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◗ L’isolation et le déplacement

Dans le document Psychologie clinique en soins infirmiers (Page 97-101)

L’isolation permet de séparer la situation de son contexte affectif. L’annonce d’une maladie grave ne recevra pas l’accueil attendu : le patient peut très bien intégrer la réalité, poser des questions techniques sur la suite des soins, retenir les termes techniques donnés par le médecin, mais il gardera un grand sourire en annonçant aux autres son mal, le ton de la voix pourra être badin ou enjoué, en complet décalage avec la gravité du contenu de la parole. Voici un exemple :

La fantasmatisation de la maladie s’accompagne d’une dénégation : la per-sonne reconnaît qu’elle a un cancer mais nie le fait que son corps soit atteint par une maladie réelle ; pour elle, c’est uniquement une atteinte affective. Le départ de sa fille a pu constituer un choc psychologique auquel son corps a réagi violemment. Toutefois, l’atteinte somatique est bien présente, la maladie existe et se trouve niée en tant qu’agression somatique et réalité biologique.

Souffrance et violence dans la situation de soins et d’accompagnement

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U

n monsieur de 60 ans est hospitalisé suite à une décompensation cardiaque globale. L’insuffisance cardiaque sévère dont il souffre nécessite une greffe car-diaque. Le chirurgien vient lui annoncer la nécessité de l’opération et le pronos-tic vital qu’un refus occasionnerait. Un infirmier vient voir le patient juste après le passage du chirurgien. M. H. l’accueille avec un grand sourire et un ton très gai : « Ah, ça va bien ? Il fait beau aujourd’hui. C’est agréable. Le chirurgien vient de m’annoncer que ma vie était en danger et qu’il fallait me greffer un autre cœur, c’est très grave ce que j’ai. Sinon, je me porte comme un charme ! Bon, le cœur s’emballe un peu de temps en temps, mais le chirurgien vient de m’expli-quer comment ça fonctionne. Eh bah, dites donc, c’est une mécanique incroyable ! C’est passionnant tout ça ! Je viens d’avoir un cours de médecine gratuit en somme. J’ai appris beaucoup de choses. J’ai été très emballé par la précision, les détails qu’il m’a livrés sur l’opération que je vais avoir. J’aurais voulu faire médecine quand j’étais jeune. Qu’est-ce qu’il y a pour le dîner ce soir ? Je dois dire que je ne suis pas du tout content de ce qu’on me sert ici, c’est très déplaisant. J’espère que ma femme va venir me voir, j’ai un peu peur qu’elle m’aime moins depuis mon accident, j’ai une mine à faire peur. Vous pensez qu’elle viendra ? »

◗ L’annulation

L’annulation est plus radicale que la dénégation. Elle empêche toute bribe de réalité d’accéder à la conscience du sujet. Elle permet de nier la réalité de la maladie en faisant en sorte d’en effacer l’annonce, de faire comme si elle n’avait jamais eu lieu afin d’éviter toute menace. C’est un mécanisme consécutif à un événement reçu comme inacceptable, inabordable dans le moment où il se produit. L’annulation ne dure pas, le plus souvent, et elle se trouve relayée par d’autres défenses.

Dans l’exemple suivant, une infirmière stagiaire a pu repérer que la réaction du patient montrait son refus d’intégrer l’événement annoncé :

Ce monsieur reconnaît son mal, il a intégré les précisions données par le médecin mais de manière rationnelle, technique, comme si cela ne concernait pas sa santé, comme si le chirurgien était venu lui faire un cours général sans raison précise. Il isole la réalité de l’opération qu’il va subir en rationalisant les choses, en séparant l’information des affects de déplaisir, de douleur et de crainte qu’il serait normal qu’il ressente mais qui occasionneraient un surplus d’angoisse auquel il n’est pas près à faire face.

Ce mécanisme de défense est indissociable d’un autre, le déplacement, qui consiste à reporter l’angoisse sur une autre cible, moins pénible à affronter.

Dans l’exemple précédent, le déplacement s’opère sur la crainte du patient que sa femme l’aime moins. C’est plus facile pour lui de faire face à cette dou-leur qu’à l’angoisse de mort le concernant. L’émotion est déplacée sur un évé-nement auquel le sujet peut penser sans se sentir en danger vital.

Les mécanismes de défense du patient face à ses angoisses

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J

’étais là quand le médecin a annoncé à ce monsieur qu’il avait un cancer. Le Monsieur n’a rien dit. Le médecin, qui ne savait pas quoi faire devant ce mutisme, a essayé de le rassurer sur le fait que les choses étaient prises à temps, qu’on allait le guérir et il lui a proposé de faire venir le psychologue. Le Monsieur s’est alors animé et lui a dit : « Ah bon, j’ai cru que vous m’annonciez que j’étais malade.

Bon, je rentre chez moi quand ? » On n’a pas vraiment compris sa réaction. Le médecin a dit qu’il repasserait le voir et qu’il fallait qu’il reste encore un peu à l’hôpital. Il lui a dit que la psychologue du service viendrait le voir. Le lendemain, le patient était en pleurs lorsqu’il a réalisé son cancer. Il nous a fait une vie très dure ensuite en se montrant très agressif. »

◗ La maîtrise

C’est peut-être, avec la projection agressive, le mécanisme de défense qui rend la relation au malade la plus difficile. En effet le malade, afin de sauve-garder son statut de sujet vivant, résolu et volontaire, lui qui risque de devenir objet de la médecine et des soignants, va tenter par des rites obsessionnels, précis, de maîtriser le cours des choses. La tentative de maîtrise peut passer par l’humour et la dérision, mais aussi par une démarche de rationalisation de l’origine de sa maladie. Maîtriser la maladie, c’est croire que l’on a un pouvoir sur la maladie. Les rites obsessionnels peuvent consister à vérifier chaque médicament, à tenir en suspicion chacun des actes des infirmiers regardés parfois avec défiance : « Hier, vous m’avez donné trois comprimés rouges, aujourd’hui seulement un, je ne comprends pas. En plus, votre collègue me les donne à heures fixes tous les jours et vous, vous me les apportez quand ça vous chante. Qu’a dit le médecin dans sa prescription ? Il a vérifié au moins ce que vous faisiez ? Vous n’avez pas pris de liberté par rapport à mon traitement ? De toute façon, il passe tout à l’heure, je lui poserai la question. » Ces malades peuvent arriver à certains excès qui peuvent être perçus comme tyranniques par les soignants. Il est très important de respecter cette défense du malade, en l’ayant repérée comme telle et non comme une remise en cause des compétences de l’équipe soignante, ce n’est absolument pas de cela dont il s’agit en réalité ! De plus, la non reconnaissance du malade de demeurer dans une maîtrise psychique pour repousser la souffrance et sau-vegarder un semblant d’emprise sur son corps, risque de provoquer un effon-drement et une détresse totale, voire une décompensation psychotique dans certains cas.

Le patient s’est saisi de l’annonce que le psychologue viendrait le voir pour annuler la représentation d’une maladie physique grave et faire comme si l’événement portait sur un problème psychique sans aucun risque d’atteinte vitale. Le lendemain, l’annulation n’ayant pas tenu et n’ayant pu se déplacer sur une réalité moins grave, le patient s’est écroulé en comprenant qu’il souffrait d’un cancer. C’est dans ce moment qu’il convient de mettre en place une écoute et une relation d’aide et de soutien pour la personne.

Souffrance et violence dans la situation de soins et d’accompagnement

D’autres mécanismes destinés à combattre l’angoisse existent et portent le nom de « mécanismes de dégagement ». Tandis que les mécanismes de défen-ses sont automatiques, inconscients, et correspondent à une défense primaire du moi (voir Fiche 5, page 149), les mécanismes de dégagement sont plus éla-borés, ils obéissent à des stratégies de pensées conscientes. Un exemple important de ces mécanismes est la sublimation.

◗ La sublimation

Elle permet de transformer l’angoisse et le sentiment d’inutilité de certains malades souffrant de maladies invalidantes en détournant les pulsions visant un but primitif vers des objets de valeur sociale positive. La souffrance n’est pas oubliée, mais elle permet à l’individu de construire un nouveau sens à sa vie.

Par exemple, certaines personnes s’investissent dans des œuvres caritatives concernant des personnes atteintes de la même maladie qu’eux, ils écrivent un livre sur leur souffrance, etc. Ils font de leur souffrance une source de création ou de lien social là où ils pourraient se sentir marginalisés et exclus de la société.

La sublimation peut arriver après les mécanismes de défenses décrits précé-demment, une fois que la maladie a été acceptée, après un travail d’élaboration consécutive à l’annonce de l’atteinte. Il faut du temps.

Le temps est un facteur nécessaire au processus de soins et de guérison mais qui est fort peu pris en compte dans les institutions où le « faire » s’impose presque sans répit pour les équipes.

C’est pourquoi, il est utile d’insister sur le fait suivant : les principaux mécanis-mes de défense utilisés par le malade lui permettent de vivre, de supporter la souffrance, il faut donc les respecter et ne surtout pas chercher à les lui enlever car sinon il se peut qu’il n’y survive pas. Le temps permet au patient d’accepter son état, de « digérer » l’annonce. Le faire parler de ses affects, de ce qu’il craint, de la menace qu’il voit peser sur lui, de son angoisse, mais aussi l’aider à se remettre dans un processus de projets raisonnables pour l’avenir, peuvent être des comportements apaisants et constructifs pour le patient et pour l’éla-boration psychique de sa souffrance.

C H A P I T R E

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L’angoisse : ses sources et ses

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