• Aucun résultat trouvé

Contrôles de robustesse

Nous avons évoqué ci-avant l’une des limites potentielles de notre analyse liée à la variable de distance, laquelle peut être corrélée avec certaines caractéristiques inobservables des entrepreneurs. Afin d'écarter cette possibilité, nous ré-estimons les équations (1) à (3) sur plusieurs sous-échantillons établis en tenant compte de la distance séparant les entrepre- neurs de leur village d'origine : les régressions sont d'abord effectuées sur les seuls migrants résidant à moins de 25 km de chez eux, puis à moins de 50 km de chez eux, puis à moins de 75 km, etc. Notre idée de départ est qu’un migrant se trouvant à 5 km de chez lui pré- sente vraisemblablement des caractéristiques, observables et inobservables, très différentes de celles d’un migrant vivant à 100 ou 200 km de chez lui. Un migrant se trouvant à 100 km de chez lui ne sera en revanche pas néces- sairement très différent d’un migrant ayant parcouru 200 km.

Les résultats obtenus pour le stock de capital montrent un effet robuste de la distance : il augmente même lorsqu’on limite l’estimation aux seuls entrepreneurs se trouvant à moins de 75 km (et pour lesquels on peut penser que la variable de distance n'est pas corrélée avec des inobservables). C’est seulement en choisissant un seuil très élevé (150 km ou plus) que l’effet se réduit, voire devient non signifi- catif. Ceci est cependant principalement imputable à la plus petite taille de l’échantil- lon. Le même type de résultats est obtenu pour le nombre total d’heures travaillées et le nombre d'heures fournies par le propriétaire :

les effets estimés sont très robustes et restent positifs quel que soit l'échantillon mobilisé. Nous pouvons donc affirmer avec certitude que la distance ne capture pas uniquement une différence de caractéristiques inobser- vables entre les migrants internes restés proches de leur région d'origine et ceux ayant migré loin. Tous les résultats de ces tests de robustesse sont présentés en détail dans Grimm et al., (2011). Un autre élément allant dans le même sens mérite d'être mentionné. Nous n’étudions ici que les migrants qui ont décidé de migrer vers la capitale économique de leur pays. On peut penser qu'une telle décision est souvent prise quelle que soit la distance à la capitale. En d’autres termes, les migrants ne choisissent pas de parcourir une certaine distance, mais plutôt s'ils vont s'ins- taller dans l'une des villes secondaires du pays ou dans la capitale économique. Les pays sur lesquels porte notre étude se caractérisent tous plus ou moins par le fait qu'ils disposent d'un grand centre urbain de taille importante et d'un ensemble de petites villes secondaires, soit deux types de destinations potentielles entre lesquels les différences sont très mar- quées. Nous sommes donc tentés de penser que tous les individus ayant choisi de migrer vers la capitale économique partagent des caractéristiques similaires – jusqu’à un certain point –, et donc que le biais potentiel associé à notre variable de distance est sans doute négligeable.

Afin d'étayer nos résultats et d'étudier plus spécifiquement le rôle des « transferts forcés », nous recourons finalement à une mesure alternative de la pression redistributive à l'aide des données dont nous disposons sur les transferts effectués par les ménages. Cette mesure alternative n'est autre que les résidus d'une régression des montants de ces trans-

ferts sur le total des dépenses de consom- mation des ménages et sur un vecteur de variables de contrôle incluant l’âge, le sexe et le niveau d'éducation des chefs de famille, le portefeuille d’activités des ménages et des variables muettes pays. Un résidu estimé po- sitif (respectivement négatif) signifie qu'un ménage effectue plus (respectivement moins) de transferts que la moyenne des ménages étant donné le niveau de sa consommation, et donc qu'il subit davantage (respectivement moins) la pression redistributive.

Cette mesure alternative est ensuite utilisée comme régresseur dans nos estimations sur le stock de capital physique et le nombre d'heures travaillées. Une fois de plus, les détails de cet exercice sont présentés dans Grimm

et al., (2011) ; seul un bref aperçu des principaux résultats est fourni ici. Premièrement, nous observons que l’agrégat de consommation uti- lisé en première étape est un très bon pré- dicteur des transferts effectués. Deuxième- ment, les résidus de cette régression sont associés de manière négative et significative à la quantité de capital physique utilisée. Une augmentation de 10 % de notre mesure de « transferts forcés » réduit la quantité de capi- tal physique d’environ 0,5 %. Les effets asso- ciés au nombre d'heures travaillées sont éga- lement négatifs, mais d’une manière à peine significative. Sans oublier que les transferts réels ne sont disponibles que pour un petit sous- ensemble de ménages – quoique représen- tatif –, ce qui signifie qu'il est un peu plus difficile d’obtenir des estimations précises.

Les recherches menées jusqu’à présent ont montré que, dans de nombreux pays à reve- nus faibles ou moyens, les petits et micro entrepreneurs obtenaient un rendement du capital relativement élevé, mais avaient des taux de réinvestissement faibles. Ce constat trouve différentes explications, parmi les- quelles figure le rôle de la « solidarité forcée » qui peut empêcher les entrepreneurs d'éco- nomiser et d'investir. Celle-ci a a beaucoup été étudiée dans la littérature anthropologique et sociologique, et est souvent présentée com- me une caractéristique typique des sociétés d'Afrique subsaharienne. Il existe toutefois peu d’analyses empiriques montrant que la redis- tribution forcée est effectivement une con- trainte. Cette présente étude s'est concentrée sur les liens familiaux et de parenté, et sur la façon dont ces liens aidaient ou empêchaient les petits et micro entrepreneurs d'Afrique de l'Ouest de développer leur entreprise. À l’aide d’un échantillon de micro-entrepreneurs migrants, nous avons examiné dans quelle mesure l’intensité des liens familiaux et de parenté était corrélée avec les quantités de travail et de capital mobilisées par ces micro- entrepreneurs.

Nous trouvons que les liens familiaux et de parenté sont associés à une plus grande quan- tité de facteur travail – que celui-ci soit mesuré par le nombre total d'heures travail- lées ou par le nombre d'heures de travail four- nies par le propriétaire –, peut-être parce que les réseaux locaux aident à surmonter les imperfections du marché du travail. Les hom- mes semblent mobiliser davantage les réseaux constitués de personnes issues de la même région d’origine, alors que les femmes mobi-

lisent davantage ceux composés de person- nes du même groupe ethnique. L'effet de la distance au village d'origine sur le facteur travail est en outre plus important pour les femmes que pour les hommes. La robustesse du signe positif de cette variable nous permet de penser que plus les liens avec la région d'origine sont distendus, plus l’utilisation de capital physique et de travail est intensive. Sans pouvoir conclure définitivement sur l'existence d'un lien de cause à effet entre ces variables, ce résultat est au moins cohérent avec l'hypothèse selon laquelle la pression redistributive liée au village entraînerait des effets d’incitation négatifs diminuant avec la distance. Nous trouvons également que la durée de la migration a une corrélation po- sitive avec l’utilisation de capital et de travail, en contrôlant l’âge de l’entreprise, sans pour autant que nous puissions là encore en tirer de conclusions définitives. Notre analyse s'in- scrit dans une perspective statique et ignore la possibilité que les transferts effectués par les migrants en ville vers leurs villages d'origine puissent faire partie d’un contrat implicite de migration et servent notamment à rembour- ser les familles des coûts de la migration qu'elles auraient subis. Néanmoins, ceci n'in- valide pas nos conclusions, car un contrat de migration présentant des effets d'incitation négatif serait inefficace. Avec un contrat ef- ficace, les migrants maximiseraient les profits, c'est-à-dire qu'ils utiliseraient leurs ressources du mieux possible et redistribueraient une partie de leurs profits à leur famille.

Finalement, les résultats que nous obtenons sur les liens familiaux et de parenté en ville, lesquels sont positivement corrélés avec les

Conclusion

facteurs capital et travail, nous conduisent à penser que ces liens sont plutôt un véhicule de soutien mutuel. Il faudrait étudier plus avant la nature exacte de ces liens, à l’aide d’autres sources de données, mais il est probable qu’ils incluent des éléments que l'on associe plus généralement au capital social tels qu'un accès facilité au crédit, au travail, à l’assurance, aux clients ou encore au marché.

Il faut veiller à ne pas tirer de conclusions trop hâtives sur les implications directes de nos résultats en matière de politiques. Ceux-ci sou- lèvent la question de la compatibilité des normes traditionnelles avec le développement économique moderne, et nous renvoient à un débat qui a beaucoup marqué la théorie de la modernisation il y a cinquante ans. Des travaux récents concluent toutefois au carac- tère très largement endogène de ces normes : en effet, à mesure qu'un nombre plus élevé de personnes réalisent les avantages à s'ex- traire des réseaux de soutien traditionnels

fondés sur les liens de parentèle et que des mécanismes d'assurance formels deviennent disponibles, les effets négatifs ou désincitatifs des liens familiaux et de parenté pourraient perdre de leur importance. Les effets liés aux liens familiaux et de parenté en ville laissent penser que ces derniers ont le potentiel de permettre aux activités commerciales de se développer. Si des recherches futures appor- taient un éclairage sur les mécanismes sous- jacents, des politiques pourraient alors viser à mettre en place de tels réseaux de soutien pour tous les entrepreneurs. Une note de pru- dence s'impose avant de conclure notre étude. Bien que corroborant les prédictions de notre modèle théorique, les résultats de l'analyse empirique reposent sur des régressions esti- mées à partir de données transversales. Ces données ne permettent pas de contrôler l’hétérogénéité non observée des migrants de manière adéquate, un problème qui peut être particulièrement important dans notre contexte.

ANDERSON, S. et J.-M. BALAND(2002),“The Economics of Roscas and Intrahousehold Resource Allocation”, Quarterly Journal of Economics,117 (3): 963-95.

BALAND, J.-M., C. GUIRKINGERet C. MALI(2007), “Pretending to be Poor: Borrowing to Escape

Forced Solidarity in Cameroon”, Mimeo.

BARR, A.M. (2002), “The Functional Diversity and Spillover Effects of Social Capital”,Journal of

African Economies, 11 (1): 90-113.

BARTH, F. (1967), “On the Study of Social Change”, American Anthropologist(new series), 69 (6): 661-669.

BAUER, P.T. et B.S. YAMEY(1957),The Economics of Under-developed Countries,Cambridge

University Press, Cambridge.

BEEGLE, K., J. DEWEERDTet S. DERCON(2008), “ Migration and Economic Mobility in Tanzania:

Evidence from a Tracking Survey ”, World Bank Policy, Research Working Paper4798, , Banque mondiale, Washington D.C.

BELSLEY, D.A., E. KUHet R.E. WELSCH(1980), Regression Diagnostics: Identifying Influential Data

and Sources of Collinearity,John Wiley, New York.

BRILLEAU, A., E. OUEDRAOGO et F. ROUBAUD (2005), « L’Enquête 1-2-3 dans les principales agglomérations de l’UEMOA : la consolidation d’une méthode », Stateco, 99, 15-19.

CAMILLERI, J.-L. (1996), La petite entreprise africaine. Mort ou résurrection ?L’Harmattan, Paris.

COLEMAN, J. (1990), Foundations of Social Theory,Harvard University Press, Cambridge.

COMOLA, M. et M. FAFCHAMPS(2010),“Are Gifts and Loans between Households Voluntary?”,

CSAE Working Paper Series,#2010-20, Centre for the Study of African Economies, Oxford

University, Oxford.

DIFALCO, S. et E. BULTE(2010), “Social Capital and Weather Shocks in Ethiopia: Climate Change and Culturally-induced Poverty Traps”, Mimeo,LSE et Wageningen University.

DIFALCO, S. ET E. BULTE(2009),“The Dark Side of Social Capital: Kinship, Consumption, and Investment”, Mimeo,LSE et Wageningen University.

FAFCHAMPS, F. (2002), “Returns to Social Network Capital Among Traders”, Oxford Economic

Papers,54 (2): 173-206.

FAFCHAMPS, F. (2001), “ Networks, Communities, and Markets in Sub-Saharan Africa: Implications for Firm Growth and Investment ”, Journal of African Economies,10: 119-142.

FAFCHAMPS, F. (1996),“The Enforcement of Commercial Contracts in Ghana”, World Development,

24 (3): 427-448.

FAFCHAMPS, M., D. MCKENZIE, S. QUINNet C. WOODRUFF(2011), When is Capital Enough to Get Female Microenterprises Growing? Evidence from a Randomized Experiment in Ghana, Mimeo,

University of Oxford, Oxford.

GRANOVETTER, M. (1985),“Economic Action and Social Structure: The Problem of Embedde-

dness ”, American Journal of Sociology, 91 (3), pp. 481-510.

GRANOVETTER, M. (1983), “The Strength of Weak Ties: A Network Theory Revisited”, Sociological Theory,1, pp. 201-233.

GRANOVETTER, M. (1973), “The Strength of Weak Ties”, American Journal of Sociology,78, 1360- 1380.

GRIMM, M., F. GUBERT, O. KORIKO, J. LAY et C.J. NORDMAN(2011), Kinship-Ties and Entrepre- neurship in Western African, Mimeo,International Institute of Social Studies, Erasmus University Rotterdam.

HIRSCHMAN, A. O. (1958), The Strategy of Economic Development, Yale University Press, Londres.

HOFF, K. et A. SEN(2006), “The Kin as a Poverty Trap”, in BOWLES, S., S.N. DURLAUFet K. HOFF(Eds), Poverty Traps,Princeton University Press, New York.

KNORRINGA, P. et I. VANSTAVEREN(2006),Social Capital for Industrial Development: Operationa-

lizing the Concept,UNIDO, Vienne.

KRANTON, R.E. (1996),“Reciprocal Exchange: A Self-Sustaining System”, American Economic

Review,86 (4), pp. 830-851.

LAFERRARA, E. (2007),“Family and Kinship ties in Development: An Economist’s Perspective”,

Cinquième conférence AFD-EUDN, décembre, Paris.

http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/PORTAILS/PUBLICATIONS/EUDN/EUDN2007/laferrara.pdf

LEWIS, W. A. (1954),“Economic Development with Unlimited Supplies of Labour”, Manchester

School28(2), pp. 139-191.

MEIER, G.M. et R.E. BALDWIN(1957), Economic Development: Theory, History, Policy,John Wiley

and Sons, New York.

MINTEN, B. et F. FAFCHAMPS(1999),“Relationships and Traders in Madagascar”, Journal of Deve-

lopment Studies,35 (6), pp. 1-35.

PLATTEAU, J.-P. (2000), Institutions, Social Norms and Economic Development,Harwood Aca- demic Publishers, Amsterdam.

PORTES, A. et J. SENSENBRENNER(1993),“Embeddedness and Immigration. Notes on the Social

Determinants of Economic Action ”,The American Journal of Sociology,98(6), pp. 1320-1350.

WOOLCOCK, M. (2001),“Microenterprise and Social Capital: A Framework for Theory, Research

Depuis les années 1970, les recherches sur le secteur informel sont en plein essor. Cet intérêt vient du constat que la plupart des ménages des pays en développement, notam- ment les plus pauvres, tirent la majeure partie de leurs revenus du secteur informel. Pour- tant, malgré près de quatre décennies de re- cherches, les origines et les causes du secteur informel sont loin de faire consensus. Selon l’école « dualiste », le secteur informel trouve ses origines dans la segmentation du marché du travail et la saturation du secteur formel

(Lewis, 1954 ; Harris et Todaro, 1970 ; Pradhan, 1995). Le secteur informel constitue le segment le moins favorisé du marché du travail et participe aux déséquilibres de ce dernier. Par conséquent, y travailler est un choix fait sous contrainte. Une autre approche, plus récente, considère le secteur informel comme un sec- teur de petites entreprises efficientes, créées par des entrepreneurs dynamiques. Ceux qui y entrent le font volontairement, en espérant y obtenir un revenu supérieur à celui qu’ils re- tireraient s’ils étaient salariés ou entrepreneurs

2.5. La transmission

Documents relatifs