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Spécifications et résultats générau

Notre objectif dans cette partie est de voir dans quelle mesure l’intensité potentielle (et non pas réelle) des liens familiaux et de paren- té a des effets d’incitation négatifs. Nous nous concentrons sur trois facteurs de production intervenant dans la production de biens et services par les ménages : le capital physique,

K, le nombre total d’heures de travail salariées

(y compris celles effectuées par le propriétaire),

LT

I, et les heures de travail effectuées par le

propriétaire seul, LO

I. Au préalable, nous nous

sommes assuré que ces trois facteurs de pro- duction contribuaient bien à accroître la va- leur ajoutée et qu'ils constituaient ainsi des variables pertinentes pour notre analyse (voir Grimm et al.,2011). Afin de tester l’existence d'effets d'incitation négatifs, nous estimons les trois régressions suivantes :

(1 )

(2) (3)

Piest le vecteur des variables mesurant l’intensité potentielle des liens familiaux et de parenté du ménage i. Xji est le vecteur des

caractéristiques spécifiques à l’entrepreneur j au sein du ménage i, telles que son âge, son sexe, et son niveau d’études. Ziest un vecteur

de caractéristiques du ménage incluant l’eth- nicité et le nombre d’activités. Les vecteurs Si et Cisont des variables muettes sectorielles et de pays. Les premières sont introduites afin de tenir compte des différences de tech- nologies de production entre secteur (le petit commerce est par exemple moins intensif en capital que la plupart des services de trans- port). En outre, le choix du secteur peut éga- lement être influencé par la pression redistri- butive ressentie par l'entrepreneur. q sont les termes d’erreur respectifs.[ 53 ]

Dans ce qui suit, nous présentons les résultats de chaque régression, en commençant par celle portant sur le stock total de capital phy- sique utilisé. Dans la mesure où les entrepre- neurs peuvent accumuler du capital physique notamment lors du démarrage de leur activité, nous estimons le modèle sur le sous-échantil- lon des migrants présents dans la capitale économique depuis moins de 5 ans (col. (1) et (2)) et sur celui des migrants présents depuis moins de 15 ans (col. (3) et (4)). Cette procé- dure devrait réduire le problème d'erreur de mesure et accroître l'homogénéité de l'échan- tillon de migrants. Les résultats sont présentés dans le tableau H3 (en annexe). La première spécification utilise un modèle de régression linéaire simple (col. (1) et (3)). La deuxième spécification emploie un modèle Tobit (col. (2) et (4)) permettant de prendre en compte

le fait que 13,6 % des entrepreneurs n'utili- sent aucun capital physique.

Les résultats montrent que le stock de capital total est plus important dans les entreprises dirigées par des hommes, et qu’il augmente avec l’âge de l'entrepreneur. Dans la plupart des cas, le niveau d’études de l'entrepreneur n’est pas significatif et le fait qu'il ait des com- pétences en français ne joue un rôle que sur le plus grand échantillon. L'existence d'autres sources de revenu au sein du ménage, notam- ment ceux issus d'un travail salarié dans les secteurs public ou privé formel, est également sans effet sur le stock de capital. Elément peut- être surprenant, dans ces ménages, l'entreprise informelle ne représente très souvent qu’une activité secondaire et est gérée par l’épouse du chef de famille ou par l’un de ses enfants. Il est probable que, dans ces cas-là, le stock de capital soit maintenu à un niveau relativement faible. Les variables sectorielles sont très signi- ficatives, le secteur des transports apparais- sant très intensif en capital à l'inverse du petit commerce (les coefficients ne sont pas reportés dans le tableau H3). Les effets des pays sont également inclus mais ne sont pas reportés. Globalement, les régressions en MCO expliquent environ 20 % de la variance totale des stocks de capitaux observés. Le faible R2 montre qu'expliquer les investisse- ments et les stocks de capitaux pour les petites et micro entreprises n'est pas chose facile, en raison du rôle joué par les variables non observables, les erreurs de mesure et l'irrégularité de ces investissements.

[ 53 ] Pour réduire les biais dus aux erreurs de mesure sur les variables, nous éliminons les données aberrantes de l'échantillon que nous identifions par la statistique DFITS (voir Belsley et al., 1980). Selon les estimations, cette procédure exclut 25 à 100 observations de notre échantillon.

Les variables utilisées pour mesurer les liens familiaux et de parenté – celles qui nous inté- ressent le plus – sont significatives unique- ment sur le plus petit échantillon, c'est-à-dire sur l’échantillon n'incluant que les migrants récents. Sur ce sous-échantillon, seuls les ef- fets associés à la distance (col. (1) et (2)) sont significatifs. Le coefficient positif de cette variable confirme l’idée selon laquelle la pres- sion redistributive et ses effets d’incitation négatifs diminuent avec la distance. Plus l’en- trepreneur est loin de sa famille, moins la pression est forte et plus il investit dans son activité. Les estimations des colonnes (1) et (2) montrent que lorsque la distance passe de 100 à 200 km, le stock de capital utilisé aug- mente d’environ 30 %, ce qui est loin d'être négligeable. Les colonnes (3) et (4) qui présen- tent les résultats des régressions sur l'échantil- lon le plus large montrent un effet positif du temps passé en migration sur le stock de capi- tal. Ce résultat est cohérent avec l'hypothèse d'une distension des liens familiaux avec le temps et l'éloignement, et d'une augmenta- tion concomitante du niveau d’effort. Ces résultats confirment ceux de Beegle et al., (2008). À partir de données sur la Tanzanie, ces auteurs trouvent en effet un impact positif de la distance sur la croissance de la consom- mation individuelle : plus les migrants vivent loin de leur village d’origine, plus la croissance de leur consommation à long terme est élevée, en comparaison de celle enregistrée par les individus qui restent près de leur lieu de naissance. Les auteurs interprètent cet effet comme étant le résultat d’une corrélation positive entre le nombre d'opportunités de commerce et de travail qui se présentent aux migrants et la distance : en d'autres termes, plus la migration est lointaine, plus les rende- ments potentiels de la migration sont impor-

tants. En contrôlant l'hétérogénéité inobser- vable par des effets fixes ménage, ils montrent également que les migrants se plient moins aux normes redistributives que leurs homo- logues non-migrants en réalisant moins de transferts qu'eux. Ces résultats sont compati- bles avec l'idée selon laquelle la pression redis- tributive s’amoindrit avec la distance. Celle-ci permet d'épargner une partie des gains issus de la migration en vue d’investir. Dans notre cas, seuls les individus ayant migré dans la capi- tale économique sont pris en compte, si bien que tous font face aux mêmes opportunités. Seule la distance les séparant de leur région d'origine varie entre eux. Nos résultats pour- raient néanmoins être tirés par l'existence d'une corrélation entre la distance et les carac- téristiques inobservables des entrepreneurs. Il est par exemple possible que les entrepre- neurs les plus compétents ou les plus dyna- miques soient plus à même de migrer loin de chez eux. Si ces traits non observables sont également moteurs dans la décision d'investir en capital physique, c'est cet effet positif que pourrait alors capter la variable de distance. La distance peut également être corrélée avec la richesse du ménage, car les ménages plus riches sont sans doute plus à même de sup- porter les coûts d'une migration lointaine. Il est cependant probable que ces différences de coûts fixes de la migration soient très faibles dans l'échantillon de pays que nous étudions, notamment si on les compare aux revenus annuels des migrants. Certains tests de robus- tesse permettant d’éliminer ces biais potentiels sont toutefois présentés ci-après.

Nous passons ensuite aux régressions explo- rant les effets de la pression redistributive sur le nombre d'heures de travail dans l’entreprise (cf. tableau H4 en annexe). Nous utilisons une fois de plus deux sous-échantillons différents.

Le premier se limite aux entrepreneurs ayant passé moins de 15 ans dans la capitale (col. (1)), le second prend en compte tous les entrepre- neurs migrants (col. (2)). Puisque nous étudions désormais un flux et non plus une mesure de stock, le biais de mémoire (susceptible d'être présent au moment de l’évaluation par l'en- quêté de la valeur de remplacement d'actifs achetés depuis longtemps) n’est plus un prob- lème et il n’est donc pas nécessaire de limiter l’échantillon aux migrants les plus récents. Les résultats montrent que les entreprises dirigées par des hommes emploient plus de main- d’œuvre. Par ailleurs, l’emploi de main-d’œuvre augmente avec la taille du stock de capital. L’âge, les compétences en français, l’éducation et le portefeuille d’activités du ménage ne sont pas significatifs. Néanmoins, on observe une fois de plus des effets intéressants associés aux quatre mesures de l'intensité potentielle des liens familiaux et de parenté. La propor- tion de voisins appartenant au même groupe ethnique que l’entrepreneur a un effet positif, tout comme la proportion d'entre eux ayant grandi dans la même région d'origine. Cepen- dant, la proximité à la zone d'origine a un effet négatif significatif : le coefficient associé à la distance est une fois de plus positif. Pour finir, le nombre d’années passées en migra- tion est positivement corrélé avec le nombre total d'heures travaillées. Les effets ne diffè- rent pas beaucoup entre les deux échantillons. Une augmentation de 10 points de pourcen- tage de la proportion de voisins appartenant au même groupe ethnique fait croître le nombre total d’heures travaillées de 2,8 %. Lorsque l'on fixe toutes les autres variables à leur valeur moyenne, ce résultat signifie une augmentation du nombre d'heures travaillées de 10,7 heures par mois. De même, si la pro- portion de voisins originaires de la même région augmente d’un point de pourcentage

(la moyenne de cette variable sur l’échantillon est d’environ 3,8 %), le nombre total d'heures travaillées augmente de 1,4 %. Enfin, lorsque la distance augmente de 100 %, le nombre total d'heures travaillées augmente d'environ 6 à 9 %. Par conséquent, selon les résultats obtenus, les liens familiaux et de parenté liés à la ville sont bien associés à des effets positifs, alors que les liens familiaux et de parenté liés au village sont associés à des quantités de fac- teurs plus faibles. Il faudrait bien sûr étudier plus avant les canaux exacts de ces effets posi- tifs, mais ces derniers pourraient être liés aux imperfections du marché.

Pour finir, nous étudions les effets des liens familiaux et de parenté sur les heures de travail fournies par le propriétaire seul (col. (3) et (4)). Nous observons une fois de plus que les ré- seaux sociaux en ville présentent une corré- lation positive avec les heures de travail. Par exemple, une augmentation de 10 points de pourcentage de la proportion de voisins appar- tenant au même groupe ethnique fait aug- menter de 1 à 2 % les heures de travail du pro- priétaire, ce qui correspond, pour la moyenne de l'échantillon, à 3 à 5,5 heures par mois. De même, si la part de la population du quartier provenant de la même zone d’origine aug- mente d’un point de pourcentage, les heures de travail augmentent d’environ 0,7 %, ou d’environ 2 heures, pour la moyenne de l’échantillon. Nous trouvons également un effet positif pour la variable de distance à la zone d’origine, mais celui-ci ne se fait ressentir que plusieurs années après la migration. Plus le propriétaire vit loin de sa zone d'origine, plus il passe de temps à son activité produc- tive. Ce résultat confirme une fois de plus l’idée émise selon laquelle la pression redis- tributive provenant de la famille fait décroître les incitations. Par exemple, une diminution

de la distance de 100 % fait chuter les heures de travail fournies par le propriétaire d’envi- ron 4 %, soit 11,5 heures pour la moyenne de l’échantillon. La comparaison des résultats obtenus à l’aide du travail total, d’une part, et du travail total fourni par le propriétaire, d’autre part, montre que les coefficients estimés sont plus élevés lorsqu’on utilise le travail total. Ceci signifie que les incitations négatives affectent le travail du propriétaire et celui de ses employés.

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