entraînent dans les actes. Il n’est pas rare en effet que des élèves infirmiers témoignent de leur envie de pleurer au moment de se séparer de leur premier patient.

D’autres ont l’impression de les abandonner lorsqu’ils les quittent en mauvaise santé. Du fait aussi du mécanisme de l’identification projective, décrit précé-demment, souvent très présent chez les jeunes infirmiers qui ont parfois ten-dance à s’approprier le patient lorsque le transfert est très fort, la séparation est souvent douloureuse tant il y a eu d’affects investis, au point qu’ils ont l’impres-sion de laisser une petite part d’eux-mêmes au moment de leur départ. S’il est évident qu’on ne peut que travailler avec ses affects, positifs ou négatifs, avec ce qu’on est, avec ses réticences et son désir personnel, la nouveauté du trans-fert qui s’avère de ce fait fulgurant, envahissant parfois, et le fait que ces futurs infirmiers ne sont pas habitués encore à aller parler avec un psychologue, ren-dent certaines fins de stage pénibles du fait de tout ce que la personne y a investi, à juste titre, mais qui n’a pas été suffisamment élaboré par rapport au cadre du stage. La volonté de guérir même quand c’est impossible, de « sauver le monde » sont des deuils douloureux mais indispensables à une juste posi-tion de responsabilité, ce qui n’empêche nullement l’infirmier de garder foi en ce qu’il fait, puisque c’est la condition sine qua non pour continuer d’être un très bon professionnel, soucieux et respectueux de ceux qu’il soigne d’un bout à l’autre de sa carrière.

La psychologie et

Dans le document Psychologie clinique en soins infirmiers (Page 125-128)