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Les différentes associations à Genève à cette époque

7.7 La place et le rôle de la musique rock et punk à Genève dans les années 80

7.7.2 Les différentes associations à Genève à cette époque

L’Association pour la Musique de Recherche improvisée, l’AMR

En 1973, l’Association pour la Musique de Recherche se constitue autour de musiciens qui s’opposent au bénévolat, ils exigent la reconnaissance d’une culture qui n’a pas encore sa place et qu’ils désirent promouvoir. Ces musiciens veulent la reconnaissance de l’apport culturel et du travail effectué dans ce domaine musical. La musique improvisée comprend la musique afro-américaine (jazz, blues, soul, etc.) ainsi que l’ethno-musicologie (musiques traditionnelles improvisées).

Progressivement, l’AMR tend vers le professionnalisme. Cette tendance se manifeste par un souci de qualité et par conséquence d’une sélection en faveur des artistes de notoriété, reconnus. « Au début des années 1970, la musique improvisée, principalement le free jazz, est considéré comme l’une des formes d’expression de la révolte contre-culturelle. Comme pour le théâtre expérimental, son audience minoritaire paraît résulter pour ses adeptes d’une « clandestinité » imposée par la culture dominante »201. Tout comme les autres associations citées ultérieurement, l’AMR s’est mobilisée pour une autre forme de culture, d’art, d’expression, pour une alternative à la culture de prestige et du show-business. En 1982, l’AMR organise donc le premier festival des Cropettes en coproduction avec le COF, manifestation en plein air et gratuite avec un grand nombre d’artistes locaux. La même année, le festival du Bois de la Bâtie est déplacé dans des salles. Au fil des années, plusieurs associations participent au festival des Cropettes. Etats d’Urgences y collabore en 1984 et 1985. En 1987, c’est l’Ilôt 13 (Maison de quartier « alternative » à Montbrillant) qui intervient. A plusieurs reprises, l’AMR offre la possibilité à une culture marginale de s’exprimer et témoigne sa solidarité vis-à-vis d’associations culturelles.

198 Liste selon W. Hagen, A true little story of German Rock, cité dans D. Gros, op.cit., p.32.

199 A. WILLENER, cité dans Bonnet N., Buchs V., Lagier D., op.cit, p.35.

200 Association Lôzane bouge, tract cité dans Bonnet N., Buchs V., Lagier D., op.cit., p.37.

201 D. Gros, op.cit., 1987, p.120.

Cependant, l’AMR est limitée dans sa collaboration avec les autres associations culturelles puisqu’elle désire maintenir le respect de la légalité qui lui garantit la continuation des bonnes relations qu’elle a réussi à instaurer avec les autorités.

L’association « Etats d’Urgences »

L’association « Etats d’Urgence » naît lors de la fête de la fermeture de l’Ecole du Grütli aux activités culturelles en février 1985. Il est prévu de rénover cette structure au profit d’une maison des arts et de la culture « off » gérée par la Ville. Cette nouvelle association entend protester contre la disparition systématique des lieux de rassemblement culturel pour jeunes. « Encore un week-end de foutu », « Deux heures du mat, je m’ennuie » et « Pour la décalvanisation de la République », sont les slogans qui vont accompagner durant l’année 1985, l’association « Etats d’Urgences » afin d’obtenir un lieu permanent autogéré.

Le 27 mars 1985, l’association « Etats d’Urgence » se présente officiellement à la presse devant le Grütli. Une pétition circule et réclame immédiatement un lieu pluriculturel permanent.

L’association se lance dans une série d’actions spectaculaires qui se suivent à un rythme soutenu.

Surprenantes d’originalité et de diversité, elles rassemblent bientôt quelques centaines de personnes convaincues qu’il est grand temps de « décalvaniser la République ». L’usine à grain, par exemple, se transforme en une immense galerie sauvage. Parmi les nombreux groupes de travail qui constituent l’association, le groupe « prospection » se charge de trouver un bâtiment désaffecté, une usine fermée qui pourrait correspondre aux besoins exprimés par l’association. Selon V. Buchs, N. Bonnet et D.

Lagier202, l’association a le sentiment que les autorités cherchent à tester le mouvement et décide en assemblée générale de ne pas occuper, d’une part pour ne pas compromettre le début des négociations, et d’autre part, parce que les gens se sentent épuisés par les nombreuses actions menées. Durant l’été, l’association s’essouffle et la fatigue se généralise mais à l’automne le dialogue avec les autorités recommence et « Etats d’Urgence » se dote formellement de statuts et d’un comité malgré ses réticences. L’association va donc devoir se doter d’une personnalité juridique pour que les négociations soient possibles. Ainsi le « Magistrat » n’a plus affaire à un mouvement, un groupe informel de personnes, mais à une association poursuivable par la loi en cas de litiges. Président, secrétaire et trésorier vont devoir être nommés. Dès lors, les moyens d’actions ne sont plus envisageables de la même manière.

Fin novembre 1985, la ville de Genève dont le conseiller administratif chargé des finances est Claude Haegi, met à disposition une villa, rue Léonard-Beaulacre, à titre de prêt et usage pendant un an. Mais cette maison ne correspond pas entièrement aux besoins de l’association qui souhaite une usine désaffectée avec plus de locaux. Cette dernière accepte cependant et le lieu est nommé

« FIASKO ». Mais « FIASKO » ne connaîtra que six mois de manifestations publiques suites à de nombreuses plaintes de voisins, de pétitions, d’opposition du Département des Travaux publics qui considère que le bâtiment n’est pas aux normes de sécurité. Afin de maintenir la pression pour obtenir un lieu rapidement, l’association décide de redescendre dans la rue. Pour ce faire, elle prévoit pour le 4 octobre 1986, une manifestation en ville et une occupation symbolique d’un lieu désaffecté durant quarante-huit heures, pendant lesquelles aura lieu un vaste programme de manifestations culturelles.

Cependant, le 17 septembre 1986, Monsieur. Haegi, en accord avec le Conseil administratif annonce sa décision d’attribuer l’ancienne Usine Genevoise de Dégrossissage d’Or (UGDO) à « Etats d’Urgences », à « Post Tenebras Rock » et au groupe de Liaison des Associations de Jeunesse (GLAJ), pour un minimum de cinq ans. La manifestation et l’occupation sont alors abandonnées car elles constitueraient une provocation inutile. Après deux ans et demi d’actions spectaculaires et de démarches obstinées pour obtenir un lieu adéquat à l’ouverture d’un centre pluriculturel autogéré,

« Etats d’Urgences » commence à entrevoir de réelles possibilités d’accomplir ce qu’elle souhaite.

202Bonnet N., Buchs V., Lagier D, op.cit, p.91.

Selon V. Buchs, N.Bonnet et D. Lagier203, « La naissance de l’association n’arrive pas au hasard, elle s’inscrit naturellement dans le triste paysage culturel genevois des années quatre-vingt. Ainsi, la force

« d’Etats d’Urgences » provient du fait que les revendications qu’elle exprime répondent à un besoin réel d’une partie de la jeunesse, qui va au-delà du simple désir de divertissement et d’un lieu culturel.

C’est une remise en cause plus profonde de la société, d’un style de vie qui se manifeste par ce biais : il s’agit d’une contre-culture. Ce mode de vie différent, refusant l’individualisme à tous crins, l’atomisation et le morcellement des individus, qu’un noyau de personnes au sein « d’Etats d’Urgences » tente de mettre concrètement en pratique impulse lui aussi un souffle nouveau dans le mouvement. C’est un désir de changer les valeurs traditionnelles pour mener les différents aspects de la vie en harmonie (travail, divertissement, amitié, création, logement, etc.) et collectivement, dissipant ainsi la solitude et l’ennui. C’est une réappropriation de ses besoins, c’est tendre à une meilleure qualité de la vie. »

En créant de nouveaux espaces de rencontre, « Etats d’Urgences » met en communication un certain nombre de personnes sensibles aux mêmes thèmes. L’association met sur pied ou contribue à l’établissement d’un réseau autour d’un certain nombre d’intérêts culturels.

Selon l’ouvrage Culture en Urgence204, « A Genève, les autorités ont joué la carte de l’intégration, du dialogue paternaliste et l’institutionnalisation. Elles ont choisi la répression douce, contournant ainsi les réels besoins et laissant bon nombre d’insatisfaits à leur solitude et à leur désarroi, d’autres se conformant dans l’individualisme et la consommation forcenée, éternellement inassouvie.

Malgré un large écho dans la jeunesse, ces revendications pour un lieu socio-culturel permanent et autonome n’ont jamais pu être menées à bien. En 1987, cette frange de la jeunesse n’a toujours aucun acquis dans ce domaine ».

L’association « Post Tenebras Rock »

Le 6 mars 1983, l’association « Post Tenebras Rock (PTR) » est créée pour encourager la musique rock dans la région genevoise ainsi que toute forme culturelle et sociale s’y rapportant. Leur objectif est de trouver avant tout une salle de concert permanente. Itinérante à ses débuts, elle voyage entre le Bouffon au Bouchet et le New-Morning ou la maison de quartier de Carouge et finit par s’installer en 1989 au bord du Rhône dans l’actuel lieu de fêtes et de concerts, l’Usine, ancienne usine de dégrossissage d’or. L’association PTR décide d’avoir les mêmes revendications qu’« Etats d’Urgences » depuis la fermeture du Bouffon. Cette dernière adresse donc une demande à Claude Haegi, conseiller administratif chargé des finances à la Ville de Genève, afin d’obtenir en prêt un lieu de la Ville. Pour ce faire, elle publie dans son journal intitulé « Un vrai massacre », une liste de tous les lieux vides susceptibles de répondre à ses besoins. C. Haegi obtient donc le prêt de deux bâtiments pour une durée d’un an environ. Cependant, face aux coûts énormes que la rénovation impose, ce deuxième projet n’aboutira pas.205

L’idée initiale d’un lieu pour le rock part de trois travailleurs sociaux (J.-M. Haas, L. Meynet, C.

Wicht)206 confrontés, dans leur milieu professionnel, à des demandes venant des jeunes avec lesquels ils travaillent. Ils veulent offrir une possibilité d’expression, voire de production à tout jeune qui désire

« faire du rock ». On compte également dans ses fondateurs, Alain Jeanmarait de chez Sounds207, premier programmateur, André Waldis, longtemps directeur de la Bâtie et l’actuel chef de la culture, Patrice Mugny.

203 Ibid., p.137.

204 Ibid., pp.65-66.

205 P. Mugny, Jeunes libéraux et jeunes rockers. Plus égaux que les autres ! Article Le Courrier, 20 mai 1987.

206 Gottraux F., Le temple genevois du Rock fête un quart de siècle. Article de la Tribune de Genève, 17-18 mai 2008

207 Magasin de disques à l’avenue du Mail à Genève, déjà présent dans les années 80.

L’Usine devient alors la plus grande structure consacrée au rock et aux musiques actuelles208. La salle du PTR compte parmi les plus vieilles de Suisse, avec le Frisson de Fribourg et la Rote Fabrik de Zürich. PTR fait donc suite à des années de revendications et de concerts sauvages et si à la fin des années 80 on peut compter dans les 100 squats à Genève avec des centaines d’activités underground différentes, il n’y pas de lieu permanent et tous les squats sont menacés de disparition de manière imminente, ce qui rend la programmation de grandes têtes d’affiches impossible telles que Nirvana ou REM qui se sont produits à l’Usine209.

PTR devient l’intermédiaire par lequel il faut passer pour organiser un concert, obtenir des subventions, un local pour répéter, etc., et le Département des Beaux-Arts et de la Culture renvoie dorénavant toute demande à cette association. Elle devient principalement une association organisatrice de concerts rock. Cependant PTR ne peut représenter l’ensemble des courants musicaux et certaines associations acceptent mal le fait de dépendre de celle-ci.

L’Usine, UGDO (Usine Genevoise de Dégrossissage d’Or)

La fin des années 80 est marquée par l’ouverture de l’« UGDO » (l’Usine), vaste espace destiné à diverses associations culturelles. L’Usine est l’héritière directe de la culture alternative des années 70 et des multiples occupations, manifestations, dénonciations connues dans les années 70-80. Elle perdure encore aujourd’hui avec une forte intensité et reste le seul symbole de la vie alternative genevoise en 2009. Cœur du mouvement alternatif genevois, elle est située au centre-ville, près des Bâtiments des Forces Motrices (BFM) où se déroulent de nos jours des opéras, spectacles de danses, bals, etc. Dans cette ancienne usine, bâtiment cédé par la ville de Genève, on trouve deux salles de concerts, le Kab et le PTR (Post Tenebras Rock) cité plus haut, ayant tous les deux, deux comités d’organisation distincts. On trouve également un café-restaurant, le Moloko, une salle de cinéma appelée le Spoutnik, un magasin de disques, Urgences Disk, un studio d’enregistrement, une salle de théâtre, une maison de production, des salles mises à la disposition de groupes de musiques qui répètent et les bureaux des comités d’organisations cités plus haut. L’Usine fonctionne sur le modèle d’une fédération d’associations.

L’année 1985 est marquée par les fermetures de lieux fréquentés essentiellement par des jeunes. Les caves transformées en salles de concerts des squats de la rue Argand et du 18 rue du Conseil-Général, la discothèque « le Cab » aux Avanchets, le bistrot « Le Pavillon Noir » aux Grottes, le théâtre « La Cour des Miracles » à Chêne-Bourgeries, l’ancienne école du Grütli transformée en ateliers et salles de spectacles où travaillaient et se produisaient quelques 200 artistes et symbole de la culture alternative genevoise, seront destinés à être fermés par les autorités. Suite à ces événements, la jeunesse genevoise est exclue par des décisions officielles auxquelles elle n’a pas pu prendre part. A l’occasion des manifestations de clôture du Grütli en mars, marquées par trois jours de spectacles et de performances artistiques, l’association « Etat d’Urgences » fête sa création. Sans restrictions, la musique, le cinéma, le théâtre, la peinture, la danse, la photo, la vidéo intéresse « Etat d’Urgences ».

Ce qui importe d’abord c’est de disposer d’un lieu permanent où de telles activités puissent être pratiquées et représentées.

Dix ans plus tard, ces associations « institutionnalisées » ont acquis une certaine position, une légitimité, un nom. Les membres de ces institutions deviennent des personnes avec qui les autorités peuvent dialoguer, quelques-unes devenant ainsi des professionnels de l’animation socio-culturelle.

208 Gottraux F., op.cit.

209 Ibid.