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5.1 Question 1. Le mouvement punk peut-il être considéré comme un mode de vie alternatif, comme une contre-culture ?

Si, selon l’imaginaire collectif, le postulat du mouvement punk est celui du No Future et que de ce fait l’avenir est « pourri » et qu’il ne vaut pas la peine d’essayer de le changer mais plutôt de vivre l’instant présent à fond, en exagérant la consommation d’alcool, de drogues, afin d’augmenter cette recherche de plaisir immédiat, le mouvement punk ne peut être qualifié de mouvement alternatif, contre-culturel puisqu’il ne s’inscrit pas dans une perspective d’avenir. Les Punks, de plus, ne se positionnent pas vis-à-vis de la société de manière claire et n’ont pas de revendications précises. Comme il a été vu plus haut dans l’explication du concept de Dominique Gros sur le style de vie alternatif, le mouvement punk ne peut donc pas, dans cette idée, être qualifié de contre-culture.

V. Fournier, dans son mémoire de licence consacré au mouvement punk en Angleterre, pense que les Punks sont une sous-culture, issus de la culture dominante et non une contre-culture, et que le but de ces derniers n’est pas de changer la société mais plutôt « de jouer avec celle-ci et leur situation défavorisée qu’ils accentuent encore plus ».122. « Contrairement aux contre-cultures fortement politisées et militantistes (Hippies), les Punks (anglais) ne revendiquent absolument rien. Leur éthique nihiliste exprime un désarroi total et sans espoir. Les Punks veulent faire honte à la société qu’ils jugent responsable de leur situation ».123 « Le paradoxe dans le mouvement punk est que leur révolte ne comporte aucune perspective, aucun but, et même aucun point d’appui. Leur plaisir réside dans cette contradiction, cette mascarade contre l’ordre établi, ce mouvement de subversion. Le seul but du Punk est de se faire détester car il aime ça. Il veut semer le trouble dans la société et son rêve, c’est l’anarchie, le chaos absolu »124. Cependant, V. Fournier fait référence ici au mouvement punk anglais, phénomène que je n’étudierai pas dans ce travail mais dont je prendrai certaines références du fait que le mouvement punk suisse prend exemple sur lui sur de nombreux points, malgré ses origines et ses motivations diverses. Cette définition ne peut donc pas s’appliquer à mon objet d’étude qui est le mouvement punk suisse, et en particulier genevois, mais je tenais à mettre en évidence l’explication de cet auteur du fait qu’elle se rapproche de celle donnée par Dominique Gros, à savoir que le mouvement punk n’est pas un mouvement motivé par une volonté de changement de la société dominante ou de construction d’une culture parallèle et qui, si l’on devait se référer à cette définition, le mouvement punk suisse ne pourrait être considéré comme une contre-culture. Cependant, même si le mémoire de V.

Fournier traite du phénomène punk en Angleterre qu’elle définit comme un mouvement très vite récupéré par les médias et devenu un phénomène de mode et ayant de ce fait perdu son sens premier125, elle donne des pistes de recherche intéressantes quant à ce phénomène en Suisse. Elle dit qu’il serait intéressant de poursuivre ces investigations sur le terrain genevois et d’essayer « de trouver un phénomène similaire dans un pays qui n’a pas connu les mêmes conditions socio-économiques et qui n’a pas les mêmes structures sociales que l’Angleterre, berceau du mouvement punk »126. Elle se demande qu’elle forme a pris la contestation chez les jeunes suisses, s’il y a eu des Punks à Genève et s’ils existent toujours (son mémoire date de 1996). Il est intéressant de voir que cet auteur, dix ans plus tôt, a également remarqué l’existence de toute une population underground et punk de surcroit à

122 V. Fournier, op.cit., 1996, p.20.

123 Ibid., p.26.

124 Ibid., p.29.

125 Ibid., p.63.

126 Ibid., p.63.

Genève. Même si je ne partage pas le postulat de ce mémoire qui met en avant le mouvement punk comme un phénomène dénué de sens, laid, provocateur, vite récupéré par les médias et le monde de la consommation, il est intéressant de noter que ces questions sont mes questions de départ dans l’avancement de ma problématique mais vues sous un autre angle qui est celui de démontrer que le phénomène punk est bien plus qu’un simple phénomène musical à une époque donnée et qu’il a bel et bien joué un rôle dans la construction de la vie alternative genevoise. Le mouvement punk présente aussi ses revendications politiques et sociales à sa manière. L’auteur reconnaît cependant le riche héritage de la culture punk dans la vie culturelle alternative genevoise, « l’héritage est très riche, car c’est grâce aux efforts de ces jeunes-là que les jeunes alternatifs d’aujourd’hui ont leurs endroits pour sortir et leurs manifestations culturelles » et 127 déclare également, « qu’après la tornade punk, bien que très vite maîtrisée, les choses n’ont plus été pareilles. Même si avant eux d’autres sous-cultures avaient déjà existé, aucune n’avait été aussi subversive et extrême, (…), l’effet de surprise n’a opéré qu’une fois, lors de l’avènement des Punks. Ils ont été résolument novateurs, et tous les descendants s’en sont inspirés ».

M. Martinez Alvajar, dans son mémoire datant de 1985, pose également le postulat que les Punks ne peuvent pas être considérés comme une contre-culture car rien ne permet de le dire. « Le langage ambigu qu’ils utilisent tend, non pas à s’opposer à la société, mais à refléter le fonctionnement de celle-ci, où ce sont les adultes qui sont en quelque sorte les marginaux car ce sont ceux qui innovent et bâtissent le futur »128. Même si l’argumentation de cette auteure est difficile à comprendre, il est intéressant de voir qu’elle ne peut qualifier le mouvement punk de contre-culture. Cependant, il est important de souligner la date à laquelle a été effectué ce travail, 1985, qui reflète la vague de la deuxième génération punk. Une prise de distance est de ce fait impossible. L’auteur a été dans le vif du sujet et récolté des témoignages tout aussi à vif. Il serait également intéressant de voir ce qu’elle qualifie de contre-culture puisqu’elle ne donne aucune définition de ce terme dans son travail. Elle se base plutôt sur des théories psychologiques portant sur la crise identitaire et crise des générations et associe le terme anti-culture à la crise des générations du fait que les normes transmises par les parents et la société sont rejetés en masse.

Dominique Gros, dans son ouvrage Dissidents du quotidien129, affirme que les mouvements alternatifs sont des mouvements engagés, que les personnes dites « alternatives » sont des intellectuels issus de la masse populaire et actifs au sein de leur mouvance, formant partie de groupes contre-culturels. Ces derniers ne font pas partie de l’élite, de l’intelligentsia car leur pouvoir social et culturel est limité. Ce sont cependant des personnes qui revendiquent le droit à une certaine différence et font partie de groupes très hétérogènes. Donc, si l’on se réfère uniquement à cette partie de sa définition, on ne peut pas définir le mouvement punk comme un mouvement alternatif, une contre-culture, du fait que ces derniers ont un style de vie plutôt basé sur « le présent » et ne font pas partie de mouvements engagés au sens où l’entend le sociologue Dominique Gros. Ils n’ont pas la volonté de s’engager politiquement et ne sont pas forcément des « intellectuels », ce sont plutôt des jeunes réunis autour d’un style musical dans lequel ils trouvent le moyen d’exprimer certaines idées certes, mais également de se réunir pour passer du bon temps.

Selon Yves Frémion130, un groupe alternatif est défini par « la prise en mains par les individus de leur propre sort, de leur propre avenir, sans intermédiaire spécialisé ». Les jeunes Punks peuvent donc dans cette définition être considérés comme un groupe alternatif de par leur volonté de faire

127 V. Fournier, op.cit., pp.106

128 M. Martinez Alvajar, op.cit., p.53.

129 D. Gros, op.cit., p.82.

130 Y. Frémion, Les orgasmes de l’histoire, Ed.Encre, 1980. Cité dans D.Gros, op.cit., p.176.

autrement, de rejeter les normes de la culture dominante et de s’autoriser le droit de vivre d’une façon choisie, pas toujours en adéquation avec les normes sociétales plus ou moins imposées.

Enfin, l’auteur Craig O’Hara131 voit les Punks comme des « non-conformistes contestataires » bien présents dans la lutte pour un « monde meilleur ». Étant lui-même Punk, il dispose d’un point de vue très engagé et très explicite mais dénué d’objectivité. A son sens, les vrais Punks sont les anarcho-punks, considérés comme des puristes, et engagés dans différentes luttes comme le sexisme, la guerre, l’homophobie, le massacre des animaux (ils sont végétariens voir végétaliens selon lui), le racisme, etc., toutes sortes de causes en lien avec des minorités, des tortures, tous types de violences.

Ils utilisent leur musique, leur fanzine et leur attitude comme un moyen de dénonciation. L’auteur accuse les Punks arrivés lors de la deuxième vague, c’est-à-dire début des années 80, de « ternir l’image du Punk » et de ne pas savoir « ce qu’être punk » veut dire. Ces derniers, issus de tous milieux, venant pour la musique et s’identifiant à un style vestimentaire sans en connaître véritablement le sens, contribuent à la mauvaise image du Punk véhiculée par les médias mettant en scène des Punks violents, stupides, alcoolisés ou sous l’emprise de drogues alors que les « vrais » ne consomment ni alcool ni substance illicite et mettent d’ailleurs un poing d’honneur à organiser des concerts où ces stupéfiants sont prohibés. Cependant, cette population de Punks dont parle C. O’Hara, qui est à l’origine issue des Etats-Unis, fait partie d’une minorité, présente en Grande-Bretagne et est loin de représenter la majorité des jeunes Punks qui se sont unis autour d’une passion commune, la musique.

Ces derniers sont souvent loin de partager les idées anarchistes que prônent les « anarcho-punks » et de revendiquer la lutte pour les cause citées ci-dessus.

Dans la suite de mon analyse, je tenterai donc de démontrer que malgré les divergences d’opinions des auteurs cités ci-dessus, le mouvement punk suisse et particulièrement genevois pour cette étude, peut être qualifié de mouvement contre-culturel du fait qu’à leur manière, les Punks genevois se sont impliqués dans les luttes culturelle, associatives, politiques genevoises. Malgré leur consommation excessive du quotidien, leurs propos recueillis pour cette étude démontrent une réflexion intéressante sur le rôle qu’ils ont joué dans la construction de la vie alternative genevoise mais témoignent également de réflexions sur la société dans laquelle ils ont vécu, d’une prise de position plus ou moins claire mais néanmoins critique et d’une volonté de vivre autrement, donnant donc au mouvement punk son caractère contre-culturel.

131 C. O’Hara, op.cit, p.47.

5.2 Question 2 : Quel a été le rôle du mouvement punk dans les revendications des jeunes à la fin des années 1970, début des années 1980 dans la lutte pour des centres autonomes, pour une culture alternative, non élitiste, autogérée à Genève ?

Avec l’arrivée de la musique punk en Suisse, de nombreux jeunes se sont identifiés à cette musique et ont adhéré plus ou moins fortement à ce mouvement, certains en imitant juste le style vestimentaire importé de Grande-Bretagne, d’autres en prônant l’idéologie punk et en adoptant un style de vie marginal, de consommation immédiate, d’autodestruction et de « je m’en foutisme » quant à l’avenir de la société. Du fait de leur mode de vie marginal, ces derniers ont occupé des squats, dans des lieux dits « alternatifs » voire dans quelques maisons de quartier, leur musique ne pouvant s’exprimer que dans ce genre d’endroits. D’autre part, la musique punk, largement diffusée dans les milieux alternatifs, a eu un impact très important auprès de certains jeunes qui ont trouvé dans ce style de musique un mode d’expression en lien avec leurs idées, leur manière de s’amuser. Ils ont donc eu par la suite le désir d’organiser des concerts, de monter de nombreux groupes de musique, les boîtes existant ne proposant pas ce genre de musique. Grâce à l’ampleur de ce phénomène musical, toute une scène alternative s’est mise en place autour de ce phénomène et les genres de musiques alternatives se sont mélangés autour d’une même idée, celle de trouver un centre autonome, autogéré, où chacun puisse exprimer sa culture, sa musique, sans restrictions. S’il l’on prend donc ce postulat, on peut considérer que le mouvement punk fait partie des mouvements alternatifs. Du fait qu’il s’est développé dans ce contexte, le mouvement punk a contribué à sa manière à transformer progressivement certaines mentalités en introduisant des genres de musique nouveaux et permettant une ouverture vers la culture alternative.

Selon Ladzi Galaï, qui joint un texte dans le livre de C.O’Hara132, « la musique punk est une continuité d’expressions assimilables à des musiques rebelles, même parfois inclassables car uniques en leur genre, d’où la diversité ». Les groupes Punks ne pouvant donc se produire dans les milieux classiques tels que les boîtes de nuit ou les lieux traditionnels de concerts à l’époque, se sont mis à créer des « scènes sauvages » ou d’un soir, afin de pouvoir jouer leur musique librement. Lors de ces concerts, toute une population très hétérogène s’y est mêlée tels que les gens issus de la vague new-wave, de la vague ska, du rock en général, etc. Les jeunes Punks ont créé des groupes partout à Genève (et en Suisse d’ailleurs), ont créé leur fanzine, pour certains même leur propre label, et ont voulu se produire au maximum. Grâce à ce facteur, certains Punks se sont associés à des associations telles que Etats d’Urgences ou PTR afin d’obtenir des lieux alternatifs où leur musique pouvait s’exprimer. Même si la plupart des Punks n’étaient pas ou peu politisés, leur désir de vouloir jouer leur musique les a poussés à participer à des manifestations de soutien pour la lutte pour des centres autonomes ou lors des manifestations inter-squats. Certains, pratiquant la provocation à l’extrême (insultes à la police, mépris de l’autorité de quelle que nature qu’elle soit), habitant dans des squats, ont également, malgré leur absence d’envie de s’engager dans des associations à caractère politique, soutenu celles-ci notamment en étant présents lors des manifestations, en résistant aux forces de l’ordre, en occupant des immeubles laissés à l’abandon ou en organisant des concerts sauvages dans la rue, lors des ces manifestations par exemple. Même si leur but premier n’était pas de lutter auprès des jeunes alternatifs cherchant à obtenir un centre autonome, un espace autogéré, ils ont contribué au fait que ce genre de lieux puisse exister aujourd’hui.

132 Texte de Ladzi Galaï in C. O’Hara, op.cit., p. 202.