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Le squat de la rue Argand, haut lieu de rencontre des jeunes Punks à la fin des années

7.8 Le « squatting » ou l’occupation illégale à Genève dès les années 70

7.8.3 Le squat de la rue Argand, haut lieu de rencontre des jeunes Punks à la fin des années

Même si de nombreux lieux ont rassemblé des Punks à une certaine époque, le squat de la rue Argand reste l’une des figures emblématique de la période punk genevoise. Tous les Punks interrogés dans ce mémoire ont vécu ou fréquenté Argand pendant leur jeunesse et en gardent de nombreux souvenirs. C’est pourquoi il convient d’en faire une brève description.

Un rapport anonyme trouvé dans les archives du CIRA220 et semblant être une étude de ce squat met en évidence les différentes types de populations du lieu et leur implication dans la vie de la communauté. L’étude a établi un classement des différents groupes présents dont trois fortes

220 CIRA, rapport datant de mars 1982.

tendances et un quatrième groupe appelé « autres » pour lequel aucune description n’est donnée, s’agissant d’un groupe minoritaire trop hétérogène pour être classifié. Les autres groupes sont les suivants :

1. Les réfugiés 2. Les étudiants 3. Les Punks 4. Autres

1. Les réfugiés constituent le groupe le plus âgé de la maison, leur moyenne d’âge variant de 25 à 35 ans et plus. La plupart du temps, ils sont mariés et ont des enfants, ce qui n’est pas le cas des autres groupes. Ils sont originaires d’Amérique latine et sont arrivés en Suisse avec un statut de réfugiés politiques. Le besoin de squatter pour cette première catégorie est donc indispensable, du fait de leurs très faibles revenus, et constitue souvent la seule alternative pour trouver un logement. Ces squatteurs ont très peu de relations avec le reste des habitants du lieu et le fait qu’ils ne parlent pas bien le français constitue un obstacle dans la vie communautaire du squat. Leur participation aux réunions pour sauver le squat Argand est de ce fait peu active.

2. Les étudiants constituent le groupe dirigeant et politisé de la maison. Leur moyenne d’âge se situe entre 20 et 25 ans. Ils sont, après les Punks, les plus jeunes. Leur domaine d’étude est assez diversifié.

Ce qu’il faut remarquer chez les étudiants c’est qu’ils représentent la tendance dirigeante dans l’organisation du squat. Ce sont eux qui en général animent les réunions hebdomadaires. Ils sont souvent délégués dans diverses associations ou assemblées comme les comités de quartier ou les mouvements inter-squats. En général, ce sont donc eux qui se sentent le plus motivés par la lutte sur le plan politique pour sauvegarder les squats.

3. Les auteurs de ce rapport définissent dans leur typologie de départ ce groupe comme « Punk » car il est appelé comme cela à la rue Argand mais, d’après ceux-ci, ils pourraient être tout aussi bien s’appeler « zonards » car, toujours selon eux, le mouvement punk est plutôt l’effet d’une mode à Genève et ne joue pas le même rôle qu’à Londres où les jeunes Punks sont le reflet d’une réelle réaction à une société en crise et caractérisée par un fort taux de chômage, par la violence dans les grandes villes, les inégalités et les injustices sociales. Il est tout de même intéressant de noter que ceci relève du point de vue des auteurs mais que les acteurs de cette communauté se définissent comme Punks et c’est donc pour cela qu’ils seront nommés ainsi tout au long de cette étude.

Les auteurs de ce rapport décideront donc de nommer ces personnes « Punks » de part leur style musical et de part leur façon de s’habiller : cheveux teints de plusieurs couleurs pour les femmes et crête pour les hommes, habits déchirés et en haillons. Ils ont entre 18 et 23 ans environ. La plupart ne travaillent pas mais sont investis dans un grand nombre d’activités au sein de la maison comme surtout la gestion de la salle de concert, la planification des concerts et des autres fêtes. Le point central dans le rôle que tiennent les jeunes Punks à la rue Argand est leur investissement dans le monde musical. En effet, au début des années 80, la salle de concert de la rue Argand était l’un des grands lieux de rassemblement des concerts punks à Genève. Cependant, au-delà de la gestion des activités culturelles, les jeunes Punks de la rue Argand ne se sentent pas concernés par l’aspect politique du lieu et ne participent que très peu, voire jamais aux réunions. Dans un rapport de réunion du 11 mai 1981221 où le comité décide de réfléchir sur les actions à entreprendre en cas d’intervention de la police : faire de la résistance passive, des confrontations violentes ou la construction d’une porte bloquant l’accès des appartements, il est mentionné « que les Punks font un bref passage mais visiblement ne se sentent guère concernés ».

221 P.V. d’habitants de la rue Argand trouvé dans les archives du CIRA.

Les questions relatives à l’avenir sont des questions qui ne les concernent pas du tout. D’après les auteurs de l’étude anonyme de 1982, ils ne veulent participer à aucun projet constructif, « leur point de vue serait plutôt « ce sont tous des cons, sauf nous ! » ».

Toujours d’après les auteurs du rapport anonyme, les rapports entre les différents groupes semblent être plutôt bons, les gens semblent bien se connaître et se saluent quand ils se croisent dans les escaliers. Un bon exemple est celui des Punks qui, malgré leur apparence parfois un peu effrayante et leur style de vie original, sont tout à fait intégrés dans la maison, les autres locataires en parlant comme des gens sympas, mettant l’ambiance. Il faut dire que leur rôle au sein de la vie culturelle de la maison est très important du fait de l’organisation de nombreuses manifestations dans la salle du sous-sol. Al poubelle décrit d’ailleurs Argand comme « Un joyeux bordel ! On s’y aimait, on buvait, on fumait, on se battait et il s’y organisait des supers concerts. Pour moi d’une manière anarchique, comme une colonie de vacances perpétuelle mais je ne participais pas du tout aux réunions ».

Antoine décrit Argand comme un lieu mélangé de Punks et d’autres jeunes impliqués politiquement, « t’avais Argand dont la moitié de l’immeuble était occupée par des Punks, qui leur seul souci était de boire des bières et d‘organiser des concerts au sous-sol et l’autre moitié était ce qu’on appelait les Rouges, une espèce de bande d’intellos à tendance communiste qui eux avaient la démarche politique comme on peut la retrouver maintenant dans certains comités de défense des squats ou des choses comme celles-ci ». « Y’avait Argand qui était Punk et sa Cave », nous dit Reno,

« Avec les autres habitants c’était salut et c’est tout. Les Punks n’allaient pas aux réunions car ils n’en avaient rien à foutre ». Il met cependant en avant les nombreux concerts organisés dans les caves du squat, initiative la plupart du temps lancée par les Punks de cette époque qui trouvaient dans ce lieux un espace libre où exprimer leur musique.

8 LES ACTEURS DU MOUVEMENT PUNK

Concernant les témoignages que je n’ai pas pu effectuer moi-même et que j’ai pu trouver dans le livre Hot Love222, il me semble important, de mettre des extraits de ces derniers dans les annexes et d’en faire une brève analyse dans la partie analyse des entretiens. De nombreux points me semblent d’ailleurs très pertinents et me permettent d’illustrer certains propos théoriques énoncés plus haut.

Les personnes que j’ai interrogées dans le cadre de mon mémoire sont les témoins directs du mouvement punk suisse, et principalement genevois, de la fin des années 1970 début 1980. Ils sont les survivants directs, à savoir ceux qui étaient présents lors de l’explosion du mouvement, qui l’ont traversé jusqu’à aujourd’hui et qui en conservent encore des traces au niveau idéologique, vestimentaire, musical, style de vie, etc. Tous sont devenus des adultes responsables qui ne renient pas du tout leur période punk mais qui aujourd’hui, avec le recul et les nombreuses années écoulées, peuvent porter un regard critique sur cette période de leur vie. Certains ont peut-être trouvé une façon plus « mature » d’être subversifs comme celle de ne pas avoir choisi de métier où l’on doit porter de costume, travaillant la semaine mais fréquentant toujours l’Usine et ses quelques concerts punks, se lâchant au niveau de l’alcool le week-end, évitant toujours les lieux actuels « branchés » et les discothèques classiques à la mode, etc., mais gardant un regard actuel sur la société dans laquelle ils ont grandi plus ou moins proche de celui qu’ils avaient lors de leur période punk des années 70-80. Ces anciens Punks, même si certains restent subversifs et « contre le système dans leur esprit », doivent néanmoins se soumettre à certaines règles pour évoluer dans la société. Travailler est nécessaire si l’on veut pouvoir manger, s’habiller, avoir un toit et quelques hobbies. Il faut donc se plier à un certain nombre de règles et pour le coup paraître moins « marginal » en changeant certaines de ses habitudes, en acquérant un mode de vie plus conforme, du moins en apparence.

Dans le film de Denise Gilliand223, film qui sera résumé plus tard dans une partie à part puisqu’il traite de Lausanne, chacune des femmes ex-punks a dès lors fait son chemin. Deux d’entre elles ont des enfants et une troisième a réalisé son rêve, celui de travailler avec le dessinateur H. R. Giger. L’une d’elles a fait de la prison, une autre a perdu son mari mort d’une overdose mais chacune a désormais trouvé un équilibre et une façon de vivre qui lui convienne, en adéquation avec leurs idées, c’est-à-dire peu conformistes et teintes d’une certaine liberté selon leurs dires dans le film.