• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : Introduction

1.6. Modulation de la stabilité de l’ARNm

1.6.3. Rôle de la région 3’ non traduite (3’UTR) de l’ARNm

1.6.3.1.2. Stabilité et dégradation des ARNm interagissant avec les protéines liant

Il existe également des séquences cis dans le 3’UTR qui sont reconnues par des protéines liant l’ARN (RBPs – RNA-binding proteins). Les séquences cis les plus connues sont les séquences riches en adénosines et en uridines nommées « AU-rich element » (ARE). Environ 8% de la totalité des transcrits possèdent des éléments « AU-riches » et plusieurs d’entre eux codent pour des cytokines impliquées dans l’inflammation (TNF-α, GM-CSF, IL- 3, IL-10, etc.). Les séquences ARE correspondent à des motifs AUUUA de 50 à 150pb qui se regroupent en trois classes. La classe I représente des pentamères AUUUA regroupés près de séquences riches en uridines. La classe II représente des nonamères UUAUUUAUU également regroupés dans une région « U-riche ». La classe III se distingue des classes I et II puisqu’elle correspond à des régions « U-riches » sans pentamères précis (Palanisamy et al., 2012). Les motifs ARE fonctionnels existent sous la forme structurée en tige-boucle, mais peuvent également exister sous une forme linéaire dont la séquence nucléotidique devient très importante (Ray et al., 2009). Les transcrits présentant des séquences ARE plus longues possèdent des demi-vies plus courtes, puisqu’il a une association de RBP plus importante sur l’ARN (Raghavan et al., 2004). Ceci suggère que le motif ARE aurait un effet déstabilisateur par défaut sur l’ARNm (Khabar, 2010). Les RBP associées aux ARE favorisent la dégradation de l’ARNm à partir de son extrémité 3’ par des exonucléases contrairement aux miARNs qui impliquent les endonucléases (Mignone, Gissi, Liuni, & Pesole, 2002). Les séquences ARE de classes I et III induisent une déadénylation cytoplasmique synchrone. Tous les ARNm seront déadénylés à la même vitesse jusqu’à l’obtention d’une queue polyadénylée d’une longueur de 30-60 nucléotides provoquant la dégradation des transcrits. À l’inverse, les séquences ARE de classe II génèrent des ARNm intermédiaires sans queue polyA via une déadénylation cytoplasmique asynchrone (Xu, Chen, & Shyu, 1997).

Les motifs ARE peuvent également avoir une fonction stabilisatrice sur l’ARNm selon la nature des protéines RBP qui vont s’y lier (Lopez de Silanes, Quesada, & Esteller, 2007).

Par exemple, les protéines RBP de la famille ELAV (HuR, HuB, HuC et HuD) sont connues pour stabiliser le transcrit, alors que la AU-rich binding factor-1 (AUF1) et la tristétraproline (TTP) ont un rôle déstabilisateur. Par contre, ces dernières favorisent la dégradation de l'ARNm selon des mécanismes distincts. Par exemple, le mécanisme d'action d'AUF1 présente une approche indirecte. Suite à la reconnaissance d’un motif ARE par AUF1, celle-ci recrute Hsc70/Hsp70, eIF4G et PABP pour former un complexe protéique. La dislocation d’eIF4G suite à la formation de ce complexe favorise l’ubiquitinylation d’AUF1 et entraîne la dégradation du complexe par le protéasome. Puisque la queue polyA de l’ARNm n’est plus protégée par des protéines PABP, celle-ci est déadénylée et l’ARNm est subséquemment dégradé (Laroia, Cuesta, Brewer, & Schneider, 1999). À l'opposé, TTP provoque directement la dégradation de l'ARNm ciblé. TTP déstabilise le messager en y recrutant des déadénylases et des exonucléases qui forment l’exosome (Xu et al., 1997).

Séquence cis – GURE

Il existe également des séquences riches en guanosines et en uridines nommées « GU- rich element » (GURE). À l’instar des ARE, ces séquences « GU-riches » conservées dans le 3’UTR ont été découvertes dans les ARNm possédant un turnover rapide. La principale protéine qui s’associe au GURE est la CUG triplet repeat, RNA binding protein 1 (CUGBP1). Elle a été originalement reconnue comme liant une séquence CUG répétée chez des patients atteints de dystrophie myotonique de type I (Vlasova et al., 2008). CUGBP1 est une protéine essentielle à la dégradation des ARNm, puisqu’un knock-out de la protéine stabilise fortement les transcrits possédant le motif GURE (Vlasova-St Louis & Bohjanen, 2011). Son mode de fonctionnement qui est conservé dans l’évolution implique le recrutement de la Poly(A) ribonuclease (PARN) et une déadénylation du messager. Chez les organismes inférieurs, les séquences « GU-riches » seraient surtout impliquées dans le développement, suggérant un rôle similaire chez les mammifères (Wu, Li, Zhao, & Mao, 2010). Il existe une séquence similaire au GURE nommée « nanos response element » (NRE) correspondant à des séquences de trinucléotides UGU qui permet de recruter la famille de protéine PUF (Spassov & Jurecic, 2003). Les protéines de la famille PUF peuvent également reconnaître une séquence de deux motifs UAAU distincte des séquences « AU-riches » habituelles (Yosefzon et al., 2011). Chez l’humain, il existe les protéines PUM1 et PUM2 qui se fixent au NRE et induisent la dégradation de l’ARNm. Le mécanisme implique le recrutement de corépresseurs, tel que la

CNOT déadénylase, qui rend l’ARNm vulnérable à la dégradation (Van Etten et al., 2012). La similitude entre le GURE et le NRE suggère une interaction entre les différentes protéines impliquées. En effet, les séquences « GU-riches » reconnues par CUGBP1 sont semblables à celles reconnues par PUM1/2, ainsi qu’aux séquences « U-riches » reconnues par HuR (Lee, Lee, Wilusz, Tian, & Wilusz, 2010). Ceci suggère que selon l’état cellulaire, les éléments cis dans le 3’UTR pourraient entraîner une compétition ou une coopération dans l’attachement des RBP aux séquences du 3’UTR déterminant le destin d’un ARNm. Par exemple, CUGBP1 et PUM1/2 vont déstabiliser un transcrit alors que HuR stabiliserait celui-ci. Cette multiplicité des RBP s’attachant au 3’UTR permet une modulation très fine du niveau de messager dans la cellule [Figure 12].

Figure 12. Mécanisme de compétition/coopération dans la modulation de la stabilité d’ARNm possédant des séquences ARE et GURE

(A) HuR est en compétition avec PUM1/2 pour la liaison à l’ARNm et le protège contre la dégradation par l’exosome.

(B) PUM1/2 et CUGBP1 coopèrent pour dégrader l’ARNm via les séquences GURE. L’éjection de HuR favorise le recrutement de la déadénylase PARN et de l’exosome, ce qui entraîne la dégradation du transcrit.

Séquences cis – CURE

Il y a également des séquences riches en cytosines et en uridines nommées « CU-rich element » (CURE) dans le 3’UTR de certains ARNm. Contrairement aux ARE et GURE, le CURE possède un rôle stabilisateur en recrutant diverses ribonucléoprotéines, ainsi que des RBP comme HuR, HuD et l’Insulin-like growth factor 2 mRNA-binding protein (IGF2BP) (Bell et al., 2013). Cependant, la modulation des ARNm possédant un CURE semble être complexe. Par exemple, le 3’UTR de l’ARNm de MARCKS possède un motif « CU-riche ». L’ajout de son 3’UTR en aval du gène rapporteur luciférase entraîne une réduction de l’activité luciférase. Néanmoins, une augmentation de l’expression de HuR dans les cellules entraîne une stabilisation du transcrit MARCKS via le CURE (Wein, Rossler, Klug, & Herget, 2003). Il se pourrait donc que la structure secondaire de base de ce transcrit facilite le recrutement de l’exosome ou que des RBP déstabilisatrices non identifiées puissent reconnaître ces séquences « CU-riches » et entrer en compétition avec HuR.