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III.2 Clichés, lieux communs et stéréotypes

III.2.4 Stéréotypes dans les médias

Selon AMOSSY (1991) le stéréotype est l'image préfabriquée, la représentation collective figée présente dans les esprits et que la collectivité fait circuler dans ses textes les plus divers. L’imaginaire social « est en prise sur les textes et l'iconographie de son époque.

Il s'en inspire et s'en nourrit incessamment »157.

Comme l’affirme AMOSSY158, les modes d'expression et de diffusion du stéréotype sont particuliers à l'ère des médias. « Aujourd'hui la presse, la B.D, les best-sellers, le cinéma, la publicité, ne cessent de renforcer ou de forger à notre usage des stéréotypes de tout acabit.

(…) Un va-et-vient incessant s'établit ainsi entre les images logées ''dans notre tête'' et celles que divulguent abondamment les textes et les médias »159.

III.2.4.1. Souci d'objectivité et fonction phatique

Les stéréotypes, clichés et lieux communs sont utilisés dans le discours des médias dans un souci d'objectivité et avec une fonction phatique, c’est-à-dire qu'ils permettent d'établir un contact avec le public, sur la base d’un «fond commun». Ces deux usages sont toutes les deux liées à la conformité au sens commun.

A propos des lieux communs, FILLOL affirme qu’il ne faut pas voir dans l'emploi des clichés

« la seule convocation du contenu informationnel qui d'ailleurs est le plus souvent proche d'une valeur zéro »160. Selon l'auteur leur emploi « renvoie non seulement à une mise en commun d'un savoir déjà-là, mais aussi à un effet d'objectivité, puisque convoquer un lieu commun c'est aussi convoquer l'énonciation présupposée ("impersonnelle"), ce qui donne à

154 Idem, p. 11.

155 Ibid, p. 45.

156 AMANCIO, Tunico, Op. cit., p. 191.

157 AMOSSY, Ruth, 1991, Op. cit., p. 9.

158 Idem, p. 10.

159 Ibid, p. 9.

160

son énonciation une force prédicative plus importante»161.

Ce souci d'objectivité dans le discours des médias est lié à la crédibilité et a trait avec un

« souci de se conformer à une forme de ''sens commun'', ce qui se traduit par une attitude très prudente devant tout article dont les contenus heurtent ce qui apparaît comme des évidences de bon sens »162. Dans le but de ne pas trop contredire les croyances du sens commun, les médias produisent un récit « vraisemblable », défini par GENETTE163 comme un récit dont les actions répondent à un corps de maximes reçues comme vraies par le public auquel il s'adresse. Toutefois, cette procédure peut se révéler en piège car pour offrir un discours vrai, selon les attentes du public, les médias se servent souvent de concepts douteux ou faux : les stéréotypes.

En ce qui concerne l'objectif communicatif des médias, les clichés sont utilisés dans le but de produire un discours qui éveille l'intérêt, séduit et remporte l'adhésion. Selon FILLOL, utiliser des clichés à l’intérieur d’une culture donnée, ou d’un groupe socioculturel, c’est « parler la langue de l’autre »164. L'auteur165 situe le lieu commun comme une unité sémantique représentant un « savoir (quelconque) partagé », et en ce sens, il est un élément déterminant dans la production/interprétation des discours, mais aussi dans l'établissement d'un lien énonciatif, dans la mesure ou il aurait une fonction dans le contrat énonciatif, en ce qui concerne la question de l’adhésion au discours.

Selon LOCHARD166, le fonctionnement empathique des médias repose en grande partie sur la mobilisation des imaginaires collectifs en vigueur au sein de la communauté.

Ces représentations partagées sont les filtres permettant à une communauté donnée de percevoir la réalité et d'interpréter le monde. C'est un puissant facteur d'auto identification, un ciment culturel indispensable car très consensuel.

Dans ce processus de mobilisation des imaginaires collectifs, les médias oeuvrent ainsi à la promotion - voire à la construction - chez les individus d'images mentales se structurant sous la forme de représentations collectives. Selon LOCHARD167, en activant la circulation dans le monde social de ces représentations, les médias contribuent à l'organisation de systèmes de valeurs et de croyances qui tendent à s'instaurer sous forme de normes pour certaines

161 Idem, p. 115.

162 NEVEU, Erik, Op. cit., p. 64.

163 GENETTE, 1968, cité par NEVEU, Erik, 2001, p. 65.

164 FILLOL, Véronique, Op. cit., p. 124.

165 Idem, p. 126.

166 LOCHARD, Guy et BOYER, Henri, Op. cit., p. 26.

167 Idem, p. 8.

collectivités.

Selon AMOSSY (1991)168 la tendance au stéréotypage dans le discours des médias entraîne une lecture programmée du réel. « Le texte se trouve refaçonné selon les impératifs d'un modèle préfabriqué, extérieur au récit et enregistré de façon plus ou moins distincte par la mémoire culturelle du récepteur. (...) Toutes les variantes sont réduites et réinsérées bon gré mal gré dans le moule initial. (...) Le déchiffrement récupère au maximum les différences, réduisant tout au déjà-vu et au déjà connu »169.

NEVEU170 met l'accent sur le risque encouru par l'écriture journalistique de s’emprisonner dans les conventions et les stéréotypes car, si des notions comme « l'islamisme » ou « le corporatisme » présentent, certes, le « confort de suggérer un cortège d'images et de personnages, un concentré d'explication », la « diversité extrême des faits ainsi étalonnés, jointe à la pauvreté analytique de telles notions, n'aide que rarement à entrevoir la ''causalité complexe'' du monde ».

En ce qui concerne plus particulièrement la télévision, ADORNO171 valorisait les stéréotypes dans le processus d'organisation et d'anticipation de l'expérience, ce qui nous empêcherait de tomber dans « l'anarchie mental et dans le chaos ». Néanmoins, il attire l'attention sur le fait qu’au sein de l'industrie culturelle de masse, les stéréotypes deviennent réifiés et rigides, ce qui contribue au renforcement de clichés et d'idées préconçues en décalage avec le dynamisme de l'expérience réel.

III.2.4.2 Stéréotypes, mensonge et désinformation

Dans son étude sur l'information et la désinformation, DUARANDIN172 définit le mensonge à partir de six éléments173: 1) le rapport avec la réalité; 2) l'intention de tromper; 3) les motifs du mensonge; 4) les objets; 5) les destinataires; et 6) les procédés (signes, opérations, canaux).

Selon la définition proposée par l'auteur nous ne pouvons pas considérer le stéréotype comme un mensonge – notamment parce que son utilisation ne constitue pas une activité organisée mais aussi parce que dans la notion de stéréotype il n'y a pas l'intention de tromper. Toutefois, comme nous présentons ci-dessous, nous avons trouvé quelques

168 AMOSSY, Ruth, 1991, Op. cit., p. 22.

169 Idem, p.22.

170 NEVEU, Erik, Op. cit., p. 62.

171 ADORNO, 1990, cité par AMANCIO, Tunico, 2000, p. 138.

172 DURANDIN, Guy, Op. cit.

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éléments qui se sont avérés productifs pour l'analyse du stéréotype en tant qu'élément de désinformation dans le discours des médias.

Nos reflexions s'appuient sur trois des éléments travaillés par DURANDIN, soit : le rapport avec la réalité ; les objets du mensonge ; et les procédés.