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4 LE MOUVEMENT PUNK ET SON IDEOLOGIE

4.9 Le Pogo

C’est la danse du Punk par excellence, une danse exutoire qui permet de libérer l’énergie et se défouler. Al poubelle, interrogé dans le cadre de ce mémoire, qualifie le pogo de danse-combat sans armes. Selon Brierre J.-D. et Lewin114, « l’énergie libérée dans la musique et la danse fournit à la violence non exprimée dans la vie quotidienne, une échappatoire ». « Leurs tentatives d’extériorisation de la violence se font uniquement sur le mode de la représentation et restent purement culturelles…Dans le Punk, l’extériorisation de la violence n’est pas réellement vécue mais seulement mimée. »115. La violence, si souvent vulgairement évoquée lors des concerts punks, ne veut donc pas dire grand-chose et s’explique mieux par un autre mot : l’énergie. Un trop plein d’énergie que les jeunes ont besoin de libérer soit par la musique qu’ils jouent, soit par la danse qui caractérise ce style de musique : le pogo qui consiste à se jeter les uns contre les autres, se filer des coups de pieds, voire des coups de tête mais tout cela dans un esprit qui n’est pas celui de blesser l’autre mais de se défouler.

Lors des concerts, un grand cercle se forme au milieu duquel on peut aller danser si on est téméraire, les autres tout autour se contenteront de regarder. Les femmes sont d’ailleurs nettement moins représentées dans les pogos et se tiennent souvent à l’extérieur ou, si elles sont à l’intérieur du cercle, sont protégées par les hommes qui se mettent autour. Pour certains, il est également un bon moyen de

« dessaouler », selon les dires de certains Punks interrogés dans ce travail, « En même temps, c’était salutaire cette danse parce que ça nous évacuait la bière ». « C’était simplement un rituel essentiellement masculin, d’affirmation de soi très jouissif et réellement convivial. Il n’y avait là aucun mépris » nous explique Al Poubelle. Bruno Blum donne comme description du pogo le fait de sauter en l’air, verticalement, droit comme un i. Il attribue cette attitude au fait que certainement les jeunes sautent de cette manière au départ pour mieux voir mais que cette manière de danser, vite devenue générale et dégénérant vite en bousculade est devenue « la danse punk par excellence »116.

M. Martinez Alvajar117, dans son mémoire de licence, compare la danse pogo à une cérémonie d’exorcisme où l’on se libère des angoisses du quotidien. Elle attribue également un certain plaisir dans l’acte de détruire aussi bien les idées, les codes que ce qui est sur place lors des concerts mais qui ne sont pas des actes intellectualisés, porteurs de messages, plutôt une réaction spontanée au public.

« Chez les Punks, ces pratiques sont vécues aussi par l’auditoire, aussi elles restent à l’état brut. Le pogo des Punks doit aussi faire partie de cette façon de vivre le réel. ».

Enfin, Dolores fait une comparaison personnelle plutôt intéressante entre le pogo et la course,

« c’est que je peux ressentir car je cours beaucoup. Quand t’arrives à la fin et que tu croies que tu vas crever et tout d’un coup il y a quelque chose qui remonte tu sais pas comment et qui t’amènes jusqu’au bout. Ben là, c’était pareil, vers la fin du concert t’es juste crevée, morte et là, t’as le morceau qui tue et tu ne sais pas comment, tu te sens soulevée et y’a tout le monde qui est en l’air. A l’époque c’était quelque chose d’incroyable. ». La peur est également au centre car il s’agit d’une danse violente où les coups partent dans tous les sens sans que chacun fasse attention à son voisin. Mais cette peur fait également monter l’adrénaline et c’est ce qui la rend en partie si excitante.

114 Brierre J.-D. et Lewin L., op.cit., p.79.

115 Ibid., pp.98-99.

116 Blum B., op.cit., p.93.

117 Marta Martinez Alvajar, op.cit., pp.69-70.

« En même temps je rentrais avec la trouille dans un concert, j’avais la boule au ventre. Y’avait pas beaucoup de femmes dans le cercle ».

Un dernier point cependant intéressant à évoquer est celui du lien entre la musique punk et le pogo. S’agissant d’une musique rapide, forte, déstructurée, le pogo est une danse qui s’y prête bien du fait de son caractère également désorganisé, les gens sautent et vont dans tous les sens. « La musique nous rendait comme cela, elle était accélérée à fond, distorsionnée et on suivait le rythme de cette musique et ça donnait ça » explique Al Poubelle.

Faire la fête ensemble est constitutif de lien social puisque les jeunes Punks se retrouvent pour écouter de la musique certes mais également danser (pogoter), boire de la bière et donc délirer tous ensemble. Les bons souvenirs et le sentiment d’union au sein du groupe se construisent aussi autour des expériences communes, des bons souvenirs festifs communs. La fête est donc un agent de cohésion très important.

Les auteurs du livre Punkitudes résument bien ce qui qualifie le mouvement punk dans son ensemble et donne ici une bonne conclusion. « La musique et la mode vestimentaire sont les aspects les plus voyants du punk. Mais le phénomène ne se réduit pas à cela. Comme chaque mouvement, il porte en lui un dépassement possible et même nécessaire. Les chansons transmettent un message, la façon de s’habiller a des prolongements sémantiques. Cela engendre un effort de réflexion, un travail de déchiffrage qui demandent une mise en forme débouchant parfois sur une nouvelle création.»118. Ainsi, se donner l’autorisation de faire n’importe quoi, quelque chose d’inattendu peut donner naissance à des créations culturelles nouvelles qui sont ensuite récupérées.

4.9.1 Une certaine forme de marginalisation

V. Fournier parle de marginalité culturelle ayant des répercussions sur la vie professionnelle. Il est vrai que si le look punk « implique » d’avoir le crâne rasé ou une crête, un aspect négligé ou sale, des tatouages et un comportement subversif, ces traits peuvent venir entraver une « carrière » professionnelle. Des obligations telles qu’une bonne présentation, des horaires contraignants ou de lourdes responsabilités peuvent s’avérer incompatibles. Ils peuvent révéler chez la personne punk un refus de se plier à ses normes professionnelles ou de la part de l’employeur, un refus d’engagement.

Ainsi, une certaine idéologie de vie, de conduite peut entraver son accès à une certaine forme de vie professionnelle. Il est vrai qu’il est encore difficile de s’imaginer dans nos esprits notre banquier nous accueillir avec une crête sur la tête, de nombreux tatouages est des rangers aux pieds. La plupart des Punks interrogés dans ce mémoire exerçaient d’ailleurs des activités qui n’étaient pas issues du domaine libéral ou bancaire. Il est clair que cet échantillon est loin de représenter l’ensemble des professions exercées aujourd’hui par les Punks des années 80 à Genève et qu’une généralisation est de ce fait impossible, mais il est à souligner que certains anciens Punks interrogés ont évoqué leur impossibilité d’accéder à certaines professions. Deux d’entre eux ont d’ailleurs les bras entièrement tatoués. Ces derniers ne portent de ce fait que des T-shirts ou chemises à manches longues pour ne pas dévoiler leurs bras au travail. Ainsi, selon V. Fournier, « pour concilier un mode de vie marginale et une vie professionnelle, la solution est d’exercer un métier artistique, mieux encore dans le monde de la musique ou des loisirs nocturnes : ingénieur du son lors de concerts, DJ, barman, mais aussi musicien ou styliste »119. L’aspect le plus évident est certainement l’apparence physique, première chose que l’on remarque.

118 Brierre J.-D. et Lewin L., op.cit., p.163.

119 Valérie Fournier, op.cit., 1997, p.27.

En refusant de se coiffer ou de s’habiller selon les canons esthétiques d’aujourd’hui, par exemple porter un costume-cravate lors d’un entretien, l’individu verra ses chances d’être engagé diminuer. « Il y a une sanction sociale de la marginalité »120.

Une autre notion à aborder qui me parait importante est celle que nous appelons plus communément dans notre jargon « le délit de sale gueule ». Ainsi un individu au look négligé ou portant une crête et des rangers se verra plus facilement fouillé à la sortie des magasins ou même arrêté à la douane. C’est ce que l’on appelle le phénomène de « juxtaposition d’images » comme il a été vu dans le cadre du cours de Louis Vaney121 à l’université de Genève. Il s’agit en résumé d’attribuer des comportements, des jugements de valeurs à une « image » que l’on va interpréter selon notre propre système de valeurs, de décodage de la réalité où l’on attribue à ce que l’on voit, des comportements et des idées spécifiques. Dom MacBen, m’a fait le récit de nombreuses anecdotes au sujet de son pote Ross, qui faisait constamment l’objet d’arrêts et de contrôles systématiques à la douane à cause de son look trop « voyant ». Il portait une énorme crête et avait un aspect très négligé. A tel point que quand McBen et ses potes faisaient une expédition à La Cure, lieu connu vers Saint-Cergues à la frontière française pour ses alcools et cigarettes détaxés, ils s’abstenaient d’emmener Ross avec eux! Ces derniers portaient le crâne rasé, look socialement mieux accepté et permettant d’accéder à une palette de professions plus larges et d’éviter ce genre de contrôles, toujours selon leurs dires.

120 Ibid., p.28.

121 Vaney L., Approches socio-éducatives de l’exclusion et de l’intégration. Université de Genève, année académique 2001-2002.