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2.5 Arythmies

2.5.1 Mécanismes arythmogènes

2.5.1.1 Réentrées

Dans la section 2.2, la propagation normale du potentiel d’action a été présentée : l’onde de dépolarisation est initiée dans le nœud sinusal et se propage dans l’oreillette. La vague de dépolarisation est stoppée lorsque les oreillettes sont entièrement dépolarisées. Ces dernières doivent se repolariser pour pouvoir permettre la propagation d’une nouvelle onde qui est initiée par des cellules pouvant s’auto-stimuler, comme les cellules du nœud sinusal.

Lors d’arythmies auriculaire, ce fonctionnement normale est perturbé : l’activité électrique se perpétue sur des échelles de temps plus longue, notamment sous l’effet de boucles appelées réentrées. L’onde de dépolarisation réactive des zones précédemment activées et repolarisées. Détaillons ce phénomène (cf. figure 2.10). Une zone de tissu est initialement dépolarisée lors d’un premier passage de l’onde de dépolarisation. Celle-ci décrit un parcours de réentrée assez long pour que la zone initiale se repolarise. L’onde de dépolarisation se présente aux abords de la zone repolarisée et peut s’y propager à nouveau. Si les conditions sont réunies, le reste du parcours de réentrée est aussi repolarisé : l’onde de dépolarisation peut alors continuer son parcours à l’identique et initier une boucle stable.

Pour quantifier l’excitabilité d’un tissu, les praticiens mesurent la longueur d’onde W L d’une onde de dépolarisation. La longueur d’onde [59] est définie comme le produit de la vitesse de propagation —CV — et de la période réfractaire effective—ERP — qui est définie comme le délai le plus court entre deux stimulations successives permettant une nouvelle dépolarisation.

(a) (b) (c) (d)

Figure 2.11: Réentrée consécutives à un bloc fonctionnel lors d’un protocole S1-S2. a) La vague de dépolarisation S1 se propage entièrement. b) Le stimulus S2 est appliqué sur la frontière (ligne continue) délimitant la zone de tissu repolarisé et la zone de tissu en période réfractaire. c) L’onde S2 ne se propage que dans une direction : elle ne peut pas activer le tissu en période réfractaire. Lorsque ce dernier se repolarise, l’onde S2 se courbe pour s’y propager.d) Une réentrée est alors initiée.

W L = CV ∗ ERP

Cette longueur d’onde est aussi la plus petite longueur possible pour le circuit de réentrée. Cette longueur d’onde est associée à la fréquence de rotation de la réentrée le long de son circuit. Lors d’une dépolarisation normale, les réentrées ne sont pas possibles : en effet, le front de propagation est circulaire et se propage de manière radiale depuis le nœud sinusal. Ainsi, le front de propagation ne peut pas boucler sur lui même. Pour initier la réentrée, il est nécessaire que l’onde de dépolarisation soit stoppée dans une direction de propagation, lors d’un bloc de propagation. Deux types de bloc sont possibles : les blocs fonctionnels et les blocs anatomiques. Les premiers sont provoqués par une synchronisation pathologique de deux phénomènes pouvant être bénins par ailleurs. D’un point de vue mathématique, ce bloc provient de la condition initiale des EDP. Les seconds seront dus à une structure anatomique pathologique : le bloc de propagation provient d’une hétérogénéité du tissu, du substrat de la propagation. D’un point de vue mathématique, ce bloc provient des paramètres de l’EDP.

2.5.1.2 Bloc fonctionnel

Exemple de bloc fonctionnel. Les blocs fonctionnels proviennent de l’arrêt d’une onde de dépolarisation consécutif à la rencontre d’une zone non complètement repolarisée. Elles peuvent donc survenir dans un tissu sain. Un exemple de ce type de bloc peut être observé lors des protocoles de stimulation S1-S29.

Les stimulations S1-S2 sont utilisées en recherche fondamentale ou clinique pour déterminer les périodes réfractaires d’un tissu donné. Un premier stimulus, le stimulus S1, est appliqué, ce qui provoque une première vague de dépolarisation. Un second stimulus, le S2, est ensuite appliqué. On observe si le stimulus S2 provoque une nouvelle vague de dépolarisation. Si l’onde S2 se propage normalement, le tissu était entièrement repolarisé. Inversement, si le tissu est encore en période réfractaire, l’onde S2 se propage de manière anormale : elle se propage anormalement lentement, ou bien dans une seule direction, ou encore pas du tout.

Ce type de protocole peut aussi provoquer des réentrées. Le processus est alors le suivant (cf. figure 2.11). La vague de dépolarisation S1 se propage entièrement. Si le stimulus S2 est appliqué au niveau de la zone frontière entre le tissu repolarisé et le tissu en période réfractaire, la vague S2 peut se propager vers la zone de tissu repolarisé, mais pas vers la zone de tissu réfractaire.

9. Un protocole de stimulation S1 − S2 consiste à stimuler le tissu une première fois —stimulation S1— et à pratiquer une seconde stimulation —S2— après un délais donné. Ce délais séparant les deux stimulations permet de mesurer l’ERP ou de provoquer des réentrées.

L’onde S2 ne se propage donc pas de manière radiale. Le front de dépolarisation va se courber pour envahir petit à petit la zone de tissu réfractaire qui se repolarise et peut initier une réentrée. Courbes de restitution La morphologie du potentiel d’action dépend de la dynamique propre des différentes structures impliquées dans les échanges ioniques au niveau de la membrane : il faut donc que ces différentes structures soient toutes revenues à leur état de repos pour qu’une nouvelle stimulation engendre un potentiel d’action identique. Cependant, il est possible d’engendrer un nouveau potentiel d’action même si certaines micro-structures n’ont pas atteint leur état de repos. Le potentiel d’action a alors une morphologie différente : son potentiel plateau est moins élevé, sa durée est plus courte. La courbe de restitution étudie le lien entre l’intervalle diastolique et la durée du potentiel d’action suivant.

En notant BCL l’intervalle de temps entre deux stimulations, supposé constant, DI l’inter-valle diastolique et AP D la durée du potentiel d’action, nous avons :

DI = BCL − AP D

La courbe de restitution est une fonction f : R+ −→ R+ qui permet de définir une suite de durée de potentiel d’action définie par la relation de récurrence



x0= AP D0

xi+1= f (BCL − xi)

Si f a une pente strictement supérieure à 1, alors la suite précédemment définie n’a pas de point fixe : il y a une alternance entre des potentiels d’actions courts et longs, augmentant ainsi les probabilités d’occurrence de blocs fonctionnels. La pente de la courbe de restitution est un marqueur biologique utilisé pour caractériser les tissus susceptibles de connaître un bloc fonctionnel [60].

2.5.1.3 Bloc anatomique

Un bloc anatomique est un bloc induit par une hétérogénéité physique présente dans le tissu [22]. Dans la littérature médicale, on parle de substrat arythmogène. Ce type de bloc peut être provoqué, par exemple, par des tissus fibrosés, des cicatrices d’infarctus ou des hétérogénéités de direction de fibres [10]. Pour illustrer ce mécanisme, nous présentons ici un scénario précédemment proposé [22] (cf. figure 2.12).10

Un tissu est composé de trois zones : une première zone caractérisée par un faible coefficient de diffusion du potentiel électrique, une deuxième zone contiguë caractérisée par un fort coefficient de diffusion, et une zone tampon, pour laquelle le coefficient de diffusion est progressif, qui va permettre une transition progressive entre les zones de faible et forte diffusion. Une stimulation électrique est appliquée dans la zone de faible conduction. L’onde de dépolarisation se propage, jusqu’à atteindre la frontière séparant les zones de faible et forte diffusion. Par diffusion, le potentiel va se propager fortement dans la zone de forte diffusion et ne va pas atteindre le seuil de dépolarisation : l’onde ne va pas se propager dans la zone de forte diffusion. En revanche, elle va continuer à se propager dans la zone de faible diffusion, et va gagner la zone de forte diffusion par la zone tampon. Lorsque la zone de faible diffusion est repolarisée, l’onde peut se propager de la zone de forte diffusion à la zone de faible diffusion et initier une réentrée. On parle alors de bloc anatomique unidirectionnel : l’onde de dépolarisation peut se propager dans une direction, mais pas dans la direction opposée.

2.5.1.4 Rupture d’ondes : ondelettes

Un troisième mécanisme peut complexifier les propagations pathologiques : la rupture d’un front d’onde en ondelettes. Lorsqu’un front de dépolarisation entre en collision avec un front de

10. Nous présenterons dans le chapitre 3 une formalisation mathématique de ce type de bloc que l’on peut trouver dans [25].

(a)

(b) (c) (d) (e)

Figure 2.12: Réentrée consécutive à un bloc anatomique provoqué par une hétérogénéité de coefficient de diffusion. (a) Substrat. Vert : zone de faible conduction. Rose : zone de forte conduction. Dégradé : zone tampon de transition. (b) L’onde de dépolarisation se propage dans la zone de faible diffusion, mais est stoppée à la frontière entre les zones de faible et forte diffusion. En raison du fort gradient de diffusion, le potentiel électrique va fortement diffuser dans la zone de forte diffusion et ne va pas atteindre le seuil de dépolarisation. (c) La vague peut en revanche gagner la zone de forte diffusion par la zone tampon. (d) Comme le mécanisme de bloc est unidirectionnel et que la zone de faible diffusion s’est repolarisée, l’onde peut s’y propager. (e) Une réentrée est initiée.

(a) (b) (c)

Figure 2.13: Rupture d’onde en ondelettes. (a) Une onde de dépolarisation (front orange) s’enroule sur elle-même et rencontre un front de repolarisation (pointillé). Le front de repolarisation étant réfrac-taire, la partie du front de dépolarisation entrant en collision est stoppée. (b) et (c) L’onde se sépare alors en deux fronts plus petits qui se propagent de manière autonome.

repolarisation, sa propagation est stoppée, puisque le tissu qui se repolarise est encore en période réfractaire. Si les courbures respectives des deux fronts le permettent, le front de dépolarisation se sépare en deux fronts distincts qui vont poursuivre leur course de manière indépendante et interagir pour se bloquer ou se fractionner à nouveau. La propagation est ainsi encore désorga-nisée.

2.5.1.5 Autres effets arythmogènes

D’autres effets sont identifiés par la communauté médicale comme processus arythmogènes [5] : nous pouvons citer les effets électrotoniques et certains processus intra-cellulaires.

Dans la littérature médicale ou de bio-ingénierie, le terme "effet électrotonique" est souvent utilisé pour expliquer différentes situations, comme le raccourcissement de la durée du potentiel d’action, l’excitation d’une zone, ou le bloc d’une onde. Il correspond aux courants diffusifs qui se créent entre deux zones de potentiels différents, par exemple lorsque deux zones de tissu conti-guës n’ont pas la même durée de repolarisation : une zone est toujours à la phase plateau alors que l’autre zone est déjà repolarisée. Un courant va se créer entre ces deux zones, qui va abaisser le potentiel de la zone à repolarisation lente, et donc raccourcir son potentiel d’action, et peut réactiver la zone à repolarisation rapide, ce qui peut créer un nouveau front de dépolarisation pathologique. Cette situation a lieu par exemple suite à un infarctus : un changement des pro-priétés électrophysiologiques de la zone infarctée va intervenir, caractérisé notamment par une diminution de l’activité ionique du tissu. Les effets électrotoniques décrits plus haut vont alors se produire entre la zone infarctée et la zone de tissu sain.

Dans la littérature médicale ou de bio-ingénierie, le terme sink-source est utilisé pour désigner les effets électrotoniques amenant à abaisser le potentiel transmembranaire d’une zone de tissu : de manière imagée, en reprenant l’exemple précédent, la zone à repolarisation rapide va devenir un "puit" de potentiel qui va drainer du courant des zones alentours et abaisser par diffusion leur potentiel transmembranaire.

Des processus intra-cellulaire, notamment associés aux échanges d’ion calcium, peuvent abou-tir à une nouvelle excitation de la cellule [5]. Cette nouvelle dépolarisation peut avoir lieu après la repolarisation de la cellule — on parle alors de delayed afterdepolarisation, souvent remplacé par l’acronyme DAD — [61], ou pendant la phase plateau — on parle alors de early afterdepola-risation, ou EAD.