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Lorsqu’il s’agit d’inventer de nouvelles maquettes, de proposer des projets visuels

387 DEBRAS, Sylvie. Lectrices au quotidien – des femmes, des hommes et des journaux. L'Harmattan, Paris, 2003, p. 11.

388 CARON, Caroline, 2002, Op. cit., p. 4.

389 CARON, Caroline. Que lisent les jeunes filles? Une analyse thématique de la « presse ados » au Québec. Pratiques

pointus, la presse féminine semble jouer un rôle avant-gardiste, alors que son discours est plutôt conservateur lorsqu’elle décide de traiter de la place des femmes – leurs lectrices - dans la société.

Selon DARDIGNA, « la toile de fond de toute la presse féminine, sans exception, est celle de la mère au foyer, et c’est donc à une imprégnation continuelle de certaines valeurs, images, modèles allant toujours dans le même sens, que sont soumises les femmes »390. Pour elle, il semble vital de savoir évaluer « le poids oppressif des magazines féminins et combien est inestimable pour le pouvoir établi, pour les forces réactionnaires et conservatrices, l'idéologie qu'ils véhiculent »391. En gardant à l’esprit son statut de produit à la fois social et idéologique, il faut lire la presse féminine et « décrypter son mécanisme tout comme un autre appareil idéologique d'état, selon la dénomination employée par L. ALTHUSSER392 »393.

D’après DARDIGNA, la parole du magazine féminin est toujours détournée du réel;

elle neutralise ainsi les contradictions possibles, sources de changements, en les réduisant à des stéréotypes nivélateurs, à des images mythiques394. « Cette dimension mythique des magazines féminins – raconter les choses de la vie, les magnifier à tout prix et éliminer tout esprit critique – apparaît comme idéologique, et de fonction conservatrice »395. DARDIGNA constate qu’en agissant directement sur l’imagination des femmes, la « parole magique » des magazines féminins n’a pas pour but de transformer leur réalité concrète et c’est pourquoi, comme l’écrit BARD, la presse féminine constitue « un des principaux vecteurs de l'aliénation féminine »396.

DARDIGNA dénonce aussi, dans le discours des magazines féminins, une nécessité idéologique de réduire, d’immobiliser et de classifier. Selon elle, le monde extérieur se trouve à la fois fondé et justifié par cette parole des magazines féminins, dont le principe de base est celui du « verbe magique des médias »397. Le discours magique de la presse féminine, à qui les femmes délèguent leur regard, se construit grâce à l'assemblage de lieux communs, stéréotypes, schématismes, classements et autres procédés de réduction linguistique.

390 DARDIGNA, Anne-Marie. La presse « féminine » - Fonction idéologique. Librairie François Maspero, Paris, 1978, p. 57.

391 DARDIGNA, Anne-Marie. Femmes-femmes sur papier glacé. Librairie François Maspero, Paris, 1974, p. 97.

392 Voir ALTHUSSER, Louis. (1970) Idéologie et Appareils idéologiques d'État, repris in Positions, coll. Essentiel, Paris, Éditions Sociales, 1976.

393 DARDIGNA, Anne-Marie, 1978, Op. cit., p. 7.

394 « La fonction du mythe c’est d’évacuer le réel. Le monde entre dans le langage comme un rapport dialectique d’activités, d’actes humains ; il sort du mythe comme un tableau harmonieux d’essences. Une prestidigitation s’est opéré, (…) qui a retiré aux choses leur sens humain de façon a leur faire signifier une insignifiance humaine ». BARTHES cité par DARDIGNA, 1978, p. 11.

395 DARDIGNA, Anne-Marie, 1978, Op. cit., p. 15.

396 BARD, Christine, Op. cit., p. 117.

397 DARDIGNA, Anne-Marie, 1974, Op. cit., p. 87.

« La parole stéréotypée du magazine féminin possède une force paradoxale : on ne la déchiffre jamais avec son intelligence. Il n’a aucun besoin du moindre effort mental pour ''recevoir'' les donnés qui la constituent – assemblages de lieux communs immergés en nous dans une zone inconsciente que nous pourrions considérer en quelque sorte comme auxiliaire inférieur du surmoi, incessamment nourrie par le discours social dans son ensemble. (…) Dès lors, cette parole stéréotypée du magazine féminin ne peut que nous atteindre directement, au plus profond, puisque nous ne la ''lisons'' pas avec le concours actif et critique de notre intelligence, mais que nous la ''recevons'' immédiatement et nous en trouvons malgré nous, à notre insu, modifiés »398.

Dans la presse féminine, « On ne pense pas », on constate, on raconte, on réaffirme la réalité éternelle des choses399. Ce discours idéologique, fondé sur la simple affirmation et sur la tautologie, est construit avec des stéréotypes et sophismes. « Il en élimine tout élément dialectique, vivant, et entraîne à leur tour les femmes dans l’aphasie en les privant de la possibilité d’une quelconque formulation réelle. (…) Pour ''parler'' le monde, le magazine féminin semble ignorer la plus grande partie du langage pourtant à sa disposition ; tout se passe comme s’il ne pouvait se servir que des concepts ''tronqués'' »400.

DARDIGNA a remarqué qu'en privilégiant la surface des choses, les magazines féminins « se détournent dangereusement du réel »401. « On met l’accent sur les détails, les particularités d’une situation, les épiphénomènes – on accumule les anecdotes pour masquer les raisons profondes »402. C’est dans ce but, que le stéréotype intervient comme un refus de ce qui est inconnu et nouveau, comme un refus de radicalisme et de réalité. En refusant l’investigation de la réalité à travers un processus de « mystification délirante »403, le discours de la presse féminine vise à « l’intégration consentante de ses lectrices dans un système aberrant où l'adhérence au réel devient impossible »404.

Mais si la presse féminine se caractérise par son refus de prendre en compte à la fois les femmes, les réalités sociales et l’intelligence qui risqueraient de produire le désordre et entraîneraient des changements sociaux, elle se manifeste aussi par sa force de proposition.

Pour DARDIGNA, « le magazine féminin obéit à un impératif catégorique : l'euphorie, dont le devoir, au fil des semaines, est de faire croire, par les vertus d'un optimisme sans cesse renouvelé, que tout va s'arranger grâce à quelques recettes, qu'un rien d'imagination et de

398 DARDIGNA, Anne-Marie, 1978, Op. cit., p. 99.

399 DARDIGNA, Anne-Marie, 1974, Op. cit., p. 10.

400 DARDIGNA, Anne-Marie, 1978, Op. cit., p. 102.

401 Idem, p. 136.

402 Ibid, p. 105.

403 Ibid, p. 159.

404

volonté suffisent pour être heureux »405. Selon SULLEROT406, depuis Marie Claire (1937), l'optimisme et la quête du bonheur ont été la philosophie de la presse féminine.