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CHAPITRE 1 — REVUE DE LA LITTÉRATURE

2. SOUS-PRODUITS DE CHLORATION DE L’EAU (SPCs)

2.1. Formation des SPCs dans l’eau potable

Le chlore est le désinfectant hydrique le plus utilisé au monde en raison de son faible coût et de son efficacité. Le chlore a la capacité de tuer ou d’inactiver les microorganismes communément présents dans l’eau. Toutefois, le chlore réagit avec la matière organique naturelle dissoute tels les acides humiques et fulviques ainsi que les ions bromures présents dans l’eau brute (Eish & Wells, 2006; S. W. Krasner, 2009). Les contaminants halogénés qui en résultent se nomment sous-produits de chloration (SPCs).

Les premiers SPCs mis en évidence ont été les trihalométhanes (THMs) (Bellar & Lichtenberg, 1974; Rook, 1974) suivis des acides haloacétiques (AHAs) (Krasner et al., 1989). Parmi près de 600 sous-produits de désinfection identifiés à ce jour, les THMs et AHAs sont les sous-produits dont les concentrations sont les plus élevées dans l’eau (Richardson et al. 2007; S. W. Krasner, 2009).

2.2. Classification et règlementation des SPCs : trihalométhanes (THMs) et acides haloacétiques (AHAs)

Les trihalométhanes (THMs) sont des composés dérivant du méthane (CH4). Ils sont

constitués d’un atome de carbone lié à des halogènes étant du chlore, du brome ou la combinaison des deux éléments.

Les THMs communément mesurés dans l’eau sont : • Le chloroforme (CHCl3) : CLF

• — les trihalométhanes bromés (THMBr)

o Le chlorodibromométhane (CHClBr2) : DBCM o Le bromoforme (CHBr3) : BRF

Le chloroforme est le principal THM mesuré dans l’eau potable et représente le plus souvent, près de 90 % en poids de tous les THMs. Cependant en fonction du pH de l’eau brute et de sa teneur en ions bromure, la proportion en chloroforme dans l’eau peut diminuer en favorisant la formation des THMs bromés (THMBr) (Mills et al., 1998). La teneur totale en THMs est représentée par le sigle TTHM qui indique la somme des quatre THMs.

Les acides haloacétiques (AHAs) sont des composés dérivant de l’acide acétique (CH3CO2H). Ils sont également composés des halogènes chlore et/ou brome. Les sigles

AHA5 et les AHA9 représentent les teneurs totales en acides haloacétiques. Les (AHA5) regroupent les cinq AHAs assujettis à une concentration maximale de contaminants en vertu de la Safe drinking Water Act américaine (Hrudey 2008). Ces cinq AHAs sont les suivants : • L’acide chloroacétique (ClCH2COH) : CAA

• L’acide dichloroacétique (CHCl2CO2H) : DCAA • L’acide trichloracétique (CCl3CO2H) : TCAA • L’acide bromoacétique (BrCH2CO2H) : BAA • L’acide dibromoacétique (CHBr2CO2H) : DBAA

Quatre AHAs combinent les halogènes chlorés et bromés (acides bromochloroacétique, bromodichloroacétique, dibromochloroacétique, tribromoacétique). Les AHA9 regroupent tous les AHAs chlorés et bromés en incluant les AHA5 précédemment énumérés.

La United States Environmental Protection Agency des États-Unis (US-EPA) réglemente les THMs depuis 1979. Elle a proposé de fonder la réglementation des 4 THMs (TTHM) sur une moyenne annuelle maximale établie sur un an qui a été officiellement adoptée par le Canada en 1996 (Hrudey 2008). La concentration annuelle maximale des AHAs a été fixée ultérieurement pour le groupe des AHA5 (CAA, DCAA, TCAA, BAA et DBAA) aux États- Unis et au Canada (Hrudey 2008). Au Canada, la règlementation de l’eau potable est sous la juridiction des provinces (Dunn et al., 2014), les limites pour les THMs et AHAs proposées par l’État canadien ne sont donc que des recommandations. Le Québec est l’une des rares

provinces canadiennes à avoir adopté des limites pour les TTHM et AHA5 différentes de celles recommandées par le Canada (Gouvernement du Québec, 2016).

Tableau 22 : Normes et recommandation des THMs et AHAs au Canada et aux États-Unis

Sous-produits de chloration Normes québécoises Recommandations canadiennes Normes américaines TTHM 80 µg/L 100 µg/L 80 µg/L AHA5 60 µg/L 80 µg/L 60 µg/L

2.3. Études toxicologiques et épidémiologiques des SPCs sur le développement fœtal

Plusieurs revues systématiques (Graves et al., 2001; Tardiff et al., 2006; Nieuwenhuijsen et al., 2000; Bove et al., 2002; Nieuwenhuijsen et al., 2009; Villanueva et al., 2015) et une méta-analyse (Grellier et al., 2010) ont suggéré des effets possibles des SPCs sur la croissance fœtale.

Des revues systématiques (Nieuwenhuijsen et al., 2000; Graves et al., 2001; Tardiff et al., 2006) ont présenté une synthèse des études toxicologiques des effets des SPCs sur le développement fœtal de rongeurs (souris, rats). Ces études ont révélé qu’une exposition à de fortes doses de THMs induisait une réduction du poids fœtal et du taux de survie à cause de plusieurs effets toxiques engendrés par ces produits chez la mère et le fœtus (Nieuwenhuijsen et al., 2000). D’autres études toxicologiques portant essentiellement sur le chloroforme ont

2Les valeurs guides des THMs et AHAs proviennent des références suivantes: (Hrudey,2008 ; Gouvernement

suggéré une restriction du développement fœtal accompagnée d’une réduction de la taille fœtale et du poids de naissance des rongeurs traités à de fortes doses. Toutefois, ces observations n’avaient pas été constatées avec les THMs bromés (THMBr) : bromoforme, BDCM et CDBM (Graves et al. 2001). Les effets toxiques des SPCs observés chez les animaux constituent une anticipation de leurs effets possibles sur l’humain. Cependant dans le contexte expérimental, les effets nocifs des SPCs observés chez les animaux apparaissaient à de fortes doses auxquelles il est peu probable que les humains soient exposés. De plus, les données toxicologiques soulignent l’absence d’une relation dose-réponse (Graves et al., 2001 ; Tardiff et al., 2006).

Dans les années 1992 apparaissent les premières études épidémiologiques des effets des SPCs sur le développement fœtal (Kramer et al., 1992). À ce jour, l’ensemble des études épidémiologiques traitant l’association entre l’exposition aux SPCs et différentes issues de grossesse ont été récapitulées dans la revue de Graves (Graves et al., 2001), sa version révisée en 2006 (Tardiff et al., 2006) et dans des revues plus récentes (Nieuwenhuijsen et al., 2009 ; Villanueva et al., 2015). Ces revues ont suggéré avec un certain niveau de preuve, l’existence d’une association positive entre l’exposition maternelle aux SPCs et le PPAG/RCIU. Elles stipulent néanmoins que ces preuves restent minces.

Dans la méta-analyse de Grellier (Grellier et al., 2010), huit études ont été incluses pour estimer un indice d’association global entre l’exposition aux SPCs et le PPAG. L’exposition y était mesurée par la concentration des trihalométhanes totaux (TTHM) dans les réseaux de distribution d’eau durant le troisième trimestre de grossesse. Le rapport de cotes (RC) combiné associé à une augmentation de 10 μg/L était de 1,01 (IC 95 % : 1,00-1,02). Ce RC combiné suggère une association positive. Cependant, il est extrêmement proche de la valeur nulle 1.

Les preuves épidémiologiques appuyant l’implication des SPCs dans le développement du fœtus humain ont été jugées peu concluantes dues aux limites de l’évaluation de l’exposition (Graves et al., 2001, Tardiff et al., 2006 ; Nieuwenhuijsen et al., 2009 ; Grellier et al., 2010 ; Villanueva et al., 2015). Des études plus récentes ont ainsi été réalisées avec

une meilleure évaluation de l’exposition dans des réseaux de distribution d’eau et en tenant compte de l’exposition individuelle des participantes.

Une étude cas-témoins effectuée dans la région de la ville de Québec (Canada) a évalué l’association entre l’exposition maternelle aux THMs et AHAs durant les trois trimestres de grossesse et le risque de RCIU (PPAG < 10e percentile) (Levallois et al., 2012). L’exposition

aux SPCs était évaluée par une estimation des concentrations en THMs et en AHAs dans l’eau du robinet des résidences des participantes en tenant compte de la variabilité spatio- temporelle des SPCs dans les systèmes de distributions d’eau, et par les doses internes en THMs et AHAs en considérant les différentes voies d’exposition de chacun de ces groupes de SPCs (ingestion, inhalation et voie cutanée). Les résultats ont montré qu’aucune relation dose-réponse n’est clairement observée entre les concentrations en TTHM et AHA5 dans l’eau du robinet des résidences divisées en quartiles et le risque de PPAG. Cependant, un risque élevé de PPAG a été constaté durant le troisième trimestre de grossesse lorsque les concentrations en AHAs (TCAA, AHA5 et AHA9) étaient au-dessus de leur 4e quartile et

lorsque les concentrations en TTHM et en AHA5 dans l’eau potable étaient au-dessus de leurs normes au Québec (TTHM 80 µg/L et AHA5 60 µg/L), les rapports de Cotes (RC) ajustés étaient respectivement de 1,5 (IC 95 % : 1,1-1,9) pour les TTHM et 1,4 (IC 95 % : 1,1-1,9) pour les AHA5. Une relation dose-réponse monotone a aussi été constatée pour la dose ingérée des AHA5 lorsqu'elle était divisée en quartiles (Levallois et al., 2012).

Une étude de cohorte prospective a également trouvé une association positive entre l’exposition durant le troisième trimestre de grossesse à une concentration en TTHM dans l’eau potable supérieure à 80 µg/L et le risque de PPAG avec un RR de 2,0 (IC 95 % :1,1- 3,6) (Hoffman et al., 2008).

Dans une étude plus récente (Cao et al., 2016), les concentrations sanguines en TTHM et en THMs spécifiques (chloroforme, BDCM, DBCM, TBM) ont été mesurées chez 1184 femmes enceintes. Les mères ayant des concentrations sanguines en BDCM et DBCM supérieures au 3e tertile (BDCM : 4,8 ng/L et DBCM : 2,6 ng/L) étaient plus à risque

d’accoucher d’un nourrisson de petite taille comparées aux mères dont les concentrations sanguines en ces SPCs étaient inférieures au 3e tertile. Pour des concentrations sanguines en

DBCM supérieures au 3e tertile, la réduction de la taille du fœtus à la naissance était de -0,20

cm (IC 95 % : -0,37 ; -0,04) avec une valeur-p du test de tendance de 0,02 et pour le BDCM, cette réduction était de -0,15 cm (IC 95 %: -0,29 ; -0,01) avec une valeur-p du test de tendance de 0,04. Le risque de PPAG était en général augmenté pour les mères exposées à des valeurs supérieures au 2e (44,2-74,4 ng/L) et 3e (74,4 ng/L) tertile des TTHM en

comparaison au 1er tertile (44,2 ng/L) avec des RC respectifs de 2,91 (IC 95 % : 1,32-6,42)

et 2,25 (IC 95 % : 1,01-5,03).

En conclusion, la revue de la littérature toxicologique et épidémiologique indique que la relation entre les SPCs et le RCIU n’est pas clairement établie. La susceptibilité génétique pourrait expliquer en partie la variabilité des résultats et donnerait des pistes sur les potentiels mécanismes de toxicité des SPCs chez les individus vulnérables (Villanueva et al., 2015).

3. SUSCEPTIBILITÉ GÉNÉTIQUE AU RCIU LORS D’EXPOSITION