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Spécificités des modèles auriculaires

Les tissus auriculaires sont hétérogènes, tant sur le plan anatomique que fonctionnel. La modélisation de ces deux types d’hétérogénéités est donc un enjeu important pour la validité des modèles. Plusieurs approches de modélisation peuvent être identifiées [111]. On peut identifier des caractéristiques générales, correspondant par exemple à un groupe ou à une pathologie, et les incorporer dans le modèle : on a alors un modèle groupe-dépendant. On peut aussi affiner la personnalisation et tenter d’adapter les paramètres du modèle aux données électrophysiologiques ou anatomiques d’un patient particulier. Nous tenterons d’illustrer les deux approches par des exemples.

4.2.1 Orientation des fibres

Les tissus auriculaires sont des milieux fortement anisotropes. Toutefois, des modèles iso-tropes peuvent être trouvés. Ce choix de modélisation peut être effectué pour tester l’impact de l’introduction de l’anisotropie sur la propagation : un modèle anisotrope introduit par les auteurs est comparé à une version isotrope du même modèle [20, 141, 142]. D’autres auteurs considèrent que l’anisotropie est surtout prépondérante dans des structures en forme de bande. Il suffit alors selon eux [143] de s’intéresser aux vitesses longitudinales dans ces structures : plus qu’à une propagation anisotrope, ils s’intéressent à des hétérogénéités de vitesse de propagation.

Cependant, la plupart des modèles incluent la direction des fibres. Comme cette information n’est pas accessible par l’imagerie in vivo, des modèles a priori peuvent être définis. Ainsi, une méthode de construction semi-automatique des fibres basée sur des règles de construction est pro-posée par Krueger et al. [144]. Des repères sont apposés manuellement sur des IRM d’oreillettes, puis les directions d’anisotropie sont reconstituées à partir de ces repères. La robustesse de la méthode a été testée sur 22 patients, et sur des organisations différentes de veines pulmonaires. Une autre méthode semi-automatique a été développée dans le cadre de cette thèse — cf. chapitre 7.1. Ces méthodes semi-automatique représentent un pas vers la personnalisation des modèles.

L’orientation des fibres peut être également définie à partir de cœurs explantés, principale-ment animaux. L’équipe d’Auckland est très active dans la production de ce type de modèle. Zhao et al. [141] ont extrait la direction des fibres à partir de l’analyse des structures visibles à l’imagerie : ils ont défini les fibres comme étant parallèles à l’axe des muscles pectinés et de la crista terminalis. Dans une autre étude [20], un modèle biauriculaire de mouton est construit, incluant l’architecture fibreuse reproduite à partir de photographies haute résolution de fines sec-tions de myocarde et de techniques d’analyse tensorielle permettant d’identifier l’orientation des fibres. Enfin, Aslanidi et al. [21] ont implémenté un modèle d’oreillette gauche à partir d’images provenant de micro-CT. La très haute résolution des images — échelle cellulaire — permet de reconstituer l’anisotropie des tissus de manière fidèle. Cependant, si ces techniques permettent de créer des modèles tissu-spécifiques, elles ne sont pas applicables dans un cadre clinique.

4.2.2 Conductivité

Des études expérimentales et cliniques ont montré des hétérogénéités de vitesses de conduc-tion dans les oreillettes [15]. La plupart des modèles segmentent des zones spécifiques des tis-sus auriculaires — principalement le faisceau de Bachmann, la crista terminalis ou les muscles

pectinés— pour adapter les paramètres du modèle aux données électrophysiologiques [145, 146]. Peuvent être modifiés la valeur des coefficients de diffusion, le coefficient d’anisotropie ou le modèle ionique.

Kruegger et al. [32] proposent une méthode pour personnaliser la vitesse de conduction en ajustant la conductivité du tissu. Cette méthode repose sur l’hypothèse que le front d’onde est une onde plane. Il existe alors une relation quadratique entre la conductivité et la vitesse de propagation :

σ = aCV2+ bCV + c = P (CV )

où σ et CV représentent la conductivité et la vitesse de propagation dans une direction donnée, et P est le pôlynome P (x) = ax2+ bx + c.

En supposant que la conductivité est uniforme sur l’oreillette, et que la propagation se fait de manière plane du point de stimulation au point de dernière dépolarisation, on a aussi

σ = P ( d Ttot

)

où d représente une distance séparant les points de première et dernière activation, et Ttot repré-sente le temps d’activation total.

On suppose que l’on dispose de données physiologiques contenant notamment la géométrie et le temps d’activation total réel Ttot,r, par exemple en mesurant la longueur de l’onde P d’un ECG pour connaitre le temps d’activation total et en acquérant la géométrie du patient par imagerie. Si une simulation initiale est effectuée avec une conductivité σi définie a priori, on peut écrire, en mesurant le temps de dépolarisation total Ttot,iet en négligeant les termes d’ordre 1 de l’expression de la conductivité en fonction de la vitesse :

σi σr

' diTtot,r

drTtot,i

2

Comme on dispose par imagerie d’une bonne approximation de la géométrie, on peut identifier di et dr. On a ainsi l’approximation suivante de la conductivité qu’il faut appliquer pour avoir une bonne reproduction du temps de dépolarisation total.

σr ' σi Ttot,i

Ttot,r

2

De plus, la conduction transseptale du potentiel d’action déterminera grandement la validité d’un modèle. Une méthode de personnalisation des structures permettant d’assurer la conduction électrique de l’oreillette droite à l’oreillette gauche a été publiée par Krueger et al. [111]. Ils incluent dans le modèle un septum dont ils peuvent paramétrer la conductivité électrique. Ils choisissent la connexion transseptale qui s’adapte le mieux aux cartes d’activations endocavitaires ou à la longueur de l’onde P de l’ECG.

4.2.3 Modèles électrophysiologiques

Le nœud sinusal a des caractéristiques électrophysiologiques bien distinctes du reste du tissu auriculaire, notamment à cause de son automaticité. Cependant, des hétérogénéités de morpho-logie de potentiel d’action sont aussi identifiées dans le reste des oreillettes.

Seemann et al. [145] proposent la définition d’un modèle de nœud sinusal humain basé sur l’ajout d’un courant pacemaker dans le modèle CRN. Dans cette étude, ils proposent égale-ment d’inclure des hétérogénéités du modèle ionique, principaleégale-ment dans l’oreillette droite : les conductivités des courants IT o, ICal et IKr sont adaptées à l’électrophysiologie des appendices, de l’anneau atrio-ventriculaire, de la crista terminalis et des muscles pectinés. Ces modifications sont reproduites [141] pour la modélisation des muscles pectinés et de la crista terminalis.

Des modifications du modèle CRN permettant de modéliser le remodelage électrophysiolo-gique consécutif à des épisodes de fibrillation auriculaire sont également proposées [32] : ces modi-fications sont "groupes-dépendantes". Cependant, des personnalisations "patient-dépendantes" du modèle CRN sont également introduites, notamment pour adapter les concentrations d’élec-trolites dans le milieu extracellulaire. Les concentrations en ions sodium et potassium du milieu extracellulaire sont mesurées par prélèvement sanguin et ensuite introduites dans le modèle, permettant d’étudier le caractère arythmogène de ces modifications.

4.2.4 Fibrose et cicatrices

La fibrose étant considérée comme un des facteurs principaux de l’apparition d’arythmie, sa modélisation est une problématique importante de la simulation cardiaque. Toutefois, la modéli-sation de la fibrose à une échelle microscopique et son inclusion dans un modèle macroscopique homogénéisé d’une part, et la personnalisation de la fibrose d’autre part, sont des sujets de recherches en tant que tel.

Jacquemet et al. proposent une étude de l’influence de la fibrose sur la propagation électrique au moyen d’un modèle à l’échelle cellulaire [147]. Ils modélisent de manière aléatoire la géométrie des cellules et leurs connexions électriques et décrivent de différentes manières la conduction lente : 1) en ajoutant aléatoirement de l’espace interstitiel, ce qui influe sur le couplage électrique des cellules, 2) en réduisant la densité des canaux sodiques IN a, 3) en diminuant la conductivité. Ils constatent que des potentiels fractionnés sont observés uniquement lorsque la fibrose est incluse. Certains modèles macroscopiques introduisent des hétérogénéités microscopiques, telles que des zones de fibrose [148, 149]. Afin de modéliser ces phénomènes microscopiques sur des maillages d’une échelle d’un ordre de grandeur supérieur, des points de maillage sont dédoublés et déconnectés électriquement : ces déconnexions reproduisent qualitativement les propagations lentes et les micro-blocs de conduction observés dans les tissus altérés.

L’imagerie par réhaussement tardif est utilisée pour construire des modèles patient-spécifique de la fibrose auriculaire. Cette image est projeté sur un modèle auriculaire recalé sur la géométrie du patient : la fibrose est alors modélisée par des variations du coefficient de conduction et des déconnexions aléatoires de points du maillage. Ces hétérogénéités leur permettent d’observer des potentiels fractionnés.

L’imagerie par réhaussement tardif est également utilisée pour construire des modèles per-mettant d’étudier la reconnexion électrique suite à une ablation [111]. Un laps de temps après la procédure d’ablation, une IRM avec réhaussement tardif d’un patient est obtenue. Ces don-nées sont incluses dans un modèle de type fast-marching level-set pour identifier les ablations partielles ou les reconnexions électriques. Les zones ablatées sont modélisées par une vitesse de propagation nulle.

Une méthode de recalage d’un modèle auriculaire générique sur une géométrie patient-dépendante incluant la fibrose imagée par réhaussement tardif est également présentée dans ce manuscrit — cf. 8.3.

4.2.5 Couche mince vs 3D

Deux types de modèles auriculaires peuvent être identifiés : les modèles tridimensionnels, qui permettent de prendre en compte des hétérogénéités transmurales moyennant un coût numérique important [143, 146, 145, 141], et les modèles surfaciques, qui favorisent l’efficacité numérique au détriment de la modélisation de certaines structures tri-dimensionnelles [150, 151, 152].

Chapelle et al. [152] proposent une dérivation rigoureuse du modèle surfacique. Ils utilisent des outils de géométrie différentielle et d’analyse asymptotique permettant de prendre en compte la courbure du tissu dans le calcul du tenseur de diffusion surfacique quand l’épaisseur du tissu tend vers zéro. Ils font l’hypothèse d’une variation continue de la direction des fibres dans l’épaisseur du tissu.

La prise en compte d’hétérogénéités transmurales au moyen d’un modèle surfacique, permet-tant de simuler des caractéristiques tridimensionnelles en des temps de calcul comparables au bidimensionnel, est un des principaux résultats de cette thèse. Le modèle proposé est présenté dans le chapitre 5.